TURNER, JOHN HERBERT, homme d’affaires, homme politique et représentant général de la Colombie-Britannique, né le 7 mai 1833 à Claydon, Angleterre, fils de John Turner et d’une prénommée Martha ; en 1860, il épousa à Whitehaven, Angleterre, Elizabeth Eilbeck (décédée en 1918), et ils eurent un fils ; décédé le 9 décembre 1923 à Richmond (Londres).

John Herbert Turner fit ses études à Whitstable, en Angleterre, et arriva en Amérique du Nord britannique en 1856. Après un séjour de deux ans à Halifax, il élut domicile à Charlottetown, où il se fit marchand. Moyennement heureux en affaires, il retourna en Angleterre en 1860 pour épouser Elizabeth Eilbeck, qui l’accompagna à l’Île-du-Prince-Édouard. Peu après, Turner apprit que l’on avait découvert de l’or dans le district de Cariboo, en Colombie-Britannique. Attiré par cette découverte, il résolut de gagner la côte du Pacifique. Son intention était de se rendre dans les régions aurifères et de tenter sa chance, mais, peu après son arrivée à Victoria en juillet 1862, constatant que l’économie de cette ville était très florissante, il décida plutôt d’y rester et de redevenir marchand. Il s’associa à Jacob Hunter Todd* pour former le Victoria Produce Market. Toutefois, avant même la fin d’octobre 1863, les deux hommes mirent un terme à leur collaboration.

En 1864, Turner ouvrit dans un imposant immeuble appelé London House, rue Wharf, une société d’importation et d’articles de mode, la J. H. Turner and Company, qui ne tarda pas à connaître le succès. En 1871, avec deux associés de Londres, John Partridge Tunstall, son ex-agent dans cette ville, et Henry Coppinger Beeton, il fonda la Turner, Beeton, and Tunstall. Rebaptisée Turner, Beeton and Company après le départ de Tunstall en 1878, l’entreprise continua de réaliser de bonnes affaires sous ce nom durant de nombreuses années.

À Victoria, Turner était réputé pour son naturel aimable, sa belle demeure avec jardin et sa participation à plusieurs organisations locales. Longtemps actif dans la milice, il avait contribué en 1863 à la formation des Vancouver Island Volunteers et se retirerait en 1882 avec le grade de lieutenant-colonel. En 1869, le gouverneur en conseil le nomma à la commission du tarif, dont le mandat était de contrôler les droits de douane et d’accise de la colonie. Trois ans plus tard, Turner fut nommé au conseil d’administration du cimetière Ogden Point, en voie de création. Peu après, il devint juge de paix. En 1871, un groupe d’hommes d’affaires de Victoria avaient tenté publiquement de le convaincre de se porter candidat aux élections provinciales, mais il avait refusé. Cependant, dès 1876, il faisait de la politique municipale. Échevin de 1876 à 1879, année où il fut élu sans opposition à la mairie, il exerça cette fonction jusqu’à son retrait de la scène municipale en 1881. Pendant qu’il était maire, il occupa la présidence de la British Columbia Benevolent Society, du conseil d’administration du Royal Jubilee Hospital et de la British Columbia Agricultural Association. En juin 1882, il quitta la côte du Pacifique pour un séjour prolongé en Angleterre. L’été suivant, il représenta la province à l’International Fisheries Exhibition, à Londres.

Turner fit son entrée en politique provinciale en 1886 en remportant, en juillet, l’un des quatre sièges de la circonscription de la ville de Victoria. À l’époque, la Colombie-Britannique n’avait pas de partis politiques à l’identité bien définie, mais Turner était associé au cercle des gouvernants qui exerça le pouvoir de 1883 à 1898 sous l’autorité de divers chefs successifs. Le 8 août 1887, le premier ministre Alexander Edmund Batson Davie* le nomma ministre des Finances et de l’Agriculture. Après la mort de Davie, deux ans plus tard, Turner conserva ces portefeuilles, d’abord dans le cabinet de John Robson* puis dans celui de Theodore Davie*. La démission de ce dernier, en mars 1895, lui permit d’accéder au fauteuil de premier ministre. Il entra en fonction le 4 mars et garda les portefeuilles des Finances et de l’Agriculture.

La gestion financière faisait l’objet de virulentes critiques de la part des adversaires du cercle des gouvernants. Durant la période où Turner fut ministre des Finances, soit de 1887 à 1898, le budget provincial fut déficitaire chaque année et, au moment où il quitta sa fonction, la dette publique brute avoisinait les 7 500 000 $, c’est-à-dire sept fois plus qu’en 1886. Les généreuses subventions gouvernementales aux agents de développement ferroviaire étaient aussi dénoncées. David Williams Higgins* les invoqua pour justifier sa démission de la présidence de l’Assemblée au printemps de 1898. À ce moment-là, les journaux de l’opposition en étaient venus à condamner ce qu’ils appelaient le « turnerisme ». R. Edward Gosnell*, secrétaire de Turner au temps où ce dernier était premier ministre, définirait ainsi ce terme en 1921 : « favoritisme, laxisme dans la fonction publique, gaspillage de fonds publics, […] affectation de deniers publics à l’encouragement de spéculateurs et promoteurs, imprudence dans [l’octroi] de chartes et subventions aux chemins de fer, manque d’orientations générales et précises, absence de sympathie envers les aspirations des travailleurs et toute autre chose dont on pouvait accuser un gouvernement en place depuis longtemps ».

On reprochait aussi à Turner d’utiliser ses fonctions politiques et sa qualité de personnage officiel à son propre bénéfice. Dans son cas comme dans celui d’autres hommes publics de l’époque, il est difficile de distinguer ses activités politiques et ses intérêts financiers. Après son entrée sur la scène provinciale, Turner s’était lancé dans de nouvelles entreprises. Par exemple, à la fin des années 1880, lui-même et son beau-frère avaient acquis une propriété minière au sud de Kamloops. En 1887, ils formèrent à Londres une société dont ils étaient les représentants dans la province, la Nicola Mining Company Limited. Dès 1890, malgré la publicité favorable qu’elle avait eue au début, elle n’était plus en exploitation. En tant que ministre des Finances, Turner entretenait des relations officielles suivies avec le représentant de la Colombie-Britannique à Londres, qui, jusqu’en 1895, fut Beeton, son associé à la Turner, Beeton and Company. Puis, à l’automne de 1897, Turner et un membre de son cabinet, Charles Edward Pooley, acceptèrent de faire partie du conseil consultatif de deux entreprises hautement spéculatives dont le siège social se trouvait en Grande-Bretagne, la Dawson City (Klondyke) and Dominion Trading Corporation et la Klondyke and Columbian Goldfields Limited. Cette fois, c’en était trop. Accueillie par une désapprobation polie dans la presse financière britannique, la décision du premier ministre et de Pooley provoqua un tollé dans les journaux de l’opposition en Colombie-Britannique. Le 11 décembre 1897, le Province de Victoria déclara qu’ils étaient « carrément des catins politiques ». Turner intenta des poursuites en diffamation. Le procès, en janvier et février 1898, fit grand bruit. Turner le perdit, ce qui porta durement atteinte à sa crédibilité et à celle de son gouvernement.

La popularité de l’équipe de Turner continua de s’effriter jusqu’aux élections provinciales de juillet 1898. Le premier ministre et ses collègues n’arrivaient pas à dissiper l’impression, fort répandue, que leur gouvernement obéissait aux moindres volontés de puissantes entreprises et qu’il était l’instrument docile de l’influente famille Dunsmuir [V. James Dunsmuir*]. En outre, on leur reprochait de ne pas vouloir accorder une représentation politique équitable à l’ensemble de la partie continentale de la province et en particulier à la ville de Vancouver, alors en pleine expansion. Inaugurés officiellement au début de 1898, les édifices du Parlement de Victoria, conçus par Francis Mawson Rattenbury*, semblaient incarner ce gouvernement dépensier, indûment favorable à l’île de Vancouver.

Les résultats des élections de juillet laissaient présager un match nul entre représentants du gouvernement et de l’opposition, en dépit du fait que des candidats défaits déposèrent de nombreuses contestations et que les électeurs de Cassiar, circonscription à deux sièges, se rendirent aux urnes un mois après ceux du reste de la province. Le lieutenant-gouverneur Thomas Robert McInnes exigea la démission de Turner. Celui-ci refusa et, furieux, mit en doute la constitutionnalité de cette exigence, mais il dut se résigner à la défaite. Il démissionna le 8 août. Charles Augustus Semlin lui succéda.

Le départ de Turner marquait la fin du long règne de la dynastie politique de Victoria sur la Colombie-Britannique. En outre, la défaite de son gouvernement reflétait les changements structuraux survenus dans l’économie provinciale. Depuis l’achèvement du chemin de fer canadien du Pacifique en 1885, Vancouver avait pris le pas sur les autres villes côtières. À l’aube du xxe siècle, le foyer de la vie économique n’était plus Victoria, mais la partie continentale de la province. Peu à peu, les entreprises ayant leur siège social dans le centre du Canada éclipsaient la coterie de marchands de Victoria dont Turner était issu.

Turner devint le chef de l’opposition et le resta jusqu’aux élections de juin 1900. Le 15, il reprit les portefeuilles des Finances et de l’Agriculture, cette fois dans le cabinet de James Dunsmuir, qui ressemblait fort au cercle des gouvernants en poste de 1883 à 1898. Âgé de 67 ans, Turner commençait peut-être à en avoir assez du tumulte de la scène politique provinciale. Il démissionna le 3 septembre 1901 pour exercer la fonction de représentant général de la Colombie-Britannique en Angleterre.

