GRANT, ALEXANDER, officier, homme d’affaires, fonctionnaire et homme politique, né le 20 mai 1734 à Glenmoriston, Écosse, fils de Patrick Grant et d’Isobel Grant ; le 30 septembre 1774, il épousa Thérèse Barthe, et ils eurent 11 filles et un fils ; décédé le 8 mai 1813 à Castle Grant, sa résidence de Grosse Point (Grosse Point Farms), Michigan.

Alexander Grant prétendait qu’il était « destiné dès sa plus tendre enfance à la mer ». Avant d’accepter, le 4 janvier 1757, le titre d’enseigne dans le 77e d’infanterie (Montgomery’s Highlanders), nouvellement levé, il était entré selon toute vraisemblance dans la marine royale en 1755 et y avait servi comme midshipman. En 1758, son régiment était stationné en Amérique du Nord et, l’année suivante, faisait campagne au lac Champlain avec l’armée du major général Amherst*. Le capitaine Joshua Loring*, qui dirigeait l’activité maritime sur les « lacs d’Amérique » pour Amherst, avait reçu ordre de construire une flottille afin de ravir aux Français la maîtrise du lac Champlain ; une fois que le Boscawen, sloop de 16 canons, fut prêt à l’action, le 11 octobre 1759, Grant en reçut le commandement. Lors de l’unique engagement d’importance, Loring força Jean d’Olabaratz à abandonner ses navires. Grant resta au lac Champlain jusqu’à la fin de la guerre de Sept Ans. En 1760, il assuma le commandement des vaisseaux et de la station navale du fort Ticonderoga, dans la colonie de New York, où il s’acquitta de ses fonctions à la satisfaction d’Amherst. Mis à la demi-solde en 1763, il maintint néanmoins ses rapports avec les autorités du service de la marine, et quand Loring prit sa retraite (la même année peut-être), Grant, selon ses propres mots, lui succéda ; on ne sait pas exactement quel poste occupaient ces deux hommes.

Au début, Grant tint son quartier général au chantier naval de l’île Navy, dans la rivière Niagara. Avant 1772, le service de la marine intérieure s’installa à Detroit, endroit avec lequel Grant avait entretenu certains contacts dès septembre 1764. Il passa ses hivers à New York jusqu’en 1774, se fixant alors définitivement à Detroit, probablement par suite de son mariage, cette année-là, avec Thérèse Barthe. En tant que surintendant du service de la marine, il veillait à l’administration des chantiers navals, à la construction et au radoub des bateaux, au déploiement des navires, à l’achat des matériaux ainsi qu’au transport des vivres, y compris des marchandises de particuliers. Les bateaux de la couronne acceptaient en effet de charger des marchandises commerciales parce que le transport maritime privé était presque inexistant.

Ayant le pouvoir de répartir cet espace de cargaison, Grant se trouva au centre du réseau commercial reliant Detroit et New York. Il ne voulut pas laisser échapper une si belle occasion, et se mit à construire ses propres bateaux pour la navigation sur les lacs, d’abord dans l’île Navy puis à Detroit. En 1767, John Blackburn, marchand anglais qui avait obtenu le contrat de la Trésorerie britannique pour équiper d’hommes, approvisionner et radouber les vaisseaux de la couronne naviguant sur les lacs, et son mandataire à New York, Henry White, signèrent un accord avec Grant le faisant leur représentant sur place. Après 1768, il renforça sa position en monopolisant le transport sur les lacs.

Le favoritisme dont Grant faisait preuve en répartissant un espace très limité provoqua inévitablement de la rivalité. En 1769, James Sterling* et la firme Phyn, Ellice and Company de Schenectady construisirent le sloop Enterprise à Detroit pour transporter leurs marchandises sur le lac Érié, mais plusieurs mois plus tard, ils durent vendre le bateau à Grant. L’année suivante, ils s’attaquèrent plus efficacement à l’empire de Grant en construisant un sloop de 45 tonneaux, l’Angelica, puis, en 1772, ils érigèrent un dépôt de transbordement au fort Erie (Fort Erie, Ontario). Le moment était favorable car Grant avait essuyé un revers financier au cours de l’été de 1771 en perdant son sloop neuf, le Beaver, ainsi qu’un second navire ; un marchand racontait que ces pertes « dissuader[aient] les commerçants d’employer son vaisseau ». Or, malgré sa malchance, qui profita à l’Angelica, Grant était résolu à reconquérir son hégémonie. En échange de remises et de taux préférentiels intéressants que Grant proposa aux marchands de Detroit, ceux-ci convinrent de ne pas s’adresser à ses rivaux. Alors que faisait rage le principal conflit en vue de la maîtrise des lacs, une escarmouche d’un autre genre éclata entre Grant et la Phyn, Ellice and Company. La cause en fut la rupture des négociations portant sur les frais de transport des marchandises sèches. Grant donna immédiatement ordre de vendre 100 barriques de rhum pour concurrencer les marchands de Schenectady dans leurs marchés du Nord-Ouest. Il était tellement décidé à saper leur commerce de détail qu’il était prêt à absorber une perte considérable. En outre, il prit d’autres mesures pour interrompre les entrées de fonds de l’entreprise en immobilisant les marchandises de celle-ci au portage du Niagara jusqu’à la fermeture de la navigation pour la durée de l’hiver. Les concurrents commencèrent bientôt à se diviser : Sterling, le premier à capituler, vendit à Grant ses actions dans l’Angelica. En décembre 1773, la Phyn, Ellice and Company s’avoua vaincue elle aussi et lui vendit le reste des actions ; Grant devenait maître des lacs.

Le déclenchement de la Révolution américaine provoqua des changements qui affermirent le poste officiel de Grant et, au début, renforcèrent son empire commercial. Aux restrictions sur le transport maritime privé entrées en vigueur en 1776 succéda, l’année suivante, une interdiction absolue. Sir Guy Carleton donna ordre au service de la marine intérieure de continuer la pratique d’aider les marchands quand il y avait des espaces de chargement disponibles. Or, la guerre alourdissait la tâche des autorités navales dont les moyens pour s’occuper à la fois des besoins de l’armée et de ceux des marchands étaient déjà restreints. Par la force des choses, la couronne se tourna vers Grant. Il s’ensuivit que trois des propres bâtiments de Grant, les schooners Hope et Faith, et le sloop Angelica, furent engagés au service du roi sur le lac Érié, le 25 août 1775, moyennant la somme de £8 par mois. En 1777, le Caldwell était en service sur le lac Ontario à raison de £12 par mois. Cette année-là, Grant recevait le commandement naval des lacs Ontario, Érié, Huron et Michigan. En 1778, après la division du service de la marine en trois commandements distincts, Grant obtenait celui des lacs Érié, Huron et Michigan.

La dépendance totale des marchands vis-à-vis de Grant dans le domaine du transport maritime représentait pour eux une importante source de frustration. En 1778, John Askin dut solliciter la faveur de Grant pour qu’il pourvût au transport de ses marchandises. Le 5 janvier 1780, les marchands de Detroit adressèrent une pétition au gouverneur Haldimand concernant les pertes et les retards qu’ils avaient subis à cause de l’interdiction du transport maritime privé. Quelques mois plus tard, dans un rapport adressé au gouverneur et portant sur la traite des fourrures, le marchand de Québec Charles Grant remarquait, à propos du commerce sur le lac Ontario et sur le lac Érié, que « des faveurs abusives [avaient été] accordées dans le transport des marchandises à Niagara et à Detroit, ce qui expliqu[ait] pourquoi le commerce de ces régions [était] tombé aux mains d’un petit nombre, au grand détriment de beaucoup d’honnêtes gens ». La même année, Grant vendit « ses vaisseaux sur les lacs » au gouvernement ; cependant, en 1784, apparaissait encore un arriéré de £893 (cours d’Angleterre) sur la transaction. Un navire, que la North West Company eut l’autorisation de construire à Detroit cette année-là, allait casser le monopole militaire de la navigation ; en 1787, des vaisseaux privés purent naviguer sur le lac Ontario et, l’année suivante, on ouvrit les lacs Supérieur, Michigan et Huron.

Les dépenses de la marine provinciale à Detroit atteignirent des montants considérables. À la fin de la guerre d’Indépendance américaine, Grant commandait un effectif de 77 officiers et marins et de 11 civils. On consacra des sommes substantielles au matériel et aux vivres destinés à la marine. En août 1778, Haldimand fit paraître un règlement concernant la rédaction des notes de dépenses et la production de pièces justificatives. L’année suivante, se plaignant que les pièces de Grant paraissaient « bien irrégulières », il ordonna une enquête sur ses comptes puisque des « dépenses énormes [...] l’oblige[aient] à y mettre de l’ordre ». En mai, il écrivit à John Schank*, commandant naval sur le lac Ontario, que Grant ne pourrait conserver son poste que s’il se comportait comme il fallait. De son côté, Grant demanda par deux fois que l’on examinât ses comptes généraux, mais Haldimand refusa.

Le revenu que Grant retirait de ses fonctions officielles comme de son commerce baissa considérablement pendant la guerre. En 1776, il avait perdu sa demi-solde et, après la guerre, il subit une réduction de salaire. La location de ses navires puis leur vente lui avaient évidemment profité mais, en revanche, cette vente ne lui permit plus, semble-t-il, de participer au transport maritime privé. De plus, il avait perdu 12 000 acres de terre dans la province de New York qu’il évaluait à £6 000 (cours de New York). En 1784, il adressa donc une pétition dans laquelle il demandait une « subsistance permanente [...] convenant à son long service » et chercha à faire entériner une concession que les Indiens lui avaient donnée.

Dans la vie civile, Grant se hissa bientôt au premier rang. Le 3 janvier 1786, il fut nommé juge de paix, charge qu’on renouvela jusqu’à sa mort. Lors de la division de l’ouest de la province de Québec en districts administratifs, en 1788, on le nomma au conseil des terres du district de Hesse. Puis, deux ans plus tard, sir John Johnson* appuya sa candidature au Conseil exécutif de la future province du Haut-Canada. En 1792, à la demande du lieutenant-gouverneur Simcoe, Grant, « qu’il fallait revêtir sur-le-champ de l’éminence et de la respectabilité de sa position », fut l’un des cinq conseillers nommés cette année-là. Il devint aussi membre du Conseil législatif en même temps que deux autres conseillers exécutifs originaires de Detroit, James Baby* et William Robertson. Même si Peter Russell, administrateur de la province, rapporta plus tard que Grant n’assistait pas souvent aux réunions des conseils à cause des distances et de ses fonctions officielles, le fait même de ses nominations témoignait de la réputation dont il jouissait dans la province.

Grant collectionna aussi une série de postes régionaux. On l’avait nommé membre de la première commission des héritiers et légataires du district de Western le 30 juin 1798, et il reçut sa dernière nomination le 9 mars 1812. En janvier 1799, à la mort d’Alexander McKee*, Grant, Baby et Thomas McKee se virent confier, à titre collectif, la charge de surintendant général adjoint des Affaires indiennes. Deux mois plus tard, on annula leur mandat, qui était temporaire, quand William Claus* accéda à ce poste. Le décès d’Alexander McKee fournit à Grant une autre récompense, celle de se voir nommer lieutenant du comté d’Essex le 23 août 1799.

Grant consacra la plus grande partie de son temps et de ses énergies au service de la marine intérieure, entreprise d’envergure puisqu’elle apporta aux Britanniques la maîtrise des lacs et qu’elle garantit l’approvisionnement des postes de l’Ouest. Les historiens, tout en étant conscients de ce fait, en ont souligné les carences, en particulier l’incompétence de certains membres du personnel et le délabrement des bateaux. Témoignant devant le Conseil législatif en 1788, Robertson s’était plaint que, à une exception près, « les vaisseaux du roi [... étaient] pour la plupart impropres au service, à moins d’un radoub complet ». Simcoe reconnut le problème et la nécessité d’augmenter et de revaloriser les forces navales en cas d’hostilités contre les États-Unis, mais rien ne fut fait. Il déclara que Grant était « tout à fait qualifié pour ses tâches techniques, et digne de confiance ». Or, il était évident que le surintendant du service de la marine intérieure n’avait pas que des qualités. Dans son métier, par exemple, il manquait d’initiative. Lorsqu’en 1794 Simcoe s’inquiéta d’un manque chronique de marins, Grant le réconforta gaiement, méconnaissant par là la gravité de la situation. Seule l’intervention du commandant de Detroit, Richard G. England, mit fin à cet état de choses. Quant aux ennuis que Grant eut à propos des comptes du service de la marine, ils se reproduisirent constamment. Le 14 octobre 1797, on le blâma pour avoir fait des dépenses sans l’autorisation nécessaire, et, en juin 1801, le lieutenant-gouverneur Peter Hunter exprima ses craintes concernant des montants considérables qui avaient été consacrés à des réparations de navires sans soumission de devis préalable.

Le décès imprévu de Hunter en août 1805 fit que Grant reçut d’office le gouvernement de la province du Haut-Canada. Russell convoqua une réunion du Conseil exécutif le 7 septembre. Les participants, soit Russell, Æneas Shaw et John McGill*, l’un des principaux conseillers de Hunter, décidèrent qu’il faudrait demander à Grant, en tant que doyen des conseillers, de se rendre immédiatement à York (Toronto). Il y arriva le 10 et, le lendemain, il assumait la charge d’administrateur de la province. L’ex-administrateur Russell qui ne s’était pas opposé à la résolution du conseil, le 7, entreprit, le jour suivant, de faire valoir ses droits à la préséance. Il présenta même des arguments en faveur de son ancienneté, bien qu’en 1799, quand il avait tenté de revendiquer son droit à la présidence du conseil, il avait reconnu que d’autres avaient plus d’ancienneté. Grant donna à entendre à son ami John Askin que les intrigues de Russell provenaient des « conseils d’un nouveau venu, un gentleman du pays [d’Askin] haut placé dans le département de la Justice [de la province] », allusion au juge Robert Thorpe*. En fait, la nomination de Grant provoqua une sévère critique de la part de Thorpe qui le tenait pour vieux et incompétent, l’outil servile parmi les « instruments écossais » de Hunter, tels que McGill. Selon les termes de Thorpe, « le système du dernier gouvernement consistait à extorquer et à opprimer [... ] ; le désir du présent gouvernement était de continuer dans le même sens ».

Quoi qu’on puisse dire de l’analyse de Thorpe, il est vrai que Grant suivait la voie de Hunter. Grant s’était senti inquiet après son entrée en fonction, mais, « grâce à deux hommes très honorables connaissant très bien les intentions et les secrets de feu [le] noble lieutenant-gouverneur au sujet des affaires de [la] province », il acquit rapidement une certaine dose de sérénité. McGill et Thomas Scott*, qui avaient été parmi les principaux lieutenants de Hunter, devinrent les premiers courtisans du gouvernement de Grant. Il faut dire cependant à la décharge de Grant qu’il avait quelque raison d’adopter cette ligne de conduite. Il expliqua en privé à lord Castlereagh qu’il ne se sentait pas « libre, dans [sa] situation temporaire, d’interrompre ce qu’il [Hunter] avait autorisé ». Quant à Scott et à McGill, leur influence provenait de leur compétence et du fait qu’ils s’étaient familiarisés avec le pouvoir exécutif du temps de Hunter. Grant était son propre maître et il lui arriva de dévier de la politique suivie par son prédécesseur. Mais, dans l’immédiat, il voulait assurer la continuité et avait peu de fonctionnaires qu’il pouvait choisir pour le conseiller. Shaw ne quittait sa ferme que pour les réunions du conseil. Russell, lui, se considérait offensé et, d’ailleurs, il n’avait pas fait partie du cercle de Hunter. Quant au juge William Dummer Powell*, il aurait pu être un candidat éventuel mais, comme Russell, il n’avait pas été parmi les proches de Hunter.

À York, Grant habita avec William Allan*, marchand de la place, plutôt que de demeurer à la résidence officielle. Son inquiétude du début, causée par le souci de bien faire, disparut vite et il devint « parfaitement tranquille d’esprit, ce qu’[il] n’étai[t] pas d’abord ». Son contentement personnel reflétait, semble-t-il, l’humeur de la société de la province où « tous paraiss[aient] satisfaits, puisque les choses [allaient] paisiblement ». Cette apparente quiétude du corps politique ne devait pas durer. Le 4 février 1806, Grant inaugura le Parlement. Plusieurs semaines après, il signala que la « chambre des Communes ne fai[sait] que vomir des doléances et des récriminations à l’endroit du gouvernement du général Hunter, et que [le] harceler, [lui] et [les] favoris [de Hunter] ». Il souligna que Thorpe et William Weekes étaient les « fauteurs de tout le désordre aux Communes ». Dans une lettre personnelle, Thorpe se plaignit de ce que les « frais de cette marine inutile [... étaient] énormes [...], le Président [Grant était] en train de construire pour son gendre un navire qui coûterait £3 000 ». Grant avait bien donné ordre de construire à Amherstburg un nouveau yacht pour la province, mais on ignore si c’était dans le dessein qu’avait laissé entendre son critique.

La seule grande différence entre le gouvernement de Grant et celui de Hunter résidait dans le style, non dans la politique. D’après Grant, « bien que feu [son] bon et digne prédécesseur fût raisonnable et intelligent, vers la fin il avait traité très durement la plupart de ceux qui avaient eu affaire à lui ». Grant, lui, était conciliant. En octobre 1805, il avait écrit au secrétaire d’État aux Colonies, le comte de Camden, qu’il y avait peu de chances que l’on adoptât le projet de loi destiné à accorder des terres aux étrangers « à cause du préjugé quasi universel [...] contre les étrangers de toute espèce qui venaient s’établir ». Lorsque la chambre rejeta le projet de loi par une majorité écrasante, Grant, sagement, le laissa tomber. D’autre part, l’Assemblée, dirigée par Weekes, insista pour que le conseil prenne des mesures contre certaines des réformes les plus contestées de Hunter, telles que les restrictions concernant les Loyalistes et les militaires qui réclamaient des terres, et la révision du barème des droits relatifs aux concessions. Sur le second sujet, Grant fut inébranlable ; quant au premier, il promit de faire enquête et finit par publier des proclamations rétablissant les privilèges perdus.

Parmi les travaux de cette session législative, une affaire en particulier ressort nettement. Le comité des comptes publics présidé par Weekes soutenait que Hunter avait dépensé £617 13 shillings 7 pence sans autorisation préalable de l’Assemblée. En fait, celui-ci avait poursuivi cette pratique depuis 1803 sans provoquer de récrimination. Qualifiant l’action de Hunter de violation du « premier et du plus constitutionnel des privilèges » de la chambre, celle-ci insista pour que l’argent fût restitué au trésor provincial. Lorsqu’elle signala l’affaire à Grant, celui-ci déclara que, d’après ses recherches, le gouverneur n’avait pas reçu d’autorisation pour cette affectation de fonds, et il fit restituer la somme.

Grant ne fit rien pour exacerber l’animosité politique ; il fit même beaucoup, en peu de temps, pour en supprimer quelques-unes des causes. Après la prorogation du Parlement, l’exaltation de l’arène politique lui manqua. Il pressa un correspondant de leur envoyer « quelque chose pour [les] égayer car c’ [était] bougrement morne depuis la fin de la session ». C’était en effet si morne qu’il décida d’aller passer quelques jours à Niagara (Niagara-on-the-Lake) et à Queenston (maintenant partie de Niagara-on-the-Lake). Les derniers mois de son gouvernement s’avérèrent relativement paisibles et, le 25 août 1806, Francis Gore*, le nouveau lieutenant-gouverneur, lui succéda.

Bien que Grant fût encore une des cibles des invectives de Weekes aux assises de l’automne de 1806 à Niagara, il vieillissait et participait de moins en moins souvent aux affaires publiques. En 1807, Gore, supposant apparemment qu’il désirait être relevé de ses fonctions, nomma François Baby* pour lui succéder au poste de lieutenant du comté. Courtois, le vieil homme remercia le lieutenant-gouverneur de son attention à le « soulager ainsi des grandes fatigues et des lourds soucis inhérents à cette tâche ». Quand Gore découvrit qu’il s’était trompé, il renouvela le mandat de Grant le 17 décembre. Pour sa part, Grant prit la chose du bon côté et écrivit : « Mme Grant était bien contente que je sois remplacé [...], je suppose qu’elle sera maintenant contrariée. » Il assistait rarement au conseil, invoquant en guise d’excuse son âge avancé et ses infirmités. En janvier 1812, le capitaine Andrew Gray recommanda brutalement dans un rapport sur l’état du service de la marine que Grant fût mis à la retraite parce qu’« il ne [pouvait] être de quelque utilité, mais [qu’il pouvait] peut-être nuire en barrant le passage aux autres ». Il prit sa retraite le 30 mars suivant et George Benson Hall* le remplaça.

Sous la plume de George Thomas Landmann*, ingénieur militaire britannique, émane une peinture très frappante de Grant. Il remarque que Grant avait un « visage rond, plein, grêlé, aussi vermeil qu’une grenade » et le décrit comme « un vieil Écossais, gros et fort, pas très raffiné mais très aimable [qui] avait beaucoup de filles, toutes très jolies, toutes très vives, aimant toutes la danse et ayant toutes très envie de se marier dès que possible ». Il est sûr que Grant manquait de manières. Il n’était qu’à demi instruit et absolument sans prétention. Selon une anecdote qu’aimaient relater ses contemporains, lors de sa présentation au prince Edward Augustus, Grant s’écria sans se laisser décontenancer : « Comment allez-vous, monsieur le prince ? Comment va votre papa ? »

Du temps où Alexander Grant était administrateur du Haut-Canada, Askin lui écrivit : « Je pense que vous aimeriez mieux être avec [votre famille] que siéger en grand apparat. Vous n’êtes pas de ceux qui préfèrent les honneurs aux agréments de la vie familiale. » Au centre de l’univers de Grant, il y avait sa femme et ses enfants, et puis leur ferme à Grosse Point. C’était, selon ses termes, « une très belle ferme sur une terre excellente avec un bon manoir et tous les autres bâtiments – beau jardin et grand verger ». Sauf lorsque les devoirs de sa charge le retenaient ailleurs, il y passait tout son temps. En fait, même après la cession de Detroit aux Américains en 1796 et le déplacement à Amherstburg du quartier général de la marine, il continua de résider à sa ferme. La bonne marche en revenait à son épouse bien-aimée, de 24 ans sa cadette. Quand ils s’étaient mariés, elle ne parlait pas l’anglais et lui, pas le français. Il dut faire venir un dictionnaire de New York, mais cet état de choses ne semble pas avoir entravé leurs relations. Ils eurent 12 enfants, et il ne fait pas de doute qu’il aima sa femme tant que dura leur vie commune. Elle était à « la barre » de la famille et n’aurait jamais quitté son poste, ce qui faisait dire à Grant que même son fils adoptif, John, « qui [était] éveillé et actif, ne [pouvait] rien faire sans consulter Mme Grant, sauf embrasser sa femme ». Quand Grant était absent, il demandait à ses amis intimes, à Askin par exemple, d’essayer de la faire quitter la ferme pour quelques jours mais, apparemment, ils y réussirent rarement. Vers la fin de 1805, Grant fut tellement soulagé d’apprendre par un mot d’Askin que la santé de sa femme s’améliorait, qu’il lui répondit : « Je me sens plein d’ardeur et j’ai épuisé 15 couples en dansant l’autre soir. » Il se réjouit également à la nouvelle qu’Askin avait eu l’intention d’inviter sa femme à lui rendre une visite, « puisque [lui] et elle caus[eraient] en tête à tête de choses et d’autres, ce qui [ferait] bien rire la vieille ». Après la mort de celle-ci, le 11 novembre 1810, Grant écrivit à son propre frère qu’il n’y eut « peut-être jamais une aussi bonne mère et une femme aussi gentille ». Quant à Grant, il mourut à sa résidence en 1813 et fut inhumé à Sandwich (Windsor), dans le Haut-Canada.

En collaboration avec Carol M. Whitfield

AO, ms 75 ; ms 497, Alexander Grant, draft of memorial, 17 juin 1786 ; copy of letter, Grant à Alpine Grant, 15 juill. 1811.— APC, MG 23, HI, 3, vol. 10 : 20 ; RG 5, A1 : 2668, 5183 ; RG 8, I (C sér.), 722A : 36s., 70, 94s. ; 723 : 8, 40, 42s., 111, 115, 164 ; 725 : 3, 13, 32, 36s., 39–43, 62, 191 ; 726 : 9, 24, 38, 41, 48, 73, 81, 116, 139, 215, 217 ; 727 : 15, 22s., 40 ; 728 : 23, 36, 84s. ; RG 68, General index, 1651–1841 : ff.249–252, 287, 310, 325, 403, 406, 409, 412, 419, 422–423, 542, 630.— BL, Add. mss 21735/2 : f.555 ; 21783 : f.405 ; 21876 : ff.135–137.— Clements Library, Thomas Gage papers, American ser., 44, Alexander Grant à Gage, 11 oct. 1765 ; 59, Grant, report vessels at Niagara, 16 nov. 1766 ; 79, Grant à John Brown, 2 août 1768 ; 84, facture de Henry White à Grant, 8 avril 1769 ; 93, Grant à Gage, 21 juill. 1770 ; 119, Grant à White, avec facture, 27 avril 1774.— PRO, CO 42/339 : ff.163, 167–168 ; 42/340 : ff.3, 5–6, 9, 17, 340 ; 42/342 : ff.35, 43, 88, 108, 110, 146–148 ; WO 17/1489 : ff.12, 15–16, 18–19, 23–32 ; WO 34/50 : ff.35, 37, 50, 54, 61, 63, 83, 86–88, 140–141, 144–146, 196, 201, 207, 209, 216, 259 ; 34/64 : 168, 220, 224 ; 34/65 : 15, 40–41, 109, 111, 137, 166.— QUA, Richard Cartwright papers, letterbook (transcription aux AO).— « Board of land office, District of Hesse », AO Report, 1905 : 1–268.— Corr. of Hon. Peter Russell (Cruikshank et Hunter).— Corr. of Lieut. Governor Simcoe (Cruikshank).— John Askin papers (Quaife).— Johnson papers (Sullivan et al.), 4 : 540 ; 8 : 105s., 223s. ; 10 : 130s.— « Journals of Legislative Assembly of U.C. », AO Report, 1911 : 57–116.— Knox, Hist. journal (Doughty), 2 : 195s. ; 3 : 56s., 61–64, 72, 74.— Landmann, Adventures and recollections, 1 : 10–12.— Mich. Pioneer Coll., 11 (1887) : 640s., 647 ; 17 (1890) : 604 ; 19 (1891) : 32, 304s., 312s., 336, 343, 346, 366, 368, 431, 433, 436, 450, 492s., 495, 502, 507, 520, 555s., 559, 592s., 601s., 626, 644, 649, 653, 659, 664, 667 ; 20 (1892) : 1s., 5s., 8, 88s., 158, 237, 256s., 307s., 669s. ; 23 (1893) : 186, 264, 268s., 342, 347, 353s. ; 24 (1894) : 6 ; 25 (1894) : 25, 148, 151, 153, 191, 194s., 201, 221s., 229.— « The north west trade », APC Report, 1888 : 59–62.— « Ordinances made for the province of Quebec by the governor and Council of the said province, from 1768 until 1791 [...] », APC Report, 1914–1915 : 205–211.— « Petitions for grants of land » (Cruikshank), OH, 24 : 71s. ; 26 : 195s.— « Political state of U.C. », APC Report, 1892 : 32–37, 40s., 46s.— « The probated wills of persons prominent in the public affairs of early Upper Canada : second collection », A. F. Hunter, édit., OH, 24 (1927) : 383–385.— Select British docs. of War of 1812 (Wood), 1 : 248–258, 288s.— Town of York, 1793–1815 (Firth), 184, 259, 261, 263.— Windsor border region (Lajeunesse), 65, 106, 158, 172, 176, 193, 210–212, 225.— Wis., State Hist. Soc., Coll., 11 (1888) : 185–200.— Upper Canada Gazette, 21 sept. 1805, 17 mai 1806.— Armstrong, Handbook of Upper Canadian chronology, 13, 33, 141.— G.-B., WO, Army list, 1759 : 131 ; 1763 : 138 ; 1784 : 282.— Officers of British forces in Canada (Irving).— C. R. Canedy, « An entrepreneurial history of the New York frontier, 1739–1776 » (thèse de ph.d., Case Western Reserve Univ., Cleveland, Ohio, 1967), 226, 231, 239s., 243s., 250, 337–347, 355.-Craig, Upper Canada, 43, 58, 61.— Creighton, Commercial empire of the StLawrence, 71.— E. A. Cruikshank, « The contest for the command of Lake Erie in 1812–13 », The defended border : Upper Canada and the War of 1812 [...], Morris Zaslow et W. B. Turner, édit. (Toronto, 1964), 84s.— G. A. Cuthbertson, Freshwater : a history and a narrative of the Great Lakes (Toronto, 1931), 120, 283.— D. R. Farrell, « Detroit, 1783–1796 : the last stages of the British fur trade in the old northwest » (thèse de ph.d., Univ. of Western Ontario, London, 1968), 94s., 99, 110, 174, 244–246.— Gates, Land policies of U.C., 59, 74–77, 324.— J. M. Hitsman, Safeguarding Canada, 1763–1871 (Toronto, 1968), 57, 60s.— C. P. Stacey, « Another look at the battle of Lake Erie », The defended border : Upper Canada and the War of 1812 [...], 105–107.— W. S. Wallace, The family compact : a chronicle of the rebellion in Upper Canada (Toronto, 1915), 4s., 10s.— Wilson, « Enterprises of Robert Hamilton », 60, 111–113, 141.— W. A. B. Douglas, « The anatomy of naval incompetence : the Provincial Marine in defence of Upper Canada before 1813 », OH, 71 (1979) : 3–25.— R. H. Fleming, « Phyn, Ellice and Company of Schenectady », Contributions to Canadian Economics (Toronto), 4 (1932) : 13–16.— « The king’s shipyard », Burton Hist. Coll. Leaflet (Detroit), 2 (1923–1924) : 18–32.— G. F. Macdonald, « Commodore Alexander Grant (1734–1813) », OH, 22 (1925) : 167–181.— M. M. Quaife, « Detroit biographies : Commodore Alexander Grant », Burton Hist. Coll. Leaflet, 6 (1927–1928) : 65–80.

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En collaboration avec Carol M. Whitfield, « GRANT, ALEXANDER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/grant_alexander_5F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1983
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