JONES, EPHRAIM, fonctionnaire, juge et homme politique, né le 27 avril 1750 dans un « élégant manoir » à Weston, Massachusetts, neuvième fils d’Elisha Jones et de Mary Allen ; le 24 mars 1779, il épousa Charlotte Coursolles (Coursol), de Verchères (Québec), et ils eurent 12 enfants, dont 8 vécurent au delà de l’enfance, puis le 7 mai 1806, Margaret S. Beke (Beck, Beek) ; décédé le 24 janvier 1812 dans le canton d’Augusta, Haut-Canada.

Ephraim Jones est un personnage qui retient l’attention dans l’histoire des premières années du Haut-Canada tant à cause du rôle influent qu’il joua dans les comtés de Leeds et de Grenville que parce que sa carrière, qui se prolongea dans l’œuvre de ses fils, met en relief un chaînon de ce réseau cimenté par des amitiés et des affinités idéologiques qui, baptisé family compact par ceux qui en étaient les ennemis, domina la vie politique de la province jusqu’à la rébellion de 1837.

Jones et sa famille montrèrent leur loyauté au service de la couronne pendant la Révolution américaine. Son père, riche propriétaire foncier et colonel dans la milice du comté de Middlesex, au Massachusetts, fut l’un des premiers et des plus ardents adversaires de la révolution ; après s’être installé à Boston en 1774, il aurait été consulté plusieurs fois par Thomas Gage*, commandant en chef des forces britanniques en Amérique du Nord, qui « avait une très grande confiance en lui ». Six de ses fils se rangèrent sous l’étendard loyaliste et cinq d’entre eux allèrent s’établir en Amérique du Nord britannique dans les années 1780 : Simeon s’installa au Nouveau-Brunswick, Elisha, Josiah et Stephen en Nouvelle-Écosse, et Ephraim dans la partie ouest de la province de Québec, qui allait bientôt devenir le Haut-Canada.

Comme son père, Jones jouissait de la confiance des autorités britanniques. Il vivait à East Hoosack (Hoosac, Massachusetts) au début de la guerre, et il se joignit aux Britanniques à Point au Fer (Rouses Point, New York) ; il servit un certain temps avec les troupes commandées par le major général Friedrich Adolph Riedesel. Un peu plus tard, sir Guy Carleton le nomma commissaire au fourrage dans l’armée de John Burgoyne*, et c’est à ce titre qu’il accompagna ce dernier et fut fait prisonnier durant la campagne de Saratoga, en 1777. On ignore ce que furent ses activités durant les quelques années qui suivirent, mais, en 1781, il s’enrôla dans les Loyal Rangers, sous le commandement d’Edward Jessup, et servit jusqu’au licenciement du régiment en décembre 1783.

Avec d’autres soldats loyalistes, Jones s’établit sur le territoire vierge qui se trouvait à l’ouest de la rivière des Outaouais. Sans avoir obtenu une concession de terre, semble-t-il, il s’installa vraisemblablement dans la région qui allait bientôt devenir le canton d’Augusta. Il exerça quelque temps la fonction de commissaire auprès des colons loyalistes, ce qui lui valut le surnom de « commissaire Jones ». À la fin de 1784, l’arpenteur général Samuel Johannes Holland, qui avait lié connaissance avec lui et avec « plusieurs de ses frères » et qui faisait l’éloge de son père dont la réputation était celle d’un « grand champion des idées loyalistes », le recommanda comme une personne à laquelle on pouvait accorder en toute confiance un permis de vente de boissons alcooliques. Quelque temps plus tard, Jones vint s’installer dans la région de Montréal, où il fut nommé juge de paix en 1786. Avant que deux années ne se fussent écoulées, toutefois, il était de retour dans les établissements loyalistes situés sur le Saint-Laurent. En 1788, il devint juge de paix du district de Lunenburg et, en 1790, il obtint une concession de 1 300 acres dans le canton d’Augusta pour services rendus à la couronne. Loin de se satisfaire de cette première concession, Jones ne tarda pas à devenir un gros propriétaire foncier : en 1811, il possédait environ 11 260 acres de terre réparties dans 12 cantons. Il devint aussi un personnage important dans les activités commerciales de la région car, en plus de tenir un magasin, il exploitait un moulin, semble-t-il, et possédait une fonderie de fonte sur la rivière Gananoque.

Le nombre de postes que Jones obtint par élection ou nomination indique bien le prestige dont il jouissait sur le plan local. Au cours de la première décennie qui fit suite à la création de la nouvelle colonie du Haut-Canada en 1791, il exerça les fonctions de membre du conseil des terres des comtés de Leeds et de Grenville, et de juge à la Cour des requêtes de New Johnstown (Cornwall) et aux tribunaux des successions et tutelles des districts d’Eastern et de Johnstown. En 1792, il devint le premier député de Grenville à la nouvelle chambre d’Assemblée. Pendant la première session, il présenta un projet de loi, qui fut adopté plus tard, en vue d’instituer les jugements par jury ; et, bien qu’il fût propriétaire de quelques esclaves, il appuya le projet de loi qui, en 1793, prévoyait l’abolition graduelle de l’esclavage dans la colonie.

Grâce à sa réussite en affaires et à sa réputation de loyauté et de compétence administrative, Jones mérita la confiance à la fois du gouvernement et de la population de sa localité, et il put servir d’intermédiaire entre les deux. Ce rôle de médiateur entre colons et administrateurs est mis en lumière dans une lettre datée de 1799, où Stephen Burritt du canton de Marlborough, qui souhaitait obtenir l’assistance du gouvernement, demandait à Jones : « soyez suffisamment convaincu de la réalité de mes souffrances pour [... me] donner un certificat à ce sujet, et je reconnaîtrai cette faveur spéciale avec gratitude ». Effectivement, Burritt ne tarda pas à obtenir une réponse favorable du gouvernement ; on ne sait pas si l’influence de Jones y fut pour quelque chose, mais Burritt devint juge de paix en 1800.

Les enfants de Jones firent également partie de l’élite du Haut-Canada, leur prétention à un rôle éminent étant renforcée par les réalisations de leur père et les amis qu’il avait. Il envoya ses fils à l’école qui était dirigée à Cornwall par John Strachan*, lequel entretenait des relations amicales avec la famille, semble-t-il, bien avant que son propre succès politique ne fût assuré. Dans les années 1820, les fils de Jones obtinrent des emplois rémunérateurs grâce à leurs liens avec Strachan et avec ses associés, parmi lesquels se trouvait John Beverley Robinson*, qui avait accédé au pouvoir au cours de la guerre de 1812.

Une lettre de Strachan en 1806 montre qu’Ephraim Jones était déjà affligé d’une santé fragile. Sa mort, en janvier 1812, freina pour un temps les ambitions de ses enfants. Toutefois, ils allaient édifier de solides constructions sur les fondations qu’il avait établies. Parmi ses filles, Charlotte épousa Levius Peters Sherwood*, éminent homme politique et juge, et Eliza se maria avec Henry John Boulton*, dont la carrière juridique dans le Haut-Canada fut couronnée par sa nomination, en 1833, au poste de juge en chef de Terre-Neuve. Les fils de Jones accédèrent rapidement à des situations privilégiées : Alpheus devint receveur des douanes, maître de poste et mandataire de la Bank of Upper Canada à Prescott ; William, qui était meunier, marchand et commerçant de bois, obtint le poste de receveur des douanes à Brockville ; Jonas*, député à l’Assemblée, fut nommé juge puîné à la Cour du banc de la reine en 1837 et devint président du Conseil législatif en 1839 ; Charles*, également député et l’un des plus anciens et des plus éminents marchands de Brockville, fut nommé au Conseil législatif en 1828. C’est ainsi que les enfants d’Ephraim Jones lui succédèrent au sein du réseau provincial de favoritisme.

Elva Richards McGaughey

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Elva Richards McGaughey, « JONES, EPHRAIM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/jones_ephraim_5F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1983
Année de la révision:    1983
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