ROBLIN, sir RODMOND PALEN, agriculteur, homme d’affaires et homme politique, né le 15 février 1853 dans le canton de Sophiasburg, Haut-Canada, fils de James Platt Roblin et de Deborah Anne Ketchepaw (Kotchapaw) ; le 13 septembre 1875, il épousa au même endroit Adelaide Louise Demill (décédée en 1928), et ils eurent quatre fils, puis le 5 février 1929, à Los Angeles, Ethel M. Leggett (décédée en 1962), avec qui il n’eut pas d’enfants ; décédé le 16 février 1937 à Hot Springs, Arkansas.

La famille loyaliste de Rodmond Palen Roblin (peut-être d’ascendance germano-pennsylvanienne) comptait des agriculteurs et des hommes d’affaires prospères, ainsi que des hommes politiques, tel son grand-oncle, John Philip Roblin*. Ils étaient méthodistes et le jeune Rodmond reçut son éducation à l’Albert College, école méthodiste de Belleville, en Ontario. Il commença à travailler dans la ferme familiale, où il construisit une fromagerie. Il se procura bientôt des fromages auprès d’autres fermiers pour l’exportation. Pendant sa convalescence après un grave accident causé par un cheval emballé, il décida de suivre les milliers d’Ontariens qui se dirigeaient vers le nord-ouest ; il arriva au Manitoba probablement en 1877. Après avoir été employé comme ouvrier à Winnipeg, il acheta une terre avec son beau-frère et engagea un arpenteur pour dresser les plans du lotissement qui deviendrait Carman.

En 1879, Adelaide Louise Demill, que Roblin avait épousée en 1875, et leur jeune fils, Wilfred Laurier, vinrent le rejoindre à Carman, où il avait ouvert un magasin général. À l’instar de nombreux autres commerçants des régions rurales de l’Ontario et du Manitoba, il prêtait de l’argent à ses clients et achetait leur grain. En 1884, il fit l’acquisition d’une ferme qu’il baptiserait Maplewood ; il l’agrandirait au fil des ans et l’exploiterait à grande échelle à l’aide d’équipement et de méthodes modernes. La ferme resterait dans la famille jusqu’à la retraite de son fils Arthur, en 1948.

Roblin s’occupait non seulement de sa ferme, mais aussi de diverses autres affaires, dont l’achat et la vente de bétail et de chevaux. La plus importante était son entreprise d’achat de céréales, florissante durant les années 1880 et 1890. Fondateur de la Winnipeg Grain and Produce Exchange en 1887, Roblin fit partie de son conseil d’administration et siégea à ceux de plusieurs organismes liés à l’industrie céréalière. En 1893, il fut un promoteur de la très rentable Northern Elevator Company Limited et, avec Nicholas Bawlf* et d’autres, fit partie de son premier conseil d’administration. Quatre ans plus tard, Joseph Harris*, un certain nombre d’associés et lui mirent sur pied la Dominion Elevator Company, dont il assura la présidence. Roblin possédait également une carrière de gravier et investit dans l’immobilier en construisant l’Adelaide Block, dans la rue Osborne, à Winnipeg, en 1906. Pour se rapprocher de son commerce qui prenait de l’ampleur, il s’était installé avec sa famille dans cette ville en 1889 et, l’année d’après, dans la maison qu’il avait bâtie au 211, rue Garry, où il vivrait avec Adelaide Louise jusqu’à la mort de celle-ci en 1928.

Roblin avait amorcé sa carrière politique comme président du conseil du comté de North Dufferin en 1881 ; il occupa ensuite le poste de préfet de la municipalité de Dufferin et celui de secrétaire-trésorier du conseil scolaire. En 1886, il se présenta pour la première fois à l’Assemblée législative. Un second dépouillement révéla qu’il avait perdu dans la circonscription de North Dufferin par cinq votes seulement. Il était issu d’une famille qui avait soutenu le Parti réformiste dans la politique du Haut-Canada et il avait brigué les suffrages à titre de libéral indépendant. Il remporta la victoire dans Dufferin lors d’une élection partielle tenue en mars 1888 et y fut élu sans opposition aux élections générales de juillet. Il fut accueilli en tant que brillant nouveau membre du groupe libéral du premier ministre Thomas Greenway*. En l’espace de quelques mois, toutefois, il se brouilla avec le premier ministre au sujet de sa politique ferroviaire, laquelle, selon Roblin, ne réussissait pas à créer une réelle concurrence à la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique.

