BOSCHENRY DE DRUCOUR (Drucourt), AUGUSTIN DE (il signait le chevalier de Drucour), officier de marine, gouverneur de l’île Royale (île du Cap-Breton), baptisé le 27 mars 1703 à Drucourt (dép. de l’Eure, France), fils de Jean-Louis de Boschenry, baron de Drucourt, et de Marie-Louise Godard (Godart), décédé le 28 août 1762 au Havre, en France.
Augustin de Boschenry de Drucour naquit d’une famille normande qui ne lui laissa aucun bien. Il entra dans la marine à Toulon en 1719 comme garde-marine. Il navigua la première fois en 1723 sur un vaisseau à destination de Constantinople. Au cours de sa carrière, il fit 16 « campagnes » à destination, entre autres, de Copenhague, Stockholm, la Martinique et Saint-Domingue (île d’Haïti). Il gravit avec régularité les échelons de la marine : enseigne de vaisseau en 1731, lieutenant de vaisseau en 1741, lieutenant des gardes du pavillon amiral en 1743 et capitaine de vaisseau en 1751.
Au cours des années 1730–1731, à l’occasion d’un des deux voyages qu’il fit en Louisiane, Drucour participa à la campagne contre les Natchez. Il se rendit au moins une fois en Acadie et, en octobre 1746, il était sur le Mars, en route pour l’Acadie, lorsque le bâtiment fut capturé par les Anglais. Drucour fut conduit en Angleterre puis échangé l’année suivante. En 1749, on le créait chevalier de Saint-Louis.
Sa nomination, vers la fin des années 40, au poste de commandant des gardes du pavillon amiral à Brest avait été un honneur qu’on lui conféra « sans aucune brigue ni sollicitation ». Il fut, semble-t-il, un administrateur compétent et un supérieur bienveillant pour les gardes. Il occupait ce poste depuis plusieurs années lorsque Machault, ministre de la Marine, le convoqua pour lui offrir la fonction de gouverneur de l’île Royale. Drucour déclina l’offre, alléguant son absence de fortune, mais on le persuada de revenir sur sa décision. Sa nomination portait 1er date du le, février 1754 mais il retarda son départ à cause d’une attaque de sciatique ; finalement il s’embarqua à Brest en juin, avec sa femme, Marie-Anne Aubert de Courserac, et huit domestiques. Ils atteignirent Louisbourg le 15 août.
Malgré les nombreux problèmes suscités par la pénurie de capitaux, de troupes et d’approvisionnements, Drucour fit de son mieux pour améliorer le bien-être des habitants de l’île Royale. Son intégrité et sa pondération étaient manifestes ; Mme Drucour y acquit une réputation de femme intelligente et gracieuse. La seule critique qui ait été formulée à l’endroit de Drucour en tant qu’administrateur portait sur son manque de discrimination en jugeant les hommes et sa tendance à se laisser influencer par le commissaire ordonnateur, Jacques Prévost* de La Croix.
Les instructions qu’on remit à Drucour lui fixaient trois objectifs majeurs : « ménager » les Indiens, encourager l’établissement des Acadiens à l’île Royale et agir de concert avec le gouverneur de la Nouvelle-France, Duquesne*. Il reçut aussi mission, de même que Prévost, de chercher à augmenter la population de l’île, de promouvoir l’agriculture pour faire en sorte que la colonie se suffise à elle-même dans une certaine mesure, de maintenir l’exploitation des pêcheries, d’encourager le commerce avec la France et ses dépendances de manière à restreindre le commerce avec les Anglais. Les efforts du gouverneur pour remplir cette mission furent entravés, puis anéantis, par suite de l’état de guerre avec l’Angleterre. En juin 1755, les Anglais s’emparèrent du fort Beauséjour (près de Sackville, N.-B.) à la suite d’une résistance inefficace de son commandant, Louis Du Pont* Duchambon de Vergor. Deux faits découlèrent de la chute du fort : la déportation des Acadiens par les Anglais et l’accroissement de la pression militaire contre l’île Royale.
La garnison de Louisbourg dépendait de la flotte française pour sa défense, et, de ce fait, était particulièrement vulnérable devant la puissance navale des Anglais. Une escadre anglaise sous les ordres d’Edward Boscawen parut au large des côtes en juin 1755, bloquant le port de Louisbourg et désorganisant son commerce. Au cours de l’année suivante, les Anglais commencèrent à mener des raids contre les établissements environnants ; parmi les vaisseaux qu’ils capturèrent se trouvait l’Arc-en-Ciel, transport de troupes qui amenait des recrues pour la garnison de Louisbourg et des effets pour une valeur de 6 000#, propriété de Drucour. La présence à Louisbourg, en 1757, de la flotte du comte Dubois de La Motte [Cahideuc] empêcha lord Loudoun [Campbell] de mettre à exécution le projet d’attaque qu’il avait conçu ; cependant des vaisseaux anglais sous les ordres de Francis Holburne firent le blocus du port jusqu’à ce qu’une violente tempête, en septembre, ne les force à se disperser. Le blocus du port et l’embargo sur le commerce amenèrent la colonie au bord de la famine ; néanmoins, Drucour et Prévost réussirent après maints efforts à regarnir les magasins en 1758.
Au début de 1758, un corps expéditionnaire formé de forces de la marine et de l’armée anglaises s’assembla à Halifax avant de se diriger vers Louisbourg. L’expédition sous les ordres de Jeffery Amherst* comptait en tout 27 000 hommes répartis sur 157 bâtiments de guerre, transports et autres vaisseaux plus petits. Drucour disposait de quelque 3 500 soldats auxquels venaient s’ajouter la milice et environ 3 800 hommes d’équipage à bord de 11 vaisseaux. Le 8 juin, les Anglais débarquèrent à l’anse de la Cormorandière (Kennington Cove), à quelques milles à l’ouest de Louisbourg, Après une courte résistance, les défenseurs, sous les ordres de Jean Mascle de Saint-Julhien, se replièrent dans la forteresse, permettant ainsi aux assiégeants d’établir leur campement et d’ouvrir les batteries. Rien ne fut tenté pour attaquer les Anglais pendant qu’ils débarquaient armes et munitions sur des brisants battus par une forte houle, une opération délicate qui exigea une semaine. Le 19 juin, les canonniers de James Wolfe ouvrirent le feu sur la batterie de l’Îlôt et, dès lors, le siège s’achemina inexorablement vers la capitulation ; celle-ci fut signée le 26 juillet. À cette date, les vaisseaux français étaient tous ou coulés ou brûlés, les murs étaient percés de nombreuses brèches et l’artillerie française avait été si efficacement réduite au silence que son tir ressemblait, selon Drucour, « plutôt à des honneurs funéraires qu’à une deffense ».
Les fortifications de Louisbourg étaient en fort mauvais état même avant le siège, exposées du côté de terre et en enfilade sur presque toute leur longueur. Les dommages subis lors du siège de 1745 n’avaient pas été complètement réparés. Drucour lui-même entretenait peu d’espoir quant à l’issue du siège ; néanmoins, la défense opposée par sa garnison, si on la compare à celle du premier siège, fut plus habile et plus énergique. On essaya de défendre la côte de façon organisée et on déploya une grande activité à l’extérieur de la forteresse ; entre autres, on effectua une sortie importante et plusieurs escarmouches furent engagées par des piquets et des compagnies de volontaires. En 1758, on démolit la batterie Royale afin d’empêcher les assiégeants de l’utiliser à leur profit, cette omission ayant donné un avantage important à l’ennemi en 1745. Lors du premier siège, il n’y avait pas de flotte dans le port ; en 1758, même si son action fut assez médiocre, la flotte, sous les ordres de Jean-Antoine Charry Desgouttes, retarda l’avance des batteries ennemies et découragea toute initiative anglaise de forcer l’entrée du port après que la batterie de l’Îlot eut été réduite au silence. L’action singulièrement agressive de Jean Vauquelin*, capitaine de l’Aréthuse, donna la preuve de l’effet que pouvait produire un vaisseau contre les positions ennemies en forçant les Anglais à diriger leur tir en grande partie contre la flotte plutôt que contre la forteresse. En fin de compte, la longueur du siège et les réparations rendues nécessaires par l’exposition prolongée de la flotte anglaise à la haute mer furent des facteurs importants qui contribuèrent à retarder jusqu’en 1759 l’expédition contre Québec. « Notre principal objet, comme le déclara Drucour, étoit de retarder et prolonger notre fin autant qu’il seroit possible. » Il réussit à atteindre ce but.
À titre de gouverneur, Drucour eut deux décisions majeures à prendre pendant le siège. La première concernait la flotte. Les officiers de la marine hésitaient à mettre leurs vaisseaux en danger en demeurant dans le port et sollicitaient la permission d’aller livrer combat en mer ou de regagner la France ; néanmoins, Drucour leur intima l’ordre de rester. Il se tourmenta à l’idée d’avoir compromis le sort des navires mais son action reçut l’appui du conseil de guerre désigné pour étudier la question le 9 juin et celui du ministre de la Marine, Claude-Louis de Massiac, qui fit remarquer que la requête des capitaines avait été « prématurée » et « dangereuse ». Drucour ne réussit pas à convaincre les capitaines de suivre l’exemple de Vauquelin et de tourner l’énorme puissance de tir de leurs vaisseaux contre les batteries anglaises, même si cette tactique eût pu changer la défaite en une victoire.
La deuxième décision que prit Drucour fut d’arrêter le moment et les conditions de la reddition. Lors d’un conseil de guerre tenu le 26 juillet, certains officiers se déclarèrent d’abord en faveur de la capitulation ; d’autres insistèrent pour poursuivre la lutte et même soutenir une attaque contre la ville. Drucour demanda aux Anglais leurs conditions mais devant leur dureté, les officiers s’accordèrent pour poursuivre la lutte. À ce moment-là, Prévost parla au nom de la population civile et demanda instamment de capituler. Convaincu par ce plaidoyer, Drucour accepta les conditions des Anglais ; la garnison se constitua prisonnière et se rendit sans les honneurs de la guerre.
Malgré le récent massacre de la garnison anglaise du fort William Henry (appelé aussi fort George, aujourd’hui Lake George, N.Y.), qui s’était rendue, selon Thomas Pichon*, aux termes d’une « capitulation plus avantageuse » [V. Montcalm], les Anglais semblent s’être conduits honorablement envers la garnison de Louisbourg. Celle-ci s’embarqua, soutint Pichon, « avec toute la tranquilité et l’ordre qu’on auroit pû mettre dans un voïage fait à plaisir », et Drucour se vit octroyer « tous les honneurs que meritoit son rang ». Chaque jour, tant qu’avait duré le siège, Mme Drucour avait fait feu avec trois pièces de canon afin de stimuler les troupes françaises et, après la reddition, elle aida « tous les malheureux qui ont eu recours à elle ». Amherst lui rendit hommage au cours des pourparlers durant le siège, et après la capitulation, Boscawen lui accorda toutes les faveurs qu’elle sollicita. Les Drucour quittèrent Louisbourg le 15 août 1758, exactement quatre ans après y être débarqués.
La santé de Drucour s’était altérée à Louisbourg et, de plus, il avait été obligé de s’endetter lourdement pour remplir sa charge. Ayant perdu à peu près tous ses biens au cours du siège, il rentra en France complètement ruiné. Lorsqu’ils furent rapatriés à Dunkerque, Drucour et 53 autres officiers de l’île Royale étaient « dans une si mauvaise situation » qu’on dut leur fournir l’argent nécessaire pour regagner leurs foyers. Mme Drucour était déjà rentrée d’Angleterre et s’employait à défendre la réputation de son mari auprès du ministre de la Marine, en faisant parvenir le journal que celui-ci avait tenu au cours du siège. C’était un compte rendu qui révélait le caractère de son auteur, « un homme assez fort pour faire montre de patience devant la situation déprimante d’une lutte sans espoir, mais qui n’était toutefois pas doué de cette force extraordinaire qui réussit à communiquer sa détermination aux récalcitrants et aux hésitants ». Tel est le jugement qu’a porté sur lui l’historien J. S. McLennan*.
Drucour reprit du service dans la marine pendant une courte période en 1759, puis se retira au Havre où il vécut de la charité de son frère. Il mourut le 28 août 1762, avant de pouvoir toucher la pension qu’on lui avait accordée. Deux mois plus tard, sa femme le suivait dans la tombe.
Le journal de Drucour au sujet du siège se trouve aux AN, Col., C11B, 38, ff.57–103v. ; C11C, 10, ff.85–178.— AD, Eure (Évreux), État civil, Drucourt, 27 mars 1703 ; Seine-Maritime (Rouen), État civil, Saint-François du Havre, 29 août 1762.— AN, Col., B, 99–113 ; C11B, 34–38 ; C11C, 10 ; D2C, 2, ff.27–29, 40–41, 142 ; 3 ; 4, f. 107 ; F3, 50–51 ; Marine, C7, 89 (dossier Drucour) ; Section Outre-Mer, Dépôt des fortifications des colonies, Am. sept., no 236.— CTG, Archives, art. 15, pièces 4, 5, 7, 8.— APC, MG 30, D62, 11 (notes biographiques de Drucour par F.-J. Audet).— SHA, A1, 3 540, no 74 ; 3 544, no 33 ; Mémoires et reconnaissances, art. 1 105, pièce 21.— Jeffery Amherst, Journal of the Siege of Louisbourg, Gentleman’s Magazine, XXVIII (1758) : 384–389.— Derniers jours de l’Acadie (Du Boscq de Beaumont).— Knox, Historical journal (Doughty), I, III.— Pichon, Lettres et mémoires.— Fauteux, Les chevaliers de Saint-Louis, 147s.— Le Jeune, Dictionnaire, I : 533s.— Frégault, Canada : the war of the conquest.— McLennan, Louisbourg.— Stanley, New France.— J. M. Hitsman et C. C. J. Bond, Louisbourg : a foredoomed fortress, Canadian Army Journal (Ottawa), X (1956) : 78–87.— J. M. Hitsman et C. C. J. Bond, The assault landing at Louisbourg, 1758, CHR, XXXV(1954) : 314–330.— Régis Roy, Drucourt, BRH, XLIV (1938) : 187s.
John Fortier, « BOSCHENRY DE DRUCOUR (Drucourt), AUGUSTIN DE (chevalier de Drucour) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/boschenry_de_drucour_augustin_de_3F.html.
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Auteur de l'article: | John Fortier |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1974 |
Année de la révision: | 1974 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |