DU CALVET, PIERRE, garde-magasin, marchand, juge de paix et seigneur, né en 1735 à Caussade (dép. de Tarn-et-Garonne, France), fils de Pierre Calvet et d’Anne Boudet, décédé en mer en mars 1786.

Pierre Du Calvet était l’aîné d’une famille d’au moins cinq enfants. En 1758, il s’embarqua pour Québec, prêt à tenter l’aventure du Nouveau Monde. Issu de père « bourgeois » et se disant d’une « famille noble », il quitta son pays pour « cause de Religion ». Il savait ce qu’il en coûtait de demeurer fidèle à la foi protestante, à laquelle son père avait dû renoncer en faisant baptiser ses enfants à l’église catholique.

Parti de Bordeaux dans l’intention de se faire marchand, un naufrage le priva, à son arrivée à Québec en juin 1758, des marchandises qu’il avait transportées avec lui. Faute de s’établir à son compte, il accepta un poste de garde-magasin à Miramichi et à Restigouche (Nouveau-Brunswick). Il demeura en Acadie de juillet 1758 à l’automne de 1759, chargé par Louis XV de pourvoir aux besoins de « trois à quatre mille » Acadiens, victimes de la déportation de 1755 et réduits à la misère. Revenu au Canada après la prise de Québec, il se vit confier la mission de retourner en Acadie pour y faire un relevé du nombre de réfugiés acadiens et rendre compte de l’état de cette région ravagée par la guerre. Il y consacra quatre mois, de janvier à avril 1760.

À la capitulation de Montréal, le lieutenant Cæsar McCormick signala Du Calvet à l’attention d’Amherst. Prisonnier en Acadie au moment où Du Calvet y séjournait à titre de garde-magasin, McCormick avait été libéré en 1759 et dirigé vers le fort Cumberland (près de Sackville, Nouveau-Brunswick) avec une trentaine de compagnons. Du Calvet faisait partie de l’escorte d’Acadiens qui les accompagnèrent de Restigouche à Caraquet.

En 1761, Murray n’hésita pas à recourir à Du Calvet pour régler l’épineux problème des Acadiens qui, loin d’accepter la capitulation, menaçaient d’intercepter des navires marchands britanniques dans le golfe Saint-Laurent. Il fut chargé de dénombrer les derniers ressortissants acadiens, en vue de les transporter à Québec. Son expédition dura trois mois et demi.

Au lendemain de la Conquête, Du Calvet consacra toutes ses énergies à édifier un commerce d’exportation qui, en peu d’années, devint très prospère. Il expédia en Angleterre et en Espagne des cargaisons complètes de blé sur des navires affrétés par la firme Watson et Rashleigh de Londres. De 1772 à 1776, il exporta près de 35 000 minots de blé, 800 minots de pois, sans compter « des castors et pelleteries ». La quantité de blé exporté valait à elle seule plus de 150 000#, au prix moyen de 4 shillings 6 pence le minot. En échange de ses exportations, il se procurait en Europe différentes marchandises dont, à l’occasion, des « balles » de plomb et de « l’acier d’Allemagne », ainsi que des spiritueux.

Tout en vaquant à ses activités commerciales, Du Calvet ne négligeait pas pour autant ses affaires familiales. En 1763, il perdit en l’espace de quelques mois son oncle, émigré en Caroline du Sud, et son père. Pour entrer en possession des biens du premier, il crut bon de se protéger par deux actes notariés, dont l’un est une affirmation de ses droits d’héritage et l’autre, une procuration à Joseph Myer, négociant londonien, en vue de s’opposer à la « distribution [...] de la dite succession » avant son arrivée à Londres. Rapidement, il prépara son départ pour l’Angleterre. La conduite de ses affaires ne souffrant pas de répit, il la laissa entre les mains de deux hommes de confiance, Jean Dumas Saint-Martin et Pierre Jussaume, dit Saint-Pierre. Son absence du Canada dura plus de deux ans. Le règlement de la succession de son père requérait aussi sa présence en Europe. Déjà intégré en Amérique, il désirait se défaire des biens-fonds légués en France par son père. Usant de diplomatie, il obtint la licence nécessaire à la libération de ces derniers, grâce à l’intervention du secrétaire d’État pour le département du Sud, lord Halifax, et à l’ambassadeur britannique à Paris. Cependant, s’il faut l’en croire, il dut « sacrifier la plus grande partie [de son] patrimoine » à cause de sa fidélité à son nouveau roi et à la religion protestante.

Du Calvet revint au Canada en juin 1766 ; il reçut alors une commission de juge de paix. Il repartit cinq mois plus tard et ne reprit contact avec le sol canadien qu’en avril 1767, ses affaires et sa commission de juge de paix l’appelant à Montréal. Dernier témoignage d’estime de Murray, cette nomination lui permit de jouer un rôle à sa mesure dans l’administration de la justice de la colonie. Il était, en effet, un justicier-né, attentif aux abus et toujours prêt à les dénoncer. De tempérament passionné et d’une verve intarissable, il se servit de sa plume comme d’un stylet, n’hésitant pas à mettre en cause et les vices du système judiciaire et la malhonnêteté de certains de ses confrères. Il se révéla également apte à concevoir des réformes constructives. En 1769, il proposa au gouverneur Guy Carleton* un projet visant à uniformiser l’administration de la justice dans toute la province. Le 28 octobre 1770, il envoya à lord Hillsborough, secrétaire d’État des Colonies américaines, un « Mémoire sur la forme judiciaire actuelle de la Province de Québec ». Remontant à l’établissement du gouvernement civil, il lui indiquait les dangers de donner trop de pouvoirs aux juges de paix. Ces derniers, habilités depuis septembre 1764 à juger sans appel « toutes les causes ou affaires de propriété, dont la valeur n’[allait] pas au-delà de cinq livres argent courant de Québec », en profitaient pour s’enrichir sans même « s’informer du fond et de la qualité de l’affaire ». En ceci, ils étaient secondés par les baillis qui, munis d’ordres en blanc, leur recrutaient une abondante clientèle. En conséquence, Du Calvet louait la façon rigoureuse mais honnête dont la justice avait été exercée sous le Régime militaire.

Convaincu de la nécessité de remédier aux abus les plus flagrants, Carleton promulgua, le 1er février 1770, une ordonnance visant à révoquer « toutes juridictions, pouvoirs et autorités, en matières de propriété », aux juges de paix. Les représentations de Du Calvet ne furent sans doute pas étrangères à cette réforme, car quelques-unes de ses idées s’y trouvèrent concrétisées. Il n’en fut pas pour autant pleinement satisfait. Dépité d’être confondu avec ceux qu’il venait de dénoncer, il jugeait « insultant » le préambule de l’ordonnance qui ne faisait aucune exception pour les juges de paix « dont la conduitte a été sage et régulière ».

Le zèle et la vigilance de Du Calvet furent loués par le gouverneur Carleton, le juge en chef William Hey et l’ex-procureur général Francis Maseres*, ce dernier le jugeant même digne d’être nommé conseiller législatif. Mais tous n’éprouvaient pas ces sentiments à l’égard de ce réformateur. Par ses virulentes dénonciations, Du Calvet s’était fait d’irrémédiables ennemis parmi ses confrères de la magistrature. Ses démêlés, avec entre autres le juge John Fraser de la Cour des plaids communs du district de Montréal, devinrent si notoires qu’il dut en appeler au président et aux membres du Conseil législatif. Il eut aussi maille à partir avec les militaires. À l’instar de ses concitoyens bourgeois qui, au nom des libertés anglaises, revendiquaient le droit à la propriété privée, il supportait mal l’obligation de devoir loger les troupes dans les résidences des particuliers. Leur présence causait du ressentiment de part et d’autre et c’est à plusieurs reprises qu’il se plaignit d’avoir été persécuté par des soldats et autres assaillants qui s’attaquèrent à sa propriété de Montréal et aux animaux de sa seigneurie de Rivière-David, près de Sorel.

Tenace, pointilleux et chicanier, habitué des tribunaux, Du Calvet sut en user et abuser. Ses causes célèbres avec les compagnies londoniennes de Watson et Rashleigh et de François Ribot alimentèrent la chronique judiciaire pendant de nombreuses années. Il alerta même l’opinion publique en faisant imprimer ses propres plaidoyers.

Depuis l’entrée en vigueur de l’Acte de Québec, en 1775, Du Calvet n’exerçait plus aucun rôle officiel dans la magistrature. L’administration de la justice ne l’en intéressait pas moins. Ses démêlés devant les tribunaux lui fournirent l’occasion de s’en prendre de nouveau à la conduite des juges et aux jugements de la cour. La Gazette littéraire pour la ville et district de Montréal, fondée par Fleury Mesplet, se prêta fort bien à ces attaques contre la justice. Son rédacteur, l’avocat Valentin Jautard, se mit de la partie et échangea, dans le journal, des lettres ouvertes avec Du Calvet. D’avril à juin 1779, leurs dénonciations de l’administration de la justice remplirent les colonnes de l’hebdomadaire. Le 26 mai, Du Calvet mit le feu aux poudres en prenant à partie les deux juges de la Cour des plaids communs, Edward Southouse et René-Ovide Hertel de Rouville, dans un réquisitoire visant tout particulièrement ce dernier. Le lendemain, Hertel de Rouville, en son nom et au nom de son collègue, porta plainte auprès du gouverneur Haldimand. La Gazette littéraire pour la ville et district de Montréal fut suspendue ; son rédacteur et son imprimeur, emprisonnés.

Le procureur général, James Monk*, poursuivit Du Calvet pour libelle. La gravité de l’accusation et l’importance des personnages impliqués rendirent cette cause compromettante. Aucun membre du barreau ne se sentit prêt à assumer la défense de l’accusé. Le jeune avocat William Dummer Powell*, nouvellement arrivé à Montréal, accepta de plaider sa cause, malgré l’avis de Monk. Du Calvet fut acquitté par un jury composé de marchands anglais de Montréal.

Le 27 septembre 1780, Du Calvet fut arrêté, non pas tant en raison de ses récents démêlés avec la justice qu’à cause de soupçons de trahison qui pesaient sur lui depuis l’invasion américaine. C’est le commandant de Montréal, le général de brigade Allan Maclean qui, fort des allégations du major Thomas Carleton*, chef d’un service de contre-espionnage établi à Saint-Jean, avait donné l’ordre de l’arrêter. Les preuves apportées contre lui reposaient sur trois lettres, adressées au général George Washington, au marquis de La Fayette et aux membres du Congrès de Philadelphie, qui avaient été interceptées. Elles étaient datées des 7 et 8 septembre et le docteur Boyer Pillon en reconnut la paternité dans sa déposition du 20 octobre suivant. Une seule d’entre elles cependant incriminait Du Calvet, celle envoyée au Congrès, que Pillon avoua avoir signée en son nom et en celui du marchand montréalais ; faible preuve, somme toute, que cette lettre. Sans prendre le temps de consulter le gouverneur et d’en recevoir un ordre écrit, Maclean fit arrêter Du Calvet. Placé devant le fait accompli, Haldimand ne récusa pas le geste de son subordonné. Comme en témoigne sa correspondance avec ce dernier, il ne jugea pas cependant que les preuves étaient convainquantes.

Les assertions de certains inculpés, accusés de complicité prorebelle, paraissaient mériter plus de crédit aux yeux du gouverneur. C’est sur leurs témoignages que Haldimand faisait reposer l’arrestation de Du Calvet et de Pillon. Parmi ces témoins à charge, quelques-uns rapportaient que Du Calvet les encourageait à se joindre à la cause des rebelles et qu’il leur offrait de les approvisionner. Enquête faite, on ne trouva guère de preuves évidentes. Haldimand avoua, par ailleurs, n’avoir que des présomptions à l’égard de Du Calvet. Assez ennuyé, il chargea le major Carleton de voir s’il y avait matière à procès dans cette affaire.

Le 6 décembre 1780, Haldimand accepta, à la demande du conseiller législatif François Lévesque, de libérer Du Calvet. Il ne s’agissait que de patienter 24 heures, le temps que Hector Theophilus Cramahé, le lieutenant-gouverneur, préparât son certificat de délivrance. Mais une malencontreuse lettre, rédigée par le prisonnier dans un style vindicatif, eut l’heur de blesser si profondément Haldimand qu’il ne voulut plus rien lui accorder. Son incarcération se prolongea deux ans et sept mois sans qu’il eût droit à aucune forme de procès. La situation précaire de la colonie, menacée d’une seconde invasion américaine, habilitait, en effet, le gouverneur à suspendre l’habeas corpus.

Quelles charges possédait-on contre Du Calvet ? L’affaire traînait depuis cinq ans. Les 7 et 9 octobre 1775, il avait déjà comparu devant un jury composé de neuf commissaires sous l’accusation de sympathiser avec les rebelles. Faute de preuve suffisante, il avait été relâché. En novembre suivant, il fut l’un de ceux à qui Richard Montgomery adressa son message invitant les habitants de Montréal à se rendre sans résistance afin d’éviter d’inutiles effusions de sang. En avril 1776, il reçut un des représentants de la délégation envoyée par le Congrès américain dans le but de convaincre les Canadiens de se joindre aux Treize Colonies. Fait plus troublant, un dénommé Pierre Du Calvet aurait fait partie du régiment canadien recruté par le colonel Moses Hazen* pour prêter main-forte aux Américains. Un document compromettant attestait qu’il avait reçu un acompte sur sa solde d’enseigne. En août 1776, après le retrait des envahisseurs, le Congrès américain autorisait sa nomination à titre de lieutenant et le paiement de huit mois de service en qualité d’enseigne. Comment Du Calvet aurait-il pu ainsi abandonner ses intérêts commerciaux ? Ne peut-on pas raisonnablement émettre une hypothèse ? Du Calvet abritait chez lui un neveu portant le même nom que lui, pour lequel l’oncle avait sollicité une lieutenance en 1770. Lors de l’invasion américaine, ce second Pierre Du Calvet aurait eu la préparation voulue pour exercer le métier des armes. Ne serait-ce pas lui qui se joignit aux volontaires canadiens commandés par Hazen ?

La charge la plus forte, mais « de peu d’évidence légale », selon le juge William Renwick Riddell*, serait la collaboration plus ou moins forcée de Du Calvet avec l’armée d’invasion américaine qui occupa Montréal pendant six mois. Rien d’étonnant à ce que ce riche marchand ait été réquisitionné pour procurer aux envahisseurs les vivres indispensables. Par la suite, Du Calvet cherchera à se faire rembourser les billets à ordre qu’il avait reçus en échange de ses marchandises. La réclamation s’élèvera à 56 394#. À quelques reprises, il sollicitera l’appui du marquis de La Fayette. Par deux fois, en octobre 1783 et en juin 1785, il rencontrera à Paris Benjamin Franklin, alors ambassadeur des États-Unis en France. Bien plus, il se rendra personnellement à New York présenter, les 3, 15 et 26 septembre 1785, mémoire et pétitions devant le Congrès continental. Grâce à ses pièces justificatives, il obtiendra qu’on lui rembourse près de la moitié de la somme réclamée, soit 5 352,50 dollars espagnols.

Ses longues années d’emprisonnement furent pour Du Calvet le cauchemar d’un homme qui se croyait victime des pires persécutions. Trouvant un exutoire dans l’écriture, il ne cessa de proclamer son innocence et de réclamer sa libération. Il lui fallut attendre jusqu’au 2 mai 1783 pour l’obtenir et aller chercher justice en Angleterre, cet « empire de la liberté ». Désireux de faire intenter un procès à Haldimand, il multiplia en vain pendant un an les requêtes au roi et aux secrétaires d’État.

Las de ces inutiles démarches, Du Calvet eut recours à la publication pour exposer ses griefs. En mars 1784, parut à Londres The case of Peter Du Calvet [...], que l’intéressé qualifia de factum destiné aux avocats chargés de sa défense. Les faits y sont exposés chronologiquement, expliqués à l’occasion pour des lecteurs peu familiers avec le contexte colonial et étayés par l’abondante correspondance du plaignant. Du Calvet n’est pas à proprement parler l’auteur de ce texte écrit en anglais, d’un ton pondéré et qui contraste avec ses autres écrits. La rédaction relèverait, en effet, de l’ancien procureur général, Francis Maseres, et du juge en chef, Peter Livius. Ce dernier était d’autant plus sympathique à la cause de Du Calvet qu’il s’était déjà prononcé contre la légalité de l’emprisonnement sans procès des prisonniers politiques.

En juin juillet 1784, Du Calvet alertait de nouveau l’opinion publique en publiant, toujours à Londres, Appel à la justice de l’État [...], véritable réquisitoire où passaient dans un style enflammé de véhémentes remontrances et de vives récriminations, et dans lequel il en appelait au roi, au prince de Galles et au ministre de l’Intérieur (responsable aussi des colonies), lord Sydney. Fort habilement, il associait son sort à celui de ses concitoyens brimés par le despotisme du gouverneur Haldimand. Il trouvait chez John Locke et les juristes Samuel von Pufendorf et Grotius matière à soutenir et à défendre leurs droits nationaux. Déjà en novembre 1783, dénonçant les abus de pouvoir de l’administration coloniale, il n’avait pas ménagé son opinion à lord North : « Vous ne souffrirez pas que notre oppression justifie aux yeux de l’Europe entière le détachement des treize provinces. » Seuls des changements immédiats et le retour aux lois constitutionnelles pouvaient permettre d’espérer conserver « la province à sa Majesté ».

Du Calvet consacrait la majeure partie de sa « Lettre à messieurs les Canadiens », pièce maîtresse de son réquisitoire, qui occupait plus de la moitié de son livre, à l’exposé d’un « plan détaillé de Gouvernement » conçu pour opérer une « salutaire révolution ». Il s’en prenait avec acharnement à l’Acte de Québec, y voyant « l’installation réelle, quoique non méditée, de l’asservissement de la Province ». Il dénonçait le régime de tutelle imposé aux Canadiens depuis la Conquête et soulignait les vices et les lacunes de la législation parlementaire de 1774. Désireux de réhabiliter les Canadiens dans leurs droits et privilèges de sujets britanniques, il proposait une série de réformes constitutionnelles et judiciaires. Après s’être assuré du maintien des lois civiles françaises, il réclamait « la réinstauration de la loi de l’Habeas Corpus [et] les jugemens par Jurés ». Ayant à cœur de restreindre les pouvoirs du gouverneur, il suggérait de le rendre justiciable des lois de la province et inapte à démettre de sa seule autorité un conseiller législatif, un homme de loi, ou à jeter en prison l’un de ses sujets. En dépit des préventions et préjugés de ses concitoyens qui craignaient de voir la province opprimée sous le poids des impôts, Du Calvet cherchait à les convaincre du bien-fondé d’une Assemblée législative, grâce à laquelle ils auraient non seulement « le plaisir & la gloire d’être [... leurs] propres Taxateurs », mais aussi, par ce moyen, de prendre un entier contrôle des dépenses publiques. Ainsi anticipait-il ce qui, 30 ans plus tard, allait devenir le cheval de bataille de la chambre d’Assemblée du Bas-Canada : la question des subsides. Il proposait aussi la réforme du Conseil législatif, en doublant le nombre des conseillers et en le rendant partiellement électif, afin qu’il cessât d’être un simple « corps de réserve » soumis à la volonté du gouverneur. Point du tout fanatique, ce protestant de croyance recommandait « l’entrée libre en Canada aux Prêtres Romains ». Les six autres articles de son projet portaient notamment sur la nomination de six représentants de la colonie au « Sénat britannique », la naturalisation des Canadiens, le rétablissement du Conseil supérieur comme tribunal judiciaire, la formation d’un régiment autochtone, la liberté de la presse et l’« Institution des Collèges pour l’éducation de la Jeunesse ». À ce sujet, Du Calvet recommandait l’appropriation des biens des jésuites pour le soutien d’« Écoles publiques, assorties à tous genres d’éducation ». L’Appel à la justice de l’État exerça une grande influence sur les compatriotes de Du Calvet. Il fut un de ceux qui contribuèrent le plus à les sensibiliser à la nécessité et à l’urgence de réformes constitutionnelles et à les inciter à s’allier aux colons anglais pour obtenir gain de cause. Il polarisa les courants d’opinion tant et si bien que les réformistes canadiens virent en lui un inspirateur. L’ouvrage fit sensation dans ce milieu comme en témoignent les hommages rendus par les comités de Québec et de Montréal, qui groupaient les chefs de file du mouvement. Du Calvet, dans ses écrits, a malheureusement laissé trop souvent libre cours à ses ressentiments. S’il faut en croire les témoignages du capitaine John Schank* et du père Félix Berey Des Essarts, il aurait plus imaginé que subi les mauvais traitements dont il se plaignit d’avoir été l’objet à bord du Canceaux et au monastère des capucins de Québec, transformés en prisons pour les détenus politiques. Ne cherchons donc pas dans les deux ouvrages de Du Calvet un témoignage objectif. Voyons-y plutôt le cri d’un homme désespéré de ne pas pouvoir obtenir « justice prompte de l’État ».

Pour l’élaboration de son plan de réformes, Du Calvet reçut l’aide de son ami Maseres qui lui fit profiter de ses connaissances juridiques. La collaboration de Pierre-Joseph-Antoine Roubaud fut beaucoup moins heureuse, et Du Calvet regretta sans doute amèrement de s’être laissé prendre au jeu d’un aussi perfide personnage qui lui servit de secrétaire. Ce dernier n’hésita pas à trahir la confiance de Du Calvet en jouant le rôle d’espion et de délateur pour le compte du sous-secrétaire d’État au ministère de l’Intérieur, Evan Nepean, et de Haldimand lui-même.

Le 3 octobre 1771, Du Calvet avait épousé à la Christ Church de Montréal Marie-Louise, fille de Pierre Jussaume, dit Saint-Pierre, de 15 ans sa cadette. Leur vie conjugale fut de courte durée. Trois ans plus tard, la jeune épouse s’éteignait après avoir donné naissance à trois garçons dont un seul survécut, John, bientôt appelé Jean-Pierre, puis Pierre comme son père. Le dernier des fils de Du Calvet, né en octobre 1774, deux mois avant le décès de sa mère, avait été prénommé Guy, comme son parrain, Guy Carleton.

Se considérant « dans la classe des principaux [citoyens] de Montréal », possédant, outre les terrains ayant appartenu aux Jussaume, rues Saint-Jean et Saint-Paul, d’autres propriétés, vergers ou jardins, rue Saint-Paul et place du Marché, en plus de sa seigneurie de Rivière-David, et de deux arrière-fiefs, Du Calvet avait dû mettre ou laisser mettre en vente ses biens-fonds pour payer les frais occasionnés par ses procès et ses nombreux déplacements en France, en Angleterre et aux États-Unis. À sa mort, le passif (94 000#) l’emportera sur l’actif, comme le montre l’imposant inventaire après décès. La succession n’était pas des moindres. Malheureusement, trop de créances (82 000#) et de marchandises non vendues l’alourdissaient.

La mort, en effet, devait empêcher Du Calvet de mener à terme le procès qu’il avait intenté à Haldimand et de voir son Appel à la justice de l’État porter fruits. Après un bref séjour au Canada où il avait de nouveau signé une procuration générale à Jean Dumas Saint-Martin, Du Calvet s’empressait de retourner en Angleterre en mars 1786. Partis de New York à bord d’un bateau espagnol, le 3, Du Calvet et ses compagnons étaient, quelques jours plus tard, ramenés sur la côte par des vents contraires. Reparti le 15 du même mois, le vaisseau devait disparaître corps et biens au cours d’une violente tempête. Ainsi périt Du Calvet.

Il semble que ce soit Maseres qui, après la brusque disparition de son ami, se soit chargé d’assurer la subsistance de l’unique fils de Du Calvet, âgé d’à peine 12 ans, et qui vivait en Angleterre depuis août 1783.

Pierre Tousignant et Madeleine Dionne-Tousignant

Pierre Du Calvet, Appel à la justice de l’État ; ou recueil de lettres au roi, au prince de Galles, et aux ministres ; avec une lettre à messieurs les Canadiens, [...] une lettre au général Haldimand lui-même ; enfin une dernière lettre à milord Sidney [...] (Londres, 1784) ; The case of Peter Du Calvet, esq., of Montreal in the Province of Quebeck, containing, amongst other things worth notice, an account of the long and severe imprisonment he suffered in the said province [...] (Londres, 1784) [La rédaction de ce dernier ouvrage ne relèverait pas de Du Calvet mais bien de deux de ses amis : Francis Maseres et Peter Livius.] ; Mémoire en réponse à l’écrit public, de Me Panet, fondé de procuration de Watson & Rasleigh de Londres, demandeurs, contre Pierre Ducalvet de Montréal, écuyer, défendeur [...] (Montréal, 1779).

En 1888, le dépouillement et l’inventaire de la collection Haldimand, dans APC Rapport, amenèrent l’archiviste Douglas Brymner* à porter des jugements sévères sur Du Calvet. Quelques membres de la Société royale du Canada, tels Benjamin Sulte*, Mélanges historiques (Malchelosse), VII : 76–98, Francis-Joseph Audet*, « Sir Frédéric Haldimand », SRC Mémoires, 3e sér., XVII (1923), sect. : 127–149, et Gustave Lanctot*, le Canada et la Révolution américaine, emboîtèrent le pas et tentèrent de disculper Haldimand des accusations portées contre lui. Ils en vinrent même à faire de ce général « l’un des meilleurs gouverneurs que [leur] ait envoyés Downing Street ». À défaut d’avoir su comprendre le sens et la portée de l’action politique de cet esprit libéral et réformateur, ils ne virent en Du Calvet qu’un « cynique traître » dont ils se plurent à noircir la réputation. Passant outre aux jugements trop catégoriques de ses détracteurs, l’historien Lionel Groulx*, Hist. du Canada français (1950–1952), III : 94s., à l’instar de François-Xavier Garneau*, Hist. du Canada (1859), III : 51–54, sut reconnaître l’originalité de l’apport de Du Calvet qui manifesta « une hardiesse de pensée fort en avance sur son époque ».  [p. t. et m. d.-t.].

AD, Gironde (Bordeaux), Registre d’embarquement de passagers : certificat de catholicité, 1758 ; Tarn-et-Garonne (Montauban), État civil, Caussade, 1735.— ANQ-M, État civil, Anglicans, Christ Church (Montréal), 3 oct. 1771, 7 juill., 31 août 1772, 8 nov. 1773, 16 oct. 1774, 11 mai 1775 ; Greffe de P.-F. Mézière, 29 mars, 29 mai 1764, 11 févr. 1786.— APC, MG 11, [CO 42] Q, 7, pp.7s. ; 19, pp.171–173, 253 ; 20, p.184 ; MG 23, B3, CC41, pp.15–19.— ASQ, Fonds Viger-Verreau, Carton 13, nos 33, 34 ; 17, nos 44, 49, 51 ; 20, no 43 ; 42/3, no 2 ; Sér.O, 040A, p.17.— BL, Add. mss 21 791, p.80 ; 21 795, pp.156, 163 ; 21 807, p.278 ; 21 843, pp.202s. ; 21 845, p.353 ; 21 865, pp.1, 5, 45s., 97, 148s., 166–175, 242, 260, 268–286 ; 21 886, pp.40s., 65–68, 109–112, 141s., 198, 200, 211 (copies aux APC).— PRO, CO 42/5, ff.270–270v. ; 42/20, ff.8–9, 28 ; 42/30, ff.105, 168v., 170, 175–180, 184, 188–188v., 193v., 194, 197, 198 ; 42/34, f.261 ; 42/43, ff.24–25, 30.— American archives (Clarke et Force), 5e sér., I : 1 604.— [Félix Berey Des Essarts], Réplique par le P. de Berey aux calomnies de Pierre Du Calvet contre les récolets de Québec, APC Rapport, 1888, 40–43.— Fabre, dit Laterrière, Mémoires (A. Garneau).— [Benjamin Franklin], The works of Benjamin Franklin ; containing several political and historical tracts not included in any former edition and many letters, official and private, not hitherto published ; with notes and a life of the author, Jared Sparks, édit. (10 vol., Boston, 1840), X : 330.— Journals of the Continental Congress, 1774–1789 ; edited from the original records in the Library of Congress, W. C. Ford et al., édit. (34 vol., Washington, 1904–1937), XXVI : 260s. ; XXX : 90.— [Francis Maseres], An account of the proceedings of the British, and other Protestant inhabitants, of the province of Quebeck, in North-America, in order to obtain an house of assembly in that province (Londres, 1775) ; Additional papers concerning the province of Quebeck : being an appendix to the book entitled, An account of the proceedings of the British and other Protestant inhabitants of the province of Quebeck in North America, [in] order to obtain a house of assembly in that province (Londres, 1776).— Pierre Du Calvet, J.-M. Le Moine, édit., BRH, I (1895) : 14s.— Pierre Du Calvet, J.-J. Lefebvre, édit., ANQ Rapport, 1945–1946, 341–411.— La Gazette de Québec, 22 mars, 9 août 1770, 31 mai–27 déc. 1781, 1782, 1785, 1786.— La Gazette littéraire pour la ville et district de Montréal, 7, 14, 21, 28 avril, 26 mai, 2 juin 1779.— [F.-M.] Bibaud, Le panthéon canadien : choix de biographie dans lequel on a introduit les hommes les plus célèbres des autres colonies britanniques (Montréal, 1858).— DOLQ, I : 35–37.— L.[-H.] Fréchette, La légende d’un peuple (Paris, 1887), 211–215.— Adélard Gascon, Pierre Du Calvet : monographie (thèse de ph.d., université d’Ottawa, 1947).— Émile Lauvrière, La tragédie d’un peuple : histoire du peuple acadien, de ses origines à nos jours (3e éd., 2 vol., Paris, 1922), II.— Tousignant, La genèse et l’avènement de la constitution de 1791.— Auguste Vachon, Pierre Roubaud, ses activités à Londres concernant les affaires canadiennes, 1764–1788 (thèse de m.a., université d’Ottawa, 1973).— E. C. Wright, The Miramichi, a study of the New Brunswick river and of the people who settled along it (Sackville, N.-B., 1944).— É.-Z. Massicotte, Pierre Ducalvet inculpé en 1775, BRH, XXIX (1923) : 303s.— W. R. Riddell, Pierre Du Calvet : a Huguenot refugee in early Montréal ; his treason and fate, OH, XXII (1925) :239–254.

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Pierre Tousignant et Madeleine Dionne-Tousignant, « DU CALVET, PIERRE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/du_calvet_pierre_4F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
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