CARY, LUCIUS BENTINCK, 10e vicomte FALKLAND, administrateur colonial, né le 5 novembre 1803, fils aîné de Charles John Cary, 9e vicomte Falkland, capitaine dans la marine royale, et de Christiana Anton ; le 27 décembre 1830, il épousa Amelia FitzClarence, fille naturelle de Guillaume IV, et ils eurent un fils, puis, le 10 novembre 1859, Elizabeth Catherine Gubbins, veuve du 9e duc de St Albans ; décédé le 12 mars 1884 à Montpellier, France.
On sait peu de chose sur l’enfance de Lucius Bentinck Cary, héritier du titre de vicomte Falkland en 1809, à la suite de la mort de son père dans un duel. C’est vraisemblablement grâce aux relations de ce dernier avec le duc de Clarence – ils servirent tous deux dans la marine – que Falkland devint assez intime avec la maison du roi pour être nommé gentilhomme de la chambre du roi et épouser la fille naturelle du duc après l’accession de ce dernier au trône en 1830 sous le nom de Guillaume IV. Cette année-là, Falkland inaugura sa carrière politique en publiant une brochure préconisant la réforme parlementaire ; l’année suivante, il siégea à la chambre des Lords en qualité de représentant de l’Écosse et fut créé chevalier grand-croix de l’ordre hanovrien des Guelfes. À son titre écossais, il ajouta en 1832 celui de baron Hunsdon, de Scutterskelfe, Yorkshire, à la pairie du Royaume-Uni. En 1837, il était whip en chef du gouvernement à la chambre des Lords et fut nommé membre du Conseil privé la même année. Lors de l’accession au trône de la reine Victoria en 1837, il devint gentilhomme servant, puis gentilhomme de la chambre de la reine après 1838.
D’une manière assez inattendue, Falkland fut nommé lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse en août 1840, à un moment critique de l’histoire de la province. Une lutte politique acharnée et prolongée avait abouti au rappel du lieutenant-gouverneur sir Colin Campbell*, à la demande de l’Assemblée. Aristocrate titré, courtisan averti, spécialiste des manœuvres politiques, Falkland reçut la mission de calmer les esprits agités en introduisant le système de gouvernement que lord Sydenham [Thomson*] avait mis au point dans les deux Canadas. À la suite des rébellions et du rapport de Durham [Lambton*], les ministres britanniques n’étaient pas disposés à mettre en danger les intérêts de l’Empire en admettant le principe controversé du gouvernement responsable, réclamé par les réformistes de l’Amérique du Nord britannique. Néanmoins, à titre de mesure visant à permettre une forme de gouvernement plus harmonieuse et plus acceptable en Nouvelle-Écosse, on donna instructions à Falkland de reconstituer le Conseil exécutif, jusqu’alors une véritable oligarchie tory, de façon à y inclure des représentants à la fois compétents et influents des deux chambres sans tenir compte de leur appartenance politique. Travaillant en collaboration étroite avec un tel organisme, le gouverneur participerait alors activement à l’élaboration des politiques et à la mise en œuvre d’un vigoureux programme législatif portant sur les réformes indispensables, tout comme s’il était le premier ministre d’un gouvernement de coalition.
Au début, un concours de circonstances permit à Sydenham au Canada et à Falkland en Nouvelle-Écosse de suivre cette difficile ligne de conduite. À la suite de l’appel lancé au civisme des hommes politiques de la province, Falkland réussit en octobre 1840 à former un exécutif composé de conservateurs et de réformistes. Bien que rejetés par les ultra-conservateurs de la vieille clique de fonctionnaires et de marchands, dont l’aristocratique lieutenant-gouverneur exécrait les prétentions de parvenus, quelques conservateurs modérés comme James William Johnston* se déclarèrent prêts, jugeant que c’était leur devoir, à offrir leurs services à la couronne. Joseph Howe* ainsi que plusieurs autres réformistes, encore enivrés par le triomphe remporté sur Campbell et rassurés par le passé libéral de Falkland, acceptèrent aussi de faire partie de la coalition, parce qu’ils l’envisageaient comme une mesure positive pouvant conduire à un gouvernement responsable.
Au commencement, cet arrangement plutôt anormal réussit, et Falkland établit des relations de travail assez intimes avec Howe, basées sur l’amitié et une similitude apparente de vues. Ils se consultèrent sur la politique à suivre, le favoritisme et le protocole, et manœuvrèrent de façon à permettre à Howe de succéder à Hibbert Newton Binney comme percepteur de l’accise à Halifax. Ce compromis politique plutôt délicat, qui donnait aux hommes politiques élus une influence accrue mais non un véritable pouvoir, ne pouvait toutefois survivre longtemps au réveil des rivalités personnelles et des questions controversées. Au cours de la session mouvementée de 1843, la question des subsides provinciaux aux collèges confessionnels fournit l’occasion à l’anticonfessionnel Howe et au baptiste Johnston de se livrer une lutte acharnée. Falkland porta la crise à son paroxysme quand il nomma aux conseils législatif et exécutif, et cela d’une façon assez irréfléchie, le marchand et banquier Mather Byles Almon*, beau-frère de Johnston et conservateur de grande influence. Furieux, Howe et ses amis démissionnèrent en clamant qu’il n’y avait plus qu’un seul parti qui gouvernait. À partir de ce moment, les liens d’amitié entre Falkland et Howe furent irrémédiablement rompus, et ces deux hommes, excessifs et rancuniers, s’engagèrent dans une guerre impitoyable et loin d’être édifiante. Howe attaqua Falkland dans les journaux d’une manière mordante et, en 1846, dans une violente sortie à l’Assemblée, il déclara qu’on « engagerait un vaurien pour donner le fouet au lieutenant-gouverneur ». Extrêmement sensible à la critique et irrité par les provocations, Falkland se fit encore plus farouchement le champion du principe de la coalition. Après les élections de 1843, son échec à persuader les réformistes de faire de nouveau partie de l’exécutif signifiait qu’en pratique Falkland devait tomber dans les griffes des conservateurs, hâtant ainsi l’avènement du gouvernement de parti qu’il désapprouvait si fortement.
Les réformistes de la Nouvelle-Écosse prétendirent que, si le gouverneur délaissait les libéraux pour passer aux tories, c’était en vue de s’insinuer dans les bonnes grâces du ministère de sir Robert Peel en Angleterre et d’obtenir de l’avancement ailleurs. Néanmoins, l’aversion de Falkland pour l’idée d’un gouvernement confié à un cabinet formé par le parti de la majorité à l’Assemblée ne venait pas tant de ses calculs personnels ni de ses convictions politiques que de sa répugnance instinctive à la perspective d’être ignominieusement réduit à un simple zéro ou, comme Howe l’avait dit, au rôle de « roi de tournoi, dont la seule tâche consistait à rester neutre pendant la joute et à distribuer ensuite les prix aux vainqueurs ». Cette perspective dégradante piquait son amour-propre encore plus que ses principes. Il ne cessait d’envoyer des dépêches extravagantes et fort alarmistes en Angleterre pour mettre les intéressés en garde contre la ruine qui menaçait la prérogative royale et les liens qui existaient entre la Grande-Bretagne et la Nouvelle-Écosse ; mais, prudents, ses supérieurs refusèrent d’intervenir ou de proscrire explicitement le gouvernement de parti. Après trois ans de luttes infructueuses, Falkland demanda son rappel et partit pour l’Angleterre en août 1846.
Même s’il fut question de lui pour succéder à lord Elgin [Bruce*] en qualité de gouverneur de la Jamaïque, Falkland passa les deux années suivantes comme capitaine des Yeomen of the Guard – ce qui lui convenait mieux – et peut-être comme whip du gouvernement à la chambre des Lords. En 1848, il fut nommé gouverneur de Bombay, en Inde. Après un temps de service sans incident, en somme assez banal, il retourna en Angleterre en 1853. Il remplit ensuite le poste de magistrat et de lord-lieutenant adjoint dans la circonscription nord du Yorkshire.
De haute taille, l’air distingué, l’allure pleine de majesté, Falkland avait un visage sévère quelque peu dédaigneux qui reflétait sa suffisance aristocratique et son amour-propre ombrageux. Son mandat en Nouvelle-Écosse fut empreint de bonne humeur et de courtoisie tant que tout alla bien, mais, quand les choses commencèrent à se gâter, il fit preuve d’une impulsivité fort malavisée, d’une irritabilité et d’une arrogance nullement de nature à aplanir les difficultés que présentait la transition du gouvernement représentatif au gouvernement responsable. En dépit de ses bonnes relations avec ses pairs, il lui manquait l’adresse, la souplesse et le désintéressement indispensables pour diriger habilement les hommes politiques de la colonie ou encore apaiser avec dextérité leurs rivalités de parti. Même s’il était enclin à envisager la politique provinciale en fonction des personnalités plutôt que des principes politiques, les événements prouvèrent que son libéralisme tant vanté n’était au fond qu’une conviction superficielle masquant un conservatisme instinctif et un tempérament égocentrique.
APC, MG 24, B29.— PANS, RG 1, 116–119.— PRO, CO 217/175–193 ; CO 218/32–34.— [Joseph Howe], Joseph Howe, voice of Nova Scotia, J. M. Beck, édit. (Toronto, 1964) ; The speeches and public letters of Joseph Howe, William Annand, édit. (2 vol., Boston et Halifax, 1858) ; Speeches and letters (Chisholm).— N.-É., House of Assembly, Journal and proc., 1840–1846.— Illustrated London News, 22 mars 1884.— Times (Londres), 14 mars 1884.— W. R. Livingston, Responsible government in Nova Scotia : a study of the constitutional beginnings of the British Commonwealth (Iowa City, 1930).— W. S. MacNutt, Atlantic provinces : the emergence of colonial society, 1712–1857 (Toronto, 1965).— C. [B.] Martin, Empire & commonwealth : studies in governance and self-government in Canada (Oxford, Angl. 1929).— D. A. Sutherland, « J. W. Johnston and the metamorphosis of Nova Scotian conservatism » (thèse de
Peter Burroughs, « CARY, LUCIUS BENTINCK, 10e vicomte FALKLAND », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/cary_lucius_bentinck_11F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1982 |
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