TONTY, ALPHONSE (de), baron de Paludy, commandant des forts Michillimakinac, Frontenac et Pontchartrain (Détroit), capitaine dans les troupes de la marine, frère cadet de Henri Tonty ; né en France, aux environs de 1659, fils de Laurent (Lorenzo) de Tonty, baron de Paludy, et d’Isabelle de Liette (di Lietto), décédé le 10 novembre 1727, à Détroit.

Laurent de Tonty quitta l’Italie, vers 1650, après avoir participé à une rébellion manquée. On l’écroua à la Bastille en 1669, vraisemblablement à la suite de la faillite d’un système d’assurance qu’il avait proposé au cardinal Mazarin en 1653. Les huit ans qu’il y passa coïncidèrent avec l’adolescence d’Alphonse, ce qui explique peut-être en partie l’irascibilité du caractère de ce dernier. Alphonse se querella violemment avec René-Robert Cavelier* de La Salle, en 1684, au sujet de la rétribution que lui verserait l’explorateur s’il l’accompagnait dans un voyage au golfe du Mexique ; cette mésentente l’empêcha de participer au dernier et tragique voyage de La Salle. Son caractère difficile l’a peut-être sauvé d’une mort prématurée.

Alphonse vint en Nouvelle-France en 1685, sans doute à bord du premier vaisseau à traverser cette année-là. Il se fixa à Montréal où il épousa, le 17 février 1698, Marie-Anne Picoté de Belestre, fille de feu Pierre Picoté* de Belestre, trafiquant de fourrures et marchand. Le traitement que touchait Alphonse, comme lieutenant dans les troupes de la marine, s’élevait au plus à 720# par an, mais il savait qu’il y avait d’intéressants profits à réaliser dans la traite des fourrures et c’est vers l’Ouest qu’il se tourna ; il engagea des hommes et arma des embarcations pour gagner le pays des Illinois. En 1693, on lui accorda le grade de capitaine réformé et il quitta la rue Saint-Joseph pour une maison plus grande, rue Notre-Dame. Il représentait son frère dans les cas litigieux ou les différends d’ordre financier tout en continuant à investir dans le commerce des fourrures.

Antoine Laumet, dit de Lamothe Cadillac, avait quitté Michillimakinac en 1697 pour venir rendre compte de son administration. Bien que le ministre de la Marine eût ordonné l’évacuation des postes de l’Ouest, en raison de la saturation du marché du castor, le gouverneur Buade* de Frontenac nomma Alphonse Tonty pour succéder à Cadillac. Tonty quitta Montréal avec cinq marchands, une trentaine d’engagés et une cargaison de marchandises de traite d’une valeur approximative de 35 000#. L’entente stipulait qu’Alphonse retirerait 50 p. cent du profit des ventes. Il ne commanda qu’un an à Michillimakinac ; c’est à cette époque qu’il rencontra son cousin, Pierre-Charles de Liette, et son frère Henri, qui lui céda alors la moitié de ses intérêts dans le fort Saint-Louis (Pimitoui), au pays des Illinois.

Les résultats financiers de la première grande entreprise commerciale d’Alphonse Tonty ne sont pas connus ; de même, il n’est pas possible d’évaluer les bénéfices réalisés à la suite de certaines transactions immobilières : achat et vente d’une maison, rue Saint-Paul, achat et location d’une autre maison, rue Notre-Dame. Quoi qu’il en soit, avant 1701, sa réussite financière a été moins que brillante : dans les livres d’un seul marchand il avait une créance de 11 000#. Néanmoins il était parvenu à se créer de puissants alliés, dont Philippe de Rigaud de Vaudreuil qui se fera son protecteur à maintes reprises.

Une expédition quitta Montréal, sous la direction de Cadillac, en juin 1701, avec mission d’ériger un fort sur la rive du détroit reliant les lacs Érié et Sainte-Claire ; Alphonse, qui avait été promu capitaine, en faisait partie à titre de commandant en second. En l’absence de Cadillac, souvent appelé à Montréal et à Québec au cours des quatre années qui suivirent, c’est Tonty qui, à plusieurs reprises, assuma le commandement du fort. Il s’acquitta honorablement de ses responsabilités ; il réussit à écarter une attaque iroquoise et dissuada plusieurs bandes d’Indiens d’aller trafiquer à Albany. Malheureusement, son traitement était nettement insuffisant pour acquitter ses dettes et subvenir aux besoins de sa famille. En conséquence, le négoce personnel auquel il se livrait prit des proportions telles que la cour dut intervenir. Vaudreuil se vit contraint d’exécuter les ordres du ministre : Tonty quitta Détroit en 1705 pour être remplacé l’année suivante par Étienne de Véniard de Bourgmond.

Un frère cadet d’Alphonse Tonty, qui habitait Paris, soumit à Pontchartrain en 1706 un mémoire au sujet d’une mine près de Témiscamingue qu’Alphonse était en mesure d’exploiter. Selon le mémoire, il faudrait six hommes et deux canots pour transporter chaque année les munitions et les marchandises qu’on offrirait aux Indiens qui traitaient avec les Anglais de la baie d’Hudson. On utiliserait les embarcations pour ramener dans la colonie le métal, que le mémoire n’identifiait pas cependant. Les intendants Jacques et Antoine-Denis Raudot considéraient que le projet était bon mais s’opposaient fermement aux privilèges de traite que sollicitait Tonty. Il semble que Pontchartrain endossa ces restrictions car les Tonty abandonnèrent bientôt l’affaire. Fait intéressant, 200 ans plus tard, l’exploitation minière de cette région devait donner naissance à la ville de Cobalt.

Moins d’un an après son rappel de Détroit, Alphonse était nommé commandant du fort Frontenac. Cette affectation, qui dura deux ans, fut une répétition de son commandement antérieur et donna lieu aux mêmes abus ; il demandait un prix exorbitant pour l’eau-de-vie, gouvernait d’une façon arbitraire et pour son seul profit, faisant bon marché de l’intégrité. Un rapport défavorable que rédigea François Clairambault d’Aigremont sur la foi des témoignages de soldats, de colons et d’Indiens, entraîna la destitution d’Alphonse ; Zacharie-François Hertel* de la Fresnière lui succéda.

À la cour, la cote de Tonty était maintenant au plus bas, mais Vaudreuil ne l’abandonnait pas. En 1711, il porta les instructions du gouverneur à Détroit et revint avec un détachement d’Indiens et des canots ; l’année suivante, Vaudreuil le proposait au poste de commandant de Chambly. La femme de Tonty mourut le 11 septembre 1714, seize mois après la naissance de son treizième enfant. Il se remaria le 3 mai 1717 avec Marie-Anne de La Marque, veuve de Joseph-Antoine de Frenel. Un mois plus tard, Alphonse quittait Montréal pour assumer le commandement de Détroit et, avant la fin de l’année, Vaudreuil le recommandait à la croix de Saint-Louis.

La tournure des choses, pendant les dix années que Tonty commanda à Détroit, n’a sûrement étonné personne. Désirant se procurer l’argent qu’il lui fallait pour régler ses dettes, Alphonse se montra âpre au gain et despote, s’attirant très tôt le mépris de tous. Les voyageurs devaient acheter de lui seul et au double du prix réel les provisions dont ils avaient besoin et, s’ils logeaient au fort, Tonty exigeait qu’ils paient chambre et pension. Les colons versaient un impôt foncier annuel et il leur fallait, en plus, tenir disponible l’argent nécessaire à l’achat de présents pour les Indiens. Les gens qui allaient de Détroit à Montréal étaient obligés d’obtenir du commandant un permis que celui-ci leur délivrait contre le paiement d’une somme de 500#. On porta sur sa conduite des plaintes, assermentées devant notaire, on signa des pétitions demandant son rappel, mais Vaudreuil, inflexible, refusa de prendre des mesures contre son protégé. L’attitude du gouverneur semble donner du poids aux allégations de Jacques Baudry de Lamarche voulant que Tonty ait versé au gouverneur 3 000 # par année pