Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 3216346
GREY, ALBERT HENRY GEORGE, 4e comte GREY, gouverneur général, né le 28 novembre 1851 à Londres, fils de Charles Grey et de Caroline Eliza Farquhar ; le 9 juin 1877, il épousa dans cette ville Alice Holford, et ils eurent trois filles et un fils ; décédé le 29 août 1917 à Howick, Angleterre.
Fils cadet du secrétaire particulier du prince Albert puis de la reine Victoria, Albert Henry George Grey naquit et grandit à la cour de St James. Enthousiaste, idéaliste et studieux, il était la quintessence de l’écolier anglais du xixe siècle. Après des études à Harrow et au Trinity College de Cambridge, il obtint en 1873 un diplôme de cette université. Pendant une courte période, il fut secrétaire de sir Henry Bartle Edward Frere, membre de l’Indian Council, ce qui lui permit de faire une tournée en Inde avec la suite du prince de Galles. Puis il entra dans la politique britannique à titre de libéral gladstonien. Défait aux élections de 1878 à la Chambre des communes, il fut député de South Northumberland de 1880 à 1885 puis de Northumberland (Tyneside) en 1885–1886. Aux Communes, il dirigea un groupe de pression ouvert aux nouvelles idées politiques et sociales, le comité de Grey. Infatigable partisan de la coopération entre consommateurs et producteurs, du partage des bénéfices industriels, de la formation professionnelle, de la représentation proportionnelle, de la réforme ecclésiastique, de la tempérance et de l’embellissement des villes, il investit de l’argent dans des projets de rénovation urbaine et créa le Public House Trust, réseau de pubs où l’on vendait des boissons non alcoolisées et dont une partie des profits allait à des travaux locaux de réaménagement.
En 1886, Grey rompit avec William Ewart Gladstone à cause d’un désaccord sur l’autonomie politique de l’Irlande et se rangea du côté des libéraux-unionistes. À ce moment-là, inspiré par le nationaliste italien Giuseppe Mazzini, qui prônait une coopération mondiale fondée sur le patriotisme et le devoir, il était devenu un fervent impérialiste et figurait parmi les membres fondateurs de l’Imperial Federation League. En acceptant de s’enrôler dans la British South Africa Company sur l’invitation de Cecil John Rhodes, il passa sous l’influence de cet impérialiste aux visées expansionnistes. Grey assura la liaison entre Rhodes et le secrétaire d’État aux Colonies Joseph Chamberlain avant et pendant le fameux raid sur le Transvaal en 1895 et remplaça le commandant de ce raid, sir Leander Starr Jameson, au poste d’administrateur de la Rhodésie. Trois ans avant de rentrer en Angleterre en 1897, Grey (dont le frère aîné était mort en 1855) avait hérité du titre de comte de son oncle et de son domaine du Northumberland, dont il était régisseur. En 1899, on lui conféra le titre de lord-lieutenant du Northumberland. Entre-temps, les programmes par lesquels il entendait favoriser la santé physique et morale dans tout l’Empire britannique – le mouvement des cadets, le tir au fusil, le Rhodes Scholarship Trust (dont il devint l’un des administrateurs) et un programme impérial d’immigration – n’avaient pas connu de ralentissement.
En août 1904, le gouvernement d’Arthur James Balfour nomma Grey gouverneur général du Canada en remplacement de son beau-frère le comte de Minto [Elliot] ; la nomination officielle suivit le 26 septembre. La famille Grey avait déjà des liens avec le Canada. Une fille du premier comte avait épousé Edward Ellice*, magnat de la traite des fourrures ; en tant que sous-secrétaire au ministère des Colonies, l’oncle de Grey avait formulé la politique nord-américaine ; son père avait appartenu au Conseil spécial de lord Durham [Lambton*] au Bas-Canada en 1838. Des investissements peu judicieux en Afrique du Sud avaient placé Grey dans une situation financière difficile, mais sa nomination fut rendue possible par la générosité d’une tante de-sa femme, la baronne Wantage, qui ajouterait un supplément à son traitement de vice-roi. Pourtant, de l’avis de son beau-frère, qui connaissait bien le Canada, son tempérament de croisé et sa faconde risquaient de lui nuire. « Je doute qu’Albert soit assez pondéré, confia Minto à sa femme, et ici, tout acte fougueux et tout manque de jugement peuvent faire un tort immense. » L’expérience et la patience du premier ministre du Canada, sir Wilfrid Laurier, tempéreraient ces traits de caractère.
Convaincu que le Canada était la clef de l’Empire, Grey inaugura sa croisade impériale dès son arrivée et son assermentation à Halifax le 10 décembre 1904. Même si l’objectif déclaré de son impérialisme était la création d’un ordre mondial pacifique inspiré de la théorie de Mazzini, l’usage de la force n’était pas exclu. Passionné par les navires et promoteur de la Navy League, Grey encouragea Laurier à créer une marine. Toutefois, celui-ci mettrait du temps à suivre son conseil et, quand il le ferait, ce serait pour des motifs bien à lui. Grey tenta aussi, en vain, de persuader son premier ministre de soutenir l’un des projets chers à Chamberlain, un conseil impérial permanent qui coordonnerait la défense, la diplomatie et la politique tarifaire intercoloniales. Sur les instances du ministère des Colonies, il pressa Laurier de prendre en charge les garnisons britanniques encore en poste à Halifax et à Esquimalt, en Colombie-Britannique ; il eut du succès dans ce cas, mais c’était là une responsabilité que le ministre de la Milice et de la Défense, sir Frederick William Borden, avait déjà acceptée en décembre 1903 à une réunion du Committee of Impérial Defence. Grey avait beau défendre l’autonomie du Canada, il prônait la création d’une marine canadienne de manière si ouverte et si insistante que, au Québec, on surnomma par dérision « projet de loi de Grey » la Loi concernant le Service de la marine du Canada, adopté en 1910. Dans cette province, les nationalistes d’Henri Bourassa* et les conservateurs de Frederick Debartzch Monk s’opposèrent à ce projet de loi.
Bien que Grey ait abondamment parlé de nouvel ordre mondial, son impérialisme était entaché d’exclusivisme. Certes, au début, il prôna l’immigration asiatique au Canada et, une fois, il refusa de se rendre en Colombie-Britannique, car il voulait protester contre le caractère discriminatoire de la législation adoptée par le gouvernement de Richard McBride. En outre, à la fois pour des raisons commerciales et diplomatiques et parce qu’il croyait que le Canada pourrait avoir besoin de domestiques et d’ouvriers japonais ou indiens, il se donna beaucoup de mal pour organiser la tournée du prince Fushimi du Japon en 1907. Pourtant, à la suite de la guerre russo-japonaise, il fut pris d’angoisse devant le « péril jaune » et, en vue de restreindre l’immigration asiatique, il aida les fonctionnaires gouvernementaux à remplacer la capitation par des mesures diplomatiquement acceptables.
Grey ne faisait guère preuve d’une plus grande compréhension envers les Canadiens français. Il parlait français, favorisa la construction de monuments historiques au Québec, poursuivit les efforts de Minto en vue de rapprocher les élites anglophones et francophones, et n’hésitait pas à utiliser des sanctions sociales contre les individus aux positions intolérantes, par exemple le rédacteur en chef torontois John Stephen Willison*. Néanmoins, sa foi dans la prééminence de l’anglais et dans le caractère inévitable et bénéfique de la Conquête le rendait sourd à l’opinion canadienne-française. On en eut de tristes preuves pendant qu’il préparait les fêtes du tricentenaire de Québec en 1908.
Ces préparatifs découlaient de la campagne entreprise par Grey l’année précédente en vue d’acheter les plaines d’Abraham et de les transformer en un parc national géré par une commission des champs de bataille. Il ne réussit pas à donner une envergure impériale à ce projet, mais le simple fait qu’il ait essayé déplut aux habitants de la province. Finalement, seule l’intervention du maire de Québec, Georges Garneau*, convainquit Laurier de faire adopter en mars 1908 le projet de loi créant la Commission des champs de bataille nationaux, et d’affronter la controverse que ce projet pourrait susciter. Au cours de cette campagne, Grey avait découvert un comité de citoyens qui s’apprêtait à célébrer modestement le tricentenaire de la fondation de Québec par Samuel de Champlain*. Ragaillardi par sa victoire à propos des champs de bataille, il décida de faire de l’événement une célébration internationale de l’amitié franco-anglo-américaine. Le prince de Galles viendrait, de même que la flotte de l’Atlantique, des vaisseaux de guerre américains et français et une foule de représentants officiels. Toutes ces visites exigeaient une coordination qui relevait du bureau du gouverneur général, de sorte que le comité local fut bel et bien évincé des préparatifs. En outre, malgré des compromis sur l’interprétation des faits historiques, on aurait pu croire, à voir les spectacles à grand déploiement promus par Grey et présentés en juillet, qu’il s’agissait de commémorer l’arrivée du général britannique James Wolfe* en 1759, et non la fondation de la ville par Champlain. Les critiques exprimées par Bourassa, le député provincial Armand La Vergne* et d’autres étaient compréhensibles, mais Grey, lui, n’y entendait rien, et il attribua cette réaction à une fraction obscurantiste de l’Église catholique.
Par contre, d’autres interventions de Grey dans la diplomatie internationale furent couronnées de succès. Ce fut notamment le cas de ses efforts en vue de résoudre les problèmes canado-américains causés par le règlement du litige sur la frontière de l’Alaska en 1903, règlement que le Canada avait refusé d’entériner. De concert avec l’ambassadeur de Grande-Bretagne à Washington, d’abord sir Henry Mortimer Durand puis James Bryce, il s’employa à simplifier la filière diplomatique et à dissiper les malentendus par diverses activités. Il alla aux États-Unis, rendit visite aux dirigeants de ce pays, et les reçut à Québec et à Ottawa. Toutes ces démarches aboutirent à des ententes sur des questions frontalières, sur le litige des pêches de l’Atlantique-Nord, sur la réglementation de la chasse au phoque dans le Pacifique-Nord et de la pêche dans les eaux intérieures communes et sur d’autres questions en suspens. La réussite la plus importante, survenue après des années de négociations, fut le traité international de 1909 sur les eaux limitrophes, qui créa la Commission mixte internationale, instance de règlement des litiges dotée d’un personnel permanent et d’un code de procédure [V. sir George Christie Gibbons]. En 1910, après de multiples pressions de la part de Grey et de Bryce, le premier ministre Laurier accepta le traité. Déjà, en 1908–1909, les deux hommes avaient réussi à le convaincre de fonder le département des Affaires extérieures.
Les intrigues bizarres par lesquelles Grey essaya, à compter de 1906, de forcer Terre-Neuve à entrer dans la Confédération eurent une issue moins heureuse. Déçu par la prudence de Laurier sur cette question, il s’associa à un plan concocté en secret par un Canadien qui avait des intérêts forestiers à Terre-Neuve, Harry Judson Crowe*, et appuyé par Robert Gillespie Reid*, ami et banquier de sir Edward Patrick Morris*, lequel appartenait au gouvernement anticonfédérateur de sir Robert Bond*. Avec la complicité de Grey, les combinards essayèrent d’évincer Bond et d’obliger Morris à rompre avec lui, puis à prendre l’initiative d’une manœuvre proconfédératrice. Après avoir appris que Bond refusait une pairie et un congé en Angleterre, Grey tenta de le faire changer d’avis par l’entremise d’un ami commun, le rédacteur en chef britannique William Athelstane Meredith Goode, ce qui horrifia le ministère des Colonies. Le plan échoua et Grey s’en tira sans que sa réputation ait trop souffert.
Grey ne mettait pas moins d’ardeur à défendre les valeurs impériales par des moyens culturels. Il promut l’embellissement urbain, les parcs nationaux (ses idées sur la création d’une commission de la capitale nationale à Ottawa seraient mises en application beaucoup plus tard) et la reconnaissance des hauts faits de l’histoire canadienne. Malgré la controverse autour du tricentenaire, il contribua en 1910 au fonds constitué par l’Association catholique de la jeunesse canadienne-française pour ériger un monument à Adam Dollard* Des Ormeaux au parc Lafontaine à Montréal. Grey s’intéressait aussi aux questions sociales. Il visita des prisons et prôna la réforme pénitentiaire, fonda une section du Public House Trust dans la jeune localité minière de Cobalt, en Ontario, promut le mouvement coopératif et soutint les projets de l’Armée du salut en vue d’établir des délinquants britanniques au Canada. En outre, comme il l’expliqua à Montréal aux étudiants de la McGill University, où il exerçait la fonction d’inspecteur, il croyait que l’une des missions de l’éducation était de favoriser les liens impériaux. Ces emballements, tout comme sa sociabilité, contribuaient certainement à sa popularité et donnaient du poids aux arguments de ceux qui, dans d’autres débats, soutenaient les mêmes positions que lui. Par exemple, le sous-ministre puis ministre du Travail, William Lyon Mackenzie King*, un des invités favoris des Grey à Rideau Hall, partageait ses idées humanitaires.
L’intérêt de Grey pour le bien-être physique procédait de ce même souci de réforme sociale et du maintien de la santé de l’Empire, tout comme de sa prédilection de toujours pour le sport et le plein air. Il promut des cercles pour les visiteurs d’outre-mer (auberges et salles de réunion), soutint les mouvements de scouts et de cadets, et convainquit lord Strathcona [Smith] de changer les modalités de son fonds de fiducie (créé en 1909 pour promouvoir l’éducation physique et la formation militaire dans les écoles publiques du Canada) afin d’autoriser la rémunération d’instructrices pour cadettes. Pendant son mandat, le nombre de scouts et de cadets monta en flèche, même si un certain nombre d’éducateurs s’opposaient à la formation militaire dans les écoles.
Grey offrit des trophées au Montreal Horse Show et en patinage de fantaisie, mais sa plus fameuse contribution au sport amateur canadien à l’époque reste la coupe Grey. Instaurée en 1909 pour encourager le football, à la demande de Philip Dansken Ross*, rédacteur en chef et propriétaire de l’Ottawa Evening Journal, cette coupe fut remportée la première fois, le 4 décembre 1909, par l’équipe de la University of Toronto. Les arts de la scène passionnaient Grey encore plus que le sport : en 1907, il inaugura un festival pancanadien de théâtre et de musique, et remit un trophée dans chaque catégorie. Il s’intéressait aux romans canadiens, ceux de Lucy Maud Montgomery* surtout, et à la sculpture canadienne, en particulier les monuments publics d’envergure. Lady Grey aussi parraina un certain nombre de bonnes œuvres : elle fut présidente de l’Aberdeen Association, qui distribuait de la documentation, présidente de la Women’s Welcome Hostel de Toronto et présidente honoraire de l’Ottawa Maternity Hospital, du Victorian Order of Nurses, des sanatoriums Lady Grey de Toronto et d’Ottawa, ainsi que de la section féminine de la Société de numismatique et d’archéologie de Montréal.
Tout comme ses prédécesseurs, Grey voyageait beaucoup, des Maritimes au Yukon, et remplissait toute une variété de fonctions vice-royales. Ainsi, au cours de son voyage dans l’Ouest en octobre 1909, il posa la première pierre des hôtels du gouvernement des nouvelles provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan. En décembre, à Baddeck, en Nouvelle-Écosse, il inspecta les laboratoires d’Alexander Graham Bell* et l’aéronef de John Alexander Douglas McCurdy* et de Frederick Walker Baldwin*.
Las de sa croisade impériale et des attaques de la presse nationaliste de la province de Québec, Grey avait hâte de quitter le Canada à la fin de son mandat en septembre 1910, mais on le pressa de rester une autre année, d’abord pour accommoder son successeur, le duc de Connaught, puis pour répondre au désir de Laurier, qui souhaitait que le prochain gouverneur général entre en fonction seulement après les élections fédérales. Ce ne fut sûrement pas une année facile pour Grey. Pendant l’élection partielle dans Drummond et Arthabaska au Québec en novembre, élection qui fit beaucoup de bruit, on l’accusa de pousser Laurier à régler la question de la marine de la façon voulue par les autorités impériales. Dans les mois qui précédèrent les élections de septembre 1911 sur la réciprocité, il semble que ses emballements et son manque de retenue refirent surface. Le vainqueur de ces élections, le chef conservateur Robert Laird Borden*, rappellerait que Grey était convaincu que Laurier « remporter[ait] une victoire écrasante » et que, chose extraordinaire, il avait tenté de convertir un « éminent libéral » opposé au libre-échange.
Après son retour en Grande-Bretagne en octobre 1911, Albert Henry George Grey continua d’appuyer des causes sociales et éducatives. En 1912, il se rendit en Afrique du Sud pour dévoiler un monument et rendre hommage à Cecil John Rhodes. Il occupa la présidence du Royal Colonial Institute et tenta en vain de fonder à Londres un centre des dominions. Décédé en 1917 dans son domaine, il laissait dans le deuil sa femme, Alice Holford, son fils et deux de ses filles.
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Carman Miller, « GREY, ALBERT HENRY GEORGE, 4e comte GREY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/grey_albert_henry_george_14F.html.
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Auteur de l'article: | Carman Miller |
Titre de l'article: | GREY, ALBERT HENRY GEORGE, 4e comte GREY |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |