REEVES, JOHN, juge et écrivain, né le 20 novembre 1752 à Londres, fils de John Reeves ; décédé célibataire le 7 août 1829 dans sa ville natale.
Formé à l’Eton College, John Reeves se vit refuser une bourse par le King’s College de Cambridge, mais il fut admis au Merton College d’Oxford le 31 octobre 1771. Il obtint son baccalauréat ès arts en 1775 et, le 11 novembre, il reçut une bourse Michel du Queen’s College d’Oxford. Il devint fellow de ce collège le 8 octobre 1777 et se qualifia pour une maîtrise ès arts l’année suivante. Admis au barreau en 1779 après avoir étudié au Middle Temple, Reeves devint commissaire aux faillites l’année suivante. Toujours en 1779, il commença une carrière d’auteur ; il allait écrire de nombreux ouvrages sur des questions juridiques, politiques et constitutionnelles. Conseiller juridique du comité du commerce du Conseil privé à compter de 1787, il fut élu fellow de la Royal Society trois ans plus tard.
L’année 1791 fit sortir Reeves des sentiers battus de sa profession : il fut nommé juge à Terre-Neuve. Les circonstances de sa nomination étaient complexes. En 1788, la Cour des sessions trimestrielles du Devon, en Angleterre, avait contesté par une décision la légalité du système judiciaire civil de Terre-Neuve [V. Richard Hutchings*]. En conséquence, les plaideurs éventuels ne pouvaient pas obtenir d’audiences dans l’île, et cette situation était d’autant plus grave que la pêche connut un net recul à la fin de la même année. En 1789, le gouverneur Mark Milbanke* créa une Cour des plaids communs, mais les légistes de la couronne à Londres nièrent qu’il en ait eu le droit. Enfin, en 1791, le Parlement adopta une loi (31 George III, chap. 29) qui résolut le problème en créant « un tribunal de juridiction civile » qui entendrait « toutes les poursuites pour dettes, comptes en souffrance, contrats relatifs à la propriété privée [et qui jugerait] tous les délits commis contre la personne et les biens mobiliers » à Terre-Neuve « et dans les îles et régions adjacentes ou sur les bancs » du large de l’île. Le tribunal serait formé d’un « juge en chef » nommé par le roi et de deux « assesseurs » nommés par le gouverneur. Quand ce dernier serait présent à Terre-Neuve, le tribunal aurait aussi juridiction exclusive sur les litiges relatifs aux salaires des marins ou des pécheurs. En l’absence du gouverneur, ces litiges pourraient être entendus comme auparavant par la Cour des sessions trimestrielles mentionnée dans une loi (15 George III, chap. 31). La loi qui créait ce nouveau tribunal devait entrer en vigueur le 10 juin 1791 et s’appliquer pendant un an, « puis jusqu’à la fin de la prochaine session du Parlement ».
Reeves arriva à Terre-Neuve avec le titre de juge en chef le 10 septembre 1791. Les assesseurs étaient Aaron Graham*, qui avait été secrétaire de plusieurs gouverneurs successifs, et D’Ewes Coke, contrôleur des douanes. Entre cette date et le 31 octobre, 138 ordonnances furent rendues. Reeves repartit pour l’Angleterre le 1er novembre, non sans remettre des rapports sur son travail à Henry Dundas, secrétaire d’État à l’Intérieur, et au comité de commerce du Conseil privé. Notant que l’influence du tribunal avait été restreinte à la région de St John’s, il proposait plusieurs réformes, dont la plus importante était la création d’une Cour suprême permanente qui aurait juridiction en matière civile et criminelle. Les cours des sessions trimestrielles existantes collaboreraient avec ce nouveau tribunal en jugeant les délits mineurs, « surtout ceux qui découl[aient] de litiges sur les salaires ». Reeves demandait aussi que les audiences tenues dans les petits villages de pêcheurs par les officiers de la marine aient un statut légal.
Le 15 juin 1792, malgré la vigoureuse opposition des hommes d’affaires du sud-ouest de l’Angleterre, le roi sanctionna une loi qui retenait ces propositions. Elle prévoyait la création d’une Cour suprême habilitée à juger toutes les poursuites civiles et criminelles. En matière criminelle, ce tribunal appliquerait le droit anglais et, en matière civile, le même droit « dans la mesure où [il] pourra[it] s’appliquer aux poursuites et plaintes » intentées ou déposées à Terre-Neuve. Il serait présidé par un juge en chef qui serait nommé par le roi et qui choisirait des officiers de justice pour l’assister. La loi habilitait en outre le gouverneur, après consultation du juge en chef, à instituer selon les besoins, dans différentes parties de l’île, des tribunaux civils appelés tribunaux de surrogate qui appliqueraient aussi le droit anglais. À la Cour suprême comme dans les tribunaux de surrogate, s’il s’agissait de poursuites civiles, les défendeurs pourraient réclamer un procès devant jury à condition que « la cause de l’action » excède £10. Les jugements rendus par les tribunaux de surrogate sur des sommes supérieures à £40 pourraient être portés en appel devant la Cour suprême ; quant à ceux que prononcerait la Cour suprême sur des sommes dépassant £100, on pourrait en appeler devant le Conseil privé. Le tribunal civil institué en 1791 siégerait jusqu’à l’ouverture du nouveau tribunal qui, à son tour, aurait la même durée d’existence.
Reeves retourna à Terre-Neuve comme juge en chef de la Cour suprême le 3 septembre 1792. En plus des audiences qu’il tenait à St John’s, il fit « une tournée jusqu’à la baie Conception et la baie Trinity », et visita Ferryland. Son personnel se composait uniquement d’un greffier, mais il pouvait compter sur l’« aide volontaire » de Coke. Quand il s’embarqua pour son voyage de retour, le 30 octobre, il avait rendu 120 ordonnances. Pendant son séjour à Terre-Neuve, Reeves recommanda à Dundas qu’un appareil judiciaire comme celui qu’avait créé la loi de 1792 devienne permanent ; puis, de retour en Angleterre, il consacra toute son énergie à la défense de cette cause. En février 1793, il put exprimer publiquement ses positions, la chambre des Communes l’ayant appelé à témoigner devant son comité d’enquête sur l’état du commerce avec Terre-Neuve.
Lors de sa comparution, Reeves fut autorisé à lire un document qui portait autant sur l’histoire de Terre-Neuve que sur la situation qui y régnait alors. Il tenait en particulier à réfuter le témoignage de Peter Ougier* et de William Newman, marchands du Devon qui s’opposaient aux réformes judiciaires. Reeves attribuait leur attitude et celle de leurs partisans du sud-ouest de l’Angleterre aux activités honteuses de certains représentants des marchands à Terre-Neuve, qui résistaient à l’administration de la justice pour « tirer le moins de traites » possible sur leurs employeurs. « Une certaine classe » de marchands du sud-ouest s’étaient « invariablement opposés à toute tentative pour faire régner l’ordre et la justice » à Terre-Neuve, considérant l’île comme leur propriété. Leur dessein avait été « de protéger leurs intérêts privés [...] en échappant à toute concurrence de la part des autres commerçants et à toute inspection ». Ils avaient exprimé leur ligne d’action dans des slogans tels que Pas de résidents ou Une pêche libre, exploitée à partir de la Grande-Bretagne. Mais, en fait, ils avaient cherché à « échapper eux-mêmes à toute règle et à tout ordre, en exerçant un monopole exclusif, et à étendre sans contrainte leur emprise sur les boatkeepers et les habitants pauvres, qu’ils maintenaient] sous un joug perpétuel ». Reeves recommandait fortement le maintien de l’appareil judiciaire et avançait que celui-ci pourrait être amélioré par l’établissement d’un tribunal qui, en l’absence du juge en chef et des surrogates, veillerait au recouvrement des dettes et au règlement de tout type de poursuite. Ce tribunal, dont les jugements devraient pouvoir être portés en appel devant la Cour suprême, pourrait être constitué « des personnes mêmes qui siégeaient à la Cour des plaids communs ». Terre-Neuve avait besoin « de la surveillance et de la protection d’une magistrature et d’officiers de justice, comme les autres territoires du roi, [bref de] quelque chose qui ressemblait davantage à un gouvernement sédentaire ».
