Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 3411018
MACKENZIE, sir WILLIAM, constructeur de chemins de fer et entrepreneur, né le 17 octobre 1849 (le 30 octobre, prétendait-il) dans le canton d’Eldon, Haut-Canada, cinquième fils de John Mackenzie, fermier, et de Mary McLauchlan ; le 8 juillet 1872, il épousa à Lindsay, Ontario, Margaret Merry (décédée en 1917), et ils eurent trois fils et six filles ; décédé le 5 décembre 1923 à Toronto et inhumé près de Kirkfield, Ontario.
Fils d’immigrants presbytériens d’origine écossaise, William Mackenzie étudia dans des écoles élémentaires à Bolsover et à Kirkfield puis à la grammar school de Lindsay. Après avoir enseigné un an ou peut-être deux, il aida à tenir un petit magasin général à Kirkfield pendant une courte période. En 1872, à l’époque de son mariage avec Margaret Merry (qui était catholique), il s’associa à l’entreprise de construction de ses frères. Avec l’un d’eux, Alexander, il fut appelé, à compter de 1874, à fournir du bois d’œuvre et à bâtir des ponts et d’autres structures en bois pour le Victoria Railway – voie de colonisation locale partant de Lindsay et montant vers le nord. Au cours des travaux, il se lia d’amitié avec le promoteur du Victoria Railway, George Laidlaw*, l’ingénieur en chef et directeur général, James Ross*, ainsi qu’avec un jeune et ambitieux employé du bureau d’arpentage, Herbert Samuel Holt*. Il se distingua en exécutant ses contrats dans les délais prescrits et sans dépasser les estimations. Ensuite, avec Ross et Holt, il participa à la construction d’une autre ligne de Laidlaw en Ontario, le Credit Valley Railway. Ses contrats, qui portaient encore une fois sur la fourniture de bois d’œuvre et la construction de ponts et autres structures, se révélèrent à nouveau lucratifs. Ce jeune constructeur plein d’avenir profita de ses séjours à Kirkfield pour faire de la politique locale : membre du conseil du canton d’Eldon en 1876–1877, il fut président du conseil municipal en 1880–1881.
Un événement survenu en octobre 1880 changea la situation de Mackenzie : la signature, par le gouvernement fédéral, d’un contrat sur la construction d’un transcontinental. Les travaux commencèrent en 1881. Mackenzie se rendit pour la première fois dans l’Ouest canadien l’année suivante. Apparemment, comme plusieurs autres Ontariens, il espérait décrocher une part des marchés, mais il n’en obtint aucun. C’est James Jerome Hill*, le seul membre du syndicat du chemin de fer canadien du Pacifique à avoir de l’expérience pratique en construction, qui négocia les premiers contrats. Or, il préférait les gros entrepreneurs américains dont la situation financière était stable. Toutefois, avant la fin de la saison de 1883, la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique (CP) modifia radicalement ses méthodes d’adjudication, à la fois à cause de tensions de plus en plus vives entre Hill et William Cornelius Van Horne*, directeur général de l’entreprise, et de problèmes d’argent et d’organisation. James Ross fut chargé de diriger les chantiers de montagne et Herbert Samuel Holt devint son surintendant. Ross et Holt subdivisèrent le tracé en de multiples petites parties, ce qui permit à de modestes entrepreneurs et sous-traitants d’obtenir du travail. En raison de ce changement et de sa collaboration antérieure avec Ross et Holt en Ontario, Mackenzie conclut en 1884 une série de contrats en vertu desquels il fournit du bois d’œuvre et bâtit des ponts, des gares et diverses structures en bois pour le chemin de fer canadien du Pacifique.
Dans l’exécution du premier de ces marchés, Mackenzie fit preuve d’un rare talent de financier. Comme il n’avait pas assez de fonds pour acheter l’équipement nécessaire, il retourna dans le canton d’Eldon et sillonna la campagne pour se procurer ce dont il avait besoin, notamment des chevaux. Parmi ses trouvailles, il y avait une scierie abandonnée, qu’il fit démanteler et transporter sur son chantier en Colombie-Britannique. Sur le moment, il ne donna à ses fournisseurs qu’un petit acompte, sinon rien du tout, mais promit de leur verser le solde une fois que lui-même aurait été payé. Son équipement improvisé convenait si peu à un chantier de montagne que d’autres entrepreneurs l’appelaient avec dédain « l’attirail du fermier ». Quant à ses ouvriers, pour la plupart recrutés dans sa région natale, on les surnommait parfois la « réserve d’Eldon ». Eux aussi étaient prêts à patienter au moins pour le versement d’une partie de leur salaire. Et ils exécutèrent les travaux, de sorte que, à la fin, Mackenzie avait la réputation de respecter les échéances et de s’en tenir au budget prévu. Toujours pendant la saison de 1884, il rencontra son futur associé, Donald Mann*. Cet homme au tempérament direct, constructeur ferroviaire chevronné, détenait des contrats pour des plateformes de voie ferrée. L’année suivante, Mackenzie se vit confier la réalisation d’un ouvrage de bien plus grande envergure : il devait construire, avec du bois fourni par lui-même, un gigantesque pont sur chevalets au-dessus de la gorge du ruisseau Mountain, dans la vallée de la rivière Beaver, en Colombie-Britannique. Conçu par W. A. Doans, ce pont mesurait 150 pieds de hauteur et 1 070 pieds de longueur. C’était, dit-on, un des plus gros ponts sur chevalets jamais construits.
Bien que le chemin de fer canadien du Pacifique ait été inauguré officiellement le 7 novembre 1885, la construction ne s’arrêta pas. On avait recouru à des expédients pour que la cérémonie puisse avoir lieu. En 1886, comme la plupart des constructeurs, Mackenzie n’avait pas encore terminé ses travaux. De plus, il fut appelé à ériger des pare-avalanches en bois massif le long des sections de voie qui passaient dans les montagnes. Il passa donc la plus grande partie de la saison en Colombie-Britannique. Quant à Ross, Holt et Mann, qui avaient aussi des travaux à terminer, ils obtinrent en 1886 le contrat de construction des 40 premiers milles d’une voie (rebaptisée par la suite Winnipeg Great Northern) qui devait relier Winnipeg à la baie d’Hudson. Selon les prévisions, cette ligne servirait d’embranchement au chemin de fer canadien du Pacifique et de voie de rechange pour expédier des marchandises outre-mer.
Finalement, les quatre hommes se retrouvèrent sur d’autres chantiers. En 1887, Mackenzie, Holt et Mann signèrent tous des contrats avec le CP pour la construction d’une voie (la « Short Line ») qui traverserait le Maine jusqu’à Bangor et se rendrait à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. En mars 1887, Mackenzie et Mann, qui dirigeaient des chantiers adjacents, décidèrent de s’associer. Le travail se révéla plus difficile que prévu ; à l’issue de leur première expérience commune, ils rentreraient à peine dans leurs frais. En 1888, Ross obtint un contrat global pour la construction de la section du Qu’Appelle, Long Lake and Saskatchewan Railroad qui partirait de la ligne du CP à Regina et irait jusqu’à Saskatoon et Prince Albert. Mackenzie, Mann et Holt collaborèrent avec lui. Avant même que les travaux soient achevés (ils le seraient à temps et leur rapporteraient un bénéfice), les associés furent chargés de construire, à partir de la voie du CP à Calgary, une ligne qui monterait vers le nord jusqu’à Edmonton et descendrait vers le sud jusqu’au fort MacLeod (Fort Macleod, Alberta). Dans les deux cas, Ross dirigea les chantiers, Mann s’occupa du défrichage, du débroussaillage et du nivellement, Mackenzie construisit les ponts et autres structures en bois et Holt posa les rails. En cette même année 1888, Mackenzie se bâtit une imposante maison de brique à Kirkfield, ce qui témoignait de son aisance.
