BROWN, PETER, marchand, homme politique et juge de paix, né vers 1797 en Irlande ; décédé le 28 décembre 1845 à Harbour Grace, Terre-Neuve.

Peter Brown passa son enfance en Irlande. Il était charpentier de métier. En 1817, on le trouve installé à Harbour Grace ; dès les années 1820, il était devenu un important marchand de poisson et un membre en vue de la communauté catholique. Même s’il n’avait apparemment pas fait de longues études, il faisait partie en 1826 du comité chargé de construire la St Patrick’s Free School à Harbour Grace. Les questions éducatives allaient toujours l’intéresser : en 1845, il s’occuperait encore de cette école. Brown ne participa pas activement aux réunions tenues à Harbour Grace en 1829 et 1830 en vue d’obtenir que Terre-Neuve soit doté d’un corps législatif, mais en 1831 son nom figure avec ceux d’autres personnalités qui appuyaient cette demande. Quand la Grande-Bretagne accorda à l’île un gouvernement représentatif, en 1832, il parut d’abord réfractaire à l’idée de se présenter aux élections si un autre marchand, Thomas Ridley*, n’en faisait pas autant. Finalement, il se ravisa et remporta l’un des quatre sièges du district de la baie Conception ; les autres élus étaient Robert Pack*, Charles Cozens et James Power. Les quatre candidats s’étaient présentés solidairement et avaient pris l’engagement, semble-t-il, de « s’opposer à l’imposition de toute taxe susceptible de nuire à la pêche ou à l’agriculture ou qui pourrait peser exclusivement sur les pauvres », de « faire adopter une loi qui obligerait à payer en Espèces le solde du salaire des employés » et de refuser « du gouvernement toute charge portant émoluments tant qu’ils siégeraient comme députés à la chambre d’Assemblée ». Leur deuxième promesse évoque très bien le climat du moment. Manifestement, l’élection de Brown et de ses collègues était un signe du fort mécontentement populaire que soulevait le régime de troc à Harbour Grace et à Carbonear au début des années 1830, mécontentement qui avait déjà donné lieu à de dangereuses émeutes. Le mouvement de réforme qui agitait la baie Conception à cette époque avait donc ses racines dans le peuple.

Dès l’ouverture de la nouvelle Assemblée, le 1er janvier 1833, Brown proposa que la chambre « procède tout de suite » à l’élection de ses propres officiers (le greffier, le sergent d’armes et le messager). Peu après, il déposa un projet de loi qui visait à empêcher les fonctionnaires et ceux qui avaient conclu des marchés avec le gouvernement de siéger à l’Assemblée. Tout au long des premières années d’existence de la chambre, ces deux questions allaient sans cesse soulever des controverses. Brown tentait de prévenir et d’empêcher tout empiétement de la couronne sur les droits de l’Assemblée ; ainsi il montrait que dans les faits, même s’il se qualifiait de « vrai radical », il envisageait les choses d’une manière assez traditionnelle, comme un vieux whig transplanté dans les colonies. Les deux premières sessions se déroulèrent dans un calme relatif, et Brown prouva qu’il entendait travailler sérieusement, comme il l’avait promis, à l’amélioration de la situation de ses électeurs. Il fit adopter deux projets de loi, dont l’un visait à créer des corps de sapeurs-pompiers à Harbour Grace et l’autre avait trait aux rues de la ville. Cependant, ces lois s’avérèrent déficientes et durent bien vite être modifiées. La seconde voulait réglementer la reconstruction de la ville après l’incendie d’août 1832, qui avait épargné les installations de Brown. On l’accusa en 1833 d’avoir rédigé le projet de manière à favoriser sa propre entreprise. On l’attaqua aussi lorsqu’il proposa de rebaptiser la colonie Île-Clarence.

Les divisions partisanes qui séparaient les députés apparurent seulement après l’élection complémentaire que William Carson avait remportée en décembre 1833. À ce moment, Pack, Brown et Power se retrouvèrent au sein d’un groupe clairsemé de réformistes qui comprenait aussi Carson et un autre député de St John’s, John Kent*. Il existait entre ces hommes une alliance mitigée : ils s’opposaient à ce qu’ils considéraient comme des violations des droits civils et des applications inconstitutionnelles du pouvoir exécutif, et se souciaient d’affirmer l’autorité de la chambre. Dans l’ensemble, à l’occasion des débats sur ces questions, Brown appuyait Carson. Ainsi, en février 1835, il approuva les efforts que celui-ci avait déployés, en vain, pour qu’un comité spécial de la chambre enquête sur l’administration de la justice – dans le but de nuire au juge en chef Henry John Boulton*. Brown prononça à cette occasion un discours prudent et modéré. Il ne semble pas que Carson l’ait dominé, même pendant la période de 1834 à 1836. En fait, lorsqu’il fut question de fonder un collège classique, d’imposer des taxes ou d’augmenter le nombre de députés, Brown fut peut-être son adversaire le plus tenace. Il craignait ce qu’il appelait l’« influence prépondérante » de St John’s sur l’Assemblée et estimait que plusieurs des mesures qu’appuyait Carson oubliaient les intérêts des petits villages de pêcheurs. Le projet de collège classique, cheval de bataille de Carson, l’irritait au plus haut point car, comme il le disait avec dédain, on allait ainsi « apprendre les langues savantes aux opulents, dans la ville la plus riche de l’île, alors même que l’on refus[ait] une école anglaise publique aux pauvres gens des petits villages de pêcheurs ». Au fil des ans, ses discours allaient mettre de plus en plus l’accent sur la négligence avec laquelle on traitait les villages de pêcheurs. Brown n’avait peut-être pas la parole facile – on se moquait de lui parce qu’« il s’étranglait tant il avait du mal à s’exprimer » –, mais c’était un homme bien nanti, un Irlandais rude et prompt qui défendait ses convictions. En 1836, après un violent échange à l’Assemblée, il frappa Kent et fit tomber son chapeau. Le lendemain matin, Kent s’excusa de sa mauvaise conduite.

Nommé juge de paix en 1834, Brown se présenta de nouveau dans la baie Conception aux élections tumultueuses de 1836. Apparemment, il n’encouragea d’aucune façon les désordres qui survinrent durant le scrutin tenu dans son district ; en fait, d’après un rapport du magistrat Thomas Danson, il essaya en vain d’« empêcher la populace de se montrer tapageuse et brutale » durant le vote. Il fut élu et, après l’invalidation du scrutin, réélu en 1837 ; pour la première fois, les réformistes dominaient l’Assemblée. On y trouvait Patrick Morris, le brillant John Valentine Nugent* et, encore une fois, Kent. Sous la présidence de Carson, la chambre ne tarda pas à adopter un ton mordant à l’endroit du Conseil de Terre-Neuve (ou Chambre haute) et à faire preuve en général de combativité, deux traits qui allaient la caractériser pendant quatre ans. Brown lui-même n’attendit pas pour proposer des projets de loi controversés. Dès le jour de l’ouverture, il réaffirmait que la chambre avait le droit de choisir ses officiers et, peu après, il la persuadait d’ouvrir une enquête sur les agissements de John Stark, magistrat de Harbour Grace, pendant les élections de 1836. Brown se trouvait donc à l’aise dans le climat d’agressivité qui caractérisa la législature de 1837–1841. Son alliance avec les réformistes de St John’s, qui dominaient le groupe, n’était cependant pas des plus confortables. Dès l’ouverture de la session, il se disputa avec Morris. De plus, il s’en prit tout de suite au Newfoundland Patriot, journal ordinairement considéré comme le porte-parole des réformistes, et se fit assurément un ennemi dangereux en la personne de son rédacteur en chef, Robert John Parsons*. En août 1837, il s’attira les foudres de Nugent et de Morris en présentant un projet de loi qui menaçait d’éliminer peu à peu le jugement par jury et de réintroduire la procédure sommaire dans les tribunaux. Il aurait même dit qu’à Harbour Grace on avait vu des jurys « dont aucun membre ne savait que deux plus deux font quatre ». En fait, il proposait de revenir à une formule semblable à l’ancien système des surrogates [V. James Lundrigan*].

Brown irrita encore davantage Morris et Carson en persistant dans son opposition à l’ouverture d’un collège à St John’s. En 1839, Carson se déclara « sidéré » que Brown puisse « s’opposer aussi systématiquement à l’éducation ». L’accusation était injuste : Brown voulait simplement un traitement équitable pour « les pauvres et les moins bien nantis [...] de toute l’île ». Il avait même sur l’éducation des opinions éclairées. Ainsi il était contre la ségrégation religieuse dans les écoles : « il devrait, disait-il, y avoir une seule école pour les chrétiens de toute obédience, car c’est en mêlant catholiques et protestants que l’on pourra vaincre les préjugés ». En 1836, Brown faisait partie du bureau d’éducation de la baie Conception quand les protestants, en insistant pour que la version de la Bible de Jacques Ier d’Angleterre soit lue dans les écoles, allumèrent les dissensions qui devaient amener à Terre-Neuve un système confessionnel d’enseignement [V. Charles Dalton*]. Par la suite, il présida le bureau mixte et le bureau catholique d’éducation du district.

Malgré des excentricités occasionnelles, comme son projet de loi réactionnaire sur les jurys, Brown était un authentique réformiste. En fait, par son souci des pauvres – thème constant dans sa carrière politique – il se montrait peut-être plus préoccupé de réforme sociale que certains collègues citadins aux grands idéaux. D’ailleurs ces derniers, semble-t-il, lui reprochaient moins un relâchement à l’égard des principes que son manque de raffinement, son entêtement, sa rhétorique terre à terre et ses prises de position inflexibles en faveur des petits villages de pêcheurs. De toute façon, Brown refusait de jouer un rôle mineur à l’Assemblée. Il devint président de l’important comité des finances, responsabilité dont apparemment il s’acquitta bien. À la lecture des débats de la chambre, on constate que de temps à autre il se montrait impatient de passer aux questions pratiques. Dans l’ensemble, sa conduite à l’Assemblée était jugée si acceptable qu’on parlait de le faire entrer au conseil. Par contre, on croyait qu’il briguait le poste de magistrat en chef de la baie Conception, rumeur qu’entretenait Parsons dans le Patriot et qui nuisit peut-être à sa carrière politique. Le gouverneur Henry Prescott* semblait préférer Brown à tous les autres réformistes ; apparemment, il le considérait comme un élément stabilisateur et modérateur au sein d’une Assemblée changeante. « II a l’esprit solide, mais il est peu instruit », notait Prescott ; il ajoutait encore : « II n’est pas aussi docile que d’autres [réformistes] et déplore, je crois, la composition de l’actuelle chambre d’Assemblée. »

En 1841, Brown fut l’un des quatre délégués choisis pour aller défendre les positions de l’Assemblée devant un comité spécial de la chambre des Communes sur Terre-Neuve. Les quatre hommes passèrent l’été de 1841 à Londres mais ne purent faire de pressions efficaces sur le gouvernement impérial, peut-être à cause du changement de cabinet survenu en Angleterre. En 1842, ils apprirent le dépôt aux Communes d’un projet de loi qui, dans les faits, visait à annuler la constitution terre-neuvienne et à instaurer par exception un Parlement qui réunirait la Chambre haute et la Chambre basse. Même si l’Assemblée n’avait pas siégé depuis un an, les délégués rédigèrent une pétition de protestation que Daniel O’Connell, l’homme politique irlandais, présenta aux Communes. Le document s’élevait avec éloquence contre pareille modification constitutionnelle, qui allait « neutraliser l’influence du peuple et donner à Terre-Neuve un simulacre de gouvernement représentatif ». Le gouvernement britannique n’en adopta pas moins le projet, et Terre-Neuve fut gratifié pendant cinq ans d’un système législatif qui s’avéra une bizarrerie dans son histoire constitutionnelle.

Aux élections de décembre 1842, après l’adoption de la nouvelle constitution, Brown se présenta encore une fois dans la baie Conception. Il connut une cuisante défaite puisqu’il se classa sixième sur sept candidats. Il était l’objet de constantes attaques de la part du Patriot depuis 1837, et cette sévérité avait même gagné la presse de la baie Conception. Pour cette raison et d’autres peut-être, il était devenu impopulaire. À la fin de 1839, un incident étrange, apparemment sans rapport avec la politique, s’était produit : quatre hommes avaient déchargé simultanément leurs fusils sur sa maison. Impitoyable, Parsons avait allégué que Brown avait tiré lui-même.

Durant les dernières années de sa vie, Brown continua de s’intéresser à l’éducation et s’occupa activement d’une association formée à Harbour Grace pour le rappel de l’union entre la Grande-Bretagne et l’Irlande. En juin 1844, les flammes ravagèrent son commerce. Malgré ses pertes – il n’était assuré qu’en partie –, sa situation financière demeura confortable.

Peter Brown fut le principal député de la baie Conception de 1833 à 1841. Sa carrière rappelle que le mouvement réformiste à Terre-Neuve s’enracina aussi bien dans les petits villages de pêcheurs que dans la capitale et qu’une fois devenu puissant à l’Assemblée, ce mouvement connut des conflits entre des intérêts régionaux. Étudier la carrière de Brown permet de voir Carson, Kent et Morris sous un angle différent, c’est-à-dire comme des hommes politiques de St John’s plutôt que des porte-étendard de la réforme dans l’ensemble de l’île. Le rôle principal de Brown comme député fut de rappeler sans cesse à l’Assemblée qu’elle avait des responsabilités envers toutes les régions de la colonie.

Patrick O’Flaherty

NLS, Dept. of mss, ms 2274.— PANL, GN 2/1, 28–45 ; GN 5/1/B/1, Harbour Grace, 1813–1826.— PRO, CO 194/60–124.— T.-N., General Assembly, Journal, 1843–1845 ; House of Assembly, Journal, 1833–1841.— Newfoundlander, 1827–1834, 1837–1845.— Newfoundland Mercantile Journal, 1816–1827.— Newfoundland Patriot, 1834–1842.— Newfoundland Vindicator (St John’s), 1841–1842.— Patriot & Terra-Nova Herald, 1842–1847.— Public Ledger, 1828–1847.— Royal Gazette and Newfoundland Advertiser, 1828–1831, 1845.— Sentinel and Conception Bay Advertiser (Carbonear, T.-N.), 1839–1840.— Gunn, Political hist. of Nfld.

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Patrick O’Flaherty, « BROWN, PETER (mort en 1845) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/brown_peter_1845_7F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
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