Le 11 février 1902, peu après son arrivée à Londres, Turner prononça devant le Royal Colonial Institute une allocution intitulée « British Columbia of to-day ». Il insistait sur la salubrité du climat de la province, sur ses paysages magnifiques et sur l’abondance de ses ressources forestières, puis faisait miroiter aux investisseurs britanniques les nombreuses possibilités offertes par les mines. Ces commentaires en firent sourciller quelques-uns. On n’avait pas oublié la participation de Turner à des sociétés spéculatives d’exploitation minière ; on ne la lui avait pas non plus pardonnée tout à fait. Pour cette raison, une partie de la presse londonienne avait même critiqué sa nomination au poste de représentant général. Toutefois, au cours de la quinzaine d’années où il exercerait cette fonction, il gagnerait le respect dans bien des milieux grâce à son travail de promotion en faveur de la Colombie-Britannique.

À titre de représentant général, Turner veilla à ce que les produits agricoles de la Colombie-Britannique soient présentés à de nombreuses foires et expositions dans toute la Grande-Bretagne. Il laissa à Londres un symbole plus durable de la province en faisant construire la British Columbia House, rue Lower Regent. Ironie du sort, il quitta son poste au moment de l’inauguration officielle de cette maison, à la fin de 1915. Un autre premier ministre retiré depuis peu, sir Richard McBride*, prit la relève. McBride mourut en août 1917. Turner redevint représentant général et le resta jusqu’à sa retraite définitive en 1918. Pendant cette période, il fut appelé à jouer des rôles honorifiques, par exemple présider un dîner donné par des Canadiens à Londres pour célébrer la nomination de lord Beaverbrook [Aitken*] au cabinet de la Grande-Bretagne, au printemps de 1918.

Six semaines après avoir atteint l’âge de 90 ans, John Herbert Turner assista à Petersham (Londres), non loin de sa retraite de Richmond, à la plantation d’un arbre près de la tombe de l’explorateur George Vancouver*. Le prince de Galles et des délégués du Bureau de commerce de Vancouver étaient présents. La participation de Turner à cette cérémonie organisée par les Native Sons of British Columbia concluait en beauté la longue période pendant laquelle son destin avait été associé à celui de la province. Décédé six mois plus tard dans sa maison de Richmond, Turner fut inhumé au cimetière de Kensal Green.

Jeremy Mouat

Quelques discours et d’autres documents écrits par John Herbert Turner quand il était premier ministre ou agent général de la Colombie-Britannique se retrouvent dans le Répertoire de l’ICMH. Sa conférence intitulée « British Columbia of to-day », prononcée devant le Royal Colonial Institute, a été publiée dans les Proc. (Londres) de l’institut, 33 (1902) : 110–131 ; elle a fait l’objet d’un tiré à part : British Columbia of to-day ([Victoria], 1902).

BCA, GR-0441 ; GR-1197 ; MS-0471 ; MS-0699, box 1, file 1 ; MS-1130.— Daily Colonist (Victoria), 11 déc. 1923.— R. E. Gosnell, « Prime ministers of B.C., 10 : Hon. J. H. Turner », Vancouver Daily Province, 17 mai 1921 : 12.— Times (Londres), 15 juill. 1898, 5 avril 1918.— Vancouver Daily Province, 19 oct. 1922.— J. D. Belshaw, « Provincial politics, 1871–1916 », dans The Pacific province : a history of British Columbia, H. J. M. Johnston, édit. (Vancouver et Toronto, 1996), 134–164.— R. E. Cail, Land, man, and the law : the disposal of crown lands in British Columbia, 1871–1913 (Vancouver, 1974).— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1898 et 1912).— Edith Dobie, « Some aspects of party history in British Columbia, 1871–1903 », Pacific Hist. Rev. (Berkeley et Los Angeles, Calif.), 1 (1932) : 235–251.— Electoral hist. of B.C.— S. W. Jackman, Portraits of the premiers : an informal history of British Columbia (Sydney, C.-B., 1969).— E. B. Mercer, « Political groups in British Columbia, 1883–1898 » (mémoire de m.a., Univ. of B.C., Vancouver, 1937).— W. N. Sage, « Federal parties and provincial groups in British Columbia, 1871–1903 », British Columbia Hist. Quarterly (Victoria), 12 (1948) : 151–169.— J. T. Saywell, « The McInnes incident in British Columbia (1897–1900), together with a brief survey of the lieutenant-governor’s constitutional position in the Dominion of Canada » (travail de b.a., Univ. of B.C., 1950).— G. F. G. Stanley, « A “constitutional crisis” in British Columbia », Canadian Journal of Economics and Political Science (Toronto), 21 (1955) : 281–292.— [J. H. Tunstall], The life & death of John Henry Tunstall : the letters, diaries & adventures of an itinerant Englishman supplemented with other documents & annotations, F. W. Nolan, compil. et édit. (Albuquerque, N. Mex., [1965]).

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Jeremy Mouat, « TURNER, JOHN HERBERT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/turner_john_herbert_15F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
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