Titre original :  William Carson - Wikipedia, the free encyclopedia

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CARSON, WILLIAM, médecin, auteur, agitateur politique, journaliste, homme politique, fonctionnaire et fermier, baptisé le 4 juin 1770 dans la paroisse de Kelton, Écosse, fils de Samuel Carson et de Margaret Clachertie ; il épousa une prénommée Esther (dont le nom de famille était peut-être Giles, et qui mourut en 1827), et ils eurent cinq filles et trois fils ; décédé le 26 février 1843 à St John’s.

William Carson fréquenta la faculté de médecine de l’University of Edinburgh de 1787 à 1790 mais, contrairement à ce qu’il prétendit plus tard, il semble qu’il n’obtint pas de diplôme. Avant 1808, selon son propre témoignage, il pratiqua la médecine à Birmingham, en Angleterre, durant 13 ou 14 ans ; de 1800 à 1803, il figure à titre de chirurgien dans les annuaires de cette ville. Pendant qu’il vivait en Angleterre, il se contenta d’observer la scène politique sans y entrer, tout en choisissant comme mentors Charles James Fox et Charles Grey, futur comte Grey. On présume que ce sont ces deux whigs qui lui inspirèrent le zèle avec lequel il allait prôner la réforme et défendre les droits constitutionnels à Terre-Neuve, qui n’avait alors que des institutions embryonnaires. Carson habitait Birmingham quand il se maria et il déclara plus tard que des « affaires domestiques » liées à la famille de sa femme l’avaient poussé à quitter la ville. Sur l’avis de « plusieurs marchands influents » qui faisaient du commerce à Terre-Neuve, il décida d’émigrer et débarqua à St John’s le 23 avril 1808.

C’est en 1810 que Carson figure pour la première fois dans des documents publics qui ont trait à Terre-Neuve. Il demandait alors des lettres patentes qui lui garantiraient « le privilège exclusif de capturer des baleines » dans les eaux côtières de l’île grâce à une nouvelle méthode de pêche complexe et quelque peu fantaisiste. Cette requête, qu’on rejeta, montre que, malgré son sens pratique déficient, Carson porta très tôt un intérêt sérieux à la mise en valeur des ressources de Terre-Neuve. Quant à sa longue carrière d’agitateur politique, elle commença par une collaboration avec les marchands de St John’s, qui dominaient une collectivité encore peu réglementée et mollement gouvernée. En 1811, le Parlement britannique adopta une loi qui eut pour effet d’interdire à la population d’utiliser certaines anciennes graves du port. Comme il venait moins de pêcheurs saisonniers d’Angleterre, ces terrains étaient devenus propriété commune : marchands et pêcheurs de l’endroit s’en servaient, sans frais, à des fins telles que la construction de bateaux et l’entreposage du bois. En novembre 1811, les marchands de St John’s et d’autres « habitants en vue » se réunirent pour discuter de la loi. Dans une adresse au prince régent, ils demandèrent que le produit de la location des graves soit affecté à des travaux municipaux et qu’une nouvelle loi vienne créer un « bureau de police » autorisé à percevoir le loyer et à l’employer à cette fin. Le procès-verbal montre que les participants estimaient que leur initiative ne comportait aucun « blâme à l’endroit du gouvernement », même s’ils élirent tout de suite le bureau de police qu’ils réclamaient. Carson joua un rôle de premier plan dans cette intervention modérée, qui souleva une polémique dans la Royal Gazette and Newfoundland Advertiser (c’était la première fois qu’un conflit ouvert entre factions se dessinait à Terre-Neuve), mais qui ne modifia nullement la politique gouvernementale. Puis en 1812, sans attendre une réponse officielle à l’adresse, il publia un tract qui dénonçait la loi de 1811. Selon lui, cette loi avait « surpris et alarmé » non seulement les habitants de St John’s mais tous les insulaires, lesquels tenaient l’absence d’un Parlement pour l’un de « leurs grands malheurs ». Carson s’inspira de l’ouvrage historique de John Reeves* publié en 1793 pour déclarer que les Terre-Neuviens n’avaient jamais cessé d’être desservis et brimés par les marchands du sud-ouest de l’Angleterre ; il accusait les gouverneurs d’« ignorance » et de conduite illégale et arbitraire ; il avançait que les officiers de marine (qui présidaient les cours de surrogate dans l’île) ne connaissaient rien « des principes les plus élémentaires du droit et de la justice » et enfin il protestait contre les obstacles qu’on semblait accumuler à dessein contre l’agriculture. Dans un deuxième pamphlet, paru en 1813, il se déclara convaincu que « Terre-Neuve [pouvait] devenir une contrée pastorale et agricole », et réclama « un gouverneur civil à demeure et une Assemblée législative ».

