TREMLETT (Trimlett), THOMAS, marchand, fonctionnaire et juge, baptisé le 5 janvier 1770 dans la paroisse St Saviour, Dartmouth, Angleterre, fils de Thomas Tremlett et de Hannah Stapeldon ; décédé célibataire au mois d’août 1830 à Stoke Fleming, Angleterre.

Les Tremlett étaient une vieille famille solidement établie dans le sud du Devon. Le grand-père de Thomas Tremlett occupait le poste de receveur des douanes du port de Dartmouth ; un de ses oncles était ministre anglican et demeurait dans la même région. Le père de Tremlett devint à son tour receveur des douanes en 1767, mais il abandonna ses fonctions et se lança dans le commerce pendant la guerre d’Indépendance américaine. Il vendit des bateaux construits aux États-Unis, de l’huile d’olive, des fournitures de navires et des articles divers. Après le traité de Paris de 1783, les pêcheries de Terre-Neuve connurent une ère d’activité fébrile, et les Tremlett firent partie des nombreux « nouveaux aventuriers » qui espéraient que ce commerce allait leur rapporter rapidement de gros bénéfices. Ils ouvrirent des magasins à St John’s et à Little Bay, dans la baie Fortune, où la colonisation avait commencé depuis peu. En 1786, ils disaient approvisionner 500 habitants de la région et, un an plus tard, ils possédaient huit bâtiments faisant le commerce entre l’ouest de l’Angleterre et Terre-Neuve. Lorsque survint la débâcle financière de 1789 [V. Peter Ougier*], les Tremlett, comme bien d’autres, se trouvèrent en difficulté pour avoir accordé beaucoup trop de crédit et, en octobre de la même année, ils furent déclarés insolvables. Leur commerce de Little Bay fut liquidé et le jeune Thomas alla travailler à St John’s comme simple marchand à commission. Vers 1798, l’entreprise familiale avait jusqu’à un certain point repris le dessus. Cette année-là, les Tremlett étaient propriétaires d’un navire qui leur permettait de faire du commerce avec l’extérieur. À cette époque, cependant, Robert Tremlett, le frère de Thomas, avait atteint sa majorité et l’entreprise était probablement trop petite pour subvenir aux besoins de toute la famille.

En 1801, l’année précédant la mort de Benjamin Lester*, la ville de Poole, dans le Dorset, en Angleterre, perdit apparemment le monopole du favoritisme à Terre-Neuve au profit de Dartmouth. Pour sa part, Thomas Tremlett obtint, entre autres charges, celles de greffier de la Cour de vice-amirauté et d’intendant adjoint du commerce maritime ; en octobre, il fut aussi nommé surrogate en chef de l’île de Terre-Neuve. On confond facilement les fonctions de surrogate en chef et de juge en chef, mais les deux charges étaient distinctes. Le surrogate en chef était essentiellement un juge de paix, même s’il recevait un traitement officiel et qu’il détenait le pouvoir d’entendre des causes sur tout le territoire soumis à l’autorité du gouvernement de Terre-Neuve. On n’exigeait du titulaire aucune formation juridique ; en fait, Terre-Neuve ne comptait à cette époque aucun avocat diplômé.

À Terre-Neuve, comme en Angleterre d’ailleurs, on créait peu de nouveaux postes dans la fonction publique. Règle générale, un poste ne devenait vacant qu’à la mort ou à la mise à la retraite de celui qui l’occupait, et les personnes qui cherchaient à obtenir un emploi devaient multiplier les démarches auprès des protecteurs politiques. Cependant, des vacances se produisaient assez souvent à Terre-Neuve en raison du climat et de la situation de l’île. Ainsi le deuxième juge en chef, D’Ewes Coke, décida de démissionner en 1798 plutôt que d’habiter l’île toute l’année. Son successeur, Richard Routh*, périt en mer en 1801, au cours d’une traversée entre l’Angleterre et Terre-Neuve, et c’est le chirurgien Jonathan Ogden qui prit sa place. Toutefois, à peine quelques mois plus tard, une attaque d’apoplexie l’empêcha de remplir ses fonctions. Tremlett se trouvait sur les lieux au printemps de 1803 et, en sa qualité de surrogate en chef, il était le mieux placé pour faire valoir ses droits à ce poste. C’est donc lui qui fut nommé juge en chef, le 23 mai, par le gouverneur James Gambier.

À l’instar de ses prédécesseurs, Tremlett prit soin de conserver l’estime des gouverneurs successifs. Il leur écrivait de longues lettres dans lesquelles il maniait l’encensoir et les assurait que la population de Terre-Neuve était loyale et soumise aux lois. Cependant, une fois devenu juge en chef, Tremlett se montra peu disposé à abandonner certains autres postes rémunérés, si bien qu’en 1804 et 1805 on dut le mettre en demeure de renoncer à ces charges supplémentaires.

Vers 1809, les rapports entre Tremlett et les marchands de St John’s étaient devenus tendus ; de fait, en octobre, l’association des marchands demanda au gouverneur John Holloway la destitution du juge en chef pour incompétence, partialité et vénalité. Les accusations portées contre Tremlett étaient complexes et, à mesure que le temps passait et que le conflit s’envenimait, elles le devinrent de plus en plus. Il semble à peu près certain que Tremlett était incompétent en matière juridique ; comme ses prédécesseurs, il n’avait reçu aucune formation dans ce domaine. Il paraît aussi avoir été fortement influencé par les fonctionnaires de la cour, mais il ne semble pas s’être rendu coupable de vénalité. Bon nombre des accusations formulées contre lui venaient du fait que son interprétation de la loi ne favorisait pas l’élite commerçante. Toutefois, ses accusateurs semblent avoir eu raison au moins sur un point : Tremlett avait une propension à interpréter la loi à son gré. Ainsi, dans un procès pour dettes qui fut célèbre à l’époque, il ordonna que toutes les accusations relatives à l’achat de boissons alcooliques et de tabac soient retirées, en donnant comme argument que « de telles accusations pouvaient faire du tort ». Par-dessus tout, Tremlett se montra hostile envers les créanciers dans les procès pour dettes et pour insolvabilité. Il est fort possible que cette attitude découlait du fait que les Tremlett avaient déjà été déclarés insolvables.

En 1810 et 1811, le cas de Tremlett continua à faire l’objet de discussions. Apparemment, le comité de commerce du Conseil privé ne trouva aucun motif légitime de le relever de ses fonctions. Après une enquête complète sur trois plaintes portées contre lui par les marchands (plaintes auxquelles Tremlett répondit en ces termes : « À la première accusation [...], je réponds que c’est un mensonge, à la seconde, je dis que c’est un damné mensonge et, quant à la troisième, c’est un damné mensonge diabolique »), le comité déclara que Tremlett ne s’était pas comporté de façon injuste ou partiale, mais qu’en mettant les choses au pis il s’était conduit de « façon disgracieuse ». Toutefois, comme il était toujours aussi impopulaire à St John’s et qu’il manquait manifestement de jugement, il fallait faire quelque chose. En 1813, le gouvernement britannique pensait avoir trouvé une solution. À l’Île-du-Prince-Édouard, le juge en chef Cæsar Colclough était tout aussi mal vu que son homologue de Terre-Neuve, et il fut décidé d’un échange équitable : Colclough serait envoyé à Terre-Neuve et Tremlett irait à l’Île-du-Prince-Édouard.

Colclough était devenu impopulaire auprès d’un groupe de la chambre d’Assemblée de l’Île-du-Prince-Edouard associé au lieutenant-gouverneur Joseph Frederick Wallet DesBarres, à cause surtout de son opposition à un parti politique naissant, les Loyal Electors. Cependant, Colclough comptait beaucoup d’amis et de partisans dans l’île. Tremlett, qui lui succéda le 6 avril 1813, eut vite fait de s’aliéner pratiquement tous les gens en vue, à commencer par le nouveau lieutenant-gouverneur Charles Douglass Smith*, suivi des principaux propriétaires, d’un grand nombre d’hommes de loi et même des francs-tenanciers ordinaires appelés à servir de jurés à Charlottetown, le seul endroit où siégeait la Cour suprême. Bref, ses difficultés étaient aussi bien d’ordre politique que judiciaire.

Tremlett exaspéra Smith, qui craignait plus que tout que se continue le « démagogisme » égalitaire des Loyal Electors conduits par James Bardin Palmer. Selon le lieutenant-gouverneur, le juge en chef montrait beaucoup trop de sympathie envers l’avocat Palmer. En 1814, il remit même de jour en jour les audiences de son tribunal afin de permettre à Palmer de poursuivre sa pratique en Nouvelle-Écosse. La réaction immédiate de Smith fut de protester privément auprès du marchand de bois John Hill*, déclarant qu’ « il serait imprudent de permettre que toute affaire de propriété soit jugée contre Palmer à la Cour suprême » lorsque Tremlett siégeait au tribunal. Palmer, qui était reconnu comme l’avocat le plus compétent et le plus érudit de l’île, avait, d’après Smith, une personnalité trop forte pour un juge en chef qui se trouvait « désemparé par les usages des cours ». Le procureur général William Johnston ajouta que Tremlett était incroyablement lent lorsqu’il siégeait, ce qui, supposait le procureur, était « dû au fait qu’il n’a[vait] jamais exercé devant un tribunal de common law ou présidé un tel tribunal. Les questions de procédure lui caus[aient] du souci, plus même que les points de droit. » En outre, on accusait le juge en chef de se montrer trop indulgent envers les délinquants et de ne pas accepter que la couronne récuse les jurés qu’elle croyait trop sympathiques aux Loyal Electors. Une partie des difficultés de Tremlett venait de sa tendance à aborder les causes sans observer les formalités d’usage, comme il l’avait d’ailleurs fait à Terre-Neuve. Par exemple, il transcrivait lui-même les dépositions de chaque témoin et, au moins une fois, il alla jusqu’à proposer aux plaideurs de régler leur différend à l’amiable par une poignée de main et d’oublier leurs petits griefs.

Dès l’été de 1815, Smith se plaignait de Tremlett au ministère des Colonies. Il niait tout désaccord sur le plan personnel, mais il ajoutait : « Je ne peux jamais me sentir tranquille avec lui dans mon conseil ; il hésite toujours sur tout, sa sympathie va tout entière à la classe inférieure et Palmer peut lui faire faire n’importe quoi, sauf s’engager fermement envers moi. » Tremlett et George Wright* étaient considérés comme les agents de Palmer au conseil, tandis que le juge suppléant James Curtis* se rangeait ordinairement du côté de Tremlett à la cour, à un point tel que le juge suppléant Robert Gray en vint à refuser d’assister aux audiences. Lorsque Smith voulut uniformiser (et réduire) les honoraires des avocats, Tremlett refusa de rendre rétroactive la décision du lieutenant-gouverneur. Ce refus aurait dû plaire à l’ordre des avocats de l’île, mais le juge en chef avait réussi à choquer la plupart d’entre eux en rejetant systématiquement « les plus hautes autorités » invoquées dans leurs plaidoiries. Le marchand John Hill se plaignit aussi que Tremlett avait été parmi ceux qui avaient voulu saisir et condamner un de ses navires, lequel, prétendaient les douaniers, transportait du bois obtenu illégalement. Tremlett s’attira encore la colère des gouvernants de l’île lorsqu’il refusa d’appuyer à la cour les démarches visant à rendre obligatoire le service dans la milice. Les lettres adressées au ministère des Colonies devinrent une suite ininterrompue de critiques à l’égard de Tremlett et un pressant appel pour qu’il soit destitué. En 1817, Smith alla jusqu’à affirmer qu’il ne pouvait convoquer la chambre d’Assemblée lorsque Palmer et Tremlett se trouvaient tous les deux dans l’île. À cette époque, Palmer parlait ouvertement de l’émancipation des catholiques et de terres gratuites pour les locataires. Cependant, la session de 1817 s’avéra satisfaisante grâce au fait que Palmer n’était pas dans l’île à ce moment-là. Smith finit quand même par dissoudre cette chambre dont les députés s’entendaient relativement bien.

L’Assemblée qui se réunit en novembre 1818 n’était guère sympathique à Smith, une bonne partie des électeurs étant irrités par les efforts de ce dernier pour imposer l’escheat et percevoir les arriérés de redevances, surtout ceux des propriétaires résidents. Mais, sur ces points, Smith avait alors l’appui de Palmer. Il n’est pas étonnant que l’Assemblée se soit retournée aussi contre le juge en chef Tremlett ; elle adopta une série de 13 propositions blâmant la façon dont il administrait la justice. Smith réagit en disant que les accusations étaient « aussi injustes qu’excessives » et il refusa de donner satisfaction à ceux qui réclamaient la suspension de Tremlett. En privé, le lieutenant-gouverneur reconnut le bien-fondé des plaintes relatives à la lenteur des travaux de la Cour suprême, qui retenaient durant des mois les jurés et les plaideurs à Charlottetown, loin de leurs fermes. Cependant, Tremlett avait imposé la perception des redevances conformément à la loi, et Smith n’avait rien à lui reprocher là-dessus. De nouveau, en 1820, il soutint Tremlett.

Entre 1818 et 1824, Smith, Tremlett et Palmer semblent en être venus à un certain accord. Smith cessa de réclamer la destitution de Tremlett et celui-ci parut disposé à faire observer la loi, surtout en ce qui avait trait aux redevances. Lorsqu’un mouvement d’agitation dirigé contre le gouvernement de Smith et ayant à sa tête John Stewart et John Hill atteignit finalement son paroxysme dans l’île en 1823 et 1824, Tremlett se trouva parmi les personnes blâmées. Des pétitions provenant de chaque comté de l’île formulaient des plaintes contre la façon dont le juge en chef administrait la justice depuis longtemps. Celle qui venait du comté de Queens faisait remarquer que le juge en chef « joui[ssait] certainement de moins de considération et de respect de la part de la population que toute autre personne qui [avait] exercé cette haute fonction dans la colonie ». Tremlett fut révoqué rapidement lors du grand nettoyage effectué par le ministère des Colonies en 1824. C’est Samuel George William Archibald* qui lui succéda.

II ne faudrait pas exagérer le mécontentement populaire à l’endroit de Tremlett. Les critiques qui provoquèrent son renvoi furent soigneusement orchestrées et vinrent principalement de gens exerçant des professions libérales ainsi que des propriétaires fonciers. La durée des audiences de la cour fut peut-être le grief le plus sérieux, mais on pouvait aussi déplorer le fait que la cour ne siégeait qu’à Charlottetown, situation qui ne pouvait être imputée entièrement à Tremlett. Celui-ci avait tenté de rendre la justice plutôt que d’appliquer la loi et, ce faisant, il s’aliéna la plupart des groupes importants de l’île. Comme l’a dit Smith, les fautes de Tremlett furent des erreurs « de jugement » plutôt que des errements du cœur.

Thomas Tremlett demeura à Charlottetown pendant toute l’année 1825 et réclama du gouvernement les émoluments qui lui étaient dus. Finalement, il se retira à Devon où il mourut en 1830 à l’âge de 62 ans. Il fut inhumé le 10 août dans le cimetière de la paroisse St Saviour.

J. M. Bumsted et Keith Matthews

La plupart des informations concernant la famille de Tremlett dans le Devon et sa carrière terre-neuvienne sont tirées du Tremlett name file et des copies des archives relatives au commerce et aux pêcheries de Terre-Neuve disponibles aux Maritime Hist. Arch., Memorial Univ. of Nfld. (St John’s).

Devon Record Office (Exeter, Angl.), 2992 A (St Saviour, Dartmouth), reg. of baptisms, marriages, and burials, 22 avril 1767, 5 janv. 1770, août 1830.— Hunt, Roope & Co. (Londres), Robert Newman & Co., ledgers and letter-books (mfm aux PANL).— PANL, GN 2/1, 1801–1813 ; GN 5/2/A/1, 1803–1813.— PAPEI, Acc. 2810/171.— PRO, ADM 7 ; BT 6 ; CO 194/43–54 (copies aux Maritime Hist. Arch.) ; 226/30–32 ; 226/41–42 (mfm aux PAPEI) ; CUST-65/33 ; E 190 (copies aux Maritime Hist. Arch.).— Î.-P.-É., House of Assembly, Journal, 8 déc. 1818.— Royal Gazette (Charlottetown), 16 nov. 1830.— Royal Gazette and Newfoundland Advertiser, 1807–1813.— Sherborne Mercury or the Weekly Magazine (Sherborne, Angl.).— Trewman’s Exeter Flying Post, or Plymouth and Cornish Advertiser (Exeter).— The register of shipping (Londres).— Warburton, Hist. of P.E.I., 324–325, 435.

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J. M. Bumsted et Keith Matthews, « TREMLETT (Trimlett), THOMAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/tremlett_thomas_6F.html.

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Auteur de l'article:    J. M. Bumsted et Keith Matthews
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
Année de la révision:    1987
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