AMES, ALFRED ERNEST, financier et philanthrope, né le 3 septembre 1866 à Lambeth (London, Ontario), fils de William Ames, ministre de l’Église méthodiste wesleyenne, et de Hephzibah Coleman Whitehouse ; le 30 mai 1889, il épousa à Toronto Mary (Minnie) Cox, et ils eurent une fille et un fils ; décédé le 20 septembre 1934 au même endroit.
Cadet d’une famille de six enfants, Alfred Ernest Ames grandit dans le sud-ouest de l’Ontario, où ses parents, immigrants anglais, étaient affectés selon la règle de l’itinérance. Il fréquenta le Brantford Collegiate Institute et, en 1881, entra à la Banque des marchands du Canada, à Owen Sound. Il travailla ensuite pour la Banque d’Ontario et la Banque impériale du Canada à divers endroits dans la province. Même si le jeune homme était ambitieux, il ne progressa pas toujours sans heurt. Pendant qu’il était à la Banque impériale du Canada à Toronto, en 1884, on l’accusa de fraude dans la revendication d’un brevet ; il fut blanchi.
Le 1er décembre 1889, à l’âge de 23 ans, Ames lança sa propre maison d’investissement et de courtage en valeur mobilière à Toronto. La même année, il avait épousé une fille de George Albertus Cox*, Minnie. Membre de la Toronto Stock Exchange à partir de 1890, Ames s’intégra rapidement au réseau social et commercial de son beau-père, pour lequel il s’occupa du plus gros des besoins en matière d’achat d’actions et dirigea deux de ses entreprises de financement immobilier, la Toronto Savings and Loan Company et la Provident Investment Company. Il fit également partie du conseil d’administration de sociétés liées à Cox : la National Trust Company Limited, dont il devint vice-président au moment de sa constitution, en 1898, et l’Imperial Life Assurance Company, où il accéda à la vice-présidence la même année et à la présidence en 1903. À la National Trust, il établit une relation de travail avec William Thomas White*, qui en était le directeur général depuis 1900.
Ames géra sa société de courtage ainsi que la Toronto Savings and Loan et la Provident Investment jusqu’au moment où il prit la décision, en 1896, de se concentrer sur le marché boursier. Pour assurer un véhicule financier à cette affaire et aux clients qui achetaient sur marge, il fit preuve d’audace en tentant, par l’intermédiaire d’un syndicat, de mettre la main sur la Banque d’Ontario. Ses efforts ne portèrent pas leurs fruits, mais il accapara assez d’actions pour occuper une position dominante et jouir d’un accès presque illimité à la gestion de prêts et d’investissements. En 1896, quand il fut élu président de la Toronto Stock Exchange, il changea le nom de sa société, qui devint l’A. E. Ames and Company.
Les liens commerciaux d’Ames avec le groupe de Cox et de ses associés, tels Joseph Wesley Flavelle, Samuel John Moore* et Walter Edward Hart Massey*, furent renforcés par leur collaboration à l’église Sherbourne Street et à d’autres établissements méthodistes. En 1898, Ames se joignit au conseil d’administration de la Victoria University, où il aida à commanditer des bourses, à combler des déficits et à financer des dotations, puis, deux ans plus tard, à celui du Massey Music Hall. Au municipal, il occupa de 1901 à 1903 le poste de président du Bureau de commerce de Toronto, défendit des vues impérialistes et soutint la cause libérale. Il brigua sans succès le poste de président du conseil municipal du canton voisin d’York en 1902. À l’avant-garde de la percée de Toronto dans le nord de l’Ontario et grâce à une nomination du Parti libéral, il présida la Temiskaming and Northern Ontario Railway Commission de la province de 1902 à 1904. Son rang social crût en conséquence. En 1900, il avait acquis une résidence d’été, Glen Stewart, propriété située à l’est de la ville, sur la route de Kingston, où Minnie et lui organisaient des activités prestigieuses et recevaient des sommités. En 1905 et en 1906, par exemple, lord Grey*, gouverneur général, et lady Grey y demeurèrent à l’occasion de la course du Queen’s Plate à la piste de Woodbine Park, non loin de là.
Ames et d’autres financiers, dont l’associé de Cox, Edward Rogers Wood*, appartenaient à la génération montante de courtiers, qui, dans les années 1890, avait commencé à déplacer des capitaux d’investissement dans des industries nouvelles, des services publics et la mise en valeur des ressources. Il exerça les fonctions de cadre et d’administrateur de plusieurs sociétés, et, en 1898, s’associa au consortium qui acheta le capital social du grand magasin fondé par Robert Simpson*. Ames, l’un des premiers passionnés et propriétaires d’automobile, devint membre du premier conseil d’administration de la Woods Motor Vehicle Company et de la Canada Cycle and Motor Company [V. Thomas Alexander Russell]. En 1899, sa firme offrait sa première émission de société industrielle, la Dunlop Tire and Rubber Goods Company Limited. Ames contracta de lourds emprunts non seulement de la Banque d’Ontario, mais aussi auprès de membres du cercle de Cox, en usant de son influence et de sa position dans la famille de manière intéressée et peu transparente.
En 1902, tandis que la Banque d’Ontario se trouvait toujours sous sa coupe, Ames joua un rôle de premier plan dans l’organisation de la Banque métropolitaine, établissement à succès qui fit toutefois long feu. Celle-ci prêtait de fortes sommes à des maisons de courtage telle la Royal Securities Corporation Limited, alors administrée par William Maxwell Aitken*, et à Ames pour ses propres activités spéculatives sur le marché boursier. Frank Wilton Baillie* – directeur général de la firme de négociation d’obligations de Cox, la Dominion Securities Corporation, qui venait d’obtenir sa charte – dirigeait la banque. Les entreprises et pratiques hardies d’Ames furent cependant intempestives. Au cours d’un ralentissement financier, l’échec que connurent certaines émissions américaines acquises par sa société entraîna une suspension de paiements « sensationnelle » le 2 juin 1903 et beaucoup de commentaires négatifs dans la presse, déconvenue humiliante pour ce méthodiste aux principes en apparence moraux. Grâce à l’appui de son beau-père (qui l’aida au moyen d’achats de propriétés, d’hypothèques et d’autres prêts), Ames, quelque peu assagi, mais toujours endetté, s’était refait une place en affaires le 13 juillet. Pour répondre aux exigences de ses créanciers, une société par actions réorganisée, l’A. E. Ames and Company Limited, fut constituée juridiquement en mars 1904. Le Monetary Times dénigra le geste, soulignant que l’estimation de l’actif d’Ames était « éphémère », ses affaires excessivement « spéculatives » et le personnage doté d’un amour-propre démesuré.
En 1906–1907, Ames essuya encore des critiques, précipitées par un nouvel effondrement des marchés, ses transactions financières qui contribuèrent à la faillite de la Banque d’Ontario, une commission fédérale d’enquête sur le milieu de l’assurance qui mit au jour ses autres infractions commerciales et le verdict de la Cour suprême du Canada, selon lequel il avait violé un contrat avec l’entrepreneur ferroviaire et homme politique James Conmee*. Au cours de l’enquête sur la Banque d’Ontario, amorcée en octobre 1906, le directeur fit part à quelques reprises des craintes internes sur la possibilité qu’Ames s’assure la mainmise ou, si on empêchait son accès et ses recommandations d’actions, qu’il inonde le marché de ses actions bancaires, ce qui ferait chuter leur cours. Cependant, en raison de la réglementation et des interdictions juridiques rudimentaires de l’époque, Ames échappa à une poursuite et s’en tira sans que sa réputation ne souffre trop à la suite de la vérification. Il participa peu après à l’élaboration de plusieurs fusions importantes (notamment des intérêts de Samuel John Moore), réunit des capitaux propres et se joignit à plusieurs conseils d’administration d’entreprises. En 1908, il créa un service distinct pour soumissionner afin d’obtenir des obligations du gouvernement canadien et des obligations municipales, puis de les garantir et les distribuer. L’A. E. Ames and Company Limited, la Dominion Securities Corporation et la Wood, Gundy and Company dominèrent rapidement le commerce des obligations au Canada. Après avoir géré les affaires de sa société par l’entremise d’un réseau de correspondants, Ames ouvrit un bureau à Montréal en 1913.
La réussite et l’exemple d’autres magnats poussèrent probablement Ames et sa famille, vers 1910, à s’établir de façon permanente à Glen Stewart et dans la petite congrégation de l’église Beech Avenue, située à l’est de la ville. La taille de la propriété, dont une bonne partie appartenait aux Cox, diminuerait graduellement à la suite de lotissements et de ventes, même si Ames en conserva une partie assez grande pour y aménager un petit terrain de golf privé. Golfeur passionné qui saisissait l’importance du réseautage pour la vitalité sociale et le développement professionnel, il fut, en 1912, le fondateur et premier président du Scarboro Golf and Country Club.
Au déclenchement de la Première Guerre mondiale, Ames s’était illustré par ses œuvres philanthropiques ainsi que dans les affaires, où il avait amendé ses pratiques. À la Victoria University, il présida, de 1909 à 1911, le comité de construction de la bibliothèque et, de 1914 à 1922, le nouveau comité exécutif du conseil d’administration, où il exerça une forte autorité en matière de gestion et de nominations. En fait, au sein de l’Église méthodiste en général, l’influence marquée de riches laïques comme lui préoccupait le révérend Albert Carman* et d’autres chefs religieux. Nommé président du conseil d’administration du Massey Music Hall en 1911, Ames défendait également la cause de l’hygiène et de la santé publique, et appuya la City Dairy Company Limited de Walter Edward Hart Massey, qui pasteurisait le lait de sa ferme, située à l’extrémité est de la ville, et celle de William James Gage*, dans la promotion des sanatoriums.
Pendant les hostilités, Ames fut l’un des premiers partisans du gouvernement de coalition [V. sir Robert Laird Borden], mais il se fit un nom surtout dans le domaine de la finance de guerre. En raison de la fermeture du marché financier londonien aux titres étrangers, lieu jusque-là le plus important pour la vente d’actions et d’obligations canadiennes à l’étranger, Ottawa porta son attention du côté de New York, puis, en 1915, envisagea la possibilité d’ouvrir le marché intérieur aux fonds d’État. Ames comprenait bien le potentiel que représentait la gestion des souscriptions pour des sociétés comme la sienne. En 1917, devant l’énorme succès en Grande-Bretagne des emprunts de la Victoire auprès de la population, sir William Thomas White, alors ministre des Finances, demanda à Ames, qui présidait l’Association canadienne des courtiers en obligations récemment mise sur pied, de concevoir une stratégie de vente au Canada et de présider le comité exécutif du dominion qui superviserait la campagne publique. White doutait que le pays puisse autofinancer ses besoins ; l’avenir lui donnerait tort. L’idée d’Ames de mettre sur pied une organisation nationale chapeautant des campagnes locales, menées avec le concours des meilleures agences de publicité, était à la fois brillante et ambitieuse. La façon de faire resterait la même après l’arrivée de son successeur, Edward Rogers Wood, au poste de président en 1918. Les emprunts de 1917, 1918 et 1919 furent lancés avec la vente d’obligations de la Victoire, émises en coupures de faible valeur pour permettre aux petits investisseurs de contribuer. « C’est la campagne de tout le monde », proclama Ames, qui croyait que c’était un « moyen d’éduquer le grand public sur l’investissement et d’attirer son attention sur les avantages d’investir ses économies dans des obligations ». Les Canadiens réagirent avec un enthousiasme sans précédent, et les obligations gouvernementales de toutes sortes, ainsi que les émissions d’entreprises, devinrent une affaire d’envergure. Dynamique dans ses soumissions, promotions et placements, l’entreprise d’Ames fut l’une des principales bénéficiaires. En 1920, elle avait instauré un programme de distribution à grande échelle de brochures et de circulaires (principalement des listes d’obligations) rédigées à l’intention des vendeurs et des clients.
Ames dirigeait l’une des deux ou trois plus grandes maisons de courtage au Canada. Dès avant 1914, il s’était transformé en courtier de l’establishment qui, contrairement à Aitken et à la Royal Securities Corporation Limited, évitait de s’exposer aux émissions à haut risque de sociétés industrielles. Quant au commerce des valeurs en bourse, il connut une transition importante durant la Grande Guerre et une partie des années 1920, passant d’une concentration sur le marché londonien à une position plus axée sur l’Amérique du Nord centrée à New York. Reconnu dans tout le dominion, Ames fut nommé officier honoraire de l’Investment Bankers’ Association of Canada. Souvent, il se prononça, formula des commentaires et écrivit sur des questions de finance nationale et internationale.
Pour réagir aux changements dans la finance mondiale, l’A.E. Ames and Company Limited avait ouvert un bureau à New York avant la fin de la guerre et une autre succursale à Chicago peu après. La société proposait des obligations du gouvernement du Canada et de toutes les provinces. De plus, elle émettait et vendait des obligations de villes canadiennes florissantes, d’autres gouvernements locaux, comme le comté de Halton, en Ontario, et de conseils scolaires, notamment les systèmes d’éducation catholique et protestant de Montréal. Elle offrait aussi des obligations et des actions de première classe d’entreprises canadiennes qui pouvaient intéresser des investisseurs étrangers, dont celles de la Dominion Coal Company Limited [V. Benjamin Franklin Pearson*], de la Montreal Light, Heat and Power Company [V. Louis-Joseph Forget*] et de la Steel Company of Canada Limited [V. Wilmot Deloui Matthews*]. Dans les années 1920, la société publia quotidiennement une circulaire interne intitulée Ames Salesman dans laquelle on présentait régulièrement, à l’intention de ses vendeurs, un « conseil » comme celui-ci : « La bourse n’est pas le vrai marché pour les obligations. Car pour chacune qui s’y vend, mille se vendent ailleurs. »
Ames consacrait son temps libre à sa famille (son fils, George Albert, grièvement blessé au cours de la guerre, était revenu en 1919 ; sa fille, Ethel Marguerite Coombs, mourut en 1927), à Glen Stewart et à l’Église. En 1921, une partie de sa propriété alla à la ville pour l’aménagement d’un terrain de golf. Chaud partisan de l’union, en 1925, des Églises méthodiste, presbytérienne et congrégationaliste [V. Samuel Dwight Chown ; Clarence Dunlop Mackinnon], il appuya l’érection, deux ans plus tard, d’une nouvelle église, la Kingston Road United, pour remplacer l’église Beech Avenue. À la Victoria University, il présida le comité de construction de la nouvelle école de théologie et résidence de l’Église unie du Canada, l’Emmanuel College, qu’on bâtit en 1930–1931, et le comité exécutif reconstitué de l’université, de 1931 à 1934. Moins actif au Massey Music Hall, qui devait relever des défis en matière de programmation, de déficit et d’entretien, il avait remis sa démission à titre de président en 1929.
La société d’Ames survécut au krach cette année-là et, par la suite, grâce à une réorganisation interne majeure, elle fut, semble-t-il, la seule société d’investissement importante à éviter la faillite. Cependant, les dernières années d’Ames furent assombries par la perte de son fils, en 1933. Lui-même mourut d’un cancer des os neuf mois plus tard en laissant une succession d’une valeur de plus de 705 000 $. Il fit des legs substantiels à l’église Kingston Road United, à la Victoria University et à l’Association sanitaire nationale, dont il avait été président. Quelques notices nécrologiques, documents d’archives et sources biographiques esquissent à grands traits le portrait de ce fervent croyant, mais sans faire référence à sa pénible ascension à titre de courtier. Homme svelte qui adorait la marche et le golf, il parlait avec précision, aimait lire et dédaignait le comportement tapageur. Hilton Russell Tudhope, collaborateur de longue date, lui succéda à titre de président de l’A. E. Ames and Company Limited.
Alfred Ernest Ames compte parmi les pionniers d’un grand marché des valeurs mobilières au Canada. Avec d’autres courtiers à l’avant-garde de la vente d’obligations municipales et provinciales, il contribua à fournir aux collectivités et aux gouvernements un accès au financement nécessaire à leurs infrastructures et à leur croissance. À l’apogée de sa carrière, ses talents de preneur ferme novateur furent essentiels à la création de nouveaux marchés pour les obligations émises au Canada afin de financer la guerre, développement qui permit au gouvernement du dominion d’affecter plus de ressources à l’effort de guerre qu’il n’aurait été possible autrement. Sur le plan personnel, Ames pouvait se montrer implacable dans ses activités commerciales et parfois repousser les limites de la morale, attitude semblable à celle d’autres hommes d’affaires méthodistes de l’époque au Canada.
À l’occasion d’une des campagnes des emprunts de la Victoire, Alfred Ernest Ames a prononcé, à l’Insurance Instit. of Toronto, un discours qui a été publié sous le titre Some remarks regarding the forthcoming Victory Loan ([Toronto ?], 1917). Réimprimé dans nombre de journaux, dont le Financial Post (Toronto), 27 oct. 1917, il est également reproduit sur microfiches (ICMH, no 98859).
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David Roberts et Gregory P. Marchildon, « AMES, ALFRED ERNEST », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/ames_alfred_ernest_16F.html.
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Auteur de l'article: | David Roberts et Gregory P. Marchildon |
Titre de l'article: | AMES, ALFRED ERNEST |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2019 |
Année de la révision: | 2019 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |