Titre original :  Trestler

Provenance : Lien

TRESTLER (Tröstler), JEAN-JOSEPH, soldat, homme d’affaires, propriétaire foncier et homme politique, né vers 1757 à Mannheim (République fédérale d’Allemagne), fils de Henry Tröstler et de Magdeleine Feitten ; décédé le 7 décembre 1813 à Vaudreuil, Bas-Canada.

Jean-Joseph Trestler arriva à Québec en 1776 avec les chasseurs de Hesse-Hanau, corps de troupe mercenaire d’origine allemande. Peut-être exerçait-il aussi les fonctions de chirurgien militaire comme le porte à croire son intérêt soutenu pour la médecine. Ainsi, en 1804, en échange du « Secret de guérir le Chancre », il céda à Antoine Hamel, chirurgien du village de Rigaud, une terre avec bâtiments. Au cours de sa vie, il constitua une imposante bibliothèque médicale d’environ 130 volumes, la plupart en langue allemande. Un de ses fils, Jean-Baptiste, devint chirurgien et professeur à l’école de médecine et de chirurgie de Montréal.

Licencié de l’armée au plus tard en 1783, Trestler exerça le métier de marchand ambulant à Montréal où il épousa, en novembre 1785, Marguerite Noël, âgée de 16 ans. Le 8 août de l’année suivante, Trestler fit l’acquisition dans la seigneurie de Vaudreuil d’une maison de 30 pieds carrés avec un poulailler, une porcherie et un four à pain, le tout au prix de 1 300# dont 400# comptant, dans laquelle il ouvrit un magasin général. En 1791, il se lança dans la fabrication de la potasse et construisit une usine avec hangars à cendres, à fourneau et à potasse. Sa femme étant décédée en octobre 1793, le laissant avec quatre petites filles, il se remaria en février 1794 avec Marie-Anne-Joseph Curtius, âgée de 23 ans, fille d’un ancien marchand d’origine allemande de la vallée du Richelieu devenu instituteur à Vaudreuil. À cette époque, Trestler possédait des biens meubles évalués à 42 210# auxquels s’ajoutaient deux maisons, plusieurs bâtiments, 120 arpents de terre et un terrain ; ses dettes se chiffraient à 19 935#.

L’installation stratégique de Trestler sur les bords de la rivière des Outaouais lui permit peut-être de participer au commerce lucratif des fourrures. Cependant, à une époque où la concurrence et les coûts élevés d’exploitation provoquaient le regroupement des commerçants de fourrures, il n’entra en société avec aucun marchand ou aucune compagnie de fourrures. À partir de 1803, il partagea avec le marchand Jacques-Hubert Lacroix l’administration d’un magasin général aux Cèdres. Il s’occupa aussi, semble-t-il, de cabotage avec les quatre bateaux, les deux bacs et le chaland qu’il possédait.

Les bénéfices que Trestler retira du commerce et de l’industrie lui permirent d’effectuer des prêts d’argent, mais surtout d’investir dans le secteur immobilier. Il fit l’acquisition d’un nombre impressionnant de terres, de bâtiments et de propriétés situés non seulement à Vaudreuil, mais aussi dans les régions environnantes des Cèdres et de Rigaud, de même que dans les villes de Montréal et de Québec. Il possédait même des îles dans la rivière des Outaouais et dans la seigneurie de Villechauve, communément appelée Beauharnois. De plus, il se dota d’un véritable domaine. Après avoir acheté un certain nombre de terrains et de bâtiments adjacents à sa propriété de Vaudreuil, il fit construire, sur un emplacement situé maintenant à Dorion, une maison de pierre aux dimensions d’un manoir avec ses 139 pieds de façade et ses 40 pieds de profondeur. La partie centrale fut érigée en 1798, la section ouest, qui abritait le magasin général et l’entrepôt de fourrures, fut bâtie en 1805 et la section est en 1806. En outre, son domaine comprenait une usine à potasse, une grange, des étables, des écuries et des hangars. Son commerce devint l’un des endroits les plus fréquentés à l’ouest de l’île de Montréal.