La collaboration des membres du quatuor était fructueuse mais, à compter de 1890, aucun contrat de construction important n’était en vue dans le domaine du transport ferroviaire à vapeur. Par contre, des possibilités se dessinaient du côté d’une nouvelle source d’énergie : l’électricité. Experts en divers systèmes énergétiques, Mackenzie, Holt et Ross comprirent que l’électrification des tramways offrait de belles perspectives aux entrepreneurs et aux promoteurs. Mackenzie retourna à Toronto, où il avait déjà commencé à diversifier ses activités en assumant en 1889 la présidence de la compagnie de charbon et de bois Charles J. Smith. En 1891, il s’associa à un syndicat qui mit la main sur le réseau de tramways hippomobiles de Toronto et il obtint de ce syndicat le contrat d’électrification du réseau. Ross et Holt se lancèrent dans l’électrification de tramways à Montréal ; Mann fit de même à Winnipeg. (Chacun d’eux prendrait l’habitude de détenir des actions des compagnies de tramways des autres.) Après avoir, semble-t-il, graissé la patte à des administrateurs municipaux et hommes politiques de Toronto, le groupe de Mackenzie obtint une franchise de 30 ans pour l’exploitation du réseau. En avril 1892, ce groupe se constitua juridiquement sous le nom de Toronto Railway Company, avec un préfinancement provenant entre autres de la Banque canadienne de commerce et de George Albertus Cox*. À titre d’entrepreneur, Mackenzie reçut un paiement en espèces pour ses frais. À la fin des travaux, la compagnie lui versa le solde sous forme d’actions et le nomma président. Il se retrouva donc à la tête du réseau sans avoir beaucoup investi, ce qui fit naître des soupçons de corruption. En plus, les méthodes de construction et d’exploitation de la compagnie irritaient la population ; par exemple, au cours des travaux, on avait beaucoup parlé de Mackenzie relativement à l’installation des poteaux électriques et du pavage des routes (qui avait été enlevé et, affirmait-on, mal refait). En 1893, après l’inauguration du réseau, la compagnie décida de mettre les tramways en circulation le dimanche, ce qui provoqua tout un débat, notamment entre Mackenzie et des chefs religieux. Toutefois, elle conquit une nombreuse clientèle en réduisant le prix des billets et en facilitant les correspondances.
L’investissement dans la traction électrique, encore nouvelle, comportait des risques, mais, sous la présidence de Mackenzie, la Toronto Railway Company et ses filiales de production d’électricité rapportaient de jolis bénéfices. En 1896, Margaret Merry Mackenzie acheta un terrain au bord du lac Balsam, près de Kirkfield, pour y faire construire une grande maison d’été. L’année suivante, William Mackenzie se porta acquéreur, à Toronto, d’une résidence appelée Benvenuto. Il s’intégra sans difficulté aux nouveaux riches torontois du début du xxe siècle et devint, avec sa femme, grand mécène et collectionneur de paysages canadiens. Comme à d’autres promoteurs de services publics, la réussite lui ouvrit d’autres portes au Canada et à l’étranger [V. Frederick Stark Pearson*]. Grâce à leur savoir-faire et à leur expérience en matière de technologie, de finances, de promotion et de politique, tous ces hommes d’affaires purent s’implanter non seulement dans de nombreuses autres villes du pays, mais aussi au Mexique, au Brésil, aux Antilles, en Grande-Bretagne et même en Chine. Les investissements de Mackenzie dans des tramways et services publics au Brésil en 1899 marquèrent le début d’une grande entreprise internationale. Par ailleurs, en raison de la franchise obtenue en 1903 sur l’électricité des chutes du Niagara par l’Electrical Development Company of Ontario Limited, les principaux actionnaires de cette société, Mackenzie, Frederic Thomas Nicholls et Henry Mill Pellatt*, figureraient parmi les plus farouches adversaires d’Adam Beck et d’autres défenseurs d’une régie publique de distribution de l’électricité.
Dans les années 1890, des travaux inachevés dans l’Ouest canadien avaient amené Mackenzie à participer à un projet encore plus grandiose, le Canadian Northern Railway. Ce serait son œuvre maîtresse. La ligne de Winnipeg à la baie d’Hudson avait connu des difficultés financières et politiques. N’ayant pas été payés, Ross et Holt s’en désintéressèrent, semble-t-il, mais Mann espérait sauver quelque chose d’une ligne voisine (celle de la Lake Manitoba Railway and Canal Company, constituée juridiquement en 1889). La promesse d’une concession foncière fédérale et d’un contrat postal y était attachée. Mann communiqua avec Mackenzie et, ensemble, ils décidèrent de réorienter la ligne vers le nord-ouest pour qu’elle passe dans la riche région agricole de Dauphin, au Manitoba. En 1895, ils convainquirent le gouvernement manitobain, dirigé par Thomas Greenway*, de garantir les obligations émises par le chemin de fer. En 1896, avec le produit de leur vente, des prêts de la Banque canadienne de commerce et l’espoir d’obtenir des concessions foncières et des contrats postaux, la société privée Mackenzie, Mann and Company construisit 125 milles du Lake Manitoba Railway and Canal. En décembre 1898, le Canadian Northern naquit de la fusion de ce chemin de fer et du Winnipeg Great Northern. La nouvelle société, dont Nicholls était président, obtint une charte fédérale en juillet 1899.
De par sa construction et son exploitation, le Canadian Northern différait des autres lignes des Prairies. En échange de la garantie provinciale sur les obligations, Mackenzie et Mann avaient accepté de réduire les prix du transport des marchandises et de soumettre leur barème à l’approbation du gouvernement manitobain. Ils avaient confiance que la province n’imposerait pas des taux déraisonnables puisqu’elle serait tenue de rembourser le capital et les intérêts des obligations garanties advenant le cas où le chemin de fer ne pourrait pas le faire. Toutefois, cet arrangement obligeait Mackenzie et Mann à se montrer très économes. Peu peuplée, la région ne générerait pas beaucoup de trafic dans les premières années. Les deux hommes construisirent donc le chemin de fer au moindre coût possible tout en promettant de l’améliorer quand le trafic augmenterait. Au début, la plus grande partie du matériel roulant du Canadian Northern Railway provenait des dépôts de ferraille de riches sociétés de chemins de fer américaines. La circulation était lente et les pannes étaient fréquentes. Mais la région de Dauphin avait désespérément besoin d’un service ferroviaire et le CP avait refusé de lui en fournir un. Surtout, le petit chemin de fer plaisait à ses clients parce qu’il ne demandait pas cher pour transporter des marchandises.
En outre, la Canadian Northern Railway Company adopta des méthodes astucieuses pour augmenter le volume du trafic. Elle suivit l’exemple du directeur général de la Lake Manitoba Railway and Canal Company, David Blythe Hanna*, qui, quand les fermiers de la région avaient manqué de semences de céréales de bonne qualité, en avait acheté plusieurs wagonnées et les leur avait revendues au prix coûtant en 1897. La Canadian Northern Railway Company corrigea de manière semblable d’autres pénuries. À l’occasion, quand de gros fournisseurs refusaient d’accorder des escomptes sur le volume aux fermiers individuels, elle achetait les marchandises en quantité suffisante pour obtenir les escomptes et les revendait aux fermiers en les faisant bénéficier du rabais. Alors que le CP n’acceptait que du grain expédié à partir des élévateurs, la Canadian Northern Railway Company autorisait les agriculteurs à charger directement leur grain dans ses wagons, ce qui leur permettait d’économiser les frais d’ensilage. En plus, elle prenait des marchandises même à des endroits où aucun arrêt n’était prévu. Voilà qui explique que l’on ait surnommé ce chemin de fer « l’ami du fermier » et employé à son sujet la formule suivante : « le produit typique de l’Ouest qui répond aux besoins propres de l’Ouest ». Son service devint encore meilleur lorsque Mackenzie et Mann abaissèrent leurs tarifs. Le CP n’eut guère d’autre choix que de les imiter, sans quoi il ne pourrait pas soutenir la concurrence et risquerait de voir s’intensifier les pressions en faveur d’une augmentation de l’aide gouvernementale à de nouvelles lignes de Mackenzie et Mann.
En 1900, la Northern Pacific Railroad Company, société américaine qui avait construit des lignes au Manitoba, décida de s’en départir parce que, depuis des années, elles lui rapportaient peu. Il fut question de les vendre au CP, ce qui souleva une vive opposition et donna à Mackenzie l’occasion de présenter en 1901 une contre-proposition audacieuse. Financièrement, la Canadian Northern Railway Company n’était pas en position d’acheter ces lignes, mais Mackenzie suggéra que le gouvernement manitobain les loue, puis cède le bail à son entreprise. Mieux encore, il promit de réduire radicalement le tarif de transport du grain de Winnipeg au Lakehead (région de Thunder Bay, Ontario) si le gouvernement garantissait des obligations visant à financer la construction d’une voie entre ces deux points. Il y aurait alors une concurrence réelle sur les lignes allant des Prairies au Lakehead, où, grâce au transport par eau puis aux commutations avec le Grand Tronc, le Canadian Northern aurait accès à l’est du pays. Grâce à une série de chartes qu’ils avaient commencé à rassembler en 1897, Mackenzie et Mann purent achever une nouvelle ligne jusqu’à Port Arthur (Thunder Bay, Ontario) dès la fin de 1901.
Mackenzie et Mann détenaient les contrats de construction de toutes les lignes de la Canadian Northern Railway Company. Ils payaient leurs frais avec le produit de la vente d’obligations et récoltaient les bénéfices sous forme d’actions de l’entreprise. En 1902, ils constituèrent une société de construction, la Mackenzie, Mann and Company Limited. Cette manœuvre visait à contourner l’article de l’Acte des chemins de fer qui interdisait aux entrepreneurs d’une société ferroviaire d’appartenir au conseil d’administration. La nouvelle compagnie pouvait conclure des contrats avec la Canadian Northern et, légalement, Mackenzie et Mann pouvaient en être administrateurs. En mars 1902, Mackenzie devint donc président de la Canadian Northern Railway Company. Il s’occupait des finances au siège social, situé à Toronto, où il vivait. À titre de vice-président, Mann adjugerait les contrats de construction et traiterait avec les gouvernements à l’ouest de l’Ontario.
Le succès de la stratégie de Mackenzie et de Mann reposait sur la vente d’obligations. Pour étendre leur réseau, ils acquirent les chartes de nombreuses lignes d’importance secondaire. Des concessions foncières et des contrats postaux de valeur étaient assortis à certaines d’entre elles. D’autres sociétés de chemin de fer avaient une charte provinciale, de sorte qu’ils pouvaient bénéficier de la garantie provinciale sur les obligations. Un tel appui facilitait les ventes. Mackenzie excellait dans ce domaine. Bien qu’il ait pu se montrer dominateur, son dynamisme et son assurance impressionnaient ses collègues, les financiers et les hommes politiques. Il noua des liens étroits avec de grands financiers torontois, surtout ceux associés à la Banque canadienne de commerce – Byron Edmund Walker en particulier –, mais sa principale mission, et la plus difficile, consistait à vendre des obligations à des investisseurs britanniques. Avec le zèle d’un évangéliste itinérant, il traversa l’Atlantique à maintes reprises (souvent en compagnie d’une ou plusieurs de ses charmantes filles). Assisté du brillant financier britannique Robert Montgomery Horne-Payne, non seulement rencontrait-il d’influents souscripteurs à Londres, mais il parcourait la campagne anglaise pour vendre des obligations. Horne-Payne avait le don mystérieux d’évaluer combien d’argent les habitants de telle ville ou de tel village pouvaient investir. Une fois son calcul fait, Mackenzie et lui faisaient des démarches systématiques pour rassembler cette somme. Apparemment, tous deux avaient une foi illimitée dans le développement du Canada et dans le rôle primordial que la Canadian Northern Railway Company pourrait y jouer.
Mackenzie était de ces hommes qui ont une vision d’ensemble ; les détails l’intéressaient peu. Il eut la chance exceptionnelle de pouvoir compter, à Toronto, sur les services de Zebulon Aiton Lash*, ancien sous-ministre fédéral de la Justice et membre du cabinet juridique Blake, Lash, and Cassels, un des plus prestigieux du pays. Lash rédigeait les contrats et autres documents nécessaires. Ces papiers assuraient une excellente protection à Mackenzie et à la Canadian Northern Railway Company et, dans bien des cas, apportaient des innovations au mode d’organisation de l’entreprise. En outre, Lash veillait à ce que les documents soient déposés et les paiements, faits à temps. La chose avait son importance car, en règle générale, Mackenzie empilait factures et dossiers dans son bureau et les oubliait sous la pression des affaires courantes. Il négociait souvent comme dans les régions pionnières, sans la moindre diplomatie. Il approuvait une entente en principe, puis laissait à Lash le soin de la rédiger dans les termes appropriés. En outre, Lash s’assurait que les états financiers de la compagnie étaient conformes aux exigences de la loi. Toutefois, on peut penser que les comptes – exagérément optimistes, avec un faible taux de dépréciation – l’empêchèrent de repérer les signaux qui laissaient présager la fin du boom économique au Canada, d’autant plus que Mackenzie affichait toujours une confiance sans bornes.
Contrairement aux pronostics, les lignes construites dans les Prairies par Mackenzie et Mann avaient rapporté des profits dès le début. Leur succès s’expliquait avant tout par la hausse phénoménale de l’immigration et du peuplement, donc du volume du trafic ferroviaire dans l’Ouest canadien. Cette augmentation permit à Mackenzie et Mann d’apporter beaucoup d’améliorations à leurs lignes principales et de construire bon nombre de nouveaux embranchements. Leur chemin de fer était vraiment celui du nord des Prairies. Ils comprenaient les besoins et les intérêts des agriculteurs, adaptaient le service aux particularités locales et demandaient, pour le transport des marchandises, des prix qui leur garantissaient une nombreuse clientèle. En reconnaissance de leur contribution au développement de l’Ouest canadien, ils seraient tous deux créés chevaliers le 1er janvier 1911.
Il est difficile de déterminer à quel moment Mackenzie et Mann passèrent du statut d’entrepreneurs de l’Ouest à celui d’entrepreneurs nationaux. Jusqu’en 1901, beaucoup de gens croyaient qu’ils construisaient des tramways en ville et des lignes ferroviaires dans les Prairies en vue de les vendre à profit au CP ou, le cas échéant, à un autre transcontinental. La présence de William Cornelius Van Horne, alors président du CP, au conseil d’administration de la Toronto Railway Company et la participation de son fils à des travaux de construction du Canadian Northern donnaient du poids aux allégations (de la part notamment d’administrateurs de la Northern Pacific Railway Company) selon lesquelles Mackenzie et Mann étaient des hommes de paille du CP. On aurait dit qu’ils amassaient des chartes et construisaient des lignes au petit bonheur.
Par la suite, des associés de Mackenzie et Mann émirent l’avis que ceux-ci avaient commencé à nourrir l’ambition de construire leur propre transcontinental en concluant une entente avec le gouvernement manitobain en 1901. Selon d’autres, le point tournant de leur carrière se situerait plutôt en 1903, soit au moment où le Grand Tronc décida de conquérir l’Ouest canadien et tenta, sans succès, de prendre possession de la Canadian Northern Railway Company. Le gouvernement fédéral avait accepté d’aider la Grand Trunk Pacific Railway Company, alors dirigée par Charles Melville Hays*, mais cette perspective lui sourit moins quand il devint évident que le Grand Tronc ne maintiendrait pas le tarif perçu par la Canadian Northern Railway Company sur le grain transporté jusqu’au Lakehead. En même temps, la résistance de Mackenzie et Mann à la mainmise du Grand Tronc se raffermit beaucoup lorsque le cabinet, surtout sous l’influence de Clifford Sifton, promit de garantir le financement des lignes du Canadian Northern jusqu’à Edmonton et Prince Albert.
Par la suite, Mackenzie et d’autres hauts dirigeants de la Canadian Northern Railway Company firent valoir que l’expansion du Grand Tronc vers l’ouest les obligeait à transformer leur propre chemin de fer en transcontinental pour qu’il demeure concurrentiel. Ils avaient compris la nécessité d’acquérir des connections vers l’est au fur et à mesure que la chose était possible. Ce processus commença pour de bon en 1903 avec l’acquisition du Great Northern Railway, qui leur donnait accès à un réseau vital à travers la province de Québec. Ils se rapprochèrent de leur but en 1909 quand le gouvernement de la Colombie-Britannique accepta de garantir des obligations pour la construction d’un embranchement du Canadian Northern de l’Alberta à Vancouver. En même temps, pour la première fois, la Saskatchewan et l’Alberta offrirent des garanties afin de faciliter la construction d’un réseau de lignes secondaires. De plus, Mackenzie et Mann avaient obtenu des chartes, et dans certains cas de l’aide gouvernementale, pour construire des chemins de fer qui répondaient à des besoins locaux, mais étaient situés de telle manière qu’ils pourraient s’intégrer à un réseau transcontinental.
Accumuler des chemins de fer n’était pas la seule composante du plan audacieux par lequel Mackenzie devint un entrepreneur national. Une série d’importantes ententes commerciales en faisait également partie. La Mackenzie, Mann and Company Limited raffermit sa position parmi les grandes sociétés canadiennes de portefeuille en se lançant dans diverses activités, notamment la pêche à la baleine dans le Pacifique, les assurances, le bois d’œuvre, l’extraction de minerai, l’emballage des viandes, la brasserie, la vente au détail et les services publics à l’étranger. D’autres activités étaient manifestement liées à l’expansion de la Canadian Northern Railway Company, telle l’acquisition en 1910, par Mackenzie et Mann, des houillères de Brazeau en Alberta et des mines de charbon de James Dunsmuir* dans l’île de Vancouver. En Grande-Bretagne cette année-là pour inaugurer le service de la Canadian Northern Steamship Company, Mackenzie, au faîte de sa gloire, réunit la somme phénoménale de 40 700 000 $. La plus grande partie de ces investissements était destinée à la construction ferroviaire.
Le dernier maillon du réseau transcontinental de Mackenzie ne fut mis en place qu’en 1911. Menacés de perdre aux élections, les libéraux fédéraux défendaient un projet de traité de réciprocité avec les États-Unis ; les détracteurs de ce projet disaient qu’il détournerait vers le sud une bonne partie du commerce canadien. En mai, dans l’espoir de montrer que les échanges est-ouest leur tenaient à cœur, les libéraux fédéraux garantirent le financement de la ligne que la Canadian Northern Railway Company projetait de construire au nord du lac Supérieur. Cette décision aurait des conséquences désastreuses pour les deux nouveaux transcontinentaux : la Canadian Northern ne pouvait pas compter sur un trafic suffisant dans l’est du Canada et la Grand Trunk Pacific Railway Company avait le même problème dans l’Ouest.
Peu après l'obtention de la garantie fédérale, Mackenzie et Mann se mirent à avoir de graves problèmes financiers. En 1912, une crise des marchés boursiers, provoquée notamment par la crainte de voir une guerre éclater en Europe, rendit plus difficile et plus coûteuse la vente des obligations du chemin de fer. Cette crise survint au moment même où la Canadian Northern Railway Company devait supporter de lourds frais de construction dans les Rocheuses et au nord du lac Supérieur. En même temps, le peuplement de l'Ouest ralentit brusquement à cause des restrictions imposées à l'émigration par certains gouvernements européens. Après le début des hostilités en 1914, trouver du matériel roulant, des fournitures et des ouvriers devint problématique. Mackenzie et Mann essayèrent de limiter les coûts, mais ils tenaient absolument à terminer, à ouvrir et à équiper la ligne transcontinentale du Canadian Northern Railway Company. Le 23 janvier 1915, Mackenzie l'inaugura au cours d'une cérémonie officieuse à Basque, en Colombie-Britannique. Les derniers milles avaient été construits en toute hâte, dans un effort désespéré pour donner plus de crédibilité au chemin de fer. Il restait encore beaucoup de travaux à faire cette année-là, et ce n'est qu'à la fin d'août qu'un train transportant un petit groupe formé notamment d'administrateurs ferroviaires et bancaires fit le voyage inaugural de Toronto à Vancouver. Deux mois plus tard, un train d'excursion spécial conduisit Mackenzie et toute une délégation de journalistes, d'hommes politiques, de gens d'affaires et d'autres dignitaires de Québec à Vancouver. Les célébrations furent somptueuses, mais elles ne pouvaient pas masquer la dure réalité. La Canadian Northern Railway Company ne pourrait pas survivre à la guerre sans une aide massive de l'État. Or, pour les hommes politiques fédéraux, justifier une telle aide était quasi impossible, étant donné les besoins plus criants engendrés par le conflit mondial. Le gouvernement de sir Robert Laird Borden* apporta une aide provisoire [V. John Downsley Reid] puis, en 1916, forma une commission royale qui recommanderait des solutions à long terme aux problèmes ferroviaires du pays. Finalement, Ottawa décida de prendre en charge et de fusionner les deux transcontinentaux, aux prises avec des difficultés financières.
Dévasté, Mackenzie livra une chaude lutte pour garder le contrôle de la Canadian Northern Railway Company, la plus grosse de ses entreprises et celle à laquelle il tenait le plus. Cependant, le 1er octobre 1917, le gouvernement de coalition, la Mackenzie, Mann and Company Limited et la Banque canadienne de commerce signèrent une entente en vertu de laquelle le gouvernement se porterait acquéreur des actions ordinaires de la société détenues par des particuliers. Le prix des actions, presque toutes détenues par Mackenzie et Mann, serait soumis à l’arbitrage. La somme accordée par le conseil d’arbitrage dans son rapport du 25 mai 1918 (10 800 000 $) équivalait à peine aux dettes de Mackenzie et de Mann envers la banque.
Même après avoir perdu la Canadian Northern Railway Company, Mackenzie demeura actif dans une foule d’entreprises. Les difficultés financières internationales de l’après-guerre firent baisser la valeur des actions qu’il détenait dans des sociétés canadiennes et latino-américaines d’électricité et de traction et nuisirent aux nombreuses entreprises – bois d’œuvre, charbon, immobilier, mines, manufacture, assurances, finances – dans lesquelles il avait investi. En 1920–1921, il se départit de ses intérêts hydroélectriques et de ses tramways dans la région de Toronto. Bien qu’il ait pu continuer de vivre richement à Benvenuto et dans les maisons que sa famille possédait dans la région de Kirkfield, la succession complexe qu’il laissa à son décès était, pour un ancien magnat, plutôt modeste.
Frappé en octobre 1923 par ce qui semble avoir été une crise cardiaque, sir William Mackenzie mourut le 5 décembre. Il avait été l’un des promoteurs ferroviaires et entrepreneurs les plus pittoresques et les plus controversés du Canada. Selon sir Byron Edmund Walker, le banquier avec lequel il avait souvent traité, il donnait l’impression d’être, « tel le train, mû par une locomotive à vapeur ». Peut-être envisageait-il avec trop d’optimisme l’avenir économique du Canada, particulièrement de l’Ouest. Son ascension vers la fortune et la célébrité avait été fulgurante, mais, lorsque sa dépouille fut mise en terre non loin de son lieu de naissance, Kirkfield, il y avait plusieurs années qu’il n’était plus une étoile du milieu canadien des affaires.
Les sources primaires concernant sir William Mackenzie et le Canadian Northern Railway sont mentionnées dans notre étude intitulée The Canadian Northern Railway, pioneer road of the northern prairies, 1895–1918 (Toronto, 1976). Mackenzie n’a laissé pratiquement aucun papier personnel, lacune largement compensée par R. B. Fleming, The railway king of Canada : Sir William Mackenzie, 1849–1923 (Vancouver, 1991). Des notices nécrologiques figurent dans le Canadian Railway and Marine World (Toronto) et dans plusieurs journaux de Toronto et de Montréal. Il existe d’autres ouvrages utiles, dont : Christopher Armstrong et H. V. Nelles, Monopoly’s moment : the organization and regulation of Canadian utilities, 1830–1930 (Philadelphie, 1986), et Southern exposure : Canadian promoters in Latin America and the Caribbean, 1896–1930 (Toronto, 1988) ; Canadian men and women of the time (Morgan ; 1912) ; Encyclopaedia of Canadian biography ; Duncan McDowall, The Light : Brazilian Traction, Light and Power Company Limited, 1899–1945 (Toronto, 1988) ; Standard dict. of Canadian biog. (Roberts et Tunnell) ; et G. R. Stevens, Canadian National Railways (2 vol., Toronto et Vancouver, 1960–1962), 2. [t. d. r.]
Theodore D. Regehr, « MACKENZIE, sir WILLIAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/mackenzie_william_15F.html.
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Auteur de l'article: | Theodore D. Regehr |
Titre de l'article: | MACKENZIE, sir WILLIAM |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |