Provenance : Lien
ROUTHIER, sir ADOLPHE-BASILE, avocat, auteur, juge et professeur, né le 8 mai 1839 à Saint-Benoît (Saint-Placide, Québec), fils de Charles Routhier, agriculteur, vétéran de la guerre de 1812, et d’Angélique Lafleur (Biroleau, dit Lafleur) ; le 12 novembre 1862, il épousa à Québec Clorinde Mondelet, fille unique de l’avocat montréalais Jean-Olivier (John Oliva) Mondelet, et ils eurent un fils ; décédé le 27 juin 1920 à Saint-Irénée-les-Bains, Québec, et inhumé le 30 au cimetière Notre-Dame de Belmont, à Sainte-Foy, Québec.
Adolphe-Basile Routhier descend de Français venus de la Saintonge, qui s’établirent d’abord à Charlesbourg, près de Québec. De son enfance, on ne connaît que ce qu’il écrivit, à la fin de sa vie, dans ses « Souvenirs d’enfance », publiés en 1920 dans la Revue canadienne (Montréal). Il fit ses études classiques au petit séminaire de Sainte-Thérèse de 1850 à 1858, puis, bien que sa mère espérât qu’il entre dans les ordres, il étudia le droit à l’université Laval, à Québec. Admis au barreau en 1861, il commença à exercer sa profession à Kamouraska.
Routhier prit goût très tôt à la littérature, à la poésie et à l’art oratoire, dans lequel il excella d’ailleurs toute sa vie. Il consacrait ses loisirs à la création littéraire. En 1867, à l’occasion d’un concours de poésie de l’université Laval, il remporta la médaille de bronze pour sa composition sur la Découverte du Canada, tandis que Pamphile Le May recevait la médaille d’or.
Conservateur convaincu sur le plan politique, Routhier prit part aux chaudes luttes électorales que connut la circonscription de Kamouraska au lendemain de la Confédération. En dépit de la crainte qu’il éprouvait de perdre sa clientèle en s’affichant conservateur et malgré l’opposition farouche de sa femme, qui le menaça d’aller s’installer à Québec, il se présenta contre le candidat libéral Charles-Alphonse-Pantaléon Pelletier à l’élection partielle fédérale du 17 février 1869. Une cinquantaine de constables spéciaux assurèrent le maintien de la paix durant le scrutin. Même si Routhier s’était attiré les faveurs du clergé et d’une grande partie des électeurs, il fut défait par 44 voix. En 1872, à l’occasion des élections générales tenues au Canada, les deux adversaires s’affrontèrent à nouveau et Routhier connut le même sort.
Entre-temps, Routhier avait fait paraître ses Causeries du dimanche (Montréal, 1871), recueil d’articles qu’il avait publiés dans le Courrier du Canada (Québec). La même année, il participait avec d’autres ultramontains laïques influents de la province à la rédaction du Programme catholique, qui eut, selon l’historienne Nadia Fahmy-Eid, l’effet d’un « orage subit dans le ciel serein des rapports entre l’Église et l’État au Québec » [V. François-Xavier-Anselme Trudel*]. Routhier consacra également de nombreuses heures au journalisme, notamment au Nouveau Monde (Montréal) et au Courrier du Canada. Il publia aussi, sous le pseudonyme de François Bonami, un essai, la Bourse ou la Vie (Québec, 1873).
À Kamouraska, village de la Côte-du-Sud qu’il affectionnait particulièrement et qui était reconnu comme une pépinière de jeunes juges, Routhier faisait partie du clan conservateur où se retrouvaient, entre autres, les Chapais. En 1873, un an après sa défaite électorale, il fut nommé juge puîné de la Cour supérieure de la province de Québec pour le district de Saguenay. La même année, sous le pseudonyme de Jean Piquefort, il fit paraître à Québec Portraits et Pastels littéraires, œuvre qui souleva un tollé chez les écrivains libéraux de l’époque accusés de ne pas maîtriser la langue française. En 1875, Routhier visita l’Europe et noua des liens d’amitié avec des écrivains catholiques en France, en Angleterre et en Italie. À Rome, Pie IX lui conféra le titre de chevalier de l’ordre de Saint-Grégoire-le-Grand.
En 1876, Routhier eut à juger ce qu’il considérerait comme la cause la plus importante dans toute l’histoire canadienne : celle de « l’influence indue ». À l’issue de l’élection partielle du 22 janvier 1876 dans la circonscription fédérale de Charlevoix, le candidat défait Pierre-Alexis Tremblay* contesta l’élection du conservateur Hector-Louis Langevin*. Le clergé régional était également accusé d’avoir exercé une « influence indue » sur les électeurs, notamment dans les églises. L’enquête dura près de 35 jours et plus de 175 témoins furent entendus à La Malbaie. Routhier dut ajourner le procès à quelques reprises en raison d’un voyage en Europe – dont il publia le récit plus tard – et de problèmes de santé. Avant de rendre sa décision, il condamna Joseph-Israël Tarte* à payer une amende pour avoir publié un article qui attaquait le clergé de Charlevoix. Enfin, le 15 novembre 1876, conscient de sa « terrible responsabilité », Routhier déclara Langevin élu. Tremblay porta sa cause devant la Cour suprême du Canada qui, le 28 février 1877, infirma le jugement de Routhier. Cette décision, selon Routhier, témoignait d’un important conflit entre l’Église et l’État. Il n’y avait pas que des candidats qui s’opposaient par leur partisannerie dans cette contestation, mais une véritable lutte idéologique entre, d’un côté, le clergé et les ultramontains, et de l’autre, les libéraux et les tenants du libéralisme.
Durant sa carrière de juge, Routhier fut aussi un écrivain prolifique. Au printemps de 1880, il composa les paroles de ce qui allait devenir l’hymne national Ô Canada, mis en musique par Calixa Lavallée*. L’œuvre fut jouée pour la première fois à la Convention nationale des Canadiens français, tenue à la fin de juin 1880 sous l’égide de la Société Saint-Jean-Baptiste de la cité de Québec. Par la suite, Routhier travailla sur une vingtaine de versions ou traductions différentes de son hymne. Jusqu’en 1889 parurent sept ouvrages qui confirmèrent les talents de Routhier comme écrivain et polémiste. Outre la réimpression de ses Portraits et Pastels littéraires dans les Guêpes canadiennes en 1881, il publia des récits de voyages en Espagne, au Saguenay et en Europe, un essai, un peu de poésie et ses Conférences et Discours (Montréal, 1889). Routhier s’intéressa également à l’archéologie. En novembre 1901, il entreprit un voyage en Terre sainte, au cours duquel il séjourna en Égypte, où il rencontra l’archéologue français Gaston Maspero. Sans doute inspiré par ce voyage, il publia deux ans plus tard, dans la revue la Nouvelle-France (Québec), un essai sur des questions religieuses intitulé « Au pays du sphinx ».
Le 10 décembre 1889, Routhier fut muté au district judiciaire de Québec. Une fois à Québec, il intensifia ses travaux littéraires et accepta différentes responsabilités. Certains de ses livres lui attirèrent de virulentes attaques, en particulier de Louis Fréchette* et de William Chapman, qui l’accusa même d’avoir plagié des auteurs français. En 1897, Routhier refusa le poste de lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord-Ouest mais accepta celui de juge de l’amirauté à la Cour de l’échiquier du Canada, qu’il conserva jusqu’en 1906, et celui de président de la Société Saint-Jean-Baptiste de la cité de Québec. Professeur de droit international à l’université Laval depuis 1883, il devait occuper ce poste jusqu’à sa mort. Nommé juge en chef de la Cour supérieure de la province de Québec le 30 septembre 1904, il remplit cette haute fonction jusqu’en 1906. On lui confia, en 1905, la charge d’administrer la province en l’absence du lieutenant-gouverneur, sir Louis-Amable Jetté.
En 1906, le juge Routhier décida de prendre une retraite bien méritée. En novembre, il acheta un lot de grève à Saint-Irénée-les-Bains, dans Charlevoix, qu’il fréquentait depuis six ans à la période estivale et où il s’était fait construire, probablement avant 1894, une villa, Hauterive, voisine de la propriété de Rodolphe Forget. Habitué à fréquenter les plus beaux lieux de villégiature de la vallée du Saint-Laurent, il considérait cet endroit comme unique en Amérique et se vantait même d’avoir fondé cette « place d’eau ».
En juin 1911, Routhier fut fait chevalier. En 1914–1915, il présida les activités de la Société royale du Canada, dont il avait été l’un des membres fondateurs. Docteur ès lettres de l’université Laval, il continua inlassablement son œuvre littéraire et publia, entre autres, le Centurion ; roman des temps messianiques à Paris en 1909, puis Paulina ; roman des temps apostoliques à Québec en 1918, deux véritables « best-sellers » à l’époque. Routhier avait réussi à séduire le clergé catholique de la province et de l’extérieur, ainsi qu’en témoignent sa volumineuse correspondance et les nombreuses traductions du Centurion, notamment en espagnol, en anglais, en italien, en allemand et en hongrois.
Durant toute sa vie, sir Adolphe-Basile Routhier fut considéré comme un grand orateur. Dans les nombreuses conférences qu’il donna, il vantait les vertus de tolérance et de modération dont faisaient preuve les évêques, s’opposait aux théories matérialiste et rationaliste du temps, et défendait les principes de la pensée sociale de l’économiste français Frédéric Le Play. Jusqu’à sa mort en 1920, la littérature et la poésie ne le quittèrent pas. À 80 ans, sa prose était toujours aussi alerte. Il laissa un testament profondément religieux dans lequel il mettait l’accent sur le labeur constant et une foi catholique inébranlable comme valeurs humaines essentielles.
On établira une liste plus complète des couvres d’Adolphe-Basile Routhier en consultant les ouvrages suivants : Claire Daigneault, « Bio-bibliographie de sir Adolphe-Basile Routhier » (mémoire, école de bibliothéconomie, univ. de Montréal, 1951) ; Hamel et al., DALFAN, 1178s. ; sœur Sainte-Janvière, « Bibliographie analytique de l’honorable juge sir Adolphe-Basile Routhier, homme de lettres ; précédée d’une biographie » (mémoire, école de bibliothécomie, univ. Laval, 1952). Un des jugements prononcés par Routhier a été publié sous le titre Jugement de Son Honneur le juge Routhier : contestation de l’élection de l’Hon. Hector Langevin, député fédéral du comté de Charlevoix ; O. Brassard et al., pétitionnaires (Québec, 1876).
AC, Québec, État civil, Catholiques, Cimetière Notre-Dame-de-Belmont (Sainte-Foy), 30 juin 1920.— ANQ-M, CE6-9, 9 mai 1839 ; P-1000-4-440.— ANQ-Q, CE1-1, 12 nov. 1862 ; P-658 ; P1000, D1839.— Arch. de l’univ. Laval, P225 (fonds Thomas-Chapais).— Le Canadien, 26, 31 août 1876.— Adolphe Routhier, « Quelques notes historiques sur l’Ô Canada », le Droit (Ottawa), 22 juill. 1980 : 6.— F.-J. Audet, Dictionnaire biographique des gouverneurs, lieutenants-gouverneurs et administrateurs du Canada et de ses provinces, 1604–1921 (2 vol., s.l., s.d.).— Paul Bernier, Ernest Lapointe, député de Kamouraska, 1904–1919 (La Pocatière, Québec, 1979).— Jean Bruchési, « Deux auteurs dramatiques canadiens », la Rev. moderne (Montréal), 14 (1933), no 8 : 7.— Octave Crémazie, Œuvres, Odette Condemine, édit. (2 vol., Ottawa, 1972–1976), 2 : 355.— Albert Dandurand, Nos orateurs (Montréal, 1939).— Andrée Désilets, Hector-Louis Langevin, un Père de la Confédération canadienne (1826–1906) (Québec, 1969).— Nadia Fahmy-Eid, « les Ultramontains et le Programme catholique », dans les Ultramontains canadiens français, sous la dir. de Nive Voisine et Jean Hamelin (Montréal, 1985), 161–181.— Serge Gagnon, le Québec et ses historiens de 1840 à 1920 : la Nouvelle-France de Garneau à Groulx (Québec, 1978).— The Honourable Mr Justice Routhier ; biographical notice (Québec, 1893).— P.-H. Hudon, Rivière-Ouelle de la Bouteillerie ; 3 siècles de vie (Ottawa, 1972).— Renée Lachance et Rénald Lessard, « En Égypte avec le juge Adolphe-Basile Routhier », Cap-aux-Diamants (Québec), no 44 (hiver 1996) : 63.— J. M[acP.] Le Moine, l’Album du touriste [...] (2e éd., Québec, 1872).— Claude Poirier, « Inventaire analytique du fonds Léger Brousseau », ANQ, Rapport, 1972 : 159–253.— Pierre Poulin, Histoire du mouvement Desjardins (2 vol. parus, Montréal, 1990– ), 1 : Desjardins et la Naissance des caisses populaires, 1900–1920.— Rumilly, Hist. de la prov. de Québec, 2.— Pierre Savard, « Deux voyageurs canadiens-français dans l’Irlande d’il y a cent ans », Cahiers des Dix, 44 (1989) : 183–198.— Gaétan Tremblay et al., Recueil historique ; St-Irénée (2e éd., La Malbaie, Québec, 1983), 24.
Yves Hébert, « ROUTHIER, sir ADOLPHE-BASILE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/routhier_adolphe_basile_14F.html.
Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique:
Permalien: | http://www.biographi.ca/fr/bio/routhier_adolphe_basile_14F.html |
Auteur de l'article: | Yves Hébert |
Titre de l'article: | ROUTHIER, sir ADOLPHE-BASILE |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |