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O’KEEFE, EUGENE (baptisé Owen Keeffe), homme d’affaires et philanthrope, né le 10 décembre 1827 à Bandon (république d’Irlande), fils de John Keeffe (O’Keefe) et de Mary Russell ; le 23 janvier 1862, il épousa à Toronto Helen Charlotte Bailey (décédée en 1899), et ils eurent un fils et deux filles ; décédé dans cette ville le 1er octobre 1913.
On sait peu de chose sur la jeunesse d’Eugene O’Keefe. Sa famille arriva au Canada quand il avait cinq ans ; deux ans plus tard, elle s’établit à Toronto. Apparemment, les Keeffe adoptèrent le nom d’O’Keefe au moment où ils immigrèrent. Un John O’Keefe, tavernier, puis marin, figure dans les annuaires de Toronto ; peut-être s’agit-il du père d’Eugene. Eugene fréquenta l’école privée de Denis Heffernan et « les écoles confessionnelles ordinaires ». Dans sa jeunesse, il se fit connaître par ses talents exceptionnels de joueur de bowling, d’avironneur et de cavalier. Apparemment, il fut enseigne dans la compagnie locale de fusiliers volontaires. Le capitaine de la compagnie, Denis K. Feehan, était l’un de ses grands amis. Les deux hommes avaient beaucoup de choses en commun. Ils étaient des catholiques irlandais dans une ville très majoritairement protestante et appartenaient à la Société de Saint-Vincent-de-Paul, le principal organisme catholique de bienfaisance de Toronto.
Le beau-frère d’O’Keefe, John Murphy, exploitait un hôtel ; lorsqu’il mourut, O’Keefe aida sa sœur à tenir cet établissement. On dit qu’O’Keefe travailla aussi un certain temps dans le domaine de l’alimentation. En 1856, il devint commis à la Toronto Savings Bank, fondée deux ans plus tôt par Mgr Armand-François-Marie de Charbonnel* et des membres de la Société de Saint-Vincent-de-Paul. Feehan, un des promoteurs de la banque, fut peut-être pour quelque chose dans l’engagement d’O’Keefe. Celui-ci travailla à la banque jusqu’en 1861 et y acquit une solide connaissance des pratiques commerciales, la comptabilité surtout. Il resta associé à la banque même après avoir quitté son emploi. Membre du conseil d’administration avant et après la réorganisation de la banque en 1872, il y demeura après que l’actif de la banque eut été acquis en 1879 par la Home Savings and Loan Company Limited. Plus tard la même année, l’archevêque John Joseph Lynch* la vendit à Frank Smith*, riche homme politique catholique qui en assuma la présidence et nomma O’Keefe vice-président. En 1901, O’Keefe succéda à Smith ; l’établissement, qui prit le nom de Home Bank of Canada, connut ses années les plus prospères sous sa présidence.
En 1861, O’Keefe avait pris une décision qui allait être déterminante non seulement pour sa propre situation, très incertaine à l’époque, mais aussi pour le bien de l’archidiocèse. Lorsque la Victoria Brewery, située à l’angle des rues Victoria et Gould, fut mise en vente, il s’associa à George Macaulay Hawke et à un brasseur, Patrick Cosgrave, pour acheter cette exploitation modeste mais réputée. La brasserie produisait annuellement 1 000 barils de bières anglaises traditionnelles, soit des ales et de la bière brune. Cosgrave partit moins d’un an plus tard, mais O’Keefe et Hawke continuèrent ensemble sous la raison sociale d’O’Keefe and Company. Lorsqu’ils mirent fin à leur association en 1882, O’Keefe s’associa au fils de Hawke, Widmer, et à Joseph Hooper Mead. L’année suivante, O’Keefe et Widmer Hawke continueraient seuls. En 1891, ils constituèrent juridiquement l’entreprise sous le nom d’O’Keefe Brewery Company of Toronto Limited.
En se lançant dans cette entreprise, O’Keefe ne connaissait rien à la fabrication de la bière, mais selon l’un de ses biographes, « sa formation en affaires lui avait montré que cette industrie avait une capacité d’expansion illimitée ». Avant longtemps, la production annuelle de sa brasserie atteindrait à 7 000 barils. Ambitieux et tourné vers l’avenir, O’Keefe fit agrandir l’usine trois fois, en 1872, en 1882 et en 1889. Peu après la constitution juridique de l’entreprise, toute la brasserie fit place à une usine moderne équipée d’une malterie de 60 000 boisseaux. Cette usine fut en exploitation jusqu’en 1911 ; cette année-là, une brasserie d’une capacité de 500 000 barils fut construite.
Au xixe siècle, l’industrie ontarienne de la brasserie était très attachée aux traditions. O’Keefe connut un succès rapide parce qu’il était prêt à innover et à être audacieux à toutes les étapes de la production et de la distribution. En 1879, il s’était mis à produire de la bière blonde sur une grande échelle. Il fut le premier brasseur au Canada à installer un entrepôt réfrigéré mécaniquement, en 1898. Par la suite, il commença à utiliser des véhicules motorisés. Dès les années 1880, il vendait plus que ses concurrents partout en Ontario. Reconnu dans l’industrie, il fut président de l’Ontario Brewers’ and Maltsters’ Association.
Après la mort prématurée de son fils unique, Eugene Bailey, en 1911, O’Keefe se désintéressa de l’avenir de sa brasserie. Il vendit ses actions à Hawke et à sir Henry Mill Pellatt*. Puis il affecta l’imposant produit de cette vente aux œuvres qui lui tenaient le plus à cœur, dont le denier de saint Pierre, le St Michael’s Hospital et la réfection du presbytère de la cathédrale St Michael, son église. O’Keefe, qui faisait rarement les choses à moitié, avait déjà commencé à bâtir des églises catholiques. Par exemple, en 1907, il fit construire avenue Broadway l’église St Monica, qu’il dédia à la mémoire de sa femme. Quatre ans plus tard, il acheta l’église presbytérienne West, dans l’avenue Denison, et la donna à des immigrants polonais, qui la rebaptisèrent St Stanislaus Kostka. Dans les deux cas, il dépensa 30 000 $. Son legs le plus impressionnant et le plus durable fut le St Augustine’s Seminary, sur les falaises de Scarborough, qui ouvrit ses portes en août 1913. O’Keefe donna la somme fabuleuse de 400 000 $ pour le faire construire. Même après sa mort, sa générosité continua à se manifester. Son testament, qui confirmait son titre de plus grand bienfaiteur de l’Église catholique à Toronto, stipulait que des sommes devraient être prélevées sur sa succession, évaluée à 968 300 $, et affectées à des œuvres religieuses et civiques. Finalement, ces sommes totalisèrent 184 776 $.
Eugene O’Keefe était conservateur en politique et nationaliste modéré en matière d’affaires irlandaises. Il se rendit à Ottawa en 1887 dans le vain espoir de dissuader William O’Brien, fervent partisan de l’autonomie politique de l’Irlande, de paraître à Toronto en même temps que le gouverneur générai, lord Lansdowne [Petty-Fitzmaurice*]. O’Keefe était l’un des hommes les plus riches de Toronto et avait plus de poids en tant que philanthrope que dans les milieux politiques. Il exerça une assez grande influence sur le travail de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, de la Catholic League et de la section locale de la United Irish League. Il fut membre du conseil d’administration du Toronto General Hospital à compter de 1906. En outre, il appartint au premier conseil d’administration de la Catholic Church Extension Society et à de nombreux comités paroissiaux à la cathédrale. En raison de sa générosité et de son dévouement envers l’Église, il fut le premier laïque au Canada à être fait camérier secret du pape, le 9 janvier 1909.
Eugene O’Keefe mourut le 1er octobre 1913 chez lui, rue Bond, dans la maison qu’il avait fait construire dans les années 1880 en face de sa brasserie. Il laissait dans le deuil l’une de ses filles, Helena Charlotte French. Trois mille personnes, dont des centaines d’ouvriers de la brasserie, assistèrent à ses funérailles.
Une documentation substantielle sur Eugene O’Keefe et sa famille nous a été gracieusement offerte par Mme Mary French Cluff, de North York, Ontario, une des arrière-petites-filles du sujet. [m. p.]
AO, RG 22-305, no 27794 ; RG 55-17-63, nos 27, 2638–39 CR 2937–38 CP ; RG 80-27-2, 66 : 144.— Arch. of the Roman Catholic Archdiocese of Toronto, L (Lynch papers), AE06.89, O’Keefe à Lynch, 4 mai 1887 ; LB (letter-books), 07.28, 10 févr. 1907 ; ME (McEvay papers), AF03.19, McEvay à Riordan, [29 ?] sept. 1908 ; AX01.12, Riordan à McEvay, 11 déc. 1908 ; SA (St Augustine’s Seminary papers), CN01.573, McNeil à O’Keefe, 9 janv. 1913.— Arch. privées, Mary French Cluff, copie d’une lettre de l’archidiacre J. J. O’Sullivan, de Bandon, république d’Irlande, à Deborah Brown, 20 avril 1981, et contenant de l’information sur la famille Keeffe tirée du registre des baptêmes de la paroisse ; « O’Keefe – the man and his company » (texte dactylographié) ; « Tributes to the memory of Eugene O’Keefe, p. c. » (album de famille renfermant des coupures de journaux provenant du Catholic Register de Toronto et du Catholic Record de London, Ontario, ainsi que des photographies).— Catholic Register 7 sept. 1911, 7 sept. 1913.— Evening Telegram (Toronto), 1er oct. 1913.— Leader (Toronto), 24 janv. 1862.— Toronto Star, 3 avril 1976 : F6.— World (Toronto), 2 oct. 1913.— Annuaire, Toronto, 1837–1890.— Ian Bowering, The art and mystery of brewing in Ontario (Burnstown, Ontario, 1988).— Canadian annual rev. (Hopkins), 1902–5, 1913.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1912).— B. P. Clarke, Piety and nationalism : lay voluntary associations and the creation of an Irish Catholic community in Toronto, 1850–1895 (Montréal et Kingston, Ontario, 1993).— Commemorative biographical record of the county of York [...] (Toronto, 1907).— Index des corps publics et du droit privé et local : en vertu des statuts, proclamations et lettres patentes de la puissance du Canada, et de Québec, Ontario, Manitoba, P.[-H.] Baudouin, compil (Montréal, [1897]).— M. G. McGowan, « We are all Canadians » : a social, religions and cultural portrait of Toronto’s English speaking Roman Catholics, 1890–1920 » (thèse de ph.d., Univ. of Toronto, 1988).— G. J. Stortz, « Archbishop Lynch and the Toronto Savings Bank », SCHEC, Study sessions (Ottawa), 45 (1978) : 5–19.
Michael Power, « O’KEEFE, EUGENE (baptisé Owen Keeffe) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/o_keefe_eugene_14F.html.
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Auteur de l'article: | Michael Power |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |