HUNTINGTON, HERBERT, instituteur, officier de milice, propriétaire de navires, fonctionnaire, arpenteur et homme politique, né le 27 juillet 1799 à Yarmouth, Nouvelle-Écosse, fils de Miner Huntington et de Martha Walker ; le 20 juillet 1830, il épousa dans cette ville Rebecca Russell, née Pinkney, et ils eurent cinq enfants ; décédé au même endroit le 13 septembre 1851.
Fils d’un loyaliste du Connecticut, Herbert Huntington grandit à Yarmouth, ville portuaire dotée d’un chantier naval. Situé à l’extrémité ouest de la péninsule néo-écossaise, assez près de la Nouvelle-Angleterre, Yarmouth devint, tôt dans son histoire, une citadelle de démocrates, d’individualistes et de non-conformistes. On ne sait à peu près rien des études de Huntington, mais il reçut peut-être quelque formation de son père qui, comme arpenteur et protonotaire, devait être assez instruit. Pendant le guerre de 1812, raconta plus tard Joseph Howe*, le jeune Huntington se joignit à la milice de Yarmouth pour empêcher un navire américain d’accoster. Par la suite, il enseigna quelque temps à Yarmouth, fut capitaine dans la milice et devint en 1822 le premier bibliothécaire de la nouvelle Yarmouth Book Society. De plus, il fut fermier et, chose peu surprenante dans sa ville, il détenait des actions dans un ou plusieurs navires et possédait au moins un bateau, un brick naufragé, qu’il acheta en 1833. En outre, il fut commissaire des égouts du canton de Yarmouth et l’un des fondateurs de la Yarmouth County Agricultural Society, dont il devint secrétaire. En 1839, il succéda à son père comme arpenteur et protonotaire.
Huntington détestait l’inefficacité et les préjugés de classe des juges de paix qui siégeaient dans les cours des sessions, lesquelles formaient un « centre d’intrigues politiques [où], selon lui, les libéraux ne pouvaient être traités ni avec justice, ni avec courtoisie ». Son aversion pour cet abus du pouvoir politique et judiciaire à l’échelon du comté l’amena à tenter de frapper à la racine du mal, le gouvernement de la province, qui régissait la nomination des juges de paix. En fait, Huntington affirma plus tard que les autorités de Halifax, souvent au mépris des désirs de la population, avaient placé leurs courtisans « dans tous les postes importants de la ville et de la campagne [...] dès le début de la colonisation de la province ».
Huntington fit son entrée sur la scène politique en 1830 comme député de la circonscription de Shelburne, qu’il représentait avec John Forman. Lorsque la circonscription de Yarmouth, formée d’une partie de celle de Shelburne, fut créée six ans plus tard, il en devint député ; il conserverait ce siège jusqu’en 1851, ne rencontrant de l’opposition qu’une fois, lors des très importantes élections générales de 1847. Dès le début, la confiance que ses électeurs lui avaient accordée se révéla justifiée. En 1834, assisté d’Alexander Stewart*, il réussit à faire déclarer Yarmouth port franc. Il fut à l’avant-scène du combat mené pour abolir les lois confirmant deux mesures impopulaires, les redevances foncières et le monopole de la General Mining Association sur les mines de charbon [V. Richard Smith*]. Les redevances répugnaient à une population qui voulait des concessions foncières gratuites. Comme la majorité des députés de la province en 1834, Huntington accéda, plutôt facilement, à la demande du secrétaire d’État aux Colonies, qui souhaitait que les redevances soient transformées en un versement annuel de £2 000. Seuls John Young* et huit autres députés, appuyés par Joseph Howe dans le Novascotian, protestèrent contre l’acceptation de cet arrangement par la Nouvelle-Écosse. Quant au monopole minier, il freinait l’exploitation de nouveaux gisements à une époque où il fallait du charbon peu coûteux pour suppléer aux réserves de plus en plus rares et chères de bois de chauffage. Huntington s’opposait aussi à l’imposition de droits protectionnistes sur les produits agricoles, en partie par conviction personnelle et en partie parce qu’il les considérait comme un fardeau injuste pour une population de pêcheurs. Mais c’était sur un ton mi-plaisant, mi-sérieux qu’il défendait sa circonscription natale contre les prétentions des autres députés : « Les habitants de la circonscription de Yarmouth, si pauvre qu’elle soit, déclarait-il en 1841, pourraient acheter toute la circonscription de Colchester et même le chantier naval de McLellan à Londonderry » [V. Gloud Wilson McLelan]. Même son vote contre l’aide gouvernementale aux collèges confessionnels, donc aussi à Acadia, collège baptiste, ne lui aliéna pas ses électeurs, pourtant baptistes pour la plupart.
Grâce à son intelligence, à son honnêteté et à sa compétence politique, Huntington gagna une place de première importance à l’Assemblée. Ce n’était pas un grand orateur, mais il ne mâchait pas ses mots et il savait plus que quiconque interroger et résumer. Cependant, il ne contribua guère à répandre les idées réformistes parmi les Néo-Écossais de l’extérieur de Yarmouth, contrairement à Joseph Howe qui, élu député en 1836, devint le grand porte-parole des réformistes. Peu habité par l’amour du pouvoir – Huntington déclara plus tard qu’un siège au Conseil de la Nouvelle-Écosse « ne valait pas plus qu’une place de bûcheron » – il accepta néanmoins, au début de 1838, d’être nommé au Conseil exécutif, nouvellement constitué. Il y était le seul réformiste. Puis, à la fin de mars, on découvrit que le mandat confié au nouveau gouverneur en chef, lord Durham [Lambton*], différait, pour ce qui était de la composition des conseils exécutif et législatif, des instructions envoyées au lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Écosse, sir Colin Campbell*. Il fallut donc reformer les conseils en réduisant le nombre de leurs membres, et Huntington se trouva écarté du nouveau Conseil exécutif. On lui offrit un siège plus tard dans l’année, mais il refusa toutes les invitations de Campbell, alléguant que son acceptation ne ferait nullement avancer la cause des réformistes.
Huntington était convaincu que seul un parti puissant, dédaignant les coalitions, parviendrait à arracher le pouvoir à la clique dominante. Ses idées étaient renforcées par celles de lord Durham, « le meilleur ami que les colonies aient jamais eu », disait-il. Pour prévenir l’agitation dans les colonies de l’Amérique du Nord britannique, Durham avait fait de nombreuses recommandations au Parlement de Grande-Bretagne, particulièrement sur l’adoption du principe du gouvernement responsable, but que Huntington avait poursuivi sans fléchir en Nouvelle-Écosse. Dans l’espoir de convaincre le ministère des Colonies que la province était prête pour un degré élevé de self-government, Huntington et William Young* allèrent défendre la cause de l’Assemblée réformiste à Londres au début de 1839. Ils y firent des rencontres utiles avec des gens comme Charles Buller* et le sous-secrétaire d’État aux Colonies, Henry Labouchere, mais ils firent peu de gains en faveur d’un changement constitutionnel avant leur retour, à l’automne, en partie à cause de la présence de deux délégués du Conseil législatif, Lewis Morris Wilkins* et Alexander Stewart. Les réformistes en vinrent tout de même à croire que lord John Russell, secrétaire d’État aux Colonies, avait ouvert la porte au gouvernement basé sur le système des partis ; sa dépêche du 6 octobre 1839 indiquait que la nomination ou la démotion des « fonctionnaires coloniaux » devait être politique.
En octobre 1840, quelques mois après l’arrivée à Halifax du successeur de Durham, lord Sydenham [Thomson*], Joseph Howe et deux autres réformistes, James Boyle Uniacke et James McNab, succombèrent aux flatteries du gouverneur et entrèrent au Conseil exécutif, où ils devaient former une coalition avec James William Johnston*. Mais Huntington, non ébloui par le « vin du roi », refusa de se joindre à cette coalition « déshonorante », en dépit des invitations répétées de Howe et du lieutenant-gouverneur, lord Falkland [Cary*]. Sans cesse, Huntington attaqua l’excès des pouvoirs, des émoluments et des privilèges du lieutenant-gouverneur et de la bureaucratie. En 1841, il fit voter l’Assemblée contre le gouvernement parce que celui-ci refusait d’abandonner les revenus imprévus à la province, cession que Huntington avait constamment exigée, mais il ne parvint pas à obtenir un vote de défiance, ni en cette occasion ni en 1844. Ses initiatives refroidirent ses relations avec Howe, à qui il avait déjà servi de témoin lors d’un duel contre John Croke Halliburton, un des fils du juge en chef Brenton Halliburton. Au cours d’un débat à l’Assemblée en 1841, Huntington, avec William Young, Thomas Forrester* et Henry Goudge, attaqua vigoureusement Howe qui, de son côté, fut agacé de ne pouvoir convaincre Huntington qu’il fallait accepter des compromis. Constatant l’intransigeance partisane de Huntington, le Novascotian de Howe le qualifia de « déloyal », de « traître » et de « démocrate ».
Huntington assura la stabilité du parti réformiste de la Nouvelle-Écosse pendant les débats enflammés des années 1840, et peu de gens osaient alors croiser le fer avec le champion de Yarmouth. Même les féroces journalistes tories le laissaient généralement en paix. En décembre 1843, Howe, McNab et Uniacke démissionnèrent du Conseil exécutif, furieux de la nomination controversée du tory Mather Byles Almon* au Conseil législatif, et retournèrent dans le camp réformiste. L’homme de Yarmouth avait eu raison : le compromis était rendu impossible par les tories eux-mêmes. Réunifiés, les réformistes constituèrent une opposition redoutable. Une diatribe éditoriale parue dans le Halifax Morning Post & Parliamentary Reporter en avril 1847 comparait le parti à une forge : Howe était le « maître forgeron », toujours en train de forger quelque chose, ordinairement du « patriotisme » ou un « poste » ; Uniacke était un « gros marteau sans tête » ; mais Huntington était une « puissante paire de pinces, capable de saisir de gros morceaux ». Et, en 1847, le ministère des Colonies avait changé d’avis à l’égard du gouvernement basé sur le système des partis. Aux élections générales de cette année-là, qui menèrent à une victoire réformiste et devaient conduire à la constitution du premier gouvernement de parti en Amérique du Nord britannique [V. sir John Harvey], les tories lancèrent en vain une puissante offensive contre Huntington dans Yarmouth.
En janvier 1848, Huntington eut la satisfaction suprême d’appuyer la motion de défiance de William Young, qui renversa le gouvernement de James William Johnston et amena au pouvoir un gouvernement libéral. Le 30 janvier, il entra au Conseil exécutif sans portefeuille, et c’est seulement de mauvais gré qu’il accepta à la mi juin de devenir secrétaire aux Finances. Il le demeura peu de temps, peut-être en partie à cause d’un autre différend avec Howe. Selon le British Colonist, parce que Huntington crut, en 1849, que Howe avait mal agi à son endroit dans l’affaire des subventions aux collèges confessionnels – auxquelles lui et William Annand* s’étaient opposés sans équivoque et sans relâche –, il le frappa au visage, évidemment en pleine Assemblée, en lui adressant « les épithètes les plus viles et les plus grossières des habitants de Billingsgate ». De plus, l’étude des vues d’Adam Smith sur l’économie avait fait de Huntington un partisan convaincu du libre-échange ; opposé à toute aide gouvernementale à l’économie de la province, il fut consterné par les politiques coûteuses du gouvernement en matière de chemins de fer, toutes favorables à Halifax. Sa prévention contre le régime protectionniste, et notamment contre les droits de douane intercoloniaux, fut l’une des raisons pour lesquelles il appuya tôt l’union des colonies de l’Amérique du Nord britannique. De plus en plus malade, il démissionna du cabinet et quitta l’Assemblée en décembre 1850 ; neuf mois plus tard, il mourait. Peu après, les députés décidèrent à l’unanimité de lui élever un monument à Yarmouth en reconnaissance de l’ardeur avec laquelle il avait servi la colonie. Seul Joseph Howe a reçu semblable honneur de l’Assemblée de la province.
Les faits saillants de la carrière publique de Huntington sont faciles à relever, mais sa vie privée demeure obscure, peut-être par sa volonté même. Affligé de malaises cardiaques récurrents pendant ses années de maturité, il trouvait refuge contre les tensions de la vie publique dans la piété discrète et austère, ainsi que dans l’existence simple de son foyer congrégationaliste. Pendant ses dernières années au moins, il devint un apôtre de la tempérance et même de l’abstinence. Cela, bien sûr, correspondait à la considération qu’il portait au côté rationnel et intellectuel de la nature humaine, plutôt qu’à son côté sensuel.
Il est évident, d’après son testament (il laissa des dons modestes à sa femme et à ses enfants) et d’après les témoignages de ses contemporains, que Herbert Huntington était loin d’être riche. Mais il avait obtenu des récompenses d’un autre ordre : il avait le sentiment d’avoir servi fidèlement la colonie, il avait été respecté de ses amis et avait goûté tranquillement sa vie familiale. Quant à la réforme politique de sa province natale, elle s’était réalisée en grande partie grâce à sa ténacité et à sa subtilité politique.
PANS, MG 100, 166, nos 22, 24 ; RG 1, 115, doc. 49 : 114–115 ; 174 : 225 ; 175 : 181 ; RG 7, 7, mai 1833.— Joseph Howe, Joseph Howe : voice of Nova Scotia, introd. de J. M. Beck, édit. (Toronto, 1964) ; The speeches and public letters of Joseph Howe [...], J. A. Chisholm, édit. (2 vol., Halifax, 1909), 1 : 314.— British Colonist (Halifax), 20, 22, 24 mars 1849.— Halifax Morning Post & Parliamentary Reporter, 8 avril 1847.— Novascotian, 11 mars 1841, 17 févr., 8 avril 1842, 22 sept. 1851.— Yarmouth Herald (Yarmouth, N.-É.), 3, 17 avril 1841, 7 janv. 1847, 20, 27 sept., 18 oct. 1851.— The Huntington family in America ; a genealogical memoir of the known descendants of Simon Huntington from 1633 to 1915 [...] (Hartford, Conn., 1915).— Grace Lewis, « The Huntington family of Yarmouth » (copie dactylographiée, 1958 ; copie aux PANS).— Nova Scotia vital statistics from newspapers, 1813–1822, T. A. Punch, compil. (Halifax, 1978), no 1498 ; 1829–34, J. M. Holder et G. L. Hubley, compil. (1982), no 739.— Beck, Government of N.S. ; Joseph Howe (2 vol., Kingston, Ontario, et Montréal, 1982–1983), 1.— J. G. Bourinot, Builders of Nova Scotia [...] (Toronto, 1900), 67.— G. S. Brown, Yarmouth, Nova Scotia : a sequel to Campbell’s history (Boston, 1888), 69, 314, 349, 351.— J. R. Campbell, A history of the county of Yarmouth, in Nova Scotia (Saint-Jean, N.-B., 1876 ; réimpr., Belleville, Ontario, 1972), 155.— W. R. Livingston, Responsible government in Nova Scotia : a study of the constitutional beginnings of the British Commonwealth (Iowa City, 1930).— M. E. McKay, « The first reform administration in Nova Scotia, 1848–1857 » (thèse de m.a., Dalhousie Univ., Halifax, 1946).— D. F. Maclean, « The administration of Sir John Harvey in Nova Scotia, 1846–1852 » (thèse de m.a., Dalhousie Univ., 1947).— C. [B.] Martin, « Nova Scotian and Canadian reformers of 1848 », SRC Mémoires, 3e sér., 23 (1929), sect. ii : 1–16.— Gene Morison, « Herbert Huntington », N.S. Hist. Soc., Coll., 29 (1951) : 43–61.
A. A. MacKenzie, « HUNTINGTON, HERBERT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/huntington_herbert_8F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1985 |
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Date de consultation: | 28 novembre 2024 |