LE MAY, PAMPHILE (baptisé Léon-Pamphile Lemay, il signa de cette façon ainsi que LeMay avant d’adopter définitivement l’orthographe Le May), avocat, bibliothécaire, écrivain et traducteur, né le 5 janvier 1837 à Lotbinière, Bas-Canada, cinquième des 14 enfants de Léon Lemay et de Marie-Louise Auger, qui tenaient un magasin général et une hôtellerie dans le rang Saint-Eustache ; le 20 octobre 1863, il épousa à Québec Marie-Honorine-Sélima Robitaille, et ils eurent 14 enfants ; décédé le 11 juin 1918 à Deschaillons, Québec.

Pamphile Le May fit des études primaires et secondaires d’une façon assez irrégulière : à l’école paroissiale d’abord, au collège des Frères des écoles chrétiennes à Trois-Rivières de 1846 à 1849, chez le notaire Thomas Bédard, de Lotbinière, où il étudia le latin, et au petit séminaire de Québec de la versification à la rhétorique, soit de 1854 à 1857. Il quitta le séminaire en juillet 1857 à cause de sa santé fragile. Après une année de repos, il entreprit l’étude du droit en s’engageant en juin 1858 comme clerc. Un mois ne s’était pas écoulé qu’il abandonnait le droit et allait chercher du travail aux États-Unis, à Portland dans le Maine, mais il ne trouva là rien qui lui convint. À son retour, il travailla quelques semaines à titre de commis dans un magasin de Sherbrooke, mais on lui fit vite savoir qu’il n’était pas fait pour le commerce.

Le May revint alors chez ses parents et fit pendant environ une année des études privées en philosophie afin de se préparer à la prêtrise. En 1860, il commença, chez les oblats à Ottawa, son cours de théologie, qu’il abandonna après moins de deux ans pour des raisons de santé. Finalement, il se remit à l’étude du droit tout en travaillant comme traducteur surnuméraire à l’Assemblée de la province du Canada à Québec. Cet emploi lui laissait assez de temps pour s’adonner aussi à la création littéraire. Le 4 juillet 1865, il était reçu au barreau.

À la fin d’octobre 1867, le premier ministre de la province de Québec, Pierre-Joseph-Olivier Chauveau*, soucieux d’encourager les jeunes écrivains prometteurs, offrit à Le May le poste de bibliothécaire de la nouvelle Assemblée législative. Le May entra en fonction le 27 décembre et occupa ce poste pendant 25 ans, ce qui lui permit de mener une vie indépendante et d’accéder ensuite à une retraite décente. Son travail de bibliothécaire ne fut pas toujours une sinécure. Il dut à deux reprises bâtir à partir de presque rien le fonds documentaire de la Bibliothèque de la Législature. À son entrée en fonction, la bibliothèque était pratiquement inexistante ; elle ne comptait que quelques centaines de livres portant surtout sur le droit civil et, après l’incendie du 19 avril 1883, il ne restait que 4 500 livres environ. Une grande partie du travail de Le May consista en l’achat d’ouvrages pour répondre aux besoins des parlementaires, dans des domaines comme le droit, l’histoire, l’économie politique et les sciences, alors qu’il aurait souhaité parfois se procurer plus de volumes de poésie et de littérature. Pour l’achat des livres à l’étranger, il fut assisté par certains intermédiaires, mais à une occasion au moins l’attitude ambiguë d’un des agents en Europe, Arthur Dansereau, qui avait présenté des doubles factures, faillit lui causer des problèmes : le solliciteur général Edmund James Flynn* tenta de compromettre Le May en Chambre, en mai 1886, mais n’y réussit pas, car il fut défendu vigoureusement par le député James McShane. Encouragé d’abord par le président de la Chambre en 1875–1876, Pierre-Étienne Fortin*, Le May avait aussi mis en marche un système d’échanges de documents parlementaires et de livres avec les États-Unis, la France, la Belgique, la Norvège, le Brésil et les colonies britanniques.

De 1867 à 1883, Le May prépara plusieurs catalogues des livres de la bibliothèque et, après l’incendie, il dressa la liste de ceux qui restaient (catalogue de 1884) et introduisit pour les nouveaux ouvrages le catalogage sur fiches par ordre alphabétique et par ordre de matières, comme c’était l’usage dans les grandes bibliothèques américaines et européennes. En 1892, la bibliothèque comptait 33 804 volumes.

Le May eut le mérite de garder la Bibliothèque de la Législature ouverte au grand public, malgré les critiques et les reproches que suscita parfois cette pratique. À quelques reprises pendant son mandat, on déplora la perte de journaux et volumes ; selon Le May, le manque d’espace et de personnel était responsable de cette situation. Comme ses successeurs, il dut se défendre contre des accusations de négligence, mais il tenait malgré tout à garder à la bibliothèque son quasi-statut de bibliothèque publique.

Le 22 septembre 1892, Le May fut mis à la retraite, à l’âge de 55 ans ; il serait remplacé par Narcisse-Eutrope Dionne. Cette mise à la retraite s’inscrivait dans la politique de destitution du nouveau gouvernement conservateur qui frappa d’autres écrivains fonctionnaires de tendance libérale comme Arthur Buies*. À la suite de son départ, Le May laissa transparaître à l’occasion de l’amertume dans ses écrits.

Pendant les 25 ans de son mandat comme bibliothécaire et au delà, Le May poursuivit une carrière littéraire. Celle-ci s’était dessinée à la fin des années 1850 quand il s’était joint au mouvement littéraire qui apparut à Québec avec, entre autres, François-Xavier Garneau*, Joseph-Charles Taché* et Antoine Gérin-Lajoie*. Le May produisit une œuvre abondante et variée : huit recueils de poésie et autant d’ouvrages en prose. Il aborda la plupart des genres littéraires : l’épopée, le lyrisme, la nouvelle, le roman, l’essai, la causerie, le drame, la comédie, la fable et le conte. Il fit d’abord paraître régulièrement dans les revues et les journaux des poèmes, qu’il regroupa dans son premier recueil de poésie, les Essais poétiques (Québec, 1865). Il publia en 1870 deux longs poèmes qui se rapprochent cette fois de l’épopée et qui lui avaient valu deux médailles d’or de l’université Laval : la Découverte du Canada, composé en 1867, et l’Hymne national pour la fête des Canadiens-français, en 1869. Il composa plusieurs autres œuvres poétiques d’allure épique ou lyrique : les Vengeances : poème canadien (1875), la Chaîne d’or (1879), Une gerbe : poésies (1879), Fables canadiennes (1882), publiées à Québec ; les Gouttelettes (1904), les Épis : poésies fugitives et petits poèmes (1914) et Reflets d’antan (1916), publiés à Montréal. De toutes ces œuvres, les Gouttelettes, premier recueil de sonnets dans la littérature canadienne, témoigne d’un plus grand souci de perfection dans la forme et se caractérise par son ton intimiste, sa délicatesse et sa tendresse.

Le May tenta aussi de s’imposer comme romancier en publiant à Québec en 1877 le Pèlerin de Sainte-Anne, roman de plus de 1 000 pages en deux tomes, avec une suite, en 1878, Picounoc le maudit, également en deux tomes. Malgré une mauvaise réception par la critique, il fit paraître en 1884 à Québec un autre roman, l’Affaire Sougraine. Il produisit également les Vengeances : drame en six actes (Québec, 1876), qui fut joué à quelques reprises, et trois comédies qu’il fit publier à Québec dans un seul recueil en 1891, Rouge et Bleu. Après le demi-échec de ses publications romanesques et dramatiques, Le May se tourna vers un genre qui convenait davantage à son talent et qui l’amena à produire son meilleur ouvrage en prose, les Contes vrais (Québec, 1899 ; 2e éd., Montréal, 1907). Habile conteur, il évoque avec sensibilité les légendes qui font partie du patrimoine culturel des Canadiens français. Il traduisit également deux œuvres importantes : Évangéline de Henry Wadsworth Longfellow et The chien d’or / The golden dog de William Kirby*.

Toute l’œuvre de Le May est imprégnée de son amour de la campagne et de sa région. On retrouve les paysages de Lotbinière dans ses romans, les fêtes et les jeux de la vie campagnarde (la Sainte-Catherine, le jeu de Quat-Sept, la grosse gerbe, la visite du curé) et ses corvées (la fenaison, le battage, le brayage du foin) dans les Essais poétiques et aussi dans les Vengeances (1875). La campagne était le seul endroit où Le May se sentait vivre. En ville, il s’ennuyait et avait même du mal à trouver l’inspiration. Le May, tout comme Louis Fréchette* et Octave Crémazie*, a été influencé par le romantisme, mais il était plus lamartinien que Fréchette et plus personnel et sincère que Crémazie. Le May a accentué le caractère intimiste de la poésie et exploité le mouvement du terroir, alors que les poètes de son temps ont chanté surtout les grands thèmes nationaux et la grande patrie.

Le May eut une vie paisible et effacée certes, mais pas inactive. Partagé entre sa nombreuse famille, son jardin, la Bibliothèque de la Législature, son travail d’écrivain, ses lecteurs, ses visites à la campagne, il ne lui restait pas beaucoup de temps pour les voyages, la vie mondaine et la politique, activités pour lesquelles d’ailleurs il n’avait pas beaucoup d’attrait. Il fit, semble-t-il, un seul voyage important dans toute sa vie, en Europe, au printemps de 1888. Sa vie sociale se résumait pratiquement à sa famille ou à la participation à des réunions de sociétés et d’associations diverses. Dans ces rencontres, il récitait le plus souvent des poèmes, comme à la Société royale du Canada, dont il fut l’un des membres fondateurs en 1882, ou encore une partie de roman comme à la Société Casault en 1884. Il fit aussi à l’occasion quelques conférences. Le May reçut un doctorat honorifique en lettres de l’université Laval en 1888 et la rosette d’officier de l’Instruction publique de France en 1910. Quand ses enfants eurent grandi, il eut surtout comme visiteurs et amis Louis Fréchette, Napoléon Legendre*, Ernest Myrand, Adolphe et Roméo Poisson.

Le May se tint éloigné le plus possible de la vie politique, qu’il considérait comme une occasion de disputes et même un fléau. Il occupait cependant un poste de choix pour observer les mœurs de la bourgeoisie de la vieille capitale. Il en a peint l’ambition, l’hypocrisie et la vanité dans l’Affaire Sougraine. Dans les Fables canadiennes, il se moque de la suffisance, de la vanité et de l’orgueil de la haute société. Dans ses comédies, il fait une satire des nouveaux riches et du fanatisme politique (Rouge et Bleu). Un poème enflammé, qui glorifiait Louis Riel* et justifiait en quelque sorte le meurtre de Thomas Scott*, publié dans le Canadien, en avril 1870, provoqua une réaction violente. Louis Fréchette raconte à ce propos : « Cette apothéose de Riel a fait beaucoup de bruit, soulevé de terribles colères ; on a cru, un moment, qu’on allait pendre à la même corde Riel et son poète. »

Le May ne semble pas avoir affiché ses allégeances libérales pendant que les conservateurs étaient au pouvoir. Il composa toutefois plus tard des poèmes en l’honneur de Félix-Gabriel Marchand*, d’Honoré Mercier* et de sir Wilfrid Laurier, notamment dans les Gouttelettes, et l’on peut trouver dans sa correspondance privée, après sa mise à la retraite, plusieurs allusions politiques défavorables aux conservateurs. Ainsi, aux élections de novembre 1904, il trouva « très drôle la dégringolade des bleus ».

Pamphile Le May habita la ville de Québec la plus grande partie de sa vie, mais à compter de 1912 il se retira chez son gendre Ernest Saint-Onge à Deschaillons. Il n’en accepta pas moins la vice-présidence du premier congrès de la Société du parler français au Canada en 1912 [V. Stanislas-Alfred Lortie]. Il s’éteignit doucement, entouré des siens, le 11 juin 1918 et fut enseveli avec l’habit des tertiaires de Saint-François. En guise de reconnaissance pour le travail qu’il avait accompli, le gouvernement du Québec donna son nom, le 16 septembre 1980, à l’édifice de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale.

Maurice Pellerin

Outre les ouvrages déjà mentionnés, Pamphile Le May est l’auteur de Petits Poèmes ([Québec], 1883) et de Fêtes et Corvées (Lévis, 1898). On trouve à la Bibliothèque nationale du Québec (Montréal), dans le fonds Pamphile-Léon-Le May (mss-176), des manuscrits de ses œuvres publiées, des poèmes inédits et de la correspondance.

ANQ-Q, CE1-29, 5 janv. 1837 ; CE1-97, 20 oct. 1863.— René Dionne et Pierre Cantin, Bibliographie de la critique de la littérature québécoise et canadienne-française dans les revues canadiennes (1760–1899) (Ottawa, 1992), 209s.— DOLQ, 1–2.— I. F. Fraser, Bibliography of French-Canadian poetry ; part : from the beginnings of the literature through the École littéraire de Montréal (New York, 1935), 74–77.— Hamel et al., DALFAN, 863865.— J. E. Hare, « A bibliography of the works of Leon Pamphile Le May (18371918) », Biblio. Soc. of America, Papers (New York), 57 (1963) : 50–60.— G.-E. Marquis, « Un centenaire », le Terroir (Québec), 18 (1936–1937), nos 2–3 : 4s.— Maurice Pellerin et Gilles Gallichan, Pamphile Le May, bibliothécaire de la législature et écrivain (Bibliothèque de l’Assemblée nationale, Québec, 1986).— Cécile Saint-Jorre, « Essai de bio-bibliographie sur la personne et l’œuvre de Pamphile Le May » (mémoire, école de bibliothéconomie, Univ. de Montréal, 1939).

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Maurice Pellerin, « LE MAY (LeMay, Lemay), PAMPHILE (baptisé Léon-Pamphile Lemay) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/le_may_pamphile_14F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
Année de la révision:    1998
Date de consultation:    28 novembre 2024