BOURNE, JOHN GERVAS HUTCHINSON, juge, baptisé le 1er juillet 1804 à Eastwood, Nottinghamshire, Angleterre, fils unique de John Bourne et d’une prénommée Ruth Elizabeth ; en mai 1831, il épousa une prénommée Elizabeth, et ils eurent deux enfants ; décédé le 21 novembre 1845 à Londres.

John Gervas Hutchinson Bourne fut admis au Pembroke College, à Oxford, le 17 octobre 1821 ; il y obtint un baccalauréat ès arts en 1825 et une maîtrise ès arts trois ans plus tard. Fellow du Magdalen College de 1826 à 1831, il dut démissionner au moment de son mariage. On l’admis à l’Inner Temple le 28 novembre 1825 et au barreau le 20 novembre 1829. Une fois devenu barrister, il s’adonna à la pratique du droit dans la circonscription judiciaire de Midland où il attira l’attention de Thomas Denman, éminent avocat whig qui accéda à la présidence de la Cour du banc du roi en 1832. Denman, mêlé à la destitution de Henry John Boulton*, juge en chef de Terre-Neuve, fut sans aucun doute responsable de la nomination de Bourne pour le remplacer en juillet 1838. Bourne avait, semble-t-il, de vagues liens avec les réformistes en Grande-Bretagne, mais rien ne permet d’affirmer qu’il était un partisan engagé. On le connaissait surtout, selon le gouverneur Henry Prescott*, comme « un homme cultivé et un parfait gentleman ». Il avait écrit The exile of Idria : a German tale, paru à Londres en 1833, et The picture, and the prosperous man, publié en 1835, et avait fait paraître une traduction des chansons de Pierre-Jean de Béranger en 1837. Bourne était un avocat compétent mais, comme il le disait en 1843 à lord Stanley, secrétaire d’État aux Colonies, s’il s’était « vraiment distingué [...] dans le domaine du droit ou [avait fait] fortune » en pratiquant en Angleterre, il ne serait pas parti pour Terre-Neuve.

Bourne débarqua dans la colonie en septembre 1838. Il ne trouva pas ses fonctions de juge trop lourdes, mises à part les tournées qu’il devait faire dans les petits villages de pêcheurs, car il était très éprouvé par le mal de mer. Dans ses recommandations aux jurés, il ne tarissait pas d’éloges sur Terre-Neuve, où les crimes graves étaient rares. Malheureusement pour lui, les cas qu’il eut à trancher touchaient souvent de très près à la politique. En raison de la révocation de Boulton, considérée comme une victoire par les réformistes et comme un affront par les conservateurs, Bourne devint la cible des luttes partisanes. Dès son arrivée, il avait ajouté à son impopularité auprès des conservateurs en s’affichant comme un « ardent défenseur des droits des catholiques », qui avait épousé une catholique et élevé sa fille aînée selon les principes de cette foi. Lorsque, dans la cause qui opposait Kielley à Carson [V. William Carson], Bourne soutint que la chambre d’Assemblée de Terre-Neuve avait droit aux mêmes privilèges que la chambre des Communes britannique, et encore lorsqu’il se prononça en faveur d’une révision de la formation des jurys afin d’y assurer la présence d’un plus grand nombre de catholiques, Henry David Winton*, du journal conservateur Public Ledger, l’accusa de se jeter « dans les bras des radicaux ».

Tout en admirant le « cœur » de Bourne, les réformistes estimaient qu’il n’avait pas « le courage de se laisser guider par ses bons sentiments », et ils furent souvent déçus par ses décisions. Particulièrement quand Bourne s’engagea dans « les voies tracées par Boulton » et dénia aux pêcheurs le premier droit de réclamation sur l’actif d’un planter en faillite, dans la cause qui opposait Nowlan à McGrath. Le Newfoundland Patriot déclara alors : « il ne peut être un ami de Terre-Neuve l’homme qui, du tribunal, émettrait l’avis qu’une coutume protégeant les pêcheries [de l’île] est une coutume qui n’a pas de support légal ». Lorsque Bourne présida un procès au cours duquel l’influent réformiste John Kent* fut reconnu coupable de diffamation, ce dernier cessa de lui « adresser la parole ». En fait, la presse conservatrice le félicita pour ses décisions dans plusieurs procès en diffamation contre des journalistes réformistes et pour la fermeté dont il fit preuve pendant les troubles de Conception Bay en 1840.

Si Bourne ne peut être accusé de conduite partisane dans ses fonctions, on peut par contre le tenir responsable de sa vivacité de caractère. Il se disputa fréquemment avec les autres juges et particulièrement avec Augustus Wallet DesBarres pour qui il avait peu de respect. Sa bête noire fut toutefois Bryan Robinson*, éminent avocat conservateur qui porta en appel devant le Conseil privé la décision rendue dans la cause qui opposait Kielley à Carson et gagna. Tribun d’une remarquable éloquence, Robinson s’opposa à Bourne au cours de procès en diffamation au début des années 1840 et leurs disputes devinrent un sujet de divertissement public. Bourne finit par croire qu’« il était devenu pour tous l’objet de critiques ».

Au moment d’accepter en septembre 1843 le poste de juge de la Cour de vice-amirauté, Bourne supplia lord Stanley de l’affecter « à n’importe quel poste en Europe [... ] même avec un salaire de beaucoup inférieur à la moitié [de celui qu’il recevait alors] ». Robinson était également mécontent et, en février 1843, il demanda au ministère des Colonies la révocation de Bourne. Il accusait le juge en chef « de faire preuve de partialité, de déformer la loi du pays », de « ne rien connaître à sa profession » et, pour faire une bonne mesure, de battre sa femme. Le conseiller juridique du ministère des Colonies, James Stephen, fut d’avis que cette dernière accusation n’était pas prouvée mais qu’elle semblait fondée. Toutefois, ajouta-t-il, « si disgracieux » qu’il soit de battre sa femme, on pouvait « difficilement dire que cela rend[ait] un homme inapte à être juge ». Les autres plaintes étaient si peu fondées qu’on recommanda à Robinson de les « retirer ou de [les] nuancer considérablement ». Finalement, il accepta « à contrecœur » de ne pas poursuivre l’affaire.

Malgré les conseils de son ami sir Richard Henry Bonnycastle, du génie royal, qui lui recommandait de traiter les accusations de Robinson « avec un mépris empreint de dignité », Bourne eut une réaction excessive et chercha à prendre sa revanche. Pour amener les conservateurs à appuyer son gouvernement, sir John Harvey*, gouverneur de l’île, avait nommé Robinson au Conseil exécutif. Du fait que ce dernier était un anglican engagé de la Haute Église, sa nomination consterna les presbytériens de la colonie, parmi lesquels se trouvaient Walter Grieve* et plusieurs autres personnes qui avaient des liens très étroits avec Bourne, de même que les anglicans de la Basse Église dirigée par Charles Blackman*, congrégation à laquelle appartenait Bourne. Ils firent apparemment pression sur Bourne qui, soutenu par Henry David Winton, s’employa à faire annuler la nomination de Robinson. Devant le refus de Harvey, Bourne accusa le gouverneur d’avoir nommé Robinson parce qu’il lui devait de l’argent. Incapable de fournir au ministère des Colonies des preuves à l’appui de cette accusation, il fut rappelé en mai 1844 et remplacé temporairement par James Simms*.

John Gervas Hutchinson Bourne rentra à Londres où il publia en 1845 un interminable poème, England won, et commença à travailler sur « certains articles concernant les affaires coloniales ». Il mourut le 21 novembre 1845, à la suite « d’une affection cérébrale causée peut-être par son travail intellectuel intense et ses espoirs déçus », selon une notice nécrologique. Il fut jusqu’à un certain point victime du sectarisme politique qui sévissait à Terre-Neuve et qui avait entraîné le départ de ses deux prédécesseurs immédiats, Richard Alexander Tucker* et Boulton. Contrairement à eux, cependant, il ne fut pas rappelé pour cause d’activités politiques manifestes. Comme le déclarait le Patriot dans sa notice nécrologique, Bourne « aurait dû se contenter d’avoir fait échouer les machinations de Robinson ; son erreur fut de s’attaquer inutilement au gouverneur. Ce faisant, il joua le jeu de ses adversaires. » Dans ce sens, c’est son manque de discrétion et de maîtrise de soi qui fut la cause de ses espoirs déçus.

Phillip Buckner

PANL, GN 2/2, 40 ; 43–44 ; 46–47. PRO, CO 194/118–120.— Newfoundlander, 1838–1844.— Newfoundland Patriot, 1838–1842.— Patriot & Terra-Nova Herald, 1842–1844.— Public Ledger, 1838–1844.— Royal Gazette and Newfoundland Advertiser, 1838–1844.— Times and General Commercial Gazette (St John’s), 1838–1844. Gunn, Political hist. of Nfld. Prowse, Hist. of Nfld. (1895). Malcolm MacDonell, « The conflict between Sir John Harvey and Chief Justice John Gervase Hutchinson Bourne », SHC Rapport, 1956 : 45–54.

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Phillip Buckner, « BOURNE, JOHN GERVAS HUTCHINSON », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/bourne_john_gervas_hutchinson_7F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
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