Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 3021636
LIVIUS, PETER, juge en chef de la province de Québec, né le 12 juillet 1739 à Lisbonne, Portugal, fils de Peter Livius, décédé le 23 juillet 1795 alors qu’il était en route pour Brighton, Angleterre.
Peter Livius était le sixième enfant d’un Allemand de Hambourg à l’emploi du comptoir anglais de Lisbonne. Sa mère, qui était Anglaise, l’envoya à l’école en Angleterre où, vers 1758, il épousa Anna Elizabeth, fille du colonel John Tufton Mason. Ce mariage fut à l’origine de sa fortune personnelle.
En 1763, Livius déménagea au New Hampshire, où la famille de sa femme possédait de grandes étendues de terre. Il s’installa somptueusement près de Portsmouth, montrant du premier coup une habileté marquée à créer de l’animosité autour de lui ; sa naissance portugaise et son style de vie fastueux ne s’oubliaient pas facilement. Il se fit du crédit dans la société coloniale grâce à un don de livres qu’il fit en 1764 au Harvard College, duquel il reçut, trois ans plus tard, une maîtrise ès arts, à titre honorifique. En septembre 1765, ses relations en Angleterre lui obtenaient une nomination au Conseil du New Hampshire, et, en 1768, il fut fait juge de la Cour inférieure des plaids communs. Il fut accusé de partialité dans ses fonctions, allant même jusqu’à conseiller les parties devant comparaître devant lui. Le gouverneur Benning Wentworth, avec qui Livius se querella à propos de concessions de terres, considérait sa conduite, dans le domaine politique, comme celle d’un factieux à la recherche de ses propres intérêts, et prétendait que Livius avait été « un des principaux fauteurs de troubles à l’époque de la loi du Timbre » et qu’il avait depuis lors recherché la popularité d’une manière incompatible avec sa qualité de juge. En 1772, Wentworth démit Livius de son poste.
Livius alla à Londres pour lutter contre sa destitution, en se présentant comme une victime du family compact de Wentworth. La presse coloniale fit largement écho à l’affaire. Le Board of Trade accepta le bien-fondé de ses accusations, mais le Conseil privé maintint la décision de Wentworth. Livius se mit à l’œuvre pour relever son crédit en Angleterre en faisant don de bois d’orignal à la Royal Society, qui l’agréa comme fellow, en 1773, du fait de ses « connaissances dans divers domaines de la science ». Il étudia le droit au Middle Temple et fut inscrit au barreau en 1775 ; immédiatement après, l’Oxford University lui décernait un doctorat honorifique en droit.
Livius projetait encore de rentrer au New Hampshire la tête haute. Il convainquit le secrétaire d’État des Colonies américaines, lord Dartmouth, qu’il devait être nommé juge en chef avec un salaire payé directement par la couronne. Wentworth protesta avec véhémence et succès : Livius dut se résoudre à accepter les postes de juge de la Cour des plaids communs et de la Cour de vice-amirauté à Montréal. Dartmouth écrivit au gouverneur Guy Carleton* qu’un homme aussi capable que Livius méritait une place au Conseil de Québec et une seigneurie. Livius arriva à Québec le 4 novembre 1775, tout juste à temps pour être témoin du siège de la ville par les Américains [V. Richard Montgomery]. Il écrivit plus tard qu’il servit « jour et nuit [...] un mousquet sur l’épaule comme un simple soldat ». Il reçut en récompense le poste de juge en chef en août 1776 ; il avait droit, ex officio, à un des sièges les plus anciens au conseil. Il tint une correspondance secrète avec le général rebelle John Sullivan, le pressant de remettre le New Hampshire aux armées du roi. La lettre fut interceptée et largement diffusée ; le nouvel état répondit en confisquant ses biens et en le bannissant à jamais.
Dans la province de Québec assiégée, l’histoire, une fois de plus, commença de se répéter. Livius souleva contre lui de fortes animosités. Carleton, qui avait un candidat en vue pour le poste de juge en chef, s’était plaint amèrement de ce que Livius avait été envoyé « pour rendre la justice à un peuple dont il ne compren[ait] pas les lois, les manières et les coutumes, non plus que la langue ». À la fin de l’été de 1777, Livius affronta au conseil le lieutenant-gouverneur Hector Theophilus Cramahé, qui remplaçait Carleton durant la visite de ce dernier dans l’ouest de la province. Plus tard, quand Cramahé arrêta un tanneur de Québec, Louis Giroux, et sa femme pour propos séditieux et qu’il les mit dans une prison militaire, Livius protesta fortement contre cet empiétement sur son autorité dans le domaine civil. Le gouverneur Carleton donna son appui au juge en chef, dans ce cas, mais, au début de 1778, ils se retrouvèrent eux aussi sur des voies divergentes. Désireux de maintenir le calme précaire qui régnait dans la province pendant la guerre, Carleton n’avait jamais révélé au conseil le contenu de ses instructions, lesquelles comportaient des concessions à la minorité anglaise et la mise en vigueur de l’habeas corpus avec des garanties contre l’emprisonnement arbitraire. Craignant anguille sous roche, Livius, d’abord, tenta privément de convaincre Carleton de dévoiler la teneur de ses instructions. Ayant échoué, il présenta publiquement une motion devant le conseil, en avril 1778, afin de faire produire ces instructions. La motion fut repoussée, et Livius se mit en frais de proposer une protestation contre l’habitude de Carleton de consulter, sur les affaires courantes, seulement quelques conseillers de son choix plutôt que le conseil au complet. À la fin du même mois, Livius, dans une poursuite civile mettant aux prises Jean-Louis Besnard, dit Carignant, et Richard Dobie*, fit un vigoureux exposé qui persuada le conseil, siégeant en tant que cour d’appel, de se prononcer en faveur de Dobie. Carleton avait précédemment, et tout à fait contre la bonne règle, dit à Livius qu’à son avis Dobie était fautif. Le jour suivant la justification de Dobie, le 1er mai 1778, Carleton destitua le juge en chef Livius, sans lui donner aucune raison.
