LAMBERT DUMONT, NICOLAS-EUSTACHE (connu aussi sous le prénom d’Eustache-Nicolas), officier de milice, seigneur, juge de paix, homme politique, fonctionnaire et juge, né le 25 septembre 1767 à Trois-Rivières, Québec, fils d’Eustache-Louis Lambert Dumont et de Marguerite-Angélique Boisseau ; le 8 septembre 1800, il épousa Marie-Narcisse Lemaire Saint-Germain, et ils eurent au moins trois enfants, puis le 8 novembre 1834, à Trois-Rivières, Sophie Ménéclier de Montrochon ; décédé le 25 avril 1835 à Saint-Eustache, Bas-Canada.

Nicolas-Eustache Lambert Dumont était issu d’une grande famille canadienne. Les Lambert Dumont étaient seigneurs des Mille-Îles depuis 1743 environ. Le parrain de Nicolas-Eustache, Nicolas Boisseau*, avait été greffier en chef du Conseil supérieur de la Nouvelle-France. Une de ses tantes, Charlotte-Louise Lambert Dumont, avait épousé Louis-Pierre Poulin* de Courval Cressé, seigneur de Courval, et elle administrait la seigneurie de Nicolet, dont son mari aurait hérité s’il n’était pas ‘mort prématurément. Le père de Nicolas-Eustache était lieutenant-colonel dans la milice.

Lambert Dumont continua la tradition familiale. En 1795, il était major du bataillon de milice de Vaudreuil. En 1796 et 1797, il acquit des Poulin de Courval Cressé la seigneurie de l’Île-à-la-Fourche, située à côté de celle de Nicolet, pour la somme de 9 833#. En 1799, il possédait une ferme, deux lots, une scierie et un moulin à farine dans la seigneurie des Mille-Îles ainsi qu’une maison à Saint-Eustache, principal village de la seigneurie. De toute évidence, cependant, sa situation financière était très mauvaise, puisqu’en 1799 Joseph Périnault* fit saisir par le shérif et mettre aux enchères les biens de la seigneurie des Mille-Îles. De plus, entre 1800 et 1803, la seigneurie de l’Île-à-la-Fourche fut saisie pas moins de quatre fois, toujours à la requête d’un créancier différent, dont l’un était François Vassal* de Montviel. De 1803 à 1827 au moins, Lambert Dumont allait se battre avec acharnement pour qu’on reconnaisse les limites de cette seigneurie, qui étaient contestées par le gouvernement colonial.

Comme il convenait à un homme de son rang, Lambert Dumont participait à la vie publique. Il fut nommé juge de paix en 1800 et, en 1804, il avait déjà atteint le grade de lieutenant-colonel dans la milice de Vaudreuil. Qu’il ait été l’ami de Louis-Charles Foucher, solliciteur général du Bas-Canada, est probablement un indice de ses opinions politiques. En 1804, conjointement avec John Mure, Lambert Dumont fut élu député de la circonscription d’ York à la chambre d’Assemblée du Bas-Canada. Entre 1805 et 1808, il appuya 11 fois le parti des bureaucrates, minoritaire, qui soutenait le gouvernement britannique de la colonie. Même s’il se rangea du côté du parti canadien à huit reprises, il est douteux qu’il ait partagé les sentiments nationalistes de ses membres. Par exemple, en leur accordant son appui lorsqu’ils proposèrent de financer la construction des prisons à l’aide d’une taxe sur le commerce (où les Britanniques dominaient) plutôt que d’un impôt sur les terres (dont les Canadiens, surtout, étaient propriétaires), Lambert Dumont voulut probablement protéger ses intérêts de seigneur. Aux élections de 1808, il fut battu dans York par le candidat du parti canadien, Jean-Joseph Trestler*, qui fut élu avec Mure, du parti des bureaucrates.

En 1807, par suite de la mort de son père, Lambert Dumont avait hérité de la seigneurie des Mille-Îles avec sa sœur Marie-Angélique, femme d’Antoine Lefebvre de Bellefeuille. À l’époque, la seigneurie, connue aussi sous les noms de Rivière-du-Chêne, Dumont et Saint-Eustache, ne représentait que la moitié de la concession originale, car la seigneurie voisine, celle de Blainville, propriété d’Hubert-Joseph Lacroix, en avait été détachée entre 1700 et 1750. Cependant, l’héritage incluait aussi, au nord, un lot annexe qui avait été concédé en 1750 et qui n’était guère défriché en 1807. Le sol de la seigneurie des Mille-Îles était propice à la culture des céréales, ce qui constituait un atout précieux pour un seigneur car le blé était l’une des principales denrées commerciales au début du xixe siècle. Dès 1807, de sa résidence de Saint-Eustache, Lambert Dumont, qui depuis quelque temps aidait son père à gérer les Mille-Îles, consacra beaucoup d’énergie à cette seigneurie qui était déjà en pleine expansion. À l’instar de son père, il espérait coloniser le lot annexe et, en 1810, il établit sur un emplacement prometteur, au bord de la rivière du Nord, un pied-à-terre où il put attirer quelques colons, dont Casimir-Amable Testard* de Montigny. Toutefois, malgré l’énergie que déploya Lambert Dumont, l’établissement, dont il prévoyait faire un jour un centre industriel, ne croissait que lentement. Plus tard, en se développant un peu plus vers le nord, il devint le noyau de Saint-Jérôme.

Afin de favoriser la croissance de sa seigneurie, Lambert Dumont s’occupa aussi d’éducation. En 1810, il fut le premier à signer une pétition pour qu’une école soit établie à Saint-Eustache sous l’égide de l’Institution royale pour l’avancement des sciences [V. Joseph Langley Mills] ; le 3 septembre, il devint également l’un des trois commissaires d’école. Qu’il ait apporté son soutien à une école publique n’eut pas l’heur de plaire à Mgr Joseph-Octave Plessis, farouche adversaire de l’Institution royale ; finalement, les membres du clergé usèrent de leur influence pour faire avorter le projet. En 1815, l’arpenteur général Joseph Bouchette* pouvait brosser de la seigneurie des Mille-Îles un tableau attrayant : « La plus grande partie de cette propriété est concédée, et la plupart des lots sont occupés par des colons industrieux. À l’embouchure de la rivière du Chêne se trouve l’agréable village de Saint-Eustache ; il est bien construit et regroupe de 80 à 90 maisons, une belle église et un presbytère. » La rivière du Chêne et plusieurs cours d’eau plus petits alimentaient des scieries et des moulins à farine.

Pour mieux exploiter le potentiel commercial de sa seigneurie, Lambert Dumont s’employa à élargir le marché de ses produits en facilitant le transport jusqu’au port et à la ville de Montréal. Apparemment ingénieur et arpenteur, il essaya à trois reprises, entre 1809 et 1812, de faire voter par la chambre d’Assemblée une loi l’autorisant à construire un pont à péage sur la rivière Jésus (rivière des Mille Îles), entre la paroisse de Sainte-Thérèse-de-Blainville (Sainte-Thérèse) et l’île Jésus. Ses efforts en ce sens furent vains, tout comme ceux qu’il déploya pour faire adopter une loi autorisant la construction de barrages à la hauteur des rapides où le lac des Deux Montagnes se déversait dans la rivière Jésus, entre la seigneurie des Mille-Îles et l’île Jésus. En 1815, il s’adressa de nouveau à l’Assemblée, cette fois par l’entremise d’un député du parti canadien, Joseph Levasseur-Borgia*, pour obtenir une loi qui lui donnerait le droit exclusif de construire des ponts en fer forgé dans la colonie. Devant un comité nommé pour étudier le projet de loi de Levasseur-Borgia, Lambert Dumont expliqua que ses ponts se distingueraient de tous les ponts en fer déjà existants par leurs arches en fer forgé et il proposa de construire un prototype sur la rivière Saint-Maurice. Le comité approuva le projet de loi, mais celui-ci fut rejeté plus tard par un comité plénier de la chambre.

En dépit de toute cette activité, Lambert Dumont connut de nouvelles difficultés financières entre 1817 et 1824. À deux reprises, en 1817 et 1822, des créanciers firent de nouveau saisir la seigneurie de l’Île-à-la-Fourche pour la vendre aux enchères publiques. Toujours en 1822, des lots et bâtiments situés à Saint-Eustache et dans les paroisses Saint-Martin et Saint-Laurent furent saisis à la requête de trois marchands. En 1823, la seigneurie des Mille-Îles elle-même fut saisie, tout comme ses deux scieries et ses trois moulins à farine en pierre, le lot annexe avec sa scierie et son moulin à farine en bois, et une île de la rivière Jésus.