Parlant du mode de propriété foncière en vigueur à Terre-Neuve, Reeves notait par ailleurs que, dans le cas des « trois quarts des terres [...] occupées et détenues », aucune « concession ni [... aucun] document indiquant le propriétaire originel » ne pouvait être retracé. La propriété par simple occupation prévalait généralement dans les petits villages de pêcheurs « où, loin des regards du gouvernement, [les gens] pos[aient] des bornes et se taill[aient] des terrains presque à leur guise ». Selon lui, la couronne aurait dû recevoir des propriétaires terriens « quelque reconnaissance sous forme de redevance ».
L’avis de Reeves sur les questions judiciaires, à tout le moins, fut pris au sérieux ; en effet, le 17 juin 1793, une loi prolongeant la durée du système qu’il avait instauré reçut la sanction royale. Ce fut D’Ewes Coke qui lui succéda comme juge en chef. La coutume d’adopter des lois tous les ans eut cours jusqu’en 1809, année où les tribunaux devinrent permanents.
En avril 1793, Reeves termina son célèbre ouvrage, History of the government of the Island of Newfoundland [...], premier exposé complet sur l’histoire de l’île. Tout en s’appuyant sur sa propre expérience, il analysa surtout « les luttes et les vicissitudes de deux groupes aux intérêts opposés. D’une part, les planters et les habitants qui, étant établis là-bas, avaient besoin de la protection d’un gouvernement et d’une police ainsi que d’un système judiciaire ; d’autre part, les aventuriers et les marchands qui, organisant à l’origine la pêche à partir [de l’Angleterre] et ne se rendant dans l’île que pendant la saison, n’avaient pas eux-mêmes besoin de cette protection et avaient diverses raisons d’empêcher qu’elle soit accordée aux autres. » Cette dialectique allait être étudiée à maintes reprises par les historiens de Terre-Neuve. En 1978, Keith Matthews écrivait que l’ouvrage de Reeves, « première publication à identifier les marchands du sud-ouest [de l’Angleterre] aux méchants », avait été « lu et accepté dans ses grandes lignes par tous les historiens des dernières années ».
Le 22 mars 1794, Dundas recommanda à la Trésorerie de verser £500 à John Reeves pour chacune de ses périodes de service à Terre-Neuve. En 1795, l’ancien juge en chef ultra-royaliste publiait un pamphlet anonyme qui était intitulé Thoughts on the English government ; addressed to the quiet good sense of the people of England ; in a series of letters ; letter the first. Il y exagérait le pouvoir que la Constitution accordait au roi et diminuait celui du Parlement et des jurys. Il fut accusé de diffamation – sort inhabituel pour un porte-parole conservateur – mais fut acquitté l’année suivante. En 1800, il fut nommé imprimeur du roi et, en 1824, élu membre du conseil des Inns of Court. Il mourut riche et célibataire et fut inhumé dans l’église des Templiers, St Mary, le 17 août 1829.
John Reeves est l’auteur de : History of the government of the Island of Newfoundland [...] (Londres, 1793 ; réimpr., New York et East Ardsley, Angl., 1967).
G.-B., Parl., House of Commons, Journals (Londres), 46 (1790–1791)–48 (1792–1793) ; House of Commons papers, 1793, no 4393, First report from the committee appointed to enquire into the state of trade to Newfoundland ; no 4407, Second report [...] ; no 4438, Third report [...].— DNB.— The Eton College register, 1753–1790, R. A. Austen-Leigh, édit. (Eton, Angl., 1921).— C. R. Fay, Life and labour in Newfoundland (Toronto, 1956).— A. H. McLintock, The establishment of constitutional government in Newfoundland, 1783–1832 : a study of retarded colonisation (Londres et Toronto, 1941).— Keith Matthews, Lectures on the history of Newfoundland : 1500–1830 (St John’s, 1973).— Prowse, Hist. of Nfld. (1895).— Keith Matthews, « Historical fence building : a critique of the historiography of Newfoundland », Newfoundland Quarterly (St John’s), 74 (1978–1979), no 1 : 21–30.
Peter Neary, « REEVES, JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/reeves_john_6F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1987 |
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