Au cours de la session parlementaire de 1890, Roblin s’opposa à l’élimination du statut officiel de la langue française par le gouvernement. Il fut aussi le seul député protestant de la province à voter contre l’abolition du conseil scolaire mixte protestant et catholique mis sur pied en 1871 et la création d’un département de l’éducation dirigé par un ministre de la couronne. Il soutint que la section protestante, guidée par les connaissances de son surintendant, John Beaufort Somerset*, avait produit d’excellentes écoles au Manitoba et il donna d’autres exemples de systèmes où l’éducation se trouvait entre les mains d’éducateurs plutôt que de politiciens. En Ontario, ce projet de faire relever l’éducation d’un ministère avait soulevé la jalousie entre les deux groupes religieux, ce qui était « préjudiciable à la province et désastreux pour le pays ». Bien qu’avant-gardiste, la position de Roblin n’était pas partagée par d’autres membres de l’Assemblée ; sa motion en vue d’abandonner le changement proposé fut rejetée par 27 voix contre 8.

Même s’il n’était pas officiellement le chef des conservateurs à cette époque, Roblin prit dans les faits la tête du groupuscule d’opposition au Parlement. Ses talents de débatteur et sa forte personnalité faisaient de lui un adversaire redoutable du gouvernement Greenway. Cependant, aux élections provinciales de 1892, sa circonscription, Dufferin, disparut à la suite d’un redécoupage arbitraire et, obligé de se porter candidat dans Morden, il perdit. Entre 1892 et 1896, année où Roblin retourna à l’Assemblée à titre de représentant de la circonscription de Woodlands, les conservateurs furent dirigés par plusieurs membres de son petit groupe de députés. Il fut ensuite le chef des conservateurs jusqu’en 1897, puis se retira pour que le populaire Hugh John Macdonald* puisse amener le parti à la victoire. Après la démission de ce dernier, à l’automne de 1900, pour se présenter dans une circonscription fédérale, Roblin reprit de nouveau la direction du parti et fut assermenté comme premier ministre le 29 octobre ; il assuma de plus les fonctions de commissaire des chemins de fer à partir du 3 novembre et de ministre de l’Agriculture et de l’Immigration à partir du 22 décembre.

En constituant son premier cabinet et ceux qui suivraient au cours des 14 ans et demi où il serait premier ministre, Roblin prit quelques dispositions pour s’assurer qu’ils reflétaient la composition de la population de la province. Il choisit John Andrew Davidson*, originaire d’un bastion conservateur, comme trésorier provincial, et David Henry McFadden, membre éminent de l’ordre d’Orange, comme secrétaire provincial et commissaire municipal. D’autres entreraient au cabinet, tel George Robson Coldwell*, qui occuperait plusieurs postes, notamment celui de ministre de l’Éducation de 1908 à 1915. De même, James Henry Howden assuma successivement, à compter de 1907, les fonctions de commissaire des chemins de fer, secrétaire provincial et procureur général. Enfin, Joseph Bernier*, premier Franco-Manitobain à siéger au cabinet depuis la promulgation des lois de Greenway sur la langue et les écoles, prit en charge le secrétariat provincial de 1913 à 1915. Les plus proches collaborateurs de Roblin étaient cependant Robert Rogers, ministre des Travaux publics de 1900 à 1911, et Colin H. Campbell*, procureur général pendant la même période. Il faut dire toutefois que Roblin dominait ses cabinets : il était leur principal porte-parole et donnait le ton à leurs activités.

