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PELLATT, sir HENRY MILL, athlète, homme d’affaires, officier de milice et philanthrope, né le 6 janvier 1859 à Kingston, Haut-Canada, fils aîné de Henry Pellatt et d’Emma Mary Holland ; le 15 juin 1882, il épousa à Toronto Mary Dodgson (décédée le 15 avril 1924), et ils eurent un fils, puis le 12 mars 1927 à St Catharines, Ontario, Catharine Welland Merritt (décédée le 19 décembre 1929) ; décédé le 8 mars 1939 à Mimico (Toronto).
Le père de Henry Mill Pellatt avait commencé sa carrière à Londres, à la Royal British Bank. À Kingston, il occupa des postes de commis à la Bank of British North America en 1852, puis à la Bank of Upper Canada. Une activité commerciale secondaire se solda par un échec et la famille partit s’installer à Toronto en 1859, quand le fils aîné était encore bébé. Henry Pellatt retourna travailler à la Bank of Upper Canada ; après la faillite de celle-ci en 1866, il prit un nouveau départ en qualité de notaire, d’agent financier et de courtier. L’année suivante, l’un de ses collègues, employé de la banque, Edmund Boyd Osler*, devint son associé. Profitant du marché émergent des actions, les deux hommes s’inscrivirent à la Stock Exchange Association en 1871.
À cette époque, la famille Pellatt était déjà passée du quartier de Cabbagetown à la rue Sherbourne, plus huppée. Henry Mill, surnommé Harry, grandit avec trois sœurs et deux frères ; dans son enfance, peu de chose laissait présager ce qu’il deviendrait. Il entra à la Model Grammar School en 1868, puis étudia trois mois à l’Upper Canada College en 1876. Ses prouesses sportives surpassaient son modeste rendement scolaire. Le jeune homme svelte excellait en athlétisme, en particulier à la course de un mille ; il améliora sa vitesse après son adhésion au Toronto Lacrosse Club. Entre 1875 et 1880, il remporta des compétitions dans le centre de l’Ontario. Salué (et vilipendé) comme l’un des « coureurs d’élite » de Toronto, il gagna la course de un mille du dominion en 1878 et le championnat amateur américain pour la même épreuve l’année suivante. Il était également devenu expert au tir après son enrôlement, en 1876, dans le 2nd Battalion of Rifles (Queen’s Own Rifles) (QOR), commandé par le fondateur du Toronto Lacrosse Club, William Dillon Otter*. Pellatt connut son seul service actif quand l’unité fut appelée, en janvier 1877, pour réprimer une émeute de travailleurs des chemins de fer en grève à Belleville.
Henry Mill avait laissé l’école pour se concentrer sur son apprentissage dans l’entreprise de son père, où il travaillait à temps partiel comme commis depuis l’âge de 15 ans. En 1881, il fut scrutateur à l’assemblée annuelle de la Standard Bank of Canada. Quand Osler quitta le partenariat l’année suivante, Henry Mill prit sa place dans la maison de courtage, renommée Pellatt and Pellatt, et devint membre de la Bourse. Même s’il avait renoncé à la course, il participait aux jeux annuels de la Bourse et garderait toute sa vie un intérêt pour le sport. Pour le jeune homme de 23 ans, qui avait pris goût aux voyages en Europe, 1882 marqua aussi son entrée dans le monde. En mai, il rendit visite à Oscar Wilde, après la conférence de l’écrivain irlandais à Toronto sur l’esthétique, sujet qui produisit son effet sur le jeune dandy. Quelques semaines plus tard, il épousa Mary Dodgson, diplômée de la prestigieuse Bishop Strachan School. Ils passèrent leur lune de miel en Europe et emménagèrent bientôt dans leur propre résidence, rue Sherbourne. À partir de ce moment, Pellatt s’imposa davantage au sein de la société.
Étant donné la petitesse du marché des valeurs mobilières, la maison de courtage Pellatt and Pellatt s’était aussi lancée dans les hypothèques, les prêts et l’assurance. Les véhicules de placement les plus sûrs, conseillait-elle, étaient les actions des banques et des sociétés de prêt, ainsi que les titres gouvernementaux. Pellatt père, reconnu pour avoir produit les premiers rapports financiers dans les journaux locaux, devint président de la Toronto Stock Exchange quand elle fut constituée juridiquement en 1878. Un boum dans les actions des banques et des terres de l’Ouest dans les années 1880 dynamisa l’organisme. D’autres maisons de courtage ouvraient leurs portes, notamment celle d’Alfred Ernest Ames, de même qu’une firme clé dans le développement du marché des obligations, la Central Canada Loan and Savings Company, fondée par George Albertus Cox*, et dont Henry Mill serait nommé vérificateur en 1890.
Pellatt s’était rapidement taillé une place bien à lui au sein de l’entreprise familiale. Il conservait toujours une partie des liquidités de son père pour s’en servir dans des investissements spontanés. Il s’était bien adapté au milieu de la Bourse, qui ressemblait à un club privé ; il y attirait des miliciens qui avaient besoin d’aide pécuniaire et s’occupait de son propre profit. Avec une désinvolture que certains financiers remettaient en question, il acheta autant d’actions qu’il put de la Canada North-West Land Company d’Osler, capital qui, dit-on, constitua la base de sa première fortune. En 1885–1886, en grande partie pour le compte d’anciens combattants de la rébellion du Nord-Ouest [V. Louis Riel*], les Pellatt gérèrent une quantité importante de certificats de concessions de terre. Henry Mill s’intéressa aussi sérieusement au domaine naissant de l’électricité. En 1883, John Joseph Wright* avait fondé la Toronto Electric Light Company (TEL), qui fournissait de l’énergie alimentée à la vapeur. Pellatt y entra à titre de secrétaire ; son faible salaire donnait une fausse idée de ses connaissances sur la nouvelle technologie. La ville accordait également des contrats d’éclairage des rues à la Consumers’ Gas Company, mais, en 1889, même si elle était toujours obligée de soumissionner, la TEL obtint les droits de poser des fils souterrains et d’exploiter les installations pendant 30 ans, après quoi la ville reprendrait ses actifs. En 1891, regonflée par son second contrat quinquennal, la société émit son premier dividende.
La fortune de Pellatt s’accrut dans les années 1890, quand la récession fit place à une période de croissance économique. Quand son père se retira des affaires en 1892, Henry Mill prit en charge la maison de courtage et s’adjoignit Norman Macrae comme associé ; l’entreprise n’absorbait cependant pas tout son temps. Cette année-là, la TEL avait commencé à vendre de l’électricité pour les tramways de la Toronto Railway Company de William Mackenzie*, qui, fait significatif, avait obtenu en 1891 une franchise de 30 ans de la ville. En 1895, alors que Pellatt était devenu président de la TEL, celle-ci décrocha un autre contrat. L’année suivante, l’absorption de la Toronto Incandescent Electric Light Company Limited par la TEL amena dans le décor l’ingéniosité technique de Frederic Thomas Nicholls*.
Pellatt s’était aussi lancé dans le développement de petites propriétés, en même temps qu’il s’était mis à prendre, pour la maison de courtage, des souscriptions d’actions dans des entreprises industrielles. Les banques et sociétés d’assurances, qui cherchaient de nouveaux investissements pour leurs capitaux, trouvaient les sociétés industrielles intéressantes, en particulier celles qui détenaient des franchises gouvernementales. Les financiers de Toronto essayaient également tant bien que mal d’administrer le flux sans précédent d’actions cotées en Bourse provenant de promotions minières du Klondike et de la Colombie-Britannique. Les courtiers y voyaient des occasions d’investir des fonds, de créer des sociétés afin d’émettre des actions et de nouer des alliances avec des industriels. Peu d’entre eux tirèrent profit de ces débouchés autant que Pellatt, qui « fleurit tel un magnolia dans le jardin national », selon les commentaires d’un journaliste. En 1899, lorsqu’il acheta des parts dans la Crow’s Nest Pass Coal Company Limited de Cox dans l’Ouest, il se plaça en bonne position pour offrir de nouvelles actions industrielles, notamment de la Dunlop Pneumatic Tyre Company of Australasia Limited et des entreprises de services publics dans les Antilles et en Amérique du Sud dirigées par Mackenzie. Considéré comme un ajout précieux aux conseils d’administration, il devint administrateur de la Dominion Telegraph Company en 1895, de la Toronto Railway Company et de la Canadian Lake and Ocean Navigation Company, à sa fondation en 1902. Il s’introduisit aussi dans les conseils de plusieurs autres sociétés, dont la Hamilton Electric Light and Power Company Limited [V. John Patterson*] et le Crow’s Nest Pass Railway [V. John Duncan McArthur*]. Dans le commerce des obligations et des souscriptions, il investit abondamment dans la Dominion Securities Corporation de Cox, créée en 1901 à l’initiative d’Edward Rogers Wood*. Cette année-là, Pellatt s’associa à John Castell Hopkins*, qui reconnaissait son importante position dans le monde de la finance, pour lancer la Canadian annual review of public affairs.
L’ascension de Pellatt dans les affaires soutint sa réussite sociale fulgurante, qui reflétait en partie l’expérience de sa famille. Son père, clubiste et anglican, possédait une maison d’été près d’Orillia et avait rempli sa résidence de Toronto d’œuvres d’art. Même si les problèmes d’alcool déclarés d’Emma Mary Pellatt avaient créé un froid avec son fils aîné, Henry Mill devenait peu à peu le chef du clan et confierait à ses frères des postes dans son entreprise d’électricité. Ses biens fonciers comprenaient des fermes près de Pickering et de Port Credit (Mississauga) et, à l’est de Toronto, un chalet d’été conçu en 1891 par le cabinet Langley and Burke [V. Henry Langley*], qu’il baptisa Cliffside. La rapidité avec laquelle Pellatt hypothéqua des propriétés comme celles-là établit un des principaux modèles qu’il utilisa pour générer du capital financier. Tous deux dilettantes, sa femme et lui commencèrent à monter leur propre collection d’œuvres d’art, notamment d’artistes canadiens. Le couple soutint le Toronto Home for Incurables et la Young Women’s Christian Association. Henry Mill était président honoraire du Woodbine Cricket Club, commodore du Royal Toronto Sailing Skiff Club et administrateur du Toronto Conservatory of Music [V. Edward Fisher*]. Généreux donateur de prix – il fit don d’un trophée d’excellence à l’entraînement à la Church Boys’ Brigade en 1896 –, il joua un rôle de mécène. « Pellatt avait l’allure d’un riche qui garde ses distances », écrivit son biographe. « Avec ses paupières tombantes qui lui donnaient un air doux et somnolent, une moustache angulaire soignée et une calvitie insidieuse […], il représentait un ensemble de caractères qui allaient du paternalisme bienveillant à la perspicacité en passant par la sévérité militaire. » Les photographies révèlent sa corpulence grandissante.
La presse avait déjà commencé à critiquer Pellatt ou à rechercher ses opinions, comme le Toronto Daily Star le fit en 1895, sur l’administration municipale par délégation et, en 1901, sur l’entrée de Terre-Neuve dans la Confédération, mais c’était son omniprésence militaire qui attirait le plus d’attention. Les QOR, creuset de politiques militaires à visée sociale, étaient également une unité efficace. Pellatt s’entraînait de façon assidue ; en 1889, il avait formé une association de tir au revolver au sein du régiment. Il avait régulièrement reçu des promotions – lieutenant provisoire (1879), lieutenant (1880), capitaine (1883), grade-titre de major (1893), major (1895) – et avait fait partie du personnel de l’état-major au camp de Niagara en 1898 et 1899. En coulisses, il joua un rôle important dans les tentatives d’évincer son beau-frère Robert Baldwin Hamilton, commandant impopulaire des QOR, qui serait remplacé en 1896 par Joseph Martin Delamere.
La famille, les vacances et les affaires attirèrent Pellatt en Grande-Bretagne. L’armée mit davantage en évidence ses penchants anglophiles. En 1897, il accompagna le contingent canadien aux célébrations du jubilé de diamant de la reine Victoria et dirigea la garde d’honneur coloniale à la cathédrale St Paul. L’accueil tiède dont les troupes firent l’objet le contraria. Deux ans plus tard, il finança l’envoi du corps de clairons de son régiment à une parade militaire à Montréal. Cependant, quand des membres des QOR se portèrent volontaires dans la guerre des Boers, ce ne fut pas lui, mais son frère Frederick Mill qui s’enrôla et servit pendant sept mois en 1901–1902. Il resta à Toronto pour s’occuper des affaires et des subtilités politiques de la milice. Ses politiques fluctuaient de manière pragmatique. En faveur des libéraux de sir Wilfrid Laurier*, alors au pouvoir à Ottawa, il déclina une offre de conservateurs bien en vue qui souhaitaient le convaincre de briguer les suffrages dans Toronto Centre en 1900. Cox, devenu sénateur libéral, avait déjà exposé les compétences militaires de Pellatt dans une lettre adressée à l’influent ministre de la Milice et de la Défense, Frederick William Borden*. Au début de 1901, Pellatt avait déjà amorcé sa propre correspondance avec ce dernier. En mars de cette année-là, il fut nommé commandant des QOR et promu lieutenant-colonel. Passionné d’apparat, il organisa le rassemblement de 11 000 soldats sur le terrain de l’exposition de Toronto en octobre pour que le duc de Cornwall (le futur roi George V) les passe en revue, monté sur l’étalon primé de Pellatt.
Le public n’avait rien su des manœuvres éhontées de Pellatt, un mois auparavant, pour obtenir une distinction plus prestigieuse : sa nomination comme aide de camp du duc. Même s’il échoua, il n’aurait de cesse de rechercher décorations et statut social. En 1902, il se rendit en Angleterre à la tête du contingent rassemblé pour représenter le Canada au couronnement d’Édouard VII (à cause d’un report, la cérémonie eut finalement lieu après le départ de Pellatt, ce qui le déçut grandement). Le corps de clairons des QOR y participait, et il en avait personnellement assumé le coût dans le but de prévenir les accusations de favoritisme contre le gouvernement fédéral. Le gouverneur général lord Minto [Elliot*] et d’autres personnes s’étaient opposés à le voir commander le contingent, car ils auraient préféré un officier plus expérimenté ou un ancien combattant de la guerre des Boers à un parvenu. Ils avaient également exprimé des réserves quant aux dépenses personnelles, mais Borden avait eu gain de cause. La campagne culottée de Pellatt pour former un second bataillon des QOR dont il aurait aussi été le commandant en chef avait intensifié la controverse. Richard Hebden O’Grady-Haly, l’officier général à la tête de la milice canadienne de 1900 à 1902, avait soutenu qu’une telle action aurait été sans précédent. L’expansion fut néanmoins approuvée en 1906 et Pellatt devint lieutenant-colonel commandant, devançant 140 lieutenants-colonels chevronnés. La promotion au grade de colonel suivit un an plus tard. La progression de Pellatt avait été consolidée en 1905, quand il fut nommé aide de camp honoraire du gouverneur général lord Grey* et fait chevalier. Théoriquement accordé pour son travail dans le domaine de l’électricité, le titre de chevalier n’était que pure décoration. Des rumeurs coururent ensuite sur sa nomination au poste de lieutenant-gouverneur de l’Ontario.
Indiscutablement, les relations et les moyens financiers de Pellatt accrurent son efficacité dans ses fonctions de commandant des QOR, même s’il considérait son service dans la milice comme une façon de gravir les échelons sociaux. Il comprenait le besoin de maintenir l’envergure et l’image populaire du régiment ; l’enrôlement reposait sur ces deux aspects. En matière de conflits syndicaux, Pellatt avait été témoin du déclin du nombre de volontaires après l’intervention de la milice pendant une grève des employés de tramways à Toronto, en 1902, et avait alerté Borden à ce sujet. Mais, à l’extérieur de la ville, on déployait le régiment des QOR en cas d’agitation civile, comme, l’année suivante, pendant une émeute qui avait éclaté à Sault-Sainte-Marie (où Pellatt avait investi dans les industries de Francis Hector Clergue). Que le régiment dépende de la fortune de Pellatt n’était pas inhabituel : d’autres unités torontoises (le 48th Highlanders, la Governor General’s Body Guard et le Royal Grenadiers) jouissaient également de mécènes riches et engagés. Pellatt se montra toutefois prodigue à l’excès. Il dépensa des sommes d’argent incalculables pour l’entraînement et les uniformes, envoya le régiment à des spectacles, exerça des pressions pour que le personnel obtienne des médailles et des promotions, organisa des fêtes et résista aux tentatives d’instaurer la tempérance dans les casernes. « Je tiens beaucoup à maintenir le régiment à un haut niveau », confia-t-il à Borden en 1902, au sujet de l’acquisition d’un stock de pantalons, afin d’empêcher la perte d’effectifs au profit du 48th Highlanders. En juin 1910, pour célébrer le cinquantième anniversaire des QOR, il parraina des célébrations qui durèrent une semaine et une reconstitution historique. En août, pour continuer sur cette lancée et témoigner de la présumée disposition du Canada à participer à l’engagement impérial, il amena le régiment en Angleterre, en grande partie à ses frais, pour effectuer pendant un mois des manœuvres avec des troupes britanniques régulières et territoriales.
Sur des questions plus importantes ayant trait à la milice, telles que le souhait de Borden d’assurer au Canada une plus grande autonomie, Pellatt adhérait à la réforme de façon modérée. Leur correspondance mentionne rarement les modifications de 1904 à l’Acte concernant la milice et la défense du Canada. En qualité de commandant des QOR, Pellatt devait manifester publiquement son soutien à l’officier général commandant, lord Dundonald [Cochrane], qui s’opposait aux changements proposés par Borden. À l’instar de beaucoup d’autres régiments, les QOR bénéficièrent de la décision du ministre de créer plusieurs corps au sein de la milice ; en février 1905, des détachements de transmissions et de mitrailleuses avaient été ajoutés à l’unité. Les plaintes de celle-ci au sujet du fusil Ross, mis en usage par Borden, furent laissées de côté. Dans des discours sur l’entraide impériale, Pellatt, en dépit de rebuffades en Angleterre, prônait la présence d’une milice canadienne forte, capable d’apporter son aide à la Grande-Bretagne en temps de guerre, aux côtés de son armée régulière. Ses déclarations manquaient toutefois de profondeur intellectuelle et il n’accéda pas aux premiers rangs des porte-parole impérialistes.
L’ascension militaire de Pellatt dans les années 1901 à 1907 se déroula parallèlement à ses entreprises philanthropiques et sa vie sociale trépidante. Les activités sociales abondaient au sein d’organismes tels que le Royal Canadian Yacht Club, avec nombre de possibilités de faire des courbettes à des dignitaires notables. Les voyages de longue durée étaient fréquents. En septembre 1902, par exemple, il partit à la chasse avec un sénateur de Brandon, au Manitoba, passa en voir un autre (Cox) à Crowsnest Pass (Alberta) et inspecta des régions pétrolières au Colorado. Il nourrissait sa passion pour les arts (que certains considéraient comme de l’ostentation) à titre d’administrateur et de président, en 1906, de la Toronto Guild of Civic Art où, avec d’autres amateurs de beaux environnements, il siégea au comité d’aménagement urbain. L’argent ouvrait des portes et les dépensiers peu discrets comme Pellatt s’attendaient à de la reconnaissance pour leurs prodigalités. Les conseils d’administration recherchaient sa présence, notamment le Women’s Welcome Hotel ; en 1903, il finança la construction d’une aile au Grace Hospital, où lord et lady Minto [Grey] présidèrent à l’inauguration de son portrait.
Grâce à l’envergure de ses dons, Pellatt avait été nommé, en 1900, au conseil de dotation et des finances du Trinity College de même qu’à son conseil universitaire. Il fut trésorier du conseil d’administration, fonction qu’il assuma avec succès. En 1901, Pellatt suggéra la tenue d’un congrès sur l’éducation ; toutefois, la fédération avec la University of Toronto constituant une priorité, le recteur du Trinity College, Thomas Clark Street Macklem, écarta subtilement l’idée. Pellatt fut ensuite membre du comité de la fédération. En 1910, à la veille du départ de Pellatt pour l’Angleterre avec son régiment, Macklem proposa qu’on entreprenne des démarches auprès de l’Oxford University pour lui décerner un diplôme honorifique : « Sir Henry n’est pas un universitaire, mais il comprend parfaitement tout ce que l’université signifie. » Après le voyage, citant son niveau d’excellence comme « rassembleur de l’empire », des amis préconisèrent son élévation dans la pairie au titre de « lord Toronto ». Pellatt resta satisfait de la reconnaissance que lui exprimèrent, à Londres, divers clubs et la Society of Knights Bachelor, à laquelle il s’engagea à donner 500 £ par année. Il se passionnait tant pour tout ce qui était britannique que, pendant son séjour à Londres, il acheta Clifford’s Inn, le célèbre bâtiment de la chancellerie ; cette année-là, il reçut également le titre de commandeur de l’Ordre royal de Victoria. Chez lui, à Toronto, ville la plus impériale du pays, il devint membre de la Canadian Defence League, fondée en 1909 entre autres par William Hamilton Merritt*, que Pellatt connaissait depuis qu’ils avaient été soldats dans les années 1880.
Entre 1907 et 1913, avec plus de 21 postes d’administrateur, Pellatt était considéré dans la presse et au Parlement comme l’un des 23 capitalistes qui stabilisaient l’économie canadienne. Des dessins d’Alexander Fraser, dans l’ouvrage A history of Ontario : its resources and development, paru en deux volumes à Toronto et à Montréal en 1907, et de Newton McFaul MacTavish*, dans le Canadian Magazine en 1912, mirent en évidence le statut de Pellatt, mais faisaient peu référence à ses batailles du moment comme homme d’affaires. Non-conformiste à ses heures, il s’enorgueillissait d’avoir accès aux « cercles d’initiés » et cultivait le rôle de courtier auprès de ceux pour qui « une sorte de produit [était] à peu près aussi intéressante qu’une autre ». En 1911, pour reconnaître la valeur du « métier » de Pellatt, Clergue lui offrit 100 000 $ en actions pour assumer la présidence d’une firme d’ingénieur à l’état de projet. Même si Pellatt pouvait nourrir des antipathies intenses, on appréciait son calme au milieu de la tourmente, comme pendant les dépressions de 1903 et de 1907 ; les événements pouvaient cependant déjouer ses talents. Sa démarche infructueuse, en 1907, pour régler le conflit entre la Dominion Coal Company Limited (dont il détenait des actions) et la Dominion Iron and Steel Company Limited en Nouvelle-Écosse aurait été un facteur déterminant dans sa démission du conseil d’administration de cette dernière [V. James Ross*]. On l’accusa de collusion en vue de maintenir le prix des actions, geste qu’il considérait plutôt comme une tentative de faire obstacle aux braqueurs d’actions. Les risques et engagements qu’il prenait couvraient plusieurs domaines dans toute l’Amérique du Nord : assurance et banques, automobiles et construction navale, acier, chemins de fer, services publics et télégraphie, développement foncier, ressources naturelles et édition. Son influence se mesura également par son rôle dans la constitution juridique de la Grand Trunk Pacific Railway Company, en 1903 [V. Charles Melville Hays*], même si ses spéculations n’allaient guère au delà d’initiatives mineures telles que le lancement d’une entreprise pour promouvoir un nouveau viseur de fusil.
La maison de courtage de Pellatt constitua également un tremplin pour l’expansion des entreprises de Mackenzie en Amérique du Sud, en 1912–1913. Grâce à ses connaissances en matière de télégraphie transocéanique acquises au cours de ses voyages en Grande-Bretagne et à son engagement avec le New-Yorkais Clarence Hungerford Mackay, Pellatt devint président de la Northern Commercial Telegraph Company Limited. Ses associés et lui partageaient un intérêt pour les premières transmissions sans fil, domaine où des déterreurs de scandales américains dénonçaient violemment les manigances des actionnaires. Pellatt se déplaçait entre Montréal, Ottawa, Londres, New York et les États du Sud, souvent pour rencontrer des magnats sérieux. En 1906, pendant la recapitalisation de la Crow’s Nest Pass Coal Company Limited, il représenta la société dans des consultations auprès du groupe de James Jerome Hill*. Il n’était pas un joueur connu sur l’échiquier des grandes fusions dans le style de William Maxwell Aitken*, mais il concrétisa quelques associations modestes. En 1910, il tenta avec d’autres personnes de mettre la main sur des chemins de fer du nord-est des États-Unis et rassembla les quatre entreprises canadiennes de radiateurs pour former la Steel and Radiation Limited. L’année suivante, avec son protégé des QOR Arthur Godfrey Peuchen*, il mit sur pied la Standard Chemical, Iron and Lumber Company. Le flirt de Pellatt avec les fabricants d’armement britanniques explique en partie son intérêt pour l’acier et la construction navale en Nouvelle-Écosse. En 1911, de concert avec un groupe britannique, il soumissionna pour ouvrir un chantier maritime à Sydney ; malgré une prime municipale substantielle, l’impossibilité de conclure des contrats navals voua le projet à l’échec.
En matière de courtage, Pellatt affronta une dure concurrence, en particulier de la part de sociétés de placement de valeurs de premier ordre où les dirigeants veillaient consciencieusement à leurs affaires. En janvier 1907, son fils très gâté, Reginald, était devenu associé de la société Pellatt and Pellatt. On ignore l’envergure de la clientèle de celle-ci, mais on sait que l’ex-ministre sir Adolphe-Philippe Caron*, Otter et Borden en faisaient partie. Certaines autorités croyaient que les investissements de sir Henry Mill pour des clients s’avéraient plus solides que les siens propres ; la valeur d’Otter passa de 852 $ en 1909 à 41 592 $ en 1911. Pellatt s’activa aussi pour sa famille. Après les décès de sa mère en 1901 et de son père huit ans plus tard, il prit en charge leurs actifs immobiliers au nom de ses frères et sœurs, devoir que compliquèrent des beaux-frères difficiles. Mary Kate Hamilton s’était séparée de son mari vers 1904 (même s’ils paraissaient ensemble en public) et le mari d’Emily Montford Rogers voulait de l’argent pour son magasin.
Pendant son ascension, Pellatt attira une attention sévère de l’establishment, des journalistes et, en 1906, de la commission royale fédérale qui enquêtait sur l’industrie de l’assurance-vie. Il avait été un personnage clé dans deux entreprises de Toronto : administrateur (en 1899) et vice-président (en 1901) de la Temperance and General Life Assurance Company et premier vice-président (en 1902) de la Compagnie d’assurance sur la vie, dite des Manufacturiers (reprise par un consortium dirigé par Mackenzie, dont Pellatt faisait partie et qui avait ensuite absorbé la Temperance and General Life Assurance Company). En qualité de président du comité des finances de la Compagnie d’assurance sur la vie, dite des Manufacturiers, il avait décidé, souvent sans autorisation, d’investir les réserves de l’entreprise dans des sociétés où il possédait des intérêts. Il avait aussi emprunté à l’entreprise pour renflouer une perte personnelle, en fournissant des titres et des hypothèques comme garanties. Le directeur de l’entreprise, James Frederick Junkin, qui ne vit rien de mal dans l’opération, déclara sous serment devant la commission que Pellatt était considéré comme une « bonne autorité » en matière d’investissements potentiels. Pellatt avait également emprunté à la Confederation Life Association, dont l’administrateur délégué divulgua d’autres transactions effectuées par l’entremise de la maison de courtage de Pellatt. Indifférent aux normes théoriques du principe fiduciaire, il ne témoigna jamais devant la commission, car il était en voyage d’affaires en Grande-Bretagne. À son retour, il refusa de commenter, mais, dans le rapport de 1907 de la commission, on lui reprocha son conflit d’intérêts avec la Compagnie d’assurance sur la vie, dite des Manufacturiers, qualifié d’à peine légal. En privé, le premier ministre de l’Ontario, James Pliny Whitney*, jugeait « bizarre » le mode de fonctionnement de Pellatt. Le World de William Findlay Maclean* tira des conclusions plus dures. Par contre, cette façon, sanctionnée socialement, de financer des projets d’entreprises et de créer de la demande pour leurs titres n’était guère anormale. Dans un marché caractérisé par une réglementation minimale, il restait difficile de faire la distinction entre les spéculations légitimes et les illégales.
En 1906–1907, Pellatt était préoccupé par des questions plus importantes, entre autres l’énorme potentiel hydroélectrique des chutes du Niagara et les enjeux cruciaux de la bataille pour la mainmise sur la production d’électricité à Toronto. Le gouvernement libéral provincial de George William Ross*, qui appuyait le développement privé, avait auparavant accordé des franchises de production énergétique à deux groupes américains et avait prévu d’en accueillir un troisième. Pellatt était intervenu pour procurer l’énergie nécessaire à la TEL. Au début de 1902, le Parlement avait constitué juridiquement la société de transmission du groupe de Mackenzie, la Toronto and Niagara Power Company, avec Pellatt à la présidence. Celui-ci joua sur tous les tableaux : il dit à Laurier qu’il voulait résister aux capitalistes américains, gardait un œil sur le marché de Hamilton, et souhaitait faire entrer Borden comme administrateur pour le mettre en relation avec Mackenzie et « le reste des hommes de la finance ». En novembre, Pellatt, Mackenzie et Nicholls avaient déjà formé un consortium satellite, l’Electrical Development Company of Ontario Limited (EDC). L’entente avec la province fut signée le 29 janvier 1903, et l’EDC constituée juridiquement en février.
Pendant que Mackenzie s’occupait de sa société nationale de chemins de fer, le travail de Pellatt s’avéra crucial. Après qu’il eut rassemblé des souscriptions et une garantie d’émission, la direction de l’EDC fut transférée à la Toronto Railway Company. Les droits d’accès à l’enseigne furent accordés à l’EDC le 21 mars, date à laquelle Pellatt devint président et Nicholls directeur général. Par la manipulation des actions, Pellatt construisit la fortune de l’entreprise, même si elle devait rester limitée en raison d’un marché des capitaux restreint. Afin de réaliser l’excavation pour le système de production énergétique aux chutes du Niagara, amorcée en 1904, on avait engagé Frederick Stark Pearson*, expert en hydraulique. La construction de la centrale, très ornementée, conçue en 1903–1904 par Edward James Lennox, débuta en mai 1906. Le courant commença à circuler en novembre, et la TEL délaissa graduellement la production d’énergie à la vapeur. En Angleterre, des financiers se montrèrent réticents à se procurer des obligations de l’EDC, mais grâce à l’intervention de Borden, Pellatt avait persuadé la société d’Arthur Morton Grenfell d’investir. Pendant le mandat de Pellatt, l’administration refléta un esprit de clique : en 1905, le frère de son associé dans la maison de courtage, Hubert Hamilton Macrae, devint directeur et secrétaire de l’EDC et de la Toronto and Niagara Power Company.
Éclaboussée par l’animosité publique contre la TEL et la Toronto Railway Company – toutes deux affichaient des records d’accidents et de pannes –, l’EDC fut traitée avec suspicion par la presse et les autorités de la ville. « Les journaux de Toronto nous ont sérieusement éreintés au sujet de la compagnie d’électricité », avoua Pellatt à Borden en janvier 1903. « Le public semble penser que les villes auraient dû créer cette […] compagnie au lieu de particuliers, ce qui est bien sûr absolument ridicule et, en premier lieu, impossible. » L’Evening Telegram, en particulier, avait asticoté Pellatt depuis son voyage coûteux au couronnement du roi d’Angleterre. Peu habile pour faire face efficacement aux critiques dans un foyer de populisme municipal, Pellatt demeurait néanmoins optimiste. À la cérémonie de pose de la première pierre pour la centrale d’énergie, entre autres occasions, certains louangèrent « les grands capitaines de l’industrie » pour leur prise de risque, mais le soutien aux aventuriers des services publics suscita peu d’enthousiasme.
L’élection des conservateurs sous la direction de Whitney, en 1905, amena à l’avant-scène la question de la propriété publique de l’hydroélectricité. Adam Beck*, président idéologue de la Commission d’énergie hydroélectrique de l’Ontario (Ontario Hydro), créée l’année suivante, attaqua farouchement l’EDC, financièrement vulnérable. Réticent à voir cette dernière s’effondrer, Whitney, avec qui Pellatt entretenait toujours des relations, souhaitait trouver quelque accommodement, mais Beck était impitoyable. En janvier 1907, les contribuables de Toronto autorisèrent la mise en vigueur d’un règlement pour qu’un contrat soit conclu entre la ville et Ontario Hydro. Dans la bataille suivante, autour d’une deuxième proposition de règlement en vue de financer une infrastructure d’électricité locale, Beck profita de la base affaiblie de l’EDC dans le milieu des affaires et de l’incapacité de Pellatt à imposer sa voix sur la scène politique. Quand il le fallait, Whitney neutralisait Pellatt sans difficulté. De concert avec Wright et Nicholls, Pellatt s’exprima contre le règlement et le « culte » de la propriété publique ; sa proposition, déposée à l’automne de 1907, selon laquelle la ville devait soit acheter la TEL, soit désigner des personnes pour siéger à son conseil d’administration, arriva trop tard. En janvier 1908, le règlement fut adopté. La ville mit sur pied un département de l’électricité et, aux élections provinciales de juin, la politique d’hydroélectricité de Whitney fut approuvée. Le règlement, conclut le premier ministre, mettait fin à toutes les chances de Pellatt et de ses associés.
Dans des interventions subséquentes pour soutenir l’EDC, Pellatt, tendu, ne joua pas un rôle de premier plan. La Toronto Power Company Limited, société de portefeuille créée par Mackenzie, donna à l’EDC de nouvelles garanties, mais son offre de construire un système de distribution réglementé par le gouvernement ne put ralentir Ontario Hydro. L’un des vice-présidents de la société de portefeuille, Pellatt défendit la fusion en invoquant que les pressions incessantes des pouvoirs publics avaient nui à la recherche de capitaux de l’EDC. Durant cette bataille, des caricaturistes, notamment Samuel Hunter du World, tournèrent en dérision Pellatt, dont la promotion controversée au grade de colonel n’aida guère. Au printemps de 1908, le Globe refusa de consacrer le moindre espace à sa cause. Le groupe de Mackenzie revint en force en essayant d’attiser les craintes des investisseurs et en cherchant à désavouer les lois sur l’hydroélectricité par l’entremise du gouvernement fédéral. En 1908–1909, les tentatives éhontées de Pellatt et de Macrae pour exercer une influence en Grande-Bretagne ne firent qu’aliéner les capitalistes et prêter davantage au ridicule en Ontario. Le Toronto Hydro-Electric System, ainsi nommé en 1909, amorça ses opérations deux ans plus tard.
Au cours de ce conflit, Pellatt resta activement engagé comme président d’une TEL affaiblie, qui renonça à ses lampadaires et poteaux. Dans les négociations avec la ville, ce fut Mackenzie qui maintint la ligne dure et non pas Pellatt, qui (en écrivant d’Angleterre en 1910) implora l’aide de Whitney. Afin de consolider ses sociétés de services, Mackenzie acheta la TEL (son « meilleur client ») en 1911 et effectua une autre réorganisation pour former un groupe suffisamment solide pour poursuivre la compétition avec le Toronto Hydro-Electric System. Pellatt proposa à Mackenzie de réunir la TEL et l’EDC en « une seule affaire » ; l’idée tomba dans l’oreille d’un sourd. On ne sait pas comment Pellatt réagit à cette rebuffade. En coulisses, il commit l’imprudence de croire que la TEL était solide jusqu’à ce que le contrat expire, en 1919, et que l’alignement de la TEL et de l’EDC avec la Toronto Power Company Limited serait avantageux pour leurs titres qui, en fait, plongeraient pendant la crise financière de 1913. Aussi tardivement qu’avril 1914, Pellatt et Wood envisagèrent d’échanger une émission d’obligations de la Toronto Power Company Limited contre des actions de l’EDC (en vue de réduire la dette), mais seulement, comme Pellatt l’expliqua, « [s’ils pouvaient] convaincre Mackenzie de sanctionner cela ».
Pellatt avait une capacité étonnante à gérer une multitude d’intérêts. En 1906, au moment où les résultats de la commission sur l’assurance et les manœuvres dans le domaine de l’électricité s’étalèrent au grand jour, son attention s’était également tournée vers l’essor des mines d’argent dans la région du lac Long (lac Cobalt), au nord. La pléthore de concessions, d’entreprises, de fraudes et d’opération boursières spéculatives créa un marché stimulant, mais instable, à Toronto. Étant donné ses connaissances et son expérience dans le secteur des mines au Colorado, en Colombie-Britannique et dans la région du lac des Bois en Ontario, Pellatt ressentit un attrait irrésistible. En dépit de leur différend en matière d’électricité, Whitney et son gouvernement lui ouvrirent la porte, à un prix fort. En août 1905, on rendit deux lits de lac et une concession forestière inaccessibles à l’exploration et à la concession. Le 22 novembre 1906, le lit du lac Cobalt fut mis en vente. Un consortium d’Ottawa se joignit à un groupe de Toronto dont Pellatt faisait partie ; le mois suivant, ils reçurent l’acceptation de leur soumission inouïe de 1 085 000 $.
Presque immédiatement, la Cobalt Lake Mining Company Limited fut formée, avec Pellatt comme président. Elle commença à expédier du minerai en janvier 1908. Même si la mine était loin de compter parmi les plus riches de la région, l’entreprise rapporta beaucoup d’argent à Pellatt. À la fin de 1912, faisant fi des objections des actionnaires, il négocia son acquisition par un consortium de Londres, entente qui incluait la vente du million d’actions qu’il détenait. Cette opération lucrative ne devait absolument pas s’ébruiter. En juillet 1911, Pellatt avait écrit à Frederick William Borden : « Je veux [que cette affaire] soit gardée aussi confidentielle que possible, car le succès final réside dans le maintien du bas prix de l’action, puisqu’un très grand nombre doit être acheté pour la résiliation, et si l’action devait monter, il serait impossible de concrétiser nos plans. » Les opposants remirent aussi en question, en vain, l’allocation de 380 000 actions à titre « promotionnel » et de 100 000 autres à Pellatt pour ses dépenses de courtage. Vraisemblablement avec l’approbation du consortium, Pellatt revint en 1914 comme président de la Mining Corporation of Canada, dans laquelle il resterait engagé jusque dans les années 1920. En 1917, ses intérêts s’étaient déjà étendus au gisement aurifère de Porcupine [V. Benjamin Hollinger*]. Il exerçait de nombreuses activités dans le nord : président, administrateur et expert dans diverses sociétés, il acquit des options, créa des consortiums, accordait des avances à des prospecteurs et gardait un camp privé.
À long terme, le développement immobilier à Toronto constitua pour Pellatt le défi le plus exigeant. Entre 1911 et 1914, il avait agi par l’entremise d’un autre consortium britannique pour acheter de grandes étendues de terre. En 1911, il vendit des terrains rue Bay à la Bourse de Toronto, qui y établirait ses bureaux permanents. À titre de président de l’Arena Gardens of Toronto Limited, l’ancien athlète promut la construction d’une patinoire de glace artificielle rue Mutual. Inaugurée en mai 1912, sous la direction de Lawrence Solman, celle-ci accueillit l’hiver suivant deux équipes professionnelles de l’Association nationale de hockey du Canada. En 1912–1913, Pellatt ouvrit trois quartiers en banlieue de la ville – Glen Grove Park, Cedar Vale et Pelmo Park –, tous d’une envergure ambitieuse. Dans Cedar Vale, géré par l’une de ses trois firmes immobilières, la British and Colonial Land and Securities Company Limited, les portes Connaught, qui existent toujours non loin de la rue Bathurst, témoignent des devis grandioses. En 1913, Pellatt participa à une société de portefeuille, la Toronto Properties, afin de trouver de l’argent pour construire un grand hôtel ; le projet échoua. Son intervention probable au sein du groupe qui investit dans le Forest Lawn Mausoleum à York Mills (Toronto), en 1913, fut plus restreinte.
La Grande Guerre retarda la plupart des travaux de Pellatt en banlieue, situation qui l’obligea à porter le fardeau du financement plus longtemps qu’il ne l’avait prévu. L’hostilité des autorités municipales et de la presse, en particulier le World, dégoûté par l’arrogance de tels « bouchers fonciers », lui causa également des problèmes. Parmi les établissements financiers, la Banque de Montréal garda ses distances ; toutefois, la petite Home Bank of Canada, basée à Toronto, resta proche. Dirigée par James Mason et, à partir de 1916, par son fils, James Cooper Mason, collègue militaire de Pellatt, elle convertissait depuis longtemps des dépôts en prêts et finançait la maison de courtage de Pellatt. En 1912, Pellatt réalisa un profit de 889 000 $ grâce à l’achat, à des fins de développement, de terres agricoles au nord de la propriété qu’il avait acquise pour son propre usage et la vente de ces terres à sa société, la Home City Estates Limited ; ce profit fut généré par la dilution d’actions et des prêts obtenus de la banque sans certitude de remboursement. Un service en attirant un autre, en décembre de cette année-là, un consortium de Pellatt se procura des actions de la Banque internationale du Canada [V. sir Rodolphe Forget*] alors en difficulté, ce qui facilita sa reprise par la Home Bank of Canada.
À la fin de 1913, quand les travaux de développement immobilier battaient leur plein, les Pellatt emménagèrent dans leur manoir imposant, mais inachevé, orienté vers le sud et surplombant la ville. Entre 1903 et 1905, Pellatt avait acheté, au nom de sa femme, des lots sur l’escarpement, qui s’appelait déjà Casa Loma, à proximité des majestueuses demeures du marchand de musique Samuel Nordheimer et de l’entrepreneur Albert William Austin. Son intérêt pour le luxe résidentiel, qui correspondait à la perception qu’il avait de son propre statut, n’était un secret pour personne. Le nom Casa Loma, qui signifie « maison (sur une) colline », revêtait des connotations romantiques en art et en littérature, et Pellatt se délectait de cette imagerie. Cette demeure fut sa plus grande entreprise architecturale. Il donnerait plus tard des explications diverses, et parfois invraisemblables, sur ce qu’il souhaitait réaliser : une habitation, un hôpital militaire et un musée-bibliothèque militaire figuraient souvent parmi les objectifs qu’il disait poursuivre. Il avait avoué à un journaliste : « Je voulais en faire un spectacle. » Sa création, se vantait-il, « donna libre cours […] à un flair architectural qu’[il] avai[t] exercé, par l’étude et l’observation, partout dans le monde ». Pour concevoir la propriété, Pellatt choisit son architecte favori et voisin de la rue Sherbourne, Edward James Lennox, plutôt qu’un des bons concepteurs avant-gardistes disponibles tant à Toronto qu’à Montréal. Lennox, qui disposait d’un budget illimité, contenta l’amour de Pellatt pour les châteaux, les camps de chasse somptueux et les manoirs européens. La construction s’amorça en 1905 à partir d’un cottage temporaire et d’une écurie massive ; à la fin de 1909, les travaux commencèrent sur le corps principal en grès gris-brun, orné de moulures en pierres artificielles blanches et couvert de toits en tuiles rouges. Son plan irrégulier comprend une tour carrée, au nord, au-dessus d’une porte cochère monumentale, une tour ronde de cinq étages à l’ouest et une tour spectaculaire à l’est. Entre les tours se dressent des créneaux et de hautes cheminées. L’ensemble compte près de 100 pièces, dont une bibliothèque pouvant contenir 10 000 ouvrages, et des systèmes électriques dernier cri.
Les plans de Lennox furent exécutés dans un mélange de styles néo-édouardiens. Même si Casa Loma reflète un savoir-faire de haut niveau, le résultat sur le plan architectural se révèle peu original et désordonné, en raison des changements majeurs survenus pendant la construction. Dans ce projet peu novateur, voire dépassé, Lennox n’atteignit pas le sommet de son art. Les revues et critiques en architecture firent preuve d’indifférence en général, tandis que le public eut une réaction mitigée. Certains y virent la quintessence du mauvais goût, reflet du côté absurde de la personnalité de Pellatt ; d’autres louangèrent son imposante silhouette sur l’horizon de Toronto ; un quotidien le surnommerait « château seigneurial canadien ». Proche de l’esprit des manoirs – plus petits, mais tout aussi clinquants – des magnats américains aux Mille-Îles, Casa Loma constituait la résidence privée la plus grande jamais construite au Canada ; elle devint instantanément un important point de repère et un monument élevé au capitalisme débridé. Après avoir appris les plans de Pellatt, en 1905, le Brantford Expositor avait conclu : « Manifestement, les conditions sociales changent au Canada et le ploutocrate est finalement parmi nous. » En observant la société de Toronto en 1911, le colonel George Taylor Denison* clama : « Les parvenus sont aussi nombreux que les mûres, et l’ostentation vulgaire du riche typique n’est pas belle à voir. » Un an plus tard, sir William Bull, député britannique en visite et registraire de la Society of Knights Bachelor, dont Pellatt était premier chevalier (président), compara Casa Loma au « plus beau palais de la plus extraordinaire princesse » dans le « conte de fées illustré le plus coûteux » de la meilleure librairie de Londres. Il fut également sidéré par la ferme modèle et la maison d’été que Pellatt avait commencé à construire en 1911, au nord de Toronto, au lac Bales, qu’il renomma lac Marie en l’honneur de sa femme (on l’appellerait le lac Mary). « Si j’étais riche, je ne pense pas que je serais aussi empressé de montrer toutes mes possessions à mes amis », écrivit Bull, même si, en public, il qualifierait Pellatt de « Cecil Rhodes du Canada ».
Casa Loma coûta des millions de dollars à Pellatt ; les estimations vont jusqu’à trois millions et demi. La résidence représentait une responsabilité énorme et la relation avec la ville était rude. À compter de 1903, Pellatt s’était attaqué à la fois à la ville de Toronto et au canton d’York pour obtenir un terrain, des réserves routières et des concessions de services. L’animosité des conseillers et des fonctionnaires serait attisée par les disputes entourant l’hydroélectricité. La récession de 1913 contribua à l’inachèvement de Casa Loma, et l’abolition par la ville de l’évaluation foncière fixe cette année-là multiplia par six l’avis d’imposition de Pellatt. Néanmoins, le potentiel de visibilité était énorme. Les Pellatt apportèrent leurs collections et ajoutèrent une profusion d’antiquités et de reproductions importées. La bibliothèque ne serait toutefois jamais remplie. En 1912, Pellatt avait conclu une entente pour l’acquisition d’armes et d’armureries anciennes pour lui-même et pour le Royal Ontario Museum par l’entremise de son conservateur, Charles Trick Currelly*.
Le manoir fournit au couple une scène splendide pour ses œuvres sociales et philanthropiques. Bienfaitrice et membre de chapitres locaux de l’Imperial Order Daughters of the Empire, lady Pellatt fut nommée première commissaire en chef des Guides du Canada en juillet 1912. Apparemment réservée, elle croyait avoir « suffisamment d’influence » pour assumer cette tâche d’esprit impérial, sans oublier l’argent nécessaire pour ouvrir le siège social initial des Guides en décembre. De même, elle jouissait du soutien de son mari (donateur du mouvement des scouts, plus martial) et des femmes de ses associés, dont Rosaline Rebecca Torrington, du Toronto College of Music [V. Frederick Herbert Torrington*]. Pellatt affichait de vastes intérêts : organisations impériales (il fut membre à vie de l’Empire Club of Canada et fit ajouter le mot « Imperial » à l’appellation de la Society of Knights Bachelor), médaillons du couronnement pour les écoliers et réception d’un flot de nobles et d’autres dignitaires en visite. En 1911, il fonda un district canadien de la St John Ambulance Brigade Overseas et devint sous-commissaire du dominion. L’année suivante, il fournit les premiers uniformes au personnel des ambulanciers Saint-Jean du Canada, fut fait chevalier de grâce par l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem en Angleterre et reçut un doctorat honorifique en droit civil du King’s College en Nouvelle-Écosse où, en 1914, il doterait une chaire de philosophie. Cavalier expert et doué du sens de la mise en scène, Pellatt fut consulté pour l’ouvrage Modern horse management de Reginald Symons Timmis, publié à Londres et à Toronto en 1914. Certains de ses engagements, comme ses dons promis au Royal Ontario Museum, cesseraient pendant les périodes difficiles.
La vie militaire persistait. En février 1912, Pellatt avait quitté le commandement des QOR, même si son mandat avait été prolongé jusqu’en avril. En février, il fut aussi nommé commandant de la 6th (Toronto) Infantry Brigade (toujours avec le grade de colonel) et, en juin, lieutenant-colonel honoraire du 2nd Battalion, QOR. Il participa à des manœuvres de la milice à Niagara où, le 12 novembre, on aurait utilisé pour l’une des premières fois le sans-fil au Canada, ce qui reflétait ses intérêts commerciaux et son expérience de la radio militaire en Angleterre en 1910. De plus, il fut président de l’Association canadienne de l’infanterie et membre du Canadian Military Institute. Ses allégeances politiques demeuraient fluctuantes. Il avait appuyé les pressions des libéraux au sujet de la réciprocité en 1911, mais quand ces derniers perdirent le pouvoir aux mains des conservateurs sous la direction de Robert Laird Borden cette année-là, il avait soutenu le choix de son vieil ami Samuel Hughes* comme ministre de la Milice et de la Défense. En 1912, Pellatt fut désigné pour siéger au comité du ministère sur les chemins de fer. Sa quête fanatique pour obtenir sa propre médaille du Couronnement, qu’il finit par recevoir en 1913 par l’entremise d’une intervention royale exceptionnelle, et ses projets de financer une nouvelle armurerie pour les QOR, qui ne se concrétisèrent jamais, ne furent pas les moindres de ses préoccupations. Les rumeurs le donnaient en lice pour le poste de haut-commissaire à Londres, des journaux étrangers le louangeaient et le maire de Sydney, qui voulait désespérément le chantier naval de Pellatt, le surnomma « roi non couronné du Canada ». On peut comprendre que nombre de gens l’aient identifié aux personnages avides et mégalomanes dans Arcadian adventures with the idle rich, recueil d’histoires satiriques publié en 1914 à New York et Toronto par Stephen Butler Leacock*, gendre de sa sœur Mary Kate. Leacock connaissait certainement les théories sociales sur l’estime acquise par l’exhibition de la richesse, selon lesquelles les premières motivations de l’ostentation immodérée étaient le statut et le prestige ; ce modèle s’appliquait bien à Pellatt.
Au début de 1914, tandis que le Canada sortait de la récession et que la guerre menaçait, Pellatt avait une attitude positive. Comme bien d’autres, il prévoyait un conflit de courte durée. Pendant des années, il s’était efforcé de promouvoir, sans raison apparente, le rôle du dominion dans tous les conflits de l’empire. Il avait même divulgué des lettres dans lesquelles on sollicitait son opinion sur la disposition des Canadiens à s’enrôler. La guerre eut des conséquences considérables sur les affaires, mais Pellatt savait s’adapter. Il s’était occupé régulièrement de toute une gamme d’intérêts, parmi lesquels un flot incessant d’émission d’actions, dont celles des United Motion Picture Theatres Limited en janvier 1914. Au début de l’année suivante, sa société Steel and Radiation Limited, à Toronto, s’était assurée d’obtenir des contrats de fabrication d’obus qui mettraient à l’épreuve sa perspicacité politique. Conscient des allégations de la presse selon lesquelles Pellatt avait déclaré des profits « démesurés », le président du Comité des obus [V. sir Samuel Hughes], à l’incitation du premier ministre, l’avait obligé à publier une réfutation en décembre 1915. L’année suivante, le député conservateur Frank Stewart Scott provoqua un émoi quand il décrivit Pellatt comme quelqu’un qui faisait sa « propre publicité » et qui, à la fin de la guerre, larguerait les actions de la Steel and Radiation Limited sur un « public sans méfiance ». Pellatt ne tint pas compte de ces insinuations, même s’il en contesta quelques-unes devant les tribunaux. En 1917, l’usine d’une autre de ses promotions en temps de guerre, la Curtiss Aeroplanes and Motors Limited, fut vendue à la Commission impériale des munitions avec un profit substantiel [V. sir Frank Wilton Baillie*]. La même année, en allant de l’avant avec un projet différé depuis 1914, il fusionna trois sociétés pour former la Security Life Insurance Company Limited of Canada.
Les sacrifices exigés par la guerre rendirent anachronique le style excessif de Pellatt, alors même qu’il poursuivait sans relâche sa quête de titres honorifiques. En 1915, il avait harcelé Hughes, entre autres, en vue d’assurer sa promotion au grade de général de brigade, qu’il recevrait à titre temporaire en juillet 1916. Nommé membre torontois de la Commission fédérale des hôpitaux militaires en juin 1915, il en était officiellement le président local et comprenait le besoin de s’occuper des vétérans, mais l’homme d’affaires William Kerr George en constituait la force vive. La réunion de la commission, en décembre, au bureau de Pellatt, fut suivie par un dîner et un concert à Casa Loma. Quand une telle extravagance ne réussit pas à lui apporter le prestige qu’il attendait, il laissa tomber l’engagement actif, même si, en 1918, il serait nommé membre de l’organisme successeur, la Commission des militaires invalides. En 1915, il accepta également l’invitation de William Hamilton Merritt de devenir administrateur du Canadian Aviation Fund. Entre juin 1917 et la fin de la guerre, en plus de ses responsabilités à la brigade, Pellatt prit temporairement le commandement des QOR. À titre de bienfaiteurs, sa femme et lui manifestèrent régulièrement leur soutien aux troupes par l’entremise de l’Imperial Order Daughters of the Empire, de l’Association ambulancière Saint-Jean, de la Société canadienne de la Croix-Rouge et de comités patriotiques ou de collectes de fonds, et accueillirent à Casa Loma des sommités telles que le duc de Devonshire [Cavendish], gouverneur général. Lady Pellatt dirigea les démarches pour que le Canadian Council of the Girl Guides Association obtienne une charte fédérale en 1917, quatre ans avant qu’elle se retire de son poste de commissaire pour des raisons de santé ; l’organisme ne reçut pas la faveur de tout le monde. En 1915, des églises protestantes et la Young Women’s Christian Association avaient fondé les Canadian Girls in Training pour manifester leur insatisfaction envers le sécularisme des Guides, la non-participation des filles à la prise de décision et l’orientation impérialiste.
Pellatt subit un déclin brutal. Scott n’avait pas été le seul à bafouer son image en 1916. Le journaliste Augustus John Bridle*, qui connaissait le courtier en raison de leurs intérêts mutuels, tels que le National Chorus [V. Albert Ham], donna de lui une description mesquine dans Sons of Canada : short studies of characteristic Canadians, ouvrage publié à Toronto. Il ridiculisa la « personnalité excessive et pontifiante » de Pellatt et son penchant pour l’autopromotion, et le qualifia d’arnaqueur vomi par la période de croissance économique. « Toute bonne recette classique pour construire une nouvelle nation pourrait inclure sans risque un Pellatt. Plus [d’un] serait dangereux. » Comme ses activités dans la finance, sa carrière militaire cessa quand il devint sexagénaire : en 1920, il fut muté du commandement de la brigade à la réserve et, l’année suivante, il reçut sa dernière promotion, au grade de major général. Dans le domaine financier, il n’avait pas remboursé ses emprunts auprès de Mackenzie, et sa dette à la Home Bank of Canada, depuis au moins 1911, continuait de croître, situation aggravée par ses initiatives risquées en immobilier et le transfert de ses titres de prêt à des sociétés industrielles dans lesquelles il détenait des intérêts. Dans un contexte d’économie de guerre, la banque était réticente à resserrer son étau autour de Pellatt, homme prétendument de prestige. Certains administrateurs pensaient qu’il rembourserait ses dettes, mais dès 1915, trois administrateurs de l’Ouest sonnaient l’alarme quant à la fragilité de la banque, en particulier dans trois comptes principaux. Le 30 novembre de cette année-là, la dette de Pellatt s’élevait à 2 191 732,81 $. L’Elgin Development Land Securities Company Limited, qu’il créa en 1916, permit une certaine restructuration ; ce fut cette société qui reprendrait l’édifice abritant ses bureaux en 1923 et d’autres propriétés qui lui appartenaient.
À la fin de la guerre, Wood, en homme prudent, tenta en vain de convaincre Pellatt de mettre de l’ordre dans ses finances avant que l’économie ne s’effondre. La société Pellatt and Pellatt avait été dépassée par d’autres maisons de courtage, notamment par celle d’Ames, et même si elle poursuivait ses activités – allant jusqu’à posséder son propre service immobilier –, Pellatt déclinait. Son empire avait l’air fragile. Des querelles surgirent dans ses sociétés minières et des projets pétroliers américains échouèrent. En 1920, pendant la fusion de la British Empire Steel Corporation Limited, alors en difficulté [V. George Henry Murray*], il obtint un siège au nouveau conseil d’administration de la Dominion Iron and Steel Company Limited, juste le temps de voir l’entreprise battre de l’aile. Il perdit brusquement son poste de président de la TEL en 1919. À l’expiration des franchises d’électricité et de tramways, d’âpres négociations aboutirent en 1922 à la mainmise sur les intérêts du groupe de Mackenzie dans la région de Toronto. Courageux porte-parole jusqu’à la fin, Pellatt fut vilipendé par la presse. William Henry Pope Jarvis, qui s’en était pris aux manœuvres de Pellatt au lac Cobalt, ranima ses attaques en 1920, tandis que dans le Maclean’s et le Financial Post, Joseph Lister Rutledge analysait « l’optimisme insouciant » du courtier. « Il n’est pas un génie de la finance et ne l’a jamais été », écrivit-il, même si, confronté à la contenance opaque de Pellatt, « on se demande si on pourrait d’aucune façon faire une estimation précise de [sa valeur] ».
Entre 1919 et 1921, les autorités de la Home Bank of Canada reprochèrent à Pellatt de les avoir trompées sur des projets fonciers et d’avoir détourné des fonds ; elles ne pouvaient toutefois pas le laisser tomber. Comme il l’expliqua effrontément, il avait contracté des emprunts dans neuf établissements, et le retirer de son dédale de dettes et d’avoirs aurait des conséquences désastreuses. Même s’il avait déclaré un revenu de 66 006 $ en 1920, les banquiers ne le voyaient pas tous de la même façon. À la Dominion Bank, on le considérait « comme un homme aisé » ; Herbert Deschamps Burns de la Banque de la Nouvelle-Écosse prétendait qu’« il [était] toujours fauché ». En 1923, Pellatt fonda la première de deux sociétés de portefeuille pour confier à la Home Bank of Canada la gestion de ses actifs tout en le libérant de toute responsabilité ultérieure. Cependant, vers la fin de cette année-là, dans les suites de la faillite de la banque au mois d’août, les Pellatt durent quitter Casa Loma et s’installer dans un appartement. L’enquête qui suivit la fermeture de la banque débuta le 16 avril 1924, le lendemain de la mort de lady Pellatt. Pellatt ne témoigna pas, mais son compte et ses biens furent disséqués publiquement. En juin, le contenu de Casa Loma, en principe propriété de sa femme, commença à être mis aux enchères.
Pellatt attirait toujours l’attention, entre autres à l’occasion d’une audience auprès du prince de Galles en 1924 et d’un immense rassemblement au lac Marie, en 1926, pour rendre hommage à son demi-siècle de service dans les QOR. L’année suivante, il accorda son patronage à la formation de la North American Relations Foundation. Parmi d’autres événements heureux figurent son mariage, en 1927, avec la sœur de Merritt, anciennement de l’Imperial Order Daughters of the Empire, qui le connaissait depuis qu’elle avait 12 ans, la réception de la médaille d’ancienneté de service dans les forces auxiliaires, deux ans plus tard, et des accolades du Canadian Military Institute, ainsi que son élection à la présidence de la St George’s Society en 1930. Il s’était retiré de la maison de courtage en 1925, la laissant à son fils, mais il continuait de traiter quelques affaires. Sa revente d’actions dans une spéculation foncière près de Detroit, au Michigan, fut pathétique. Son exploitation de la Dominion Telegraph Securities Limited, créée en 1925 pour gérer des capitaux, entraîna plus tard des problèmes fiscaux. Par le truchement d’un nouveau consortium, Pellatt ranima des travaux dans le quartier de Cedar Vale. En 1927, il possédait des actions dans 56 sociétés, notamment des intérêts dans la production de bière et d’alcool industriel, et restait président de quelques mines et de la Dominion Sewer Pipe and Clay Industries Limited, qu’il mena à une fusion, pour la voir ensuite aux prises avec des conflits internes. La plupart du temps, son argent était géré par l’administrateur nommé en vue de la liquidation de la Home Bank of Canada. Il plaçait les fonds qui lui arrivaient dans de nouveaux projets ou les dépensait, et il géra mal les actifs provenant de la succession de ses parents. Leacock avait craint, avec raison, que Pellatt ne dilapide la part de sa sœur Mary Kate. Les projets de convertir Casa Loma en hôtel et appartements, parfois avec la participation de Pellatt, furent minés par les difficultés. Pour récupérer des taxes, la ville reprit la propriété en 1933 et envisagea de forcer Pellatt à faire faillite. Il dut également trouver difficile de renoncer au lac Marie, dont la grande partie fut vendue en 1935, pendant la crise, à un organisme catholique, la Marylake Agricultural School and Farm Settlement Association.
Le contraste entre la pauvreté de Pellatt et sa poursuite d’une vie sociale factice faisait peine à voir, et sa vision défaillante aggravait la situation ; en août 1932, il ne pouvait plus lire. Il fut forcé de changer d’appartement à plusieurs reprises et, finalement, de s’installer dans une chambre au domicile de son ancien chauffeur, à Mimico. En janvier 1930, au cours d’une entrevue émouvante, il avait déclaré : « Je ne regarde pas trop en arrière », même s’il se rappelait l’époque de ses compétitions, les QOR et l’excitation ressentie pendant la construction de Casa Loma. Lors d’un goûter, en 1937, il offrit un point de vue, provocant mais erroné, sur son ancienne maison. Grâce à la vente qu’il avait réalisée d’un terrain adjacent, dit-il, le manoir ne lui avait pas coûté un sou. Comme il avait l’intention d’en faire un musée, il avait profité d’une exemption de taxes ; or, quand la ville commença à évaluer la propriété, il se retira en disant : « Messieurs, je vous la laisse. » La dernière apparition publique de Pellatt date de janvier 1939. Homme « dévasté », il mourut deux mois plus tard ; des funérailles militaires eurent lieu à la cathédrale St James, suivies de l’inhumation au cimetière Forest Lawn, aux côtés de sa première femme. Quelques notices nécrologiques mentionnèrent sa négligence financière. Reginald Pellatt, qui eut apparemment avec son père des relations tendues, se retrouva devant une succession vide. Parmi les quelques effets personnels de Pellatt figuraient ses chers trophées de courses.
Il existe sur sir Henry Mill Pellatt des écrits de diverses natures, qui vont de l’hagiographie, maintes fois reprise, à la détraction. Les anecdotes abondent, au contraire des documents personnels. Outre le besoin flagrant de reconnaissance, les motivations de Pellatt restent obscures. Avec l’héritage nul qu’il laissa, dont Casa Loma donne la mesure accablante, les descriptions où l’on qualifie l’homme de déraisonnable et de grotesque ne se démentent pas facilement, d’autant plus qu’elles renferment une part de vérité. La biographie de Carlie Oreskovich utilise de nouvelles sources, avec des résultats sympathiques mais des limites contextuelles. Les journaux de l’époque révèlent des tendances éloquentes dans son attitude fanfaronne pendant les années 1899–1914, quand le marché des valeurs commençait à peine au Canada. En travaillant dans une ville qui offrait une concentration de services financiers, Pellatt agit pendant un certain temps en médiateur extraordinaire, et fut impliqué dans une profusion de conflits. Il adoptait des méthodes classiques, même si, grâce à son esprit vif, bien au fait des manœuvres d’investissement spéculatif, il les poussait souvent à l’extrême . Les tentatives de le qualifier de visionnaire pour son rôle dans la distribution d’électricité à Toronto ne peuvent complètement mettre de côté ses intentions monopolistiques. Il n’avait aucun plan rationnel pour assurer sa solvabilité à long terme. Son comportement sans principes en vint à définir sa réputation. Avec Casa Loma et d’autres preuves de dépenses débridées et d’autopromotion en toile de fond, sa chute fut spectaculaire.
Au cours de sa carrière d’homme d’affaires, sir Henry Mill Pellatt a écrit un grand nombre de rapports annuels et a collaboré à la rédaction de plusieurs autres. Certains, ainsi que quelques lettres et discours, ont été publiés. Son rapport à titre de commandant du contingent canadien au couronnement de 1902 constitue l’appendice B du rapport de l’officier général commandant dans Canada, Parl., Doc. de la session, 1903.
On trouve de la documentation sur Pellatt dans le Henry M. Pellatt fonds aux AO (F 253) et dans le F. W. Borden fonds aux NSA (MG 2, vol. 63–223). Les Minutes of evidence (4 vol.) et le Rapport de la commission royale sur l’assurance-vie ont paru à Ottawa en 1907 ; ce dernier a aussi été reproduit dans les Doc. de la session de 1906–1907. Les [Hearing and evidence] (18 vol. en 2) et le Rapport provisoire de la commission royale au sujet de la Home Bank ont été publiés à Ottawa en 1924 ; ce dernier figure également dans les Doc. de la session de 1924. Après une demande d’accès à l’information, nous avons pu consulter les cahiers de correspondance (1901–1939) de la Toronto Electric Light Company aux bureaux de la Hydro One Inc. à Toronto. Grâce à la numérisation, il est maintenant possible de trouver quantité de nouveaux renseignements sur la carrière de Pellatt dans les journaux accessibles en ligne.
Aucune étude de Pellatt ne saurait passer sous silence sa formidable résidence, Casa Loma, propriété de la ville de Toronto, qui est aujourd’hui administrée par le Liberty Entertainment Group en tant qu’attraction touristique, lieu pour événements spéciaux et musée. Au fil du temps, Casa Loma a accumulé de la documentation sur Pellatt, ainsi que des meubles, divers objets et des œuvres d’art du temps où ce dernier y demeurait. Le site Web www.casaloma.org et deux livres illustrés (J. E. Crosbie, Decorative arts at Casa Loma ([Toronto], 2004) et Bill Freeman, Casa Loma : Canada’s fairy-tale castle and its owner, Sir Henry Pellatt, avec des photographies de Vincenzo Pietropaolo (Toronto, 1998 ; réimpr., 2012)) sont des sources d’information sur la propriété. Joan E. Crosbie, ancienne conservatrice de Casa Loma, a mis à notre disposition ses dossiers sur Pellatt. Le château abrite également le musée des Queen’s Own Rifles of Canada. À la bibliothèque du Royal Ontario Museum (Toronto), nous avons consulté le Catalogue of the valuable contents of Casa Loma, Toronto, Ontario, imprimé pour l’enchère publique en juin 1924. Nous remercions Joan E. Crosbie et Robert G. Hill de leur aide.
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David Roberts, « PELLATT, sir HENRY MILL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/pellatt_henry_mill_16F.html.
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Auteur de l'article: | David Roberts |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2018 |
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Date de consultation: | 1 décembre 2024 |