YOUNG, sir WILLIAM, avocat, homme politique, juge et philanthrope, né le 8 septembre 1799 à Falkirk, Écosse, fils de John Young* et d’Agnes Renny, décédé le 8 mai 1887 à Halifax.
Bien que William Young et son frère cadet George Renny* aient beaucoup apprécié l’affection que leur porta leur mère, ce fut leur père, le célèbre Agricola qui, somme toute, joua un rôle prédominant dans leur formation. Ayant obtenu, selon son dire, un grade après spécialisation de l’University of Glasgow, à l’âge de 14 ans, William arriva à Halifax avec sa famille en avril 1814. Il ambitionnait la renommée et la richesse, aussi accepta-t-il volontiers de son père « l’idée d’amasser une fortune le plus rapidement possible sous n’importe quel drapeau et [...] la pensée qu’il n’était pas impossible d’être un homme de lettres et un marchand ». Quand les troupes britanniques occupèrent Castine, Maine, en septembre 1814, des marchands de Halifax s’y installèrent, dont John Young ; disposant d’une grande quantité de « marchandises sèches » apportées de Grande-Bretagne, il y géra un commerce florissant, tant légalement qu’illégalement, jusqu’au mois d’avril suivant. William, âgé de 15 ans, le représentait à Halifax ; il exécutait presque parfaitement les instructions minutieuses de son père. Entre juin et octobre 1815, il agit comme représentant de la John Young and Company à New York, recevant maintenant les directives de son père de Halifax ; ce dernier fit un rapport si élogieux de son travail qu’un oncle d’Édimbourg, William Renny, conclut que William « était un jeune homme fort extraordinaire ».
Si les conseils de son père ont enseigné à Young quoi que ce soit, ce fut d’être inflexible et impitoyable, au point même d’être presque sans scrupules, pour porter les profits au maximum. William et George Renny « ne voyaient cependant pas [les défauts de] leur père » et étaient « unis aux yeux du monde contre toute critique de ses méthodes ou de son caractère » ; ils constituaient, déclara Daniel Cobb Harvey*, « une famille formant un tout à la recherche de la fortune ». À la fin de 1815, William s’associa avec James Cogswell dans une entreprise de vente aux enchères et à commission, à Halifax, et il poursuivit apparemment cette carrière commerciale jusqu’en 1820. À cette époque, il avait acquis de fermes opinions personnelles ; ainsi, il était tellement convaincu que la Pictou Academy n’était pas un établissement convenable pour son frère George Renny, qu’il suscita une déclaration du principal, Thomas McCulloch*, selon laquelle « les jeunes hommes [...] ne réfléchissent pas toujours [...] au tort qu’ils peuvent causer aux personnes dont les œuvres méritent bien de la communauté ».
La taille inférieure à la normale de Young (il était si petit qu’il ne perdit jamais le sobriquet de « little Billy Young ») peut avoir été à l’origine de ses, manières autoritaires. Il démontra sa confiance en lui-même en 1820 lorsque, sollicitant un contrat d’apprentissage dans le bureau d’avocats des frères Charles Rufus* et Samuel Prescott Fairbanks, il demanda que, quel que fût son salaire, celui-ci dépendit de la valeur de ses services. Les Fairbanks comptaient ne rien lui payer et ils acceptèrent à contrecœur de lui accorder £30 la première année, préférablement à « toute entente qui [les] laisserait libres de décider comme bon [leur] semblerait ». L’apprentissage se termina sur une note amère en 1823. Cette année-là, John Young, qui avait connu une grande renommée à la parution de ses Letters of Agricola [...] publiées à Halifax en 1822, se porta candidat contre Charles Rufus Fairbanks dans une élection partielle dans le canton de Halifax. Non seulement William travailla-t-il d’arrache-pied pour son père, mais il lui transmit les prétendus « secrets » de la campagne de Fairbanks, et celui-ci ne voulut plus ensuite avoir rien à faire avec l’apprenti. Cela ne fut que l’un des nombreux incidents qui empêchèrent les Young de s’attirer le respect qu’ils souhaitaient ; « Timothy Touchstone » laissa entendre dans le Colonial Patriot, de Pictou, que John Young poursuivait ses ambitions d’une façon peu honorable et que ses fils pouvaient bien n’avoir que trop bien appris les leçons de leur père.
John Young perdit contre Fairbanks en 1823, mais remporta la victoire dans le comté de Sydney en 1824 ; William fut son directeur de campagne. En retour, John obtint que William fût libéré de son contrat d’apprentissage avec un Fairbanks agacé en invoquant le secours du juge en chef Sampson Salter Blowers* et de deux autres juges de la Cour suprême. Enfin admis attorney en 1825 et barrister l’année suivante, William commença de pratiquer le droit à Halifax. En 1830, il était assez à l’aise pour épouser Anne Tobin, la fille de Michael Tobin, père, lors d’une cérémonie anglicane. Le marié, presbytérien convaincu, et son épouse, fervente catholique, vécurent en parfaite harmonie, peut-être parce qu’ils n’eurent pas d’enfants.
En 1834, William s’associa avec son frère pour ouvrir un bureau d’avocats et fonda avec lui une entreprise d’assurances qu’ils exploitèrent jusque dans les années 1850. Au début des années 1830, William gagnait environ $8 000 par année, une forte somme ; ses journaux de comptabilité quotidienne et ses grands livres étaient si bien tenus que les dépenses de sa maisonnée y étaient calculées jusqu’au dernier sou. Bien qu’il ne fût pas particulièrement instruit en matière de droit, il se révéla « un maître de la tactique [qui] fit grande impression sur les tribunaux et les jurys » et, pour cette raison, il participa à la grande majorité des causes en appel. Sa querelle à vie avec James William Johnston*, avocat en vue et futur chef du parti conservateur, avait déjà commencé. Au début de 1832, il se produisit une véritable explosion à la Cour de la chancellerie lorsque Johnston déclara qu’il traiterait les opinions de Young avec mépris.
Puisqu’il fallait qu’un avocat ambitieux fasse de la politique, en 1832, Young se porta candidat au siège vacant du comté de Cap-Breton, qui comprenait alors l’île entière, contre Richard Smith*, directeur de la Général Mining Association à Sidneoung avait déjà mérité la reconnaissance des Highlanders, arrivés dernièrement, en les aidant à trouver des terres ; pendant les 20 prochaines années, il aidera ses compatriotes par d’autres moyens. Les résultats furent équivalents dans les trois premiers lieux de scrutin mais, lorsque le vote débuta à Chéticamp, quatrième et dernier bureau, 150 Écossais, armés de gourdins, chassèrent les amis de Smith des estrades, lors d’une émeute célèbre, et assurèrent l’élection de Young. Plus tard, toutefois, un comité de l’Assemblée jugea que George Renny Young était un des principaux auteurs de l’attentat et qu’il avait agi avec « l’accord et l’approbation de [...] William Young » dont l’élection fut par conséquent déclarée nulle.
Aux élections générales de 1836, Young remporta facilement la victoire dans le nouveau comté de Juste-au-Corps, à l’île du Cap-Breton, qui, en 1837, changea de nom pour celui d’Inverness, surtout grâce à Young. Pendant 20 ans, il fut réélu par les marchands du comté et, plus particulièrement, par les laïcs et le clergé catholiques qui constituaient la majorité de la population. Comme son père, William épousa la cause du peuple, laquelle, grâce à Joseph Howe*, avait maintenant l’appui de la majorité à l’Assemblée. Les Young ne réussirent cependant pas à acquérir en politique la renommée qu’ils auraient souhaitée, car on croyait généralement qu’ils établissaient soigneusement leur ligne de conduite en politique en fonction de leurs intérêts personnels. Ils furent tous deux très ennuyés en 1837 lorsque Howe proposa de remplacer les résolutions modérées de John Young par ses propres 12 résolutions, une affirmation énergique des griefs et des exigences des réformistes, qui réprouvait la non-représentativité du Conseil des Douze et recommandait fortement qu’on accorde une plus grande responsabilité aux électeurs dans le régime politique, particulièrement au moyen d’un conseil législatif élu.
Cet automne-là, Young fut traumatisé par la mort de son père qui avait été son « guide », son « ami » et son « compagnon ». Son ;chagrin ne l’empêcha pas de présenter aux fonctionnaires britanniques des revendications pour lui-même et George Renny, qui se trouvait alors en Angleterre. Puisque le ministère des Colonies se préparait à remplacer le Conseil de la Nouvelle-Écosse par des conseils exécutif et législatif, William avertit son frère de tirer parti de sa présence en Angleterre, « une occasion qui, vraisemblablement, ne reviendra[it] pas ». Que l’un ou l’autre des deux frères ait pu penser que George Renny, jeune et inexpérimenté, serait appelé à de hautes fonctions semble absurde ; il n’obtint rien, William non plus, et, pendant un certain temps, le lieutenant-gouverneur sir Colin Campbell* et William Young ne furent pas en bons termes. Celui-ci continua de considérer s’il devrait demeurer membre de l’Assemblée et espérer un poste au Conseil exécutif ou entrer au Conseil législatif et laisser son siège d’Inverness à George Renny.
Rien pendant la session de 1838 ne fit souhaiter à Young de demeurer dans l’Assemblée. Il remarqua d’un ton plaintif que les principaux réformistes témoignaient plus de respect au chef tory non officiel, James Boyle Uniacke*, qu’à lui-même : « Uniacke et moi avons eu une prise de bec et c’est la guerre ouverte entre nous ; Howe et [Laurence O’Connor Doyle*] recherchent ses bonnes grâces plutôt que les miennes. » Il se sentit un peu mieux en septembre parce qu’il fut le seul réformiste à faire partie d’une délégation de quatre personnes qui se rendit à Québec pour participer à des discussions constitutionnelles avec lord Durham [Lambton*] et Charles Buller*. Comme bien d’autres, il fut gagné aussitôt par les « talents extraordinaires » de Durham, sa « puissance irrésistible de raisonnement [...] le flot énergique mais aisé de [sa] rhétorique colorée », et il éprouva une vive indignation quand les interventions des « whigs pusillanimes » en Grande-Bretagne conduisirent Durham à démissionner de son poste de gouverneur général.
En 1839, quand le ministre des Colonies, lord Glenelg, sembla revenir sur ses promesses antérieures de constituer un conseil exécutif et un conseil législatif véritablement représentatifs et d’abandonner les revenus imprévus et territoriaux de la couronne pour une liste civile modeste, l’Assemblée envoya Young et Herbert Huntington* défendre sa cause à Londres. Young, toujours économe, s’effraya de la dépense : « Commandé un complet et une redingote rue Bond. Le prix est excessif, mais il est nécessaire que je sois habillé avec élégance. » Il se sentit parfois encouragé cet été-là en Angleterre, surtout à cause de la promesse du ministère des Colonies d’ouvrir cinq ports francs en Nouvelle-Écosse, qui permettraient de faire du commerce avec l’étranger d’une manière plus expéditive. « Voilà un autre point important de gagné et qui n’aurait jamais été obtenu sans la délégation. » L’impression de Young que le nouveau ministre des Colonies, lord Normanby, ne connaissait pas les affaires de la Nouvelle-Écosse et se fierait à l’avis du groupe de fonctionnaires et d’hommes politiques alors au pouvoir se révéla tout à fait juste. Young savait qu’une dépêche diplomatique dont lui parla lord Normanby ne donnerait pas satisfaction aux réformistes de la Nouvelle-Écosse tant au sujet de la liste civile qu’à celui de la composition des conseils.
En 1840, les réformistes en étaient venus à la conclusion que le lieutenant-gouverneur Campbell contrecarrait délibérément leurs efforts, et Young travailla à obtenir une résolution en vue de son rappel. Cette mesure amena le nouveau gouverneur général, Charles Edward Poulett Thomson*, à Halifax où il prit des dispositions en vue d’un conseil exécutif de coalition d’un genre qui allait devenir sa marque distinctive. Après avoir vu Thomson, Young comprit que Howe, Huntington et lui-même représenteraient les réformistes au conseil, mais Howe seul y fut nommé par lord Falkland [Cary], successeur de Campbell. Huntington devra attendre qu’on décide s’il était « un animal qui [pourrait] faire partie d’un attelage » ; entre-temps, les requêtes de Young demeureraient en suspens. Croyant que Howe avait placé ses propres intérêts au premier rang, Young se plaignit de ce qu’on ne lui avait donné aucune raison pour le tenir à l’écart. Ce ne fut qu’en janvier 1842, après que Huntington eut refusé toutes les propositions, que Young entra enfin au conseil et cessa de faire opposition à la coalition de Howe et de Johnston. Cette année-là aussi, toujours sympathique aux causes des catholiques, Young se joignit à Howe pour obtenir la constitution juridique du St Mary’s College à Halifax et pour refuser aux baptistes une subvention destinée à contribuer aux frais d’installation d’un immeuble pour l’Acadia College à Wolfville. Il joua ainsi un rôle dans la désaffection des baptistes pour les réformistes, qui influencera d’une façon marquée la politique en Nouvelle-Écosse dans les années à venir.
Puisqu’il avait accepté le poste de percepteur de l’accise, Howe abandonna les fonctions d’orateur (président) de l’Assemblée en 1843, et Young lui succéda. Mais, bien qu’elle eût permis à Howe d’occuper à la fois le poste d’orateur de l’Assemblée et celui de conseiller, l’Assemblée changea d’attitude et exigea de Young qu’il démissionnât du conseil. En qualité d’orateur, il ne pouvait appuyer la cause des réformistes qu’en comité et dans les journaux. Mais il se peut que la plus grande contribution de Young et de son frère à la cause du peuple consiste à avoir pris la défense de journalistes réformistes dans une suite de procès en diffamation qui se révélèrent, en fait, des procès politiques intentés par les tories pour réduire au silence certains de leurs principaux critiques. Puisque Young s’opposait invariablement à Johnston dans ces causes, l’antipathie entre les deux hommes devint encore plus marquée ; à une occasion, le juge en chef Brenton Halliburton* menaça de les bannir tous deux de son tribunal s’ils ne se conduisaient pas convenablement. Young alla jusqu’à prétendre devant l’Assemblée que les juges s’opposaient au parti et aux avocats réformistes parce que ceux-ci cherchaient à faire cesser des abus dans lesquels les juges avaient des intérêts ; une réunion spéciale du barreau, à laquelle, semble-t-il, ne prirent part que les tories, rejeta ces opinions.
La participation de Young à la guerre entre les factions atteignit son point culminant en 1846 dans un conflit personnel avec le lieutenant-gouverneur Falkland concernant l’association de Young avec le comité provisoire du Halifax and Quebec Railway et au sujet de sa nomination et de celle de son frère George Renny comme solicitors du chemin de fer dans la colonie. Falkland, qui semble avoir perdu toute objectivité après le retrait des réformistes de la coalition, en décembre 1843, ordonna qu’on dépose à l’Assemblée une lettre qui accusait les Young de s’être associés à des spéculateurs anglais douteux et d’avoir mentionné dans les prospectus du chemin de fer « certains des hommes du monde les plus respectables », sans l’autorisation de ces derniers. Profondément insulté, Howe laissa échapper que la répétition de tels agissements forcerait un quelconque colon « à embaucher un Noir pour cravacher un lieutenant-gouverneur dans les rues », et le ministre des Colonies laissa entendre à Falkland que la lettre avait été publiée « par inadvertance ». Mais, impénitent, Falkland répondit que, si les faits attaquaient la réputation des Young, « c’[était] leur faute et non la [sienne] ». De l’aveu général, il avait refusé de témoigner à William Young la courtoisie habituellement manifestée à l’orateur, mais il ne fut pas invité à expliquer son aversion pour la compagnie des Young. Néanmoins, il semblerait que la maladresse des Young ait été tout au plus grossièrement exagérée et que l’intervention de Falkland fût celle d’un participant à un affrontement violent, aveuglé par l’esprit de parti.
Young fit activement campagne lors des élections décisives du 5 août 1847 dont les réformistes sortirent victorieux. Tôt en 1848, il fut de nouveau élu orateur malgré l’accusation de Johnston selon laquelle il outrepassait ses fonctions à cause de son esprit partisan. Il ne souhaitait pas faire partie du nouveau gouvernement réformiste, sauf à titre de procureur général et chef du premier ministère sous le régime du gouvernement responsable. Ces postes allèrent à Uniacke, ancien tory, mais qui était depuis 1844 le chef reconnu des réformistes. Fin calculateur, Young laissa son frère George Renny accepter un poste au Conseil exécutif tandis qu’il conservait le rôle plus prestigieux d’orateur de l’Assemblée et gardait la possibilité d’accroître sa fortune personnelle dans la pratique du droit et dans une carrière dans les affaires. Sa situation lui permettait aussi d’accepter les faveurs du gouvernement ; il fut ainsi l’un des quatre commissaires qui présentèrent, en 1851, la première série de statuts révisés. À une occasion, cependant, son intervention prit la forme d’une ingérence ; lors d’une visite à Washington en 1850, il recueillit des renseignements sur les conditions selon lesquelles la Nouvelle-Écosse pouvait conclure une entente commerciale de réciprocité avec les États-Unis. Le Conseil exécutif de la Nouvelle-Écosse n’apprécia pas les conditions et encore moins l’inconvenance de l’intervention de Young.
George Renny Young mourut en 1853 et, bien que les deux frères aient été très liés, William en éprouva du soulagement, car son frère avait eu des accès de folie depuis 1851. À partir de ce moment, la roue de la Fortune tourna carrément en faveur de Young. En avril 1854, comme Uniacke se trouvait « passablement épuisé et tout à fait inapte à s’occuper des affaires publiques », et que Howe était sur le point de devenir commissaire en chef du chemin de fer, Young assuma presque par défaut la direction du gouvernement et le poste de procureur général. En moins de quelques jours, il constatait : « Mes nouvelles fonctions ne sont pas une sinécure. Chaque jour et presque chaque nuit comport[e] sa propre occupation. »
Bien que Young prétendit avoir comme philosophie de « faire ce qu’on croit être bien et de laisser le résultat à une Providence plus sage que nous », il semble avoir été plutôt disposé à aller au plus facile. Ses partisans lui réclamaient sans cesse des postes et il céda là où Howe avait résisté ; on peut dire que le favoritisme sous sa forme la plus choquante a ainsi commencé sous le gouvernement de Young. Son désir d’éviter la responsabilité de prendre des décisions l’entraîna à voir comme un heureux effet du hasard le fait que, en 1854, Johnston accepta de devenir le deuxième délégué de la Nouvelle-Écosse à un congrès tenu à Washington sur la réciprocité et les pêcheries. Francis Hincks de la province du Canada trouva « absurde » d’inclure le chef de l’opposition, mais Young jugea que c’était une « bonne décision » car elle « dégageait le gouvernement d’une partie de [sa] responsabilité ». Comme le ministère des Colonies ne fit pas parvenir d’instructions précises aux délégués de la Nouvelle-Écosse, Young et Johnston demeurèrent à Halifax. Encore une fois, Young ne fut pas déçu. « En tant que gouvernement, nous sommes maintenant libérés de la responsabilité du traité qui est grandement inacceptable aux yeux d’une grande partie de notre peuple et auquel Johnston s’opposera, je crois, jusqu’à outrance. » Young dissimula soigneusement son opinion personnelle sur les mérites du traité, mais il était certain que l’Assemblée l’accueillerait favorablement.
Young ne laissa pas ses fonctions de premier ministre déranger ses plans de voyage en Europe à la fin de juin 1854 ; en compagnie de son épouse et de deux neveux écossais, il fit un « voyage agréable », qui le mena jusqu’à Vienne ; et vit « un grand nombre de choses curieuses ». À la fin de la même année, il convoqua l’Assemblée en session pour régler la question du traité de réciprocité. Bien que Johnston et Howe aient protesté tous deux de ce qu’on demandât à la Nouvelle-Écosse d’abandonner son droit exclusif sur ses pêcheries sans lui concéder en retour des droits équivalents et, surtout, sans consulter son gouvernement ou sa législature, Young ne se trompa pas dans sa prédiction, et l’Assemblée adopta le traité par une forte majorité. Au cours de cette même session de 1854–1855, Young réalisa un objectif qu’il avait mis de l’avant depuis un certain temps, soit l’abolition de la Cour de la chancellerie. Il avait agi en partie pour des motifs raisonnables, mais aussi poussé par le désir ardent de destituer de ses fonctions une bête noire de longue date, Alexander Stewart*, le maître des rôles. Les critiques de Young avaient raison de dire que celui-ci n’avait pas « compris le principe selon lequel on pouvait effectuer la fusion du droit et de l’équité », et il en résulta de la confusion dans l’administration de la justice.
Aux élections de mai 1855, Young et les libéraux améliorèrent leur position à l’Assemblée en gagnant deux ou trois sièges, mais ce ne fut qu’un gain en nombre car les élections amenèrent, du comté de Cumberland, un conservateur, le docteur Charles Tupper*, un homme combatif, peu scrupuleux, avec qui Young n’était pas de taille à se mesurer à la législature. Pendant l’année 1856, le gouvernement se trouva plus d’une fois dans le chaos et au bord de la chute. La première fois, cela se produisit lors d’un débat sur le favoritisme, qui n’en finissait pas, et dans lequel Young ne voulait ni proclamer le principe selon lequel « le partage des dépouilles appartient aux vainqueurs », ni condamner ce principe bien qu’il niât qu’on l’ait introduit. Plus tard, ce fut au sujet d’un projet de loi pour financer l’éducation au moyen d’un impôt obligatoire, projet auquel on devait ajouter en commission des clauses pour les écoles « séparées ». Young avait consacré énormément de temps au projet, mais il était utopique de s’attendre à ce que soit adoptée aisément une mesure qui introduisait deux groupes de principes hautement controversés. Forcé de le reporter, il ne se trouvait pas en situation de le réintroduire en 1857. Entre-temps, les intrigues allaient bon train, prétendument pour amener quelques députés libéraux de fraîche date à faire tomber le gouvernement et installer un gouvernement non partisan ou dirigé par un troisième parti. On devait alors tenter d’obtenir la démission de Brenton Halliburton et faire de Johnston le juge en chef. « Nous avons connu, écrivit Young, une suite d’intrigues des plus immorales et des plus singulières [...] le complot a échoué [cependant] et on a obtenu [...] une bonne majorité. »
Une autre chose troubla davantage Young. Pendant la session, ses deux collègues catholiques au Conseil exécutif, James W. McLeod et Michael Tobin, cousin de son épouse, démissionnèrent, car ils trouvaient que le gouvernement ne leur octroyait pas, non plus qu’à leurs coreligionnaires, suffisamment de promotions. Bien que Young ait obtenu d’un catholique qu’il pourvût à une vacance, le lieutenant-gouverneur sir John Gaspard Le Marchant* lui déclara qu’il n’avait « nullement amené [son] navire en eaux calmes ». Entre-temps, Young n’avait rien d’autre à faire qu’à attendre et à se demander si la « rupture violente » de Joseph Howe avec les catholiques irlandais au sujet de sa campagne de recrutement aux États-Unis pour les forces britanniques engagées dans la guerre de Crimée « pourrait avoir des répercussions, bien qu’injustifiées, sur le gouvernement ». Malheureusement pour lui, ses pires craintes se réalisèrent quand Howe se détacha aussi des catholiques français et écossais. Par conséquent, le 18 février 1857, dix catholiques et deux protestants libéraux contribuèrent par leur vote à renverser les libéraux et à porter au pouvoir, sans élections, un gouvernement dirigé par Johnston.
À la suite de son éviction, Young visita le nord de l’Europe et confessa : « nos chicanes de parti ont pris moins d’importance ». Il désirait ardemment le poste de juge en chef mais, comme le vieux Halliburton semblait décidé à suivre les traces de ses prédécesseurs et à s’accrocher à la fonction jusqu’à sa mort, l’intérêt de Young pour la politique se ranima. En 1858, il s’opposa fermement à l’entente que Johnston et le libéral Adams George Archibald* avaient conclue en vue de rendre à la Nouvelle-Écosse la propriété de ses mines et de son minerai, propriété qui avait été accordée au duc d’ York en 1826 et qui tomba plus tard aux mains de la Général Mining Association. Young avait lutté pendant des années pour une entente semblable, mais il ne pouvait supporter que son principal adversaire règle la question. Il trouvait que la Général Mining Association conservait des territoires d’exploitation minière trop étendus et qu’elle versait un loyer et des redevances insuffisants à servir les meilleurs intérêts de la Nouvelle-Écosse.
La fin des années 1850 fut une période remplie de rancune politique et pendant laquelle, pour utiliser les noms qu’ils se donnaient mutuellement, les « proscriptionnistes » libéraux, adversaires des catholiques, firent opposition à un gouvernement « romano-johnstonien ». Bien que l’historien catholique Nicholas Meagher* considère surtout Howe responsable de la guerre religieuse, il soutient que « Young se prêta au credo proscriptionniste de Howe dans toute son ampleur et toute sa sévérité ». Il est compréhensible alors que la religion ait prévalu lors des élections du 12 mai 1859. Young abandonna le comté catholique d’Inverness pour se présenter dans Cumberland, comté protestant, et remporta plus de votes que Charles Tupper dans cette circonscription de trois députés. Les résultats serrés, 29 libéraux élus contre 26 conservateurs, et la quasi-certitude que le parti à la tête du gouvernement nommerait le prochain juge en chef, signifiaient que le violent combat politique allait se poursuivre sans répit. Quand Young approcha le lieutenant-gouverneur Mulgrave [Phipps] et le ministre des Colonies pour que le parlement soit convoqué immédiatement, on lui répondit que Johnston pourrait s’en tenir à la pratique normale et attendre au début de l’année suivante. Le gouvernement de Johnston maintint que certains libéraux élus étaient frappés d’incapacité de siéger à l’Assemblée, car ils détenaient des postes rémunérés dans la colonie ; mais ceux dont on contestait le droit de siéger se joignirent aux autres libéraux pour évincer Johnston et installer Young comme premier ministre, le 10 février 1860. Pour éviter d’avoir à se porter candidat à l’élection partielle dans Cumberland, Young assuma une fonction jusqu’alors inconnue en Nouvelle-Écosse, soit celle de président sans traitement du conseil.
Après l’entrée en fonction du nouveau gouvernement, l’Assemblée put créer des comités pour établir si l’élection des députés supposément inaptes à siéger était valide. Rien d’étonnant à ce qu’un comité présidé par Young ait confirmé le libéral Lewis Smith à son siège, alléguant que celui-ci n’avait pas été nommé à son poste rémunéré selon les formes prescrites. Le travail des comités eut comme résultat d’ensemble de donner aux libéraux un siège additionnel. Furieux, les députés de l’opposition prirent le titre de « constitutionalistes » et qualifièrent les libéraux du nom d’ « usurpateurs » et Young de « premier transgresseur de la loi ». Malgré les foudres de Johnston et de Tupper, Mulgrave et le ministre des Colonies répliquèrent que l’Assemblée seule pouvait décider de ses propres élections et que tout appel devait se faire auprès de l’opinion publique au sein de la colonie elle-même.
Le juge en chef Halliburton mourut le 16 juillet 1860 et, à peine quelques jours plus tard, les tories exigeaient que le choix de son successeur ne se porte pas sur Young, qu’ils accusaient d’avoir offensé cyniquement tous les usages de la vie publique. Lorsque le lieutenant-gouverneur sanctionna la nomination de Young, l’Acadian Recorder prit le deuil le 28 juillet, même si le prince de Galles arrivait à Halifax ce jour-là pour entreprendre une tournée de l’Amérique du Nord. Malgré toutes sortes d’appels à Londres, la nomination fut maintenue : Young avait réalisé sa plus grande ambition.
Pendant les 21 années de sa carrière de juge en chef, Young se rendit moins célèbre pour la qualité de ses décisions que pour la « curieuse calligraphie » de ses jugements écrits et pour sa vanité – parce qu’il ne pouvait supporter d’être à un niveau inférieur à celui de ses collègues de la magistrature, « il y avait toujours une montagne de coussins sur sa chaise ». Ses jugements, comme ses connaissances juridiques, manquaient de profondeur et avaient tendance à être « prétentieux plutôt que sérieux » ; il les prononçait habituellement d’une façon très dramatique, comme tous ses discours officiels. Pendant ses premières années dans la magistrature, il ne put échapper à la controverse qui sembla toujours l’entourer. Après un long imbroglio avec Thomas J. Wallace, Young suspendit celui-ci de la pratique pour désobéissance aux ordres de la cour, mais le comité judiciaire du Conseil privé déclara que cette sanction outrepassait ses pouvoirs. Il fallut que John Sparrow David Thompson* protestât énergiquement avant que Young abandonnât l’habitude de laisser le client qui avait un grief contre son avocat exprimer sa plainte en plein tribunal, sans déclaration sous serment, ou sans demander une action en justice pour faire valoir le grief.
Comme les autres juges, on accusa Young de haranguer les grands jurys sur les bienfaits que retirerait la Nouvelle-Écosse à entrer dans la Confédération, et, tout en niant ce fait, il admettait qu’il n’avait jamais caché ses propres opinions. Au début de 1867, il joua à titre officieux le rôle d’émissaire du lieutenant-gouverneur sir William Fenwick Williams pour expliquer au ministre des Colonies l’état des choses en Nouvelle-Écosse. Les services qu’a rendus Young en faveur de la Confédération peuvent avoir grandement contribué à le faire devenir chevalier de l’ordre du Bain en 1869.
Aussi tard qu’en 1879, Young s’attira la colère du Morning Chronicle et se vit traiter de « juge imprudent » qui blâmait les jurys de ne pas condamner l’accusé lorsqu’il jugeait la preuve assez claire. Mais, en général, à la fin de sa vie, il jouit du respect attaché à son poste. En retour, il accomplit toutes sortes de bonnes œuvres et, même si des critiques pourraient prétendre que ces actions visaient principalement à assurer au bienfaiteur une grande renommée, beaucoup ont eu des effets bienfaisants jusqu’à ce jour. La Citizens’ Free Library vit le jour quand Young acheta la bibliothèque du Halifax Mechanics’ Institute et l’offrit au conseil municipal ; il fit aussi don au long des années de quantités considérables de livres et d’argent. Il fut en grande partie responsable d’avoir obtenu des autorités britanniques pour la ville le Point Pleasant Park actuel pour une durée de 999 ans plutôt que de 99 ans ; il fit cadeau des belles grilles d’entrée du parc en 1886. Après George Munro*, Young fut le plus grand bienfaiteur de la Dalhousie University au xixe siècle. Comme administrateur pendant 42 ans et président du conseil d’administration pendant 36 ans, il s’efforça de faire de cet établissement l’université provinciale et il versa des sommes généreuses pour sa bibliothèque, ses appareils scientifiques, ses bourses d’études et ses fonds de dotation. Le 27 avril 1887, à l’endroit appelé South Common, il posa la pierre angulaire d’un immeuble de l’université (l’actuel Forrest Building), qu’on construisit grâce à son don de $20 000 et qui marqua le début d’un nouveau campus à la Dalhousie University. Il avait posé son dernier acte public car il mourut le 8 mai. Pendant les dernières années de sa vie, surtout après avoir pris sa retraite de la magistrature en 1881, il avait reçu de nombreux honneurs, notamment un diplôme honorifique du Queen’s College, à Kingston, Ontario.
Le testament de Young fit s’élever ses dons jusqu’à presque $200 000 sur une succession entière d’environ $350 000. Son épouse et son père lui avaient probablement légué de l’argent, son bureau d’avocat et ses entreprises en affaires lui avaient rapporté des profits et il avait été un bailleur de fonds clairvoyant. Le testament donnait aussi des instructions pour que les statues de ses grands jardins soient placées dans les Public Gardens à Halifax et prévoyait $8 000 pour terminer et agrémenter le nouveau chemin, appelé avenue Young, qui reliait la rue Inglis au Point Pleasant Park. Le testament créait aussi le Sir William Young’s Benevolent and Charitable Fund avec un fonds de $100 000 dont les intérêts iraient à dix sociétés ou organismes auxquels Young s’était intéressé. Il dota la Dalhousie University d’autres prix universitaires et de la moitié du reliquat de sa succession.
Grâce à sa seule ténacité, William Young avait réussi à la fin à s’assurer l’attention du public et à exercer le pouvoir dont il avait toujours été affamé. Le succès lui était venu par la politique, même si le journaliste Charles Rohan avait en partie raison de dire que, de nature, Young était un « être austère, antipathique [avec à peine] un coin chaud dans son cœur pour toute autre créature de Dieu ». Ses ressources financières lui furent assurément utiles ; il investit personnellement environ £1 000 lorsqu’il tenta, mais sans succès, de se faire élire la première fois en 1832, et ses représentants ont probablement dépensé plus pour offrir des rafraîchissements dans les auberges de Cumberland en 1859. Aux yeux de nombreuses connaissances, il demeura toujours « little Billy Young » qui, selon une d’entre elles, « ne manqua jamais de garder sans ciller [un oeil] sur ses propres intérêts » et qui, selon une autre, était un « personnage si astucieux qu’il ne devait probablement jamais prendre son dîner sans user d’un stratagème ». Comme orateur public, il s’exprimait avec cohérence et verve, mais il avait des faiblesses. Affligé d’une mauvaise prononciation, il articulait comme « l’eau qui jaillit d’une cruche » ; il crachait ses mots « par paquets inextricablement enchevêtrés et se bousculant les uns les autres ». Certains, comme James William Johnston, critiquèrent sa « façon [exagérée] de rechercher l’attention et les applaudissements » ; ses discours, particulièrement sa conférence publique sur Robert Burns en 1859, étaient certainement « excessifs ». Young ne possédait pas les qualités qui, d’habitude, permettent de faire une carrière politique couronnée de succès, mais sa capacité de calculer froidement, sa compétence moyenne et plus qu’un peu de chance lui firent atteindre les deux buts qu’il s’était fixés : les postes de premier ministre et déjuge en chef.
Le journal de sir William Young pour l’année 1839 a été publié dans le PANS Report (Halifax),1973, app.B : 22–74.
APC, MG 24, B29, particulièrement le vol. 6.— PANS, MG 1, 554 ; 793 ; MG 2, 719–782 ; MG 20, 674, no 9 ; 675, no 1 ; ms file, Rev. Thomas McCulloch, Corr., 1816–1826.— Howe, Speeches and letters (Chisholm).— N.-É., House of Assembly, Debates and proc., 1855–1860 ; Journal and proc., 1833–1860.— Acadian Recorder, 1833–1860.— British Colonist (Halifax), 1848–1860.— Colonial Patriot (Pictou, N.-É.), 1827–1834.— Morning Chronicle (Halifax), 1844–1860.— Morning Herald, 1887.— Novascotian, 1833–1860.— Times (Halifax), 1834–1849.— Cyclopædia of Canadian biog. (Rose), II : 398–400.— Dent, Canadian portrait gallery, IV : 43–47.— Beck, Government of N.S.— D. C. Harvey, An introduction to the history of Dalhousie University (Halifax, 1938).— J. L. MacDougall, History of Inverness County, Nova Scotia ([Truro, N.-É., 1922] ; réimpr., Belleville, Ontario, 1976).— E. M. Saunders, Three premiers of Nova Scotia : the Hon. J. W. Johnstone, the Hon. Joseph Howe, the Hon. Charles Tupper, M.D., C.B. (Toronto, 1909).— J. M. Beck, « The Nova Scotian « Disputed election » of 1859 and its aftermath », CHR, 36 (1955) : 293–315.— D. C. Harvey, « Pre-Agricola John Young, or a compact family in search of fortune », N.S. Hist. Soc., Coll., 32 (1959) : 125–159.— Benjamin Russell, « Reminiscences of the Nova Scotia judiciary », Dalhousie Rev., 5 (1925–1926) : 499–512.
J. Murray Beck, « YOUNG, sir WILLIAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/young_william_11F.html.
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Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1982 |
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