Devenu un homme d’affaires prospère, Trestler ne résista pas à l’attrait d’une carrière politique. Il représenta la circonscription d’York à la chambre d’Assemblée lors de la cinquième législature du Bas-Canada, du 18 juin 1808 au 2 octobre de l’année suivante. Au cours de l’unique session tenue au printemps de 1809, il s’intéressa aux lois sur le commerce, particulièrement avec les États-Unis, à une époque où les effets de l’embargo décrété par le Congrès américain en décembre 1807 favorisaient les marchands de la colonie. Il fut également membre d’un comité chargé d’étudier les conséquences de l’aménagement dans le port de Montréal d’un nouveau marché qui menaçait l’existence de l’ancien.

Cette session donna lieu à des affrontements virulents entre parlementaires canadiens et britanniques. Pendant que John Mure*, aussi député d’York, et Ignace-Michel-Louis-Antoine d’Irumberry* de Salaberry, député de la circonscription voisine de Huntingdon, se rangeaient du côté du parti des bureaucrates, Trestler appuya d’une façon inconditionnelle et constante les Canadiens dirigés par Pierre-Stanislas Bédard*, notamment lors du choix de Jean-Antoine Panet comme président et lors des projets d’expulsion du juge Pierre-Amable De Bonne et d’Ezekiel Hart*. La dernière présence de Trestler à l’Assemblée date du 26 avril 1809. Le marchand de Vaudreuil ne devait pas faire partie du nouveau Parlement convoqué par le gouverneur Craig l’année suivante, peut-être à cause du caractère tendu des débats ou par crainte de négliger ses affaires pour une carrière certes captivante, mais peu rémunératrice.

Si Trestler ne connut que le succès en affaires, il en alla autrement dans sa vie familiale ponctuée d’épisodes malheureux et contrariants. Ainsi, au cours de l’année suivant le décès de sa première femme, il perdit deux filles en bas âge, Marie-Marguerite et Marie-Josephte. En 1806, Michel-Joseph, l’aîné des quatre fils issus de son second mariage, se noya à l’âge de neuf ans, près de la demeure familiale. En 1809 et 1810, Trestler s’opposa aux mariages de ses filles Catherine et Marie-Madeleine avec deux de ses commis, Joseph Éléazar Hays et Patrice Adhémar. Il réduisit leur part d’héritage à 5 shillings chacune. Poursuivi en justice par Catherine qui réclamait sa part de la communauté de biens à la mort de sa mère, il dut lui verser en 1812 la somme de 4 000# pour le rachat des droits de succession sur les biens immobiliers. En septembre de l’année suivante, Trestler perdit son troisième fils, Henry-Daniel, âgé de 8 ans. Trois mois plus tard, il mourut à l’âge de 56 ans d’une maladie brève « mais très violente » ; il fut inhumé le 9 décembre dans la crypte de l’église Saint-Michel à Vaudreuil. Sa seconde femme lui survécut durant 38 ans et son deuxième fils, Jean-Baptiste, fut le seul à assurer une descendance, parmi laquelle Iphigénie, la cadette, épousa Antoine-Aimé Dorion*.

Jean-Joseph Trestler qui, à son arrivée au Canada, n’avait rien d’un Crésus, parvint néanmoins à édifier rapidement, par le commerce et l’industrie, une fortune considérable sans appartenir à la ploutocratie britannique de la colonie. Au moment de son décès, ses biens valaient environ 90 000# sans compter ses nombreuses propriétés immobilières. Ses dettes évaluées à 22 717# se répartissaient entre 15 créanciers parmi lesquels figurait James Dunlop, tandis que quelque 400 débiteurs, presque tous de la région et dont plus des trois quarts devaient des montants inférieurs à 300#, se partageaient les 108 390# dues à Trestler. Ses clients et la plupart des parties avec lesquelles il fit affaire étaient cependant canadiens. Sur la scène politique, il fit cause commune avec les premiers chefs nationalistes du Canada français. Intégré entièrement à la communauté francophone et catholique du Bas-Canada, il avait mérité l’estime des habitants de Vaudreuil et des régions environnantes, qui assistèrent en grand nombre à ses funérailles.

Pierre Angrignon

On trouve copies de plusieurs documents ayant servi à la rédaction de cette biographie à la maison Trestler, à Dorion, Québec. Après la mort de Jean-Baptiste Trestler en 1871, cette maison fut d’abord utilisée par son gendre, Antoine-Aimé Dorion, comme résidence estivale. Restée patrimoine familial jusqu’en 1927, la spacieuse habitation fut classée monument d’architecture d’importance nationale par le gouvernement du Canada en 1969 et monument historique par le gouvernement du Québec en 1976. Cette année-là, Judith et Louis Dubuc s’en portaient acquéreurs pour la restaurer et l’habiter tout en lui attribuant une vocation culturelle. Ouverte pour des visites commentées, elle sert actuellement de lieu de rencontres multiculturelles et interdisciplinaires. La fondation Trestler en assure la conservation et l’animation et possède des listes et des photocopies des actes d’état civil et des contrats notariés relatifs à la famille Trestler.  [p. a.]

AC, Terrebonne (Saint-Jérôme), Minutiers, Augustin Dumouchelle, 27 oct. 1812.— ANQ-M, CE1-50, 26 mai 1787, 4 juill. 1788, 27 sept. 1789, 21 mai 1792, 25 oct. 1793, 26 févr., 5 mars 1794, 25 mars 1797, 28 juill. 1798, 7 avril 1805, 8 août 1806, 19 mars 1809, 1er oct. 1810, 28 févr. 1811, 9 sept., 9 déc. 1813, 15 avril 1851 ; CE1-51, 21 nov. 1785, 24 févr. 1794 ; CN1-74, 18 mars, 14 sept. 1809 ; CN1-117, 2 juill. 1804, 29 janv. 1810 ; CN1-313, 10 oct. 1810, 3 janv. 1814.— Arch. privées, Fondation Trestler (Dorion), Louis Dubuc, « La maison Trestler, 1798 » (s.l., [1979]) ; « Liste de tous ceux qui ont été congédiés du Corps des Chasseurs de Hesse-Hanau depuis l’année 1777 jusqu’à présent » (s.l.n.d.).— B.-C., chambre d’Assemblée, Journaux, 10 avril–15 mai 1809.— « Michel-Eustache-Gaspard-Alain Chartier de Lotbinière (1748–1822) », J.-J. Lefebvre, édit., ANQ Rapport, 1951–1953 : 385, 389.— La Gazette de Québec, 6 mars 1800, 20 avril 1809, 28 mars, 12 sept. 1811, 3 juin 1813, 14, 21 nov. 1816.— La Gazette de Montréal, 14 déc. 1813, 21 juill. 1814.— Desjardins, Guide parl., 144.— Marc Fréchette et al., « Rapport et relevé de la maison Trestler » (3 vol., travail présenté à l’école d’architecture, univ. de Montréal, 1978) (copie au MAC-CD).— [P.-G. Roy], Vieux manoirs, vieilles maisons (3 sér., Québec, 1927), 1 : 155.— F.-J. Audet, « Les députés de la vallée de l’Ottawa », SHC Report, 1935 : 12.— Gilles Paquet et J.-P. Wallot, « Les inventaires après décès à Montréal au tournant du xixe siècle : préliminaires à une analyse », RHAF, 30 (1976–1977) : 213, 217.— R.-L. Séguin, « L’apport germanique dans le peuplement de Vaudreuil et Soulanges », BRH, 63 (1957) : 43, 56–58 ; « L’ « apprentissage » de la chirurgie en Nouvelle-France », RHAF, 20 (1966–1967) : 598s. ; « Des familles de Vaudreuil-Soulanges sont d’ascendance germanique », La Patrie, 31 mai 1959 : 44.

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Pierre Angrignon, « TRESTLER (Tröstler), JEAN-JOSEPH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/trestler_jean_joseph_5F.html.

Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique:

Permalien: http://www.biographi.ca/fr/bio/trestler_jean_joseph_5F.html
Auteur de l'article:    Pierre Angrignon
Titre de l'article:    TRESTLER (Tröstler), JEAN-JOSEPH
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1983
Année de la révision:    1983
Date de consultation:    1 décembre 2024