Ces pamphlets furent les premiers textes contestataires de Terre-Neuve. Même si Carson, malgré lui sans doute, y déformait l’histoire et la géographie de l’île, il y révélait son talent littéraire, son courage et sa parfaite maîtrise de la noble rhétorique whig. Néanmoins, il avait probablement tort de présumer que les marchands, en cherchant à accroître leur influence à St John’s, voulaient un changement plus global. Ses tracts exaspérèrent les autorités de l’île. On invita le gouverneur John Thomas Duckworth* à le poursuivre pour diffamation, mais le ministère des Colonies refusa. Toutefois, Duckworth lui retira immédiatement son unique situation officielle, celle de chirurgien des Loyal Volunteers of St John’s, et Carson ne parvint pas à la réintégrer en dépit des vives protestations faites auprès du gouverneur et du secrétaire d’État aux Colonies à Londres. Assez curieusement, il prit toujours en très mauvaise part le déplaisir que sa conduite ne manqua pas de causer aux gouverneurs qui, l’un après l’autre, le regardèrent non sans raison comme « la cause première » de leurs difficultés à régler les affaires de l’île.

Pendant ses premières années à Terre-Neuve, Carson ne se limita nullement à l’action politique. Son cabinet de médecin à St John’s était très fréquenté ; il proposa en 1810 de construire un hôpital public, et en devint le médecin-chef peu après son inauguration en 1814. Il s’employait aussi à accumuler des terres pour les cultiver. En juin 1812, il offrit des abonnements à une série de 20 conférences sur des sujets scientifiques qu’il devait prononcer l’hiver suivant. En 1815, il manifesta son intérêt pour l’écriture en ébauchant un ouvrage sur les habitants et les ressources de Terre-Neuve, mais il abandonna ce projet après s’être vu interdire la consultation des archives gouvernementales. Les dossiers judiciaires montrent qu’il intentait souvent des poursuites et plaidait à l’occasion des causes populaires. Ainsi, en 1814, il représenta avec succès un certain John Ryan, accusé d’avoir diffamé le juge en chef Thomas Tremlett*. Le journalisme était une autre de ses occupations. On fonda le Newfoundland Mercantile Journal en 1815, et dès lors il y publia sous le pseudonyme de Man une série d’articles dont l’un affirmait que la moitié de la Bible était « nuisible et inutile ». Cette allégation déchaîna d’ailleurs une controverse dont le point culminant fut, en 1817, un retentissant procès en diffamation où il était plaignant. Il le perdit, peut-être parce qu’une servante déclara l’avoir entendu « ridiculiser les Saintes Écritures » et « nier la divinité [du] Sauveur », témoignage crédible puisque Carson, bien qu’issu d’une famille presbytérienne, admit plus tard avoir des vues sociniennes. Dans le Newfoundland Sentinel and General Commercial Register, premier périodique réformiste de la colonie, fondé en 1818, il parla avec vigueur « en faveur des droits constitutionnels ».

L’effondrement de l’économie de Terre-Neuve, après les guerres napoléoniennes, alluma le débat sur l’avenir de la colonie et créa un climat propice à l’essor du mouvement réformiste. Dès 1815, le gouverneur sir Richard Goodwin Keats* notait qu’« un parti qui affectait un caractère populaire » était de plus en plus influent dans la ville de St John’s, « trop prompte à s’agiter ». La solution de Carson aux difficultés économiques croissantes était simple : appliquer la constitution britannique dans l’île en y instaurant un régime où l’on retrouverait l’équivalent colonial du roi, des lords et de la chambre des Communes. Avec « un gouverneur résidant et un Parlement », écrivait-il en 1817, Terre-Neuve pourrait escompter « des jours de prospérité et de bonheur ». Un observateur sceptique se demanda comment au juste un « Parlement terre-neuvien » pourrait « influencer le prix du poisson sur un marché étranger » mais, dès 1817, même les marchands de St John’s étaient convaincus qu’il fallait changer en profondeur le régime politique. Le gouvernement britannique ne fit cependant que de légères concessions : en 1817, il accepta que le gouverneur réside dans la colonie 12 mois par an, gain dont Carson s’attribua immédiatement le mérite. Dans une lettre où il vilipendait le gouverneur Francis Pickmore* et exposait une litanie de griefs, il prévint le secrétaire d’État aux Colonies, lord Bathurst, que d’autres réclamations suivraient. Mais jusqu’en 1820 il ne put trouver aucun abus scandaleux pour sensibiliser la population à la nécessité d’une réforme.

Les cours de surrogate furent l’une des premières cibles de Carson et l’une de celles qu’il visa le plus souvent, pour des raisons qui sont loin d’être évidentes. Dans l’ensemble, elles rendaient justice avec indulgence et efficacité, en convoquant un jury si l’accusé l’exigeait et si la somme en cause dépassait 40s. En juillet 1820, cependant, deux pêcheurs de la baie Conception, Philip Butler et James Lundrigan*, comparurent devant David Buchan et le révérend John Leigh*, surrogates, puis furent accusés d’outrage au tribunal, condamnés et fouettés. À St John’s, Carson et Patrick Morris, marchand irlandais qui en était à ses premières armes comme agitateur politique, transformèrent l’événement en scandale public. La Cour suprême acquitta les surrogates mais le juge, Francis Forbes, les blâma d’avoir infligé un châtiment aussi « dur ». Le 14 novembre, au cours d’une assemblée publique où Morris et Carson occupèrent le devant de la scène, on résolut de recourir à des moyens constitutionnels « pour faire abroger la loi » qui sanctionnait « pareils procédés arbitraires ». Suivit une pétition adressée au roi : les signataires réclamaient une réforme de l’appareil judiciaire et reliaient le cas Butler-Lundrigan à d’autres doléances, notamment en ce qui concernait la nécessité d’un « corps législatif superviseur ». Bathurst rejeta carrément l’idée d’un Parlement mais indiqua que la Grande-Bretagne « envisage[ait] » de modifier les lois qui avaient trait à Terre-Neuve.

La cause réformiste gagnait alors du terrain à St John’s : que la pauvreté ait été de plus en plus criante ne prouvait-il pas qu’un changement s’imposait ? Le gouverneur sir Charles Hamilton concédait qu’il fallait créer un certain « pouvoir colonial » susceptible de « remplir tous les bons offices d’un Parlement sans en avoir les tares ». Durant les années 1823 et 1824, Carson présida un comité de résidants qui cherchaient à faire amender le projet de loi sur Terre-Neuve qu’on allait présenter au Parlement britannique. Lorsque son contenu fut connu à St John’s, les réformistes surent qu’ils allaient devoir se contenter d’institutions municipales. Carson accepta l’idée de la création d’une municipalité à St John’s, même si elle ne correspondait pas à ses espoirs : il voyait probablement là un premier pas vers une réforme plus complète. En juin 1824, de nouvelles lois remplacèrent les cours de surrogate par des tribunaux itinérants, donnèrent plus d’ampleur à la Cour suprême, autorisèrent la création d’un gouvernement municipal à Terre-Neuve et habilitèrent le gouverneur à disposer des terres inoccupées. Les réformistes avaient eu une influence manifeste sur la conception de cette nouvelle constitution.

En janvier 1825, Carson annonça qu’il quittait la politique en invoquant « l’âge qui avan[çait] », ses devoirs professionnels et ses responsabilités familiales. Il semble qu’une maladie survenue dans sa famille influa sur sa décision. Cependant, il remonta dans l’arène dès 1826, cette fois pour prendre part au débat acharné que suscitait la forme d’administration à donner à St John’s. Carson et Morris avaient changé d’avis : ils souhaitaient que soient modifiés, dans la loi de 1824, les articles qui autorisaient la création d’un corps municipal nommé, et ils réclamaient qu’on dote plutôt la ville d’un conseil élu ; ils demandaient aussi que l’on perçoive des taxes sur la valeur locative des propriétés, tandis que la loi autorisait le conseil à prélever « des impôts et contributions » sur les habitants, les propriétaires et locataires de maison. Cette proposition fâcha les propriétaires et, après une tumultueuse assemblée publique en mai, les marchands firent parvenir au gouverneur Thomas John Cochrane* une pétition contre l’érection de la ville en municipalité. Apparemment, cette dispute provoqua à St John’s une polarisation qui ne s’était jamais vue et dans laquelle on peut déceler des signes de ce qui caractérisa la vie politique de Terre-Neuve à compter de 1833 : le clivage entre les intérêts populaires et commerciaux. Cochrane rapporta que la population préférait voir son gouvernement lui imposer des règlements plutôt que d’assister au « triomphe de l’un des partis sur l’autre ». Finalement, on abandonna l’idée d’une municipalité. L’absence de consensus sur la forme que devait avoir l’administration municipale eut un effet inattendu au ministère des Colonies : James Stephen s’en servit pour illustrer la nécessité de créer un Conseil législatif constitué de quelques membres élus. Manifestement, l’octroi d’un Parlement ne pouvait plus guère tarder.

En novembre 1827, c’est l’ami de Carson, le juge en chef Richard Alexander Tucker*, administrateur en l’absence de Cochrane, qui le nomma chirurgien de district. À son retour, « comme il désirait que le docteur se tienne tranquille », Cochrane confirma cette nomination. Carson devait, contre un salaire annuel de £200, soigner les pauvres. Mais loin de le tenir à l’écart, son poste lui donna, semble-t-il, plus de temps à consacrer à la politique. En 1828, il se battait de nouveau aux premières lignes pour des institutions représentatives. La création d’un Parlement gagna rapidement des adeptes en 1830–1831, en même temps que Carson voyait s’étendre sa réputation de patriote vénérable. Une fois encore, la détérioration de la conjoncture économique accentuait la nécessité d’un changement. En mars 1832, lorsqu’on apprit que le gouvernement représentatif avait été accordé, Carson offrit immédiatement de se porter candidat dans le district de St John’s.

À mesure que les élections de 1832 approchaient, la solidarité que les gens de Terre-Neuve avaient manifestée devant la Grande-Bretagne lorsqu’ils réclamaient un Parlement fit place au sectarisme qui allait caractériser la vie politique de l’île pendant un demi-siècle. À St John’s, l’évêque catholique Michael Anthony Fleming appuya trois candidats, notamment John Kent*, un marchand irlandais qui devint rapidement un personnage controversé en raison de sa flamboyante campagne menée auprès des catholiques, et Carson, qui courtisait les Irlandais depuis 1817. En août et septembre, comme si le soutien de Fleming ne suffisait pas à lui mettre les protestants à dos, Carson attaqua deux fois en public l’archidiacre anglican Edward Wix*, qui avait relevé des hérésies dans une brochure qu’il avait écrite sur le choléra. Carson répliqua dans le Public Ledger que Wix était « un fléau encore plus terrible » que cette maladie. Ainsi à l’instar de Kent, Carson attisait par son attitude la peur de voir les catholiques dominer St John’s, et c’est peut-être la cause de sa défaite en novembre, à moins que ce ne soit, comme il le soutint plus tard dans une protestation officielle à la chambre, parce qu’il fut victime de manœuvres injustes durant le scrutin. Sa réaction fut caractéristique : « En politique, écrivit-il plus tard, on n’a jamais rien obtenu par la soumission. » En janvier 1833, parut un prospectus qui annonçait un nouvel hebdomadaire, le Newfoundland Patriot. Selon Robert John Parsons*, qui en était l’unique propriétaire en 1840, Carson fut rédacteur en chef du périodique à compter de son lancement en juillet 1833 jusqu’à décembre. En 1835, il y signait encore des éditoriaux à l’occasion.

Les numéros du Patriot qui parurent pendant que Carson était rédacteur en chef n’existent plus, mais à partir des réactions des milieux officiels et des autres périodiques, on peut conclure que l’hebdomadaire, conformément à ce qu’annonçait le prospectus, défendit dans la colonie « les principes libéraux et constitutionnels » contre les « autorités constituées ». L’agressivité de Carson indisposa encore davantage Cochrane de même que Henry David Winton* du Public Ledger ; elle exaspéra même John Shea, rédacteur en chef du Newfoundlander et homme ordinairement calme, qui s’était fait dire de « penser davantage à John Kent et à Terre-Neuve et moins à Daniel O’Connell et à la verte Érin ». Cette remarque révèle le peu d’intérêt que Carson portait à l’Irlande, qui passionnait alors les catholiques terre-neuviens. Ce fut néanmoins vers les Irlandais qu’il dut se tourner encore une fois au moment de l’élection partielle tenue dans St John’s en décembre 1833. La campagne fut encore plus âpre qu’en 1832 : Fleming pesa de tout son poids en faveur de Carson et força pratiquement son adversaire à se retirer. Winton écrivit, dans un éditorial virulent, que Carson devait sa victoire à la « domination » qu’exerçait le clergé catholique sur des paroissiens à l’esprit asservi. Par la suite, Carson allait essuyer constamment les attaques du Public Ledger et d’un autre nouveau journal, le Times and General Commercial Gazette, dont le rédacteur en chef était John Williams McCoubrey*. Sa carrière de député s’amorçait donc dans un climat très agité, qui était de mauvais augure.

À la réouverture de la chambre, en janvier 1834, Carson s’allia à un groupe minoritaire de députés « populaires » et accepta de disputer le fauteuil de président à Thomas Bennett*. Avant même la mise aux voix, il fit valoir au greffier que trois députés étaient inaptes à siéger et ne devaient pas participer au choix du président. Le vote eut tout de même lieu et Bennett en sortit vainqueur. Carson déposa alors avec ses amis une pétition qui réclamait la dissolution de la chambre et de nouvelles élections. Cette première intervention annonçait bien ce qu’il allait privilégier à titre de député. Il ne supportait aucune atteinte à l’autorité parlementaire et défendait avec acharnement les droits et privilèges de la chambre contre les empiétements réels ou supposés du conseil, du gouverneur, du ministère des Colonies et des particuliers. Même s’il s’intéressait par exemple à l’éducation, à la voirie ou à la réforme municipale, ces questions ne le préoccupaient pas autant que le respect pointilleux de la constitution. Il n’est donc pas surprenant de le voir en février 1834 déclencher à la chambre un interminable débat sur l’admissibilité d’un failli au titre de député, au moment même où la colonie était en faillite et se trouvait dans l’obligation d’en appeler au gouvernement britannique pour qu’il éponge un déficit de £4 000.

Ce n’est pas non plus sans une certaine hypocrisie que Carson, lui-même encore chirurgien de district, allégua que Patrick Kough* n’avait pas le droit de siéger à la chambre en raison des contrats de construction qu’il avait obtenus du gouvernement. Piqué par plusieurs attaques de sa part, Cochrane le démit de son poste de chirurgien en mars 1834 sous le prétexte que la Trésorerie impériale ne fournissait plus les sommes nécessaires. Carson informa alors le gouverneur que l’Assemblée avait voté des crédits pour le poste à la condition qu’il le conserve. Le 9 mai, la chambre adopta contre Carson deux propositions de blâme dans lesquelles elle l’accusait pratiquement de mensonge. Ces événements, de toute évidence, plongèrent Carson dans l’angoisse. La perte de son poste l’éprouva peut-être beaucoup financièrement car, selon Cochrane, il avait laissé son cabinet à son fils Samuel au moment de son entrée en politique. En avril 1834 puis en 1835, il annonça son retour à l’exercice de la médecine.

En 1835, une véritable fièvre partisane et sectaire s’empara de la population de St John’s, qui dirigea son animosité contre Winton et le juge en chef Henry John Boulton*. En janvier, dans un discours à la chambre, Carson amorça contre Boulton une guerre qui allait durer quatre ans et, le 18 février, il proposa de confier à un comité spécial le mandat d’examiner les prétendues dérogations du juge en chef à la charte en vertu de laquelle on avait établi la nouvelle Cour suprême. On rejeta sa proposition mais en mai, au moment même où la ville était en émoi après la mutilation dont Winton venait d’être victime, Boulton prêta flanc de nouveau à une attaque de Carson. Sans prendre la peine de convoquer un jury, il condamna Parsons, du Patriot, à trois mois de prison et à une amende de £50 pour outrage. Cette décision poussa Carson et Morris à fonder la Constitutional Society, et O’Connell présenta à la chambre des Communes une pétition contre Boulton signée de 5 000 noms. Carson aggrava le climat de crise en écrivant dans le Patriot une lettre ouverte à Boulton où il disait que le juge était « un sujet digne d’être blâmé et puni ». Boulton était alors en Angleterre et on ne croyait pas qu’il reviendrait. Cet été orageux était terminé et la colonie était « en train de retrouver la paix » lorsque Carson publia dans le Patriot une autre lettre incendiaire, qui dévoile clairement ses penchants politiques profonds. « Il faut entretenir l’agitation, disait-il, l’enthousiasme d’un peuple noble doit être chéri et soutenu. » Pour lui, l’effervescence politique était l’un des signes de la maturation d’un pays. De tous les réformistes de St John’s, aucun ne se rapprochait davantage, par son tempérament, des rebelles du Haut et du Bas-Canada.

Aux élections générales de 1836, après que leurs adversaires se furent retirés de la course, Carson, Kent et Morris remportèrent la victoire dans St John’s. Mais surtout les réformistes s’assurèrent la domination de la chambre, malgré l’enquête d’un jury d’accusation sur des actes de violence commis durant le scrutin et malgré un événement plus spectaculaire encore : la tenue immédiate de nouvelles élections générales, décidée après que Boulton eut découvert une illégalité subtile. La nouvelle législature commença en juillet 1837. Pendant cinq ans, Carson allait présider l’une des Assemblées les plus inflammables de l’histoire de la colonie.

Comme Carson était président, on ne peut mesurer avec exactitude l’influence qu’il exerça alors à la chambre, mais il n’y a aucun doute qu’il se réjouissait de voir les députés montrer autant d’aplomb et qu’il les aida en coulisse à prendre des initiatives. On devine son intervention par exemple dans la tentative qui visait à compromettre le chirurgien de district Edward Kielley*, dans l’octroi d’un salaire annuel de £200 au président de l’Assemblée, ou encore dans la décision extrême de faire rayer des débats le blâme prononcé contre lui le 9 mai 1834. Quant au cheval de bataille de la nouvelle Assemblée, à savoir son refus de présenter des projets de loi de finances amendés par le conseil, Carson fit clairement comprendre au gouverneur qu’il l’approuvait. Mais là où son rôle est peut-être le plus manifeste, c’est dans l’acharnement que l’Assemblée montra envers Boulton, dont la nomination au poste de juge en chef avait, contre toute attente, été approuvée et qui était revenu à Terre-Neuve. À la première séance de l’Assemblée, le 3 juillet, Morris déclara que la chambre, réunie en comité plénier, examinerait l’administration de la justice. Cette année-là, trois affaires vinrent attiser l’antipathie de Carson envers Boulton et aviver l’inquiétude générale concernant l’équité des tribunaux. D’abord, on accusa Carson, Morris et d’autres d’avoir formé un attroupement séditieux, ce qui indigna Carson au point qu’il refusa de comparaître avant qu’on l’ait assigné. Puis en mai, à l’occasion d’une poursuite intentée par Carson contre McCoubrey, Boulton informa le jury que l’expression « ce fou de docteur Carson » n’était pas diffamatoire. Enfin, toujours en mai, le procès pour atteinte à la réputation que fit Samuel Carson à Kielley apporta aussi sa part d’humiliation. On y révéla que William Carson, pour pouvoir témoigner en faveur de son fils, était entré chez une patiente que ce dernier avait soignée et, sans avoir reçu la moindre autorisation, lui avait fait subir un examen douloureux et des plus intimes. En apprenant cette atteinte à la vie privée, Boulton se mit dans une telle colère qu’il tança longuement Carson, alors à la barre des témoins. Ce dernier n’était pas homme à supporter pareil traitement. En octobre, l’Assemblée demanda à la reine de rappeler Boulton et, lorsque Carson s’embarqua pour l’Angleterre avec les autres membres de la délégation de députés qui allaient présenter une liste de doléances, dont celle-là, au gouvernement britannique, il dit à la population que son « seul but » était le renvoi de Boulton, « à qui on n’aurait jamais dû permettre de contaminer [les] rives [de Terre-Neuve] ». En juillet 1838, le comité judiciaire du Conseil privé exprima l’avis qu’il serait « inopportun » de laisser Boulton à son poste de juge en chef.

Arrivé à Londres en janvier 1838, Carson était parti le 19 février pour Liverpool afin de rendre visite à son frère ; il avait alors confié le travail de la délégation à John Valentine Nugent*. Il rentra à St John’s en mai. Comme son séjour en Angleterre avait ravivé ses convictions constitutionnelles, il publia dans le Newfoundlander des lettres où il pressait l’Assemblée de « ne pas démordre » du principe selon lequel elle devait être modelée sur la chambre des Communes. Il défendit lui-même ce principe avec beaucoup de ténacité. Le 9 août 1838, au nom de la chambre, il lança un mandat d’arrestation contre Kielley, accusé d’avoir prononcé dans les rues de St John’s des paroles offensantes pour l’Assemblée. Après la libération de Kielley par une ordonnance d’habeas corpus que rendit le juge adjoint George Lilly, on lança un mandat d’arrestation semblable contre celui-ci et le shérif. Le 11 août, on emmena Lilly, qui résistait à l’arrestation, du palais de justice au domicile du sergent d’armes. Il y resta deux jours, après quoi le gouverneur Henry Prescott* prorogea la session et le libéra. À l’ouverture de la session suivante, le 20 août, le shérif, au nom de Kielley, assigna Carson en justice pour arrestation illégale et lui réclama £3 000 de dommages-intérêts. Ainsi commença le procès de Kielley contre Carson, dont l’enjeu était le droit de l’Assemblée de décerner des mandats d’arrestation pour offense, droit qu’elle avait, selon Carson, en vertu de sa parenté avec la chambre des Communes [V. sir Bryan Robinson*]. L’affaire passa en décembre 1838 devant la Cour suprême de Terre-Neuve qui rendit une décision majoritaire en faveur de l’Assemblée. On enregistra cependant la dissidence de Lilly. Kielley fit part de son intention d’interjeter appel devant le Conseil privé. Il fallut attendre plus de trois ans avant que le conseil ne donne son avis, qui annulait la décision.

Les agissements de la chambre dans l’affaire Kielley non seulement valurent au gouvernement britannique une pluie de pétitions qui réclamaient l’abolition de l’Assemblée mais, avec la campagne menée contre Boulton, renforcèrent l’opposition des marchands coloniaux à l’égard des réformistes. En 1838, la St John’s Chamber of Commerce fit parvenir à la reine une pétition qui associait « certains des principaux députés » de Terre-Neuve aux rebelles canadiens et réclamait l’« abolition immédiate » des institutions représentatives. Après le jugement rendu par la Cour suprême dans l’affaire Kielley, Carson déclara qu’il n’avait « aucun doute » que, lorsque la chambre se réunirait à nouveau, elle voudrait voir si la pétition portait atteinte à « sa dignité et [à] ses justes privilèges ». Sa lettre – l’une des initiatives qu’il prit, à titre de président, indépendamment de l’Assemblée – équivalait à menacer John Sinclair, président de la St John’s Chamber of Commerce, de citation pour offense, ce que Prescott n’était pas porté à prendre à la légère. On ne peut guère douter que l’attitude querelleuse des députés entre 1837 et 1839 contribua à jeter le discrédit sur le gouvernement représentatif et ouvrit la voie à la fusion de l’Assemblée et du Conseil législatif. Par la persistance avec laquelle il affirma les droits de l’Assemblée, Carson fut responsable au moins en partie de la déconsidération qu’elle connut.

Les années 1839 à 1841 allaient révéler des divisions dans les rangs des réformistes et faire apparaître dans le paysage politique terre-neuvien de nouvelles forces qui tendraient à reléguer Carson au second plan. Les débats de la chambre font état d’échanges virulents entre Carson, Kent, Peter Brown et Morris, et à l’automne de 1839 Parsons se mit à attaquer les réformistes dans le Patriot et à promouvoir le gouvernement responsable. Carson inclinait à penser que la « responsabilité » ministérielle existait depuis 1833, opinion que Parsons rejetait d’un ton cassant. Carson persistait tout de même à affirmer que la constitution « repos[ait] sur une base large et libérale » et exigeait seulement que les députés « mettent l’épaule à la roue ». Par ailleurs, Parsons s’était mis à défendre les droits des Terre-Neuviens d’origine, question de plus en plus importante à laquelle Carson, pour des raisons évidentes, ne pouvait guère s’intéresser. La pire dissension que connut le parti réformiste survint au début de 1840, quand Morris et Carson se trouvèrent en désaccord. Manifestement, la solidarité des réformistes s’effritait, ce qui les empêcha d’organiser une opposition efficace à l’expérience constitutionnelle de 1842, où l’on fusionna la Chambre haute et la Chambre basse. Carson lui-même s’était senti de plus en plus frustré devant les obstacles que le Conseil de Terre-Neuve et certains députés avaient élevés contre des initiatives comme la fondation d’un collège à St John’s ou la construction de routes. En 1840, il en appela à la population pour qu’elle « manifeste, [...] envoie des pétitions » afin de préserver l’Assemblée, mais après huit ans de gouvernement représentatif, ces modes d’intervention ne semblaient plus susciter aucun intérêt.

À 69 ans, Carson se mit à étudier l’agronomie, qui de toute évidence l’absorba de plus en plus. Sa grande ferme lui avait peut-être déjà causé des pertes financières, mais l’agriculture le passionnait presque autant que les droits constitutionnels. Il inonda la presse de lettres sur les avantages de l’élevage du porc, la préparation du compost et les vertus de la pomme de terre de Rohan. À la fin de 1841, il devint le premier président de l’Agricultural Society et annonça qu’il consacrerait une partie de ses loisirs à « quelques conférences sur des questions agricoles ». Il présida en juin 1842 le premier concours de labourage jamais tenu à Terre-Neuve ; un mois plus tard, il se vit imposer une amende pour avoir charroyé des têtes de morue (les déchets de poisson servaient de fertilisant). Sir John Harvey*, l’unique gouverneur à avoir réussi à vaincre l’hostilité de Carson envers les autorités, l’avait encouragé à s’occuper d’agriculture. Malgré les réserves du ministère des Colonies, il le nomma au conseil en septembre.

En décembre 1842, Carson fut élu dans St John’s avec Nugent et Laurence O’Brien*. Lorsque la chambre fusionnée se réunit pour la première fois, en janvier 1843, il chercha à obtenir le fauteuil de président, mais on lui préféra James Crowdy*, qui avait été nommé à la chambre. Il ne tarda pas à constater que les membres élus n’avaient guère de poids dans le nouveau régime et, en février, il indiqua que « si sa santé le lui permet[tait] », il se rendrait en Angleterre protester contre l’élection de Crowdy, « exercice inopportun de pouvoir arbitraire ». Il demeura donc attaché à ses principes politiques jusqu’à la fin. La nuit qui précéda sa mort, il appela Parsons à son chevet pour le presser de préconiser un retour au gouvernement représentatif et de « secouer les amis du peuple ». Selon Parsons, il avait aussi fait venir un ministre de l’Église d’Écosse et renoncé à ses opinions sociniennes.

William Carson était un homme d’une énergie infatigable et d’une ambition dévorante. En lui s’alliaient une répulsion instinctive à l’égard de l’exercice du pouvoir arbitraire et un besoin tout aussi fort de s’opposer à ce pouvoir, de le démasquer et de le vaincre. Il avait également une confiance inébranlable en la justesse de ses principes whigs, était d’une franchise dévastatrice et possédait une volonté de fer. En colère – et il ne fallait pas une crise alarmante pour le mettre dans cet état –, c’était un adversaire redoutable. Partisan par nature, il ne fut guère porté au compromis et n’hésita jamais à traduire ses convictions en gestes politiques. En lui on trouve le plus radical et le plus influent des premiers réformistes de Terre-Neuve. En qualité d’agitateur, il contribua à ébranler le vieux régime paternaliste de Terre-Neuve. En qualité de propagandiste, il répandit sur l’histoire de l’île et ses possibilités de développement des vues qui allaient influencer des générations d’écrivains et d’hommes politiques. En qualité de législateur, il s’efforça de doter Terre-Neuve d’institutions sociales utiles et de préserver ce qu’il considérait comme les droits et privilèges de la chambre d’Assemblée.

Patrick O’Flaherty

William Carson est l’auteur de trois brochures, dont : A letter to the members of parliament of the United Kingdom of Great Britain and Ireland [...] (Greenock, Écosse, 1812) ; et Reasons for colonizing the Island of Newfoundland, in a letter addressed to the inhabitants (Greenock, 1813) ; la troisième, qui traite du choléra, n’a pu être localisée.

GRO (Édimbourg), Kelton, reg. of births and baptisms, 4 juin 1770.— PANL, GN 2/1, 20–45 ; GN 5/2/A/1, 1811–1821 ; GN 5/2/B/1, 1819–1820.— PRO, CO 194/45–116 ; 195/16–20 ; 199/19.— Univ. of Edinburgh Library, Special Coll. Dept., Faculty of Medicine, minutes of the proc., 1776–1811 ; Matriculation reg., 1786–1803 ; Medical matriculation index, 1783–1790.— Dr William Carson, the great Newfoundland reformer : his life, letters and speeches ; raw material for a biography, J. R. Smallwood, compil. (St John’s, 1978).— T.-N., General Assembly, Journal, 1843 ; House of Assembly, Journal, 1833–1842.— Aris’s Birmingham Gazette ; or the General Correspondent (Birmingham, Angl.), 1794–1808.— Newfoundlander, 1827–1843.— Newfoundland Mercantile Journal, 1816–1827.— Newfoundland Patriot, 1834–1842.— Newfoundland Vindicator (St John’s), 1841–1842.— Patriot & Terra-Nova Herald, 1842–1843.— Public Ledger, 1827–1843.— Royal Gazette and Newfoundland Advertiser, 1810–1831.— Gunn, Political hist. of Nfld.

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Patrick O’Flaherty, « CARSON, WILLIAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/carson_william_7F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
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