Lambert Dumont n’en demeurait pas moins un personnage de marque dans la région. Nommé lieutenant-colonel du bataillon de milice de Rivière-du-Chêne en 1807, il conserva ce grade jusqu’en 1820 au moins. En 1812, il reçut une commission de dedimus potestatem. Cinq ans plus tard, avec Joseph Papineau* et Philemon Wright*, il devint commissaire chargé de l’amélioration des communications dans le comté d’ York, ce qui leur donna à tous les trois le moyen de desservir l’intérêt public tout en veillant à leurs intérêts personnels. Les commissaires annoncèrent leur intention d’améliorer la navigation au Long-Sault, sur la rivière des Outaouais, perspective particulièrement intéressante pour Papineau et Wright, ainsi que les communications entre la terre ferme et l’île Jésus, idée qui venait sûrement de Lambert Dumont. En 1820, 1821 et 1823, espérant sans doute bénéficier de l’appui de la commission, Lambert Dumont demanda à l’Assemblée de lui octroyer pendant 50 ans le privilège exclusif de construire un pont à péage entre Saint-Eustache et l’île Jésus. Aucune de ces requêtes ne fut acceptée. En 1828, toutefois, deux ponts qu’il avait peut-être construits traversaient la rivière du Chêne et, en 1830, il obtint que soit votée une loi l’autorisant à construire un pont à péage sur la rivière des Prairies, entre la paroisse Saint-Martin et celle de Saint-Laurent. En 1837, trois ponts reliaient déjà Saint-Eustache à l’île Jésus, et il se peut que Lambert Dumont en ait été le constructeur. Le 28 juin 1821, il avait reçu sa dernière nomination, celle de juge des petites causes du comté d’York.

À partir de 1807, les tensions politiques s’accrurent. Les hommes publics importants pouvaient difficilement éviter de prendre position, et Lambert Dumont, par tempérament, n’était même pas tenté de le faire. Après avoir été réélu dans York en 1814, il livra une dure bataille dans la même circonscription à Jean-Baptiste Féré, du parti canadien, lors des élections générales de 1816 ; les deux hommes furent élus. Pendant les 11 années qui suivirent, Lambert Dumont appuya sans conteste le gouvernement colonial dans ses luttes contre le parti canadien qui, sous la direction de plus en plus radicale de Louis-Joseph Papineau*, fut connu sous le nom de parti patriote à compter de 1826. Le 4 juin 1827, à Saint-Eustache, une assemblée politique adopta 17 résolutions critiquant le gouvernement de lord Dalhousie [Ramsay*] ; Lambert Dumont dénonça plusieurs participants importants au gouverneur, qui ordonna leur radiation de la milice. Parmi eux se trouvaient Féré, William Henry Scott* et Jacques Labris. Lambert Dumont, qui commandait alors la milice d’York, ajouta l’insulte à l’injure en traitant cavalièrement plusieurs officiers qui avaient été renvoyés de son bataillon et participa avec fougue à la guerre que l’affaire provoqua dans les journaux. C’est dans cette atmosphère survoltée qu’eurent lieu les élections dans York à l’été 1827. L’autre député sortant, John Simpson*, se retira de la campagne pour apaiser les esprits. Finalement, Lambert Dumont fut défait par Labrie et par Jean-Baptiste Lefebvre, candidats du parti patriote.

Lambert Dumont conserva néanmoins son influence dans la région. En 1825, il donna une terre pour qu’on y construise une école conformément à la loi sur les écoles de fabrique [V. Joseph Langley Mills] ; quatre ans plus tard, comme rien n’avait été fait, il fut chargé d’élire les syndics qui veilleraient à ouvrir un établissement scolaire à Saint-Eustache, en vertu cette fois de la loi sur les écoles de syndics. En 1835, il céda huit arpents de terre à la paroisse Saint-Jérôme, nouvellement établie, pour la construction d’une église. Toujours combatif, il se querella avec les sulpiciens, qu’il accusait d’empiéter sur la partie nord-ouest de son lot annexe des Mille-Îles, et continua de lutter contre les partisans de Papineau à Saint-Eustache et dans les environs. Afin de s’opposer à leurs assemblées de plus en plus nombreuses et radicales, il tint une réunion d’appui au gouvernement à Saint-Eustache en 1834, mais ses adversaires réussirent à en prendre la direction. Lambert Dumont, toutefois, n’assista pas à la déconfiture que ses ennemis connurent au cours des événements de 1837 dans la région [V. Jean-Olivier Chénier*] ; il mourut en 1835 et fut inhumé dans l’église paroissiale de Saint-Eustache.

Tant par ses idées que par le rôle qu’il joua sur le plan local et même colonial, Nicolas-Eustache Lambert Dumont était représentatif de la classe des seigneurs au début du xixe siècle. Il croyait que ses solides antécédents familiaux et sa condition de seigneur lui conféraient naturellement sur ses colons canadiens, dans les domaines économique, social et politique, un pouvoir qui n’était même pas inférieur à celui de l’Église catholique. Lié par ses ambitions aux autorités britanniques de la colonie, qui distribuaient les postes de responsabilité dans chaque région, et sans cesse en proie à des difficultés financières, il n’éprouvait que de l’hostilité envers cette nouvelle bourgeoisie canadienne de médecins, d’avocats, de notaires et de marchands locaux qui, en prônant le nationalisme et d’alarmants principes démocratiques, minait sans relâche la position des seigneurs. Par conséquent, dans la lutte que se livraient le gouvernement colonial et le parti canadien, Lambert Dumont usa avec véhémence de toute son influence pour combattre ceux qu’il considérait comme une menace. Mais ce fut en vain car, à Saint-Eustache, il fallait désormais compter avec la bourgeoisie.

En collaboration avec W. Stanford Reid

ANQ-Q, E-39.— APC, RG 1, L3L : 3193–3195, 38750–38753, 38765–38774, 71222–71244 ; RG 4, A1, 182 ; RG 68, General index, 1651–1841 : 196, 254, 281, 327, 330, 332, 334, 349, 357, 361, 374, 633.— Arch. privées, A.-M. Loignon-Quesnel (Rigaud, Québec), Fonds Yves Quesnel.— B.-C., chambre d’Assemblée, Journaux, 29 janv.–26 févr. 1810.— La Gazette de Québec, 29 août 1799, 10 avril, 15 mai 1800, 8 juill. 1802, 26 mai 1803, 27 déc. 1804, 2 juin 1808, 20, 24 avril 1809, 22 févr., 12 juill. 1810, 5, 28 mars, 28 nov. 1811, 12, 19, 26 mars, 14 mai 1812, 2 mars 1815, 11, 18 avril 1816, 24 avril, 29 mai, 24 juill., 28 août 1817, 23 mars 1818, 3 juin 1819, 6, 20 avril, 10, 17, 27 juill., 21 août, 11 déc. 1820, 5, 26 juill., 25 oct., 1er nov. 1821, 1er, 22 août, 19 déc. 1822, 25 sept., 18 déc. 1823, 8 janv., 1er avril 1824.— F.-J. Audet, « les Législateurs du B.-C. ».— Bouchette, Topographical description of L.C., 106–107.— Desjardins, Guide parl.— Officers of British forces in Canada (Irving), 176.— É.-J.[-A.] Auclair, Saint-Jérôme de Terrebonne (Saint-Jérôme, Québec, 1934), 43–44.— Germain Cornez, Une ville naquit : Saint-Jérôme (1821–1880) (Saint-Jérôme, 1973), 10–13, 19, 35.— Émile Dubois, le Feu de la Rivière-du-Chêne ; étude historique sur le mouvement insurrectionnel de 1837 au nord de Montréal (Saint-Jérôme, 1937), 50–55.— Hare, « l’Assemblée législative du B.-C. », RHAF, 27 : 379.— A. C. de L. Macdonald, « Notes sur la famille Lambert du Mont », Rev. canadienne (Montréal), 19 (1883) : 633–640, 739–747.

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En collaboration avec W. Stanford Reid, « LAMBERT DUMONT, NICOLAS-EUSTACHE (Eustache-Nicolas) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/lambert_dumont_nicolas_eustache_6F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1987
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