Les problèmes auxquels Roblin fit face restèrent plus ou moins les mêmes pendant toutes les années où il fut premier ministre. La prohibition, la question des écoles et le problème connexe de l’intégration d’un grand nombre de nouveaux immigrants, les exigences d’un mouvement agricole bien organisé, le rôle de la propriété publique dans l’économie et le besoin d’une infrastructure capable de soutenir la croissance démographique de la province comptent tous parmi les dossiers qu’il dut régler. Son succès varia selon les cas.

Les désaccords quant à la meilleure façon de contrôler la vente d’alcool persistèrent pendant que Roblin exerçait les fonctions de premier ministre. Macdonald avait fait sanctionner le Liquor Act en juin 1900 pour instaurer la prohibition [V. sir James Albert Manning Aikins*] ; la loi prévoyait un délai d’une année avant sa mise en vigueur pour permettre d’évaluer sa conformité légale. Le procureur général Campbell la soumit aux tribunaux du Manitoba, qui jugèrent qu’elle outrepassait les pouvoirs de la province. La Cour suprême du Canada rendit une décision semblable. En novembre 1901, le comité judiciaire du Conseil privé la déclara toutefois valide. Roblin, qui doutait que la loi puisse être appliquée avec succès, annonça, en janvier 1902, qu’il tiendrait un plébiscite en avril avant de la promulguer. Une campagne mouvementée s’ensuivit. D’une part, le puissant mouvement pour la tempérance était divisé : des dirigeants de la Dominion Alliance for the Total Suppression of the Liquor Traffic affirmaient que Roblin avait trahi le mouvement et qu’on devait boycotter le plébiscite, tandis que certains militants de la tempérance exhortaient les citoyens à voter pour la prohibition. D’autre part, des groupes tels que la Manitoba License Holders’ Benefit Society lançaient des mises en garde contre une chute massive des revenus et de la valeur des propriétés en cas d’interdiction de la vente d’alcool.

Les Manitobains rejetèrent la prohibition par 22 464 voix contre 15 607. Par la suite, Roblin s’employa à contrôler la vente d’alcool en délivrant des permis et en utilisant la stratégie de prohibition locale qui permettait aux municipalités d’introduire la prohibition si les citoyens votaient en ce sens. Même s’il se décrivait souvent comme un partisan de la tempérance, il soutenait que ces méthodes étaient plus efficaces que l’interdiction totale et respectaient le droit des individus de boire s’ils le souhaitaient. Comme résultat de son approche, l’alcool fut prohibé dans 80 % de la province avant la fin de son mandat. Cependant, les membres du mouvement de tempérance ne lui pardonnèrent jamais et firent campagne contre lui dans toutes les élections subséquentes.

Roblin prenait soin de parrainer des lois susceptibles de satisfaire la vaste communauté agricole de la province pour qu’elle continue de voter pour les conservateurs. À cette fin, l’un de ses premiers gestes de premier ministre fut de briser le monopole de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique sur le fret, source d’irritation pour les agriculteurs que de nombreux chefs politiques de l’Ouest avaient tenté, en vain, de supprimer. Le 15 janvier 1901, Roblin signa une entente avec la Northern Pacific Railroad Company selon laquelle le Manitoba louerait ses lignes dans la province – environ 350 milles de voie ferrée au total – pour 999 ans. Ces lignes furent transférées à la Canadian Northern Railway Company [V. sir Donald Mann ; sir William Mackenzie*], qui était à l’époque une petite entreprise à la veille d’une expansion spectaculaire. L’entente donnait au gouvernement la mainmise sur les tarifs ferroviaires de cette société dans la province. Le plan de Roblin fut adopté par l’Assemblée et ratifié par la Chambre des communes, où il fut appuyé par le ministre de l’Intérieur, Clifford Sifton*, et d’autres libéraux bien en vue qui admirent qu’il procurerait d’énormes bénéfices aux fermiers de l’Ouest. En octobre 1902, Roblin abaissa les tarifs ferroviaires de quatre cents et la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique fut contrainte d’en faire autant.

Le 20 juillet 1903, au terme de sa première campagne électorale comme premier ministre, Roblin remporta une victoire écrasante par 31 sièges contre 9 pour les libéraux. Son parti obtint la majorité du vote populaire et, dans sa propre circonscription, il fut vainqueur avec la majorité la plus forte parmi tous les candidats de la province. Au cours des quatre années suivantes, son gouvernement apporta au Liquor Act des modifications qui restreignirent la distribution d’alcool en gros, réduisirent le nombre d’établissements munis d’un permis et firent passer l’âge limite pour la consommation d’alcool de 16 à 18 ans. Les hôtels de Winnipeg devraient disposer d’au moins 50 chambres pour exploiter un bar.

Roblin fut premier ministre durant une période de croissance soutenue et de prospérité. En réaction à l’arrivée massive d’immigrants, son gouvernement construisit un grand nombre d’écoles, de collèges et d’autres édifices. Le Manitoba Agricultural College, bâti en 1906, marqua le lancement de toute une série de grands projets de travaux publics. Ce programme ambitieux atteindrait son point culminant en 1913–1914 avec les superbes nouveaux édifices du Parlement [V. Victor William Horwood]. De plus, le gouvernement fit construire des hôpitaux pour soigner les aliénés ou les tuberculeux, facilita la création d’un réseau routier grâce au Good Roads Act de 1914 et mit en vigueur les premières lois d’indemnisation pour les accidents de travail. Pour financer ces initiatives, il utilisa des paiements de transfert fédéraux, emprunta sur le marché financier de Londres et perçut des impôts sur les entreprises et les chemins de fer, ainsi que des droits de permis d’alcool.

L’extension de la frontière nord du Manitoba jusqu’au 60e parallèle fut un changement que Roblin n’avait pu apporter pendant que le gouvernement libéral fédéral de sir Wilfrid Laurier* était au pouvoir. En 1901, il rencontra Frederick William Gordon Haultain*, des Territoires du Nord-Ouest, qui souhaitait obtenir pour sa région le statut de province, pour débattre de la possibilité d’une union avec le Manitoba ; la discussion n’aboutit à rien. Même après que, en 1905, les nouvelles provinces d’Alberta et de Saskatchewan eurent vu leur frontière nord portée au 60e parallèle, celle du Manitoba resta inchangée. Elles reçurent également une compensation beaucoup plus généreuse que le Manitoba en contrepartie de la mainmise sur leurs richesses naturelles. Le gouvernement de Roblin dut attendre jusqu’en 1911 pour obtenir un traitement équivalent pour le Manitoba. L’entente sur cette question et sur d’autres points fut retardée par l’esprit de parti farouche qui animait le premier ministre libéral du pays et le premier ministre conservateur de la province.

Roblin occupa le devant de la scène nationale et internationale en septembre 1906, quand il annonça que son gouvernement demanderait à toutes les écoles de hisser le Union Jack sous peine de perdre leur financement. Les journaux conservateurs trouvèrent que le décret était bénéfique, qu’il inspirait le patriotisme et qu’il encourageait l’intégration des nouveaux immigrants. Pour de nombreux libéraux, il était inutile et portait atteinte aux libertés locales. La fréquentation scolaire obligatoire était une question plus importante et, pendant les neuf années suivantes, les libéraux feraient campagne en promettant de l’instaurer. Le gouvernement Roblin résista : il invoqua que l’éparpillement de la population et les conditions météorologiques souvent extrêmes rendaient impossible la mise en vigueur d’un tel règlement. Les parents catholiques, qui envoyaient leurs enfants aux écoles paroissiales qu’ils soutenaient financièrement, craignaient que la loi sur la fréquentation obligatoire n’oblige leurs enfants à étudier dans des écoles publiques laïques.

Le compromis Laurier-Greenway, qui avait réglé la question des écoles du Manitoba en 1896 [V. Thomas Greenway ; sir Wilfrid Laurier], autorisait une certaine instruction religieuse dans les écoles publiques et, là où un nombre précis d’élèves de langue maternelle autre que l’anglais le justifiait, ces derniers pouvaient recevoir cet enseignement dans leur langue ainsi qu’en anglais. Cette disposition avait pour but de favoriser les élèves francophones, mais dès la première décennie du xxe siècle, de nombreux autres groupes étaient déjà devenus admissibles. En 1909, 268 instituteurs donnaient leur enseignement en anglais et en français, ukrainien, allemand ou polonais. Même si la province avait de la difficulté à fournir des centres de formation pour satisfaire à la demande d’enseignants bilingues, ceux-ci atteignirent le nombre de 450 en 1915.

Roblin fut le premier de plusieurs premiers ministres canadiens à acheter une compagnie de téléphone afin d’offrir un service à moindre coût et de l’étendre à un plus grand nombre d’abonnés. À la fin de 1907 et au début de 1908, le gouvernement acquit le réseau manitobain de la Compagnie canadienne de téléphone Bell [V. Charles Fleetford Sise*] pour la somme de 3,4 millions de dollars. En 1912, le Manitoba comptait déjà plus de téléphones dans les régions rurales que toute autre province, car des lignes téléphoniques avaient été installées dans des districts où Bell aurait jugé non rentable de le faire. La promesse du premier ministre de maintenir de faibles tarifs s’avéra toutefois impossible à tenir et des dépassements de coût entraînèrent des augmentations en 1911, en dépit d’un tollé général. La technologie téléphonique changeait à un rythme rapide et les dépenses de mises à niveau de l’équipement n’avaient pas été prévues. De plus, une commission royale constituée en 1912 par le gouvernement Roblin révéla le besoin de méthodes plus rigoureuses de comptabilité et de gestion. La première commission de services publics au Canada, créée cette année-là, reçut la mission de surveiller les hausses de tarif.

Au cours des années 1907 et 1908, Roblin et ses ministres s’étaient efforcés de trouver un compromis entre les revendications de la Manitoba Grain Growers’ Association en vue d’apporter des changements à la Winnipeg Grain and Produce Exchange et la réticence des autorités de la bourse à les satisfaire. En 1906, l’association, dirigée par Edward Alexander Partridge, avait formé la Grain Growers’ Grain Company Limited, qui avait été admise à la bourse. Quand on apprit que cette entreprise avait l’intention de remettre des dividendes aux fermiers, les autorités de la bourse déclarèrent que la proposition était incompatible avec sa charte et suspendirent l’adhésion de l’entreprise. Un compromis négocié par le gouvernement lui permit de reprendre sa place à la bourse en avril 1907, mais des fermiers radicaux continuèrent d’exiger des changements à la charte de la bourse qui donneraient au gouvernement plus de pouvoir de réglementation. L’administration de Roblin promulgua la loi demandée par les agriculteurs en février 1908 ; en réaction, la bourse cessa d’abord ses activités, puis, plusieurs mois plus tard, se réorganisa. La volonté de Roblin d’accéder aux demandes insistantes des fermiers, malgré sa longue relation d’affaires avec la bourse, témoigne du pouvoir politique énorme exercé à l’époque par les céréaliers.

Des organisations agricoles réclamèrent également l’établissement d’élévateurs, qui seraient la propriété de la province, à chaque point d’expédition et des installations fédérales dans la région du Lakehead, en Ontario [V. Clarence Decatur Howe*]. En décembre 1909, les conservateurs annoncèrent qu’ils implanteraient un réseau d’élévateurs publics. La Manitoba Elevator Commission fut un échec financier et, en 1912, Roblin déclara que les élévateurs seraient loués à la Grain Growers’ Grain Company Limited.

Le parti de Roblin avait obtenu une majorité solide aux élections générales de 1907 et de 1910, et remporta un certain nombre d’élections partielles chaudement contestées entre 1910 et 1914. Ce succès découlait en partie de la popularité du premier ministre et de ses politiques, mais le dispositif déployé par le parti était aussi un formidable instrument. Les conservateurs faisaient appel à des fonctionnaires provinciaux, par exemple des membres de la police provinciale du Manitoba, pour appuyer leurs campagnes électorales ; des commissions d’enquête révéleraient que des fonds publics avaient été utilisés pour payer des militants et offrir de l’alcool et des pots-de-vin aux électeurs. En effet, certains historiens concluraient que le Parti conservateur était devenu un simple outil de l’organisation corrompue et incontrôlée créée au fil des ans par le ministre des Travaux publics de Roblin, Robert Rogers.

À l’instar de la plupart des partis avant la Première Guerre mondiale, Rogers s’assura que, pendant qu’il était au pouvoir, le parti bénéficie des projets gouvernementaux de construction en soutirant des dons aux entrepreneurs qui, souvent, soumettaient des factures majorées pour se rembourser. Tant les conservateurs que les libéraux avaient employé cette méthode pour recueillir les énormes liquidités nécessaires en vue de gagner les élections. Les contrats et emplois gouvernementaux étaient attribués par favoritisme et les partisans s’attendaient à être récompensés. Sous le régime de Roblin, cependant, le public et de nombreux politiciens exprimèrent un désir grandissant de voir cesser la corruption et la distribution de faveurs.

Aux élections fédérales de 1911, l’appareil conservateur du Manitoba et les discours passionnés de Roblin avaient été des facteurs déterminants dans la victoire du chef conservateur fédéral Robert Laird Borden, tout comme les organisations provinciales en Ontario, sous la direction de James Pliny Whitney*, et en Colombie-Britannique, sous la direction de Richard McBride*. Roblin se vit offrir un poste dans le cabinet du nouveau gouvernement. Il le refusa et ce fut plutôt Rogers qui se rendit à Ottawa. Les profonds différends entre l’administration manitobaine et sa contrepartie fédérale furent bientôt aplanis et la frontière de la province fut repoussée en 1912. Les catholiques avaient craint que la loi scolaire du Manitoba ne s’applique désormais sur le nouveau territoire provincial. Rogers négocia un compromis selon lequel le gouvernement Roblin promettait de faire preuve de tolérance dans la question scolaire. Cependant, plusieurs nationalistes conservateurs canadiens-français menés par Paul-Émile Lamarche et alliés au gouvernement de Borden se montrèrent insatisfaits des garanties, et votèrent contre l’extension de la frontière. Dans l’espoir de les apaiser, Roblin et Rogers prirent des dispositions pour instaurer les « modifications de Coldwell » [V. George Robson Coldwell] au Public Schools Act. Avec ces changements, le conseil scolaire de Winnipeg pourrait plus facilement prendre en charge les établissements catholiques et les administrer comme écoles publiques, atténuant ainsi le fardeau fiscal des parents catholiques, qui avaient demandé de l’aide. Au bout du compte, les catholiques bénéficièrent peu de cette mesure.

L’année 1912 aurait dû être la dernière de la vie politique de Roblin. Il était malade et sentait qu’il ne pouvait continuer. Il avait, en la personne de Campbell, un successeur assuré et compétent, et il pouvait légitimement affirmer qu’il avait accompli beaucoup de choses. On organisa des dîners en son honneur et, le 14 juin 1912, il reçut le titre de chevalier commandeur de l’ordre de Saint-Michel et Saint-Georges. Mais Campbell était lui aussi fatigué et malade ; au début de 1913, il subit un accident vasculaire cérébral dont il ne se rétablirait jamais. Il prit sa retraite de la politique à l’automne de cette année-là et mourut un an plus tard. Roblin amorça donc la dernière année et demie de sa carrière politique en mauvaise santé et en l’absence de ses conseillers les plus fiables, situation qui affaiblit considérablement son cabinet. Il nomma Walter Humphries Montague, vétéran député conservateur, comme ministre des Travaux publics ; la santé de ce dernier laissait toutefois aussi à désirer.

Aux élections générales de 1914, l’éducation et la prohibition comptaient une fois de plus parmi les questions importantes. De nouvelles exigences formulées par les libéraux, qui avaient repris des forces sous la direction de Tobias Crawford Norris, y figuraient également : l’instauration de la législation directe, que Roblin rejeta parce qu’il la trouvait mal conçue et non britannique, et le suffrage féminin, qu’il désapprouvait. Son argument, selon une idée courante à l’époque, était que les femmes devaient rester au-dessus du monde rude de la politique et se concentrer sur le maintien de la stabilité du foyer. Son gouvernement continua de refuser de mettre en vigueur la fréquentation scolaire obligatoire et les « modifications de Coldwell » s’étaient attiré l’opposition véhémente des libéraux et de l’ordre d’Orange. Le 10 juillet, les conservateurs reprirent le pouvoir avec une majorité de cinq sièges (nombre qui passa à huit lorsqu’on ajouta les résultats des trois circonscriptions du nord). Les libéraux ne cessaient cependant de se renforcer et Norris avait réussi à former une coalition avec certains groupes tels que des militants de la tempérance, des partisans du suffrage féminin et l’ordre d’Orange, qui nourrissaient tous des griefs contre les conservateurs au pouvoir. John Wesley Dafoe*, du Manitoba Free Press, critique toujours virulent, attaquait le gouvernement chaque jour.

Puis, au cours de la session de 1915, les libéraux dévoilèrent des preuves de malversations dans les contrats accordés pour la construction des nouveaux édifices du Parlement. Roblin refusa d’ouvrir une enquête, mais on croit que le lieutenant-gouverneur, sir Douglas Colin Cameron, entreprit la démarche inhabituelle de placer le premier ministre devant un choix : soit il mettait sur pied une commission royale, soit il donnait sa démission. Roblin choisit la deuxième solution et, le 12 mai, devant des preuves accablantes, son gouvernement et lui démissionnèrent. Thomas Kelly, le principal entrepreneur, avait surfacturé des travaux et remis les surplus au parti. Aux élections générales du 6 août, le nombre de sièges conservateurs passa de 28 à 5 et les libéraux formèrent le gouvernement. Roblin ne s’était pas porté candidat.

La partisanerie féroce et la corruption politique de ces années-là jetèrent le discrédit sur les libéraux et les conservateurs. Au cours des décennies qui suivirent les années 1920, les deux partis virent leur électorat diminuer grandement quand les Manitobains élurent les gouvernements non partisans du progressiste John Bracken*. Même si on ne suggéra jamais que Roblin avait profité personnellement de la corruption entourant le projet, il fut officiellement accusé, tout comme les ministres Coldwell, Montague et Howden, de conspiration pour fraude et de tentative de destruction de documents gouvernementaux. Le procès eut lieu en juillet et août 1916, mais le jury fut incapable de s’entendre sur un verdict et on ordonna un nouveau procès. Un an plus tard, les accusations furent finalement abandonnées en raison du mauvais état de santé de Roblin, Coldwell et Howden (Montague était décédé entre-temps).

Roblin retourna au commerce céréalier après avoir quitté la politique et assura la présidence de la Dominion Elevator pendant un certain temps. Même si le scandale avait presque annihilé son parti, le réduisant à une poignée de membres (le gouvernement conservateur suivant ne serait formé qu’en 1958, sous la direction de son petit-fils Dufferin Roblin*), lui-même était toujours traité avec respect. Quand sa femme, Adelaide Louise, mourut en janvier 1928, l’Assemblée interrompit ses travaux pour une journée et les membres de tous les partis assistèrent aux funérailles. Roblin exploita avec ses fils une concession automobile, la Consolidated Motors Limited, jusqu’à sa mort en 1937. Il fut emporté par une crise cardiaque le lendemain de son quatre-vingt-quatrième anniversaire, pendant qu’il était en vacances à Hot Springs. Il fut inhumé à Winnipeg.

Sir Rodmond Palen Roblin fut un premier ministre énergique et progressiste durant une période de croissance spectaculaire au Manitoba. Il estimait que le gouvernement devait jouer un rôle de premier plan dans l’économie et mit en place des lois et des infrastructures pour soutenir l’expansion de la jeune province. Sur le plan social, il était conservateur et n’appuyait pas les innovations dans la gestion du gouvernement ou dans des domaines tel le suffrage féminin. Sa fin de carrière fâcheuse éclipsa ses nombreuses réalisations et les aspects positifs de sa carrière ont en grande partie été oubliés.

Jim Blanchard

Du vivant de sir Rodmond Palen Roblin, les papiers des ministres et des premiers ministres étaient considérés comme des documents personnels privés ; aussi, les AM en possèdent-elles peu pour cette époque. De plus, selon une rumeur, Roblin aurait détruit la majeure partie de sa correspondance et d’autres documents pendant la période où il était poursuivi en justice. Les Colin H. Campbell papers (MG 14, B21), conservés aux AM, constituent les documents d’archives les plus utiles.

AO, RG 80-5-0-52, no 7988.— Manitoba, Culture, Patrimoine et Tourisme, Dir. des ressources hist. (Winnipeg), Michael Payne, « Rodmond P. Roblin » (recherche inédite, 1980) ; Ministère du Tourisme, de la Culture, du Patrimoine, du Sport et de la Protection du consommateur, Bureau de l’état civil (Winnipeg), no 1928-004184.— W. M. Baker, « A case study of anti-Americanism in English-speaking Canada : the election campaign of 1911 », CHR, 51 (1970) : 426–449.— James Blanchard, « Rodmond P. Roblin, 1900–1915 », dans Manitoba premiers of the 19th and 20th centuries, Barry Ferguson et Robert Wardhaugh, édit. (Regina, 2010), 117–138.— D. G. Burley, « Frontier of opportunity : the social organization of self-employment in Winnipeg, Manitoba, 1881–1901 », Hist. sociale (Ottawa), 31 (1998) : 35–69.— Canadian annual rev., 1900–1937.— J. M. S. Careless, « The development of the Winnipeg business community, 1870–1890 », SRC, Mémoires, 4e sér., 8 (1970) : 239–254.— W. L. Clark, « My dear Campbell », Manitoba Pageant (Winnipeg), 20 (1974–1975), no 2 : 2–11.— G.-L. Comeault, « The politics of the Manitoba school question and its impact on L.-P.-A. Langevin’s relations with Manitoba’s Catholic minority groups, 1895–1915 » (mémoire de m.a., Univ. of Manitoba, Winnipeg, 1977).— CPG, 1886–1915.— R. E. Hawkins, « Lillian Beynon Thomas, woman’s suffrage and the return of dower to Manitoba », Manitoba Law Journal (Winnipeg), 27 (1999–2000) : 45–113.— Richard Henley et John Pampallis, « The campaign for compulsory education in Manitoba », Rev. canadienne de l’éducation (Toronto), 7 (1982), no 1 : 59–83.— A. I. Inglis, « Some political factors in the demise of the Roblin government : 1915 » (mémoire de m.a., Univ. of Manitoba, 1968).— H. V. Nelles, « Public ownership of electrical utilities in Manitoba and Ontario, 1906–30 », CHR, 57 (1976) : 461–484.— Don Nerbas, « Wealth and privilege : an analysis of Winnipeg’s early business elite », Manitoba Hist. (Winnipeg), no 47 (printemps–été 2004) : 42–64.— H. R. Ross, Thirty-five years in the limelight : Sir Rodmond P. Roblin and his times (Winnipeg, 1936).

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Jim Blanchard, « ROBLIN, sir RODMOND PALEN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/roblin_rodmond_palen_16F.html.

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Auteur de l'article:    Jim Blanchard
Titre de l'article:    ROBLIN, sir RODMOND PALEN
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2016
Année de la révision:    2016
Date de consultation:    28 novembre 2024