Le 31 juillet, Livius quittait la colonie pour aller plaider sa cause à Londres. Il était dans le même convoi que Carleton, mais non dans le même navire. Prié par le Board of Trade de donner les raisons de son geste, Carleton répondit qu’il jugeait Livius « turbulent et factieux », et que ce dernier, à son avis, constituait un danger pour la paix de la colonie. Réintégré dans son poste par un comité du Conseil privé en mars 1779, Livius montra beaucoup d’hésitations à retourner à Québec. Il craignait d’autres heurts, cette fois avec le nouveau gouverneur, Haldimand, qui avait la réputation d’être beaucoup moins soucieux des libertés civiles que ne l’avait été Carleton. Livius ne revit jamais Québec ; quand il se fut enfin embarqué, à l’automne de 1780, son navire fut repoussé loin de Terre-Neuve.
Au printemps de 1782, Livius engagea une poursuite en dommages contre Carleton. Il refusa d’aller à Québec si le gouvernement britannique ne lui donnait l’assurance qu’il ne pourrait être démis autrement que par ordre de la métropole. Il réclamait le paiement de ses arrérages de salaire, en plus des dépenses engagées pour sa défense, et il demandait, à titre de compensation supplémentaire, la seigneurie et les forges du Saint-Maurice. Le ministre de l’Intérieur (responsable aussi des colonies), lord Sydney, qui dut se défendre de ces demandes, trouva Livius suffisant et déplaisant : il « demande sa nomination comme conseiller du roi, et de l’argent, et Dieu sait quoi [...] il ne cesse pas de faire parade de ses connaissances, avec un curieux regard ».
En décembre 1784, Livius entendit pour la première fois des rumeurs au sujet de son remplacement éventuel, comme juge en chef, par l’ancien juge en chef de la colonie de New York, William Smith. Il tenta de négocier avec Smith, par l’entremise du docteur Thomas Bradbury Chandler, affirmant qu’il préférait toucher £600 par année en Angleterre que £1 500 dans la province de Québec ; il oublia de dire qu’il était seulement à la demi-solde, puisque le reste de son salaire allait aux trois juges provinciaux commis pour tenir la place du juge en chef. L’absence prolongée d’un juge en chef affaiblissait sérieusement le système judiciaire de la province de Québec, à une époque difficile. Carleton choisit Smith pour ce poste et, en 1786, Livius perdit un emploi qui pendant huit ans n’avait été rien d’autre qu’un titre creux.
Dès lors, et jusqu’à sa mort, Livius vécut dans l’ombre, autre aspirant déçu à une fonction officielle. Il soumit à William Pitt une liste de 50 postes qu’il accepterait, mais, à plusieurs reprises, il refusa une pension. Il ne réclama aucune compensation pour ses pertes en tant que loyaliste et, comme aucun nouveau poste ne s’annonçait, il accepta enfin une pension en juin 1789.
Il est difficile de jauger un homme comme Livius. Lors des grandes crises qui marquèrent sa vie, comme les controverses au sujet des propriétés foncières de Wentworth et des instructions de Carleton, il avait, matériellement, raison, mais il fut d’une folle témérité. Il pouvait aussi recourir à des manœuvres politiques tortueuses : c’est ce qui fut clairement démontré au New Hampshire et qu’on laissa entendre dans la province de Québec. Par-dessus tout, Livius était un étranger qui cherchait à se faire accepter en se conformant aux normes de l’establishment anglais : mariage dans une famille située socialement près de l’aristocratie, diplômes honorifiques d’Oxford et de Harvard, appartenance à la Royal Society et au Middle Temple. Mais il ne fut jamais accepté comme un Anglais et ce fait donnait un tranchant particulier aux controverses dans lesquelles il s’engagea. Ironie du sort, ce fut un autre étranger au service de l’Angleterre, Frederick Haldimand, qui, mettant le comble au mépris, posa la question de savoir si un Portugais d’ascendance germanique pouvait exercer un quelconque emploi officiel sous l’autorité de la couronne sans être poursuivi selon la fantaisie du premier dénonciateur venu.
The memorial of Peter Livius [...] to the lords commissioners for trade and plantations ; with the governor’s answer, and the memorialist’s reply [...] also their lordships report thereon [...] ([Londres], 1773).— Proceedings between Sir Guy Carleton, K.B., late governor of the Province of Quebec, and Peter Livius, esquire, chief justice of the said province [...] ([Londres], 1779).— Proceedings in the case of Peter Livius ([Londres, 1790]).— [William Smith], The diary and selected papers of chief justice William Smith, 1784–1793, L. F. S. Upton, édit. (2 vol., Toronto, 1963–1965), I : 166–168, 174s. ; II : 21, 115.— Shipton, Sibley’s Harvard graduates, XIII : 261–270.— Burt, Old prov. of Que. (1933), 267–275.— Neatby, Administration of justice under Quebec Act, 66–86.— A. L. Burt, The tragedy of chief justice Livius, CHR, V (1924) : 196–212.— R. P. Stearns. Colonial fellows of the Royal Society of London, 1661–1788, William and Mary Quarterly (Williamsburg, Va.), 3e sér., III (1946) : 208–268.
L. F. S. Upton, « LIVIUS, PETER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/livius_peter_4F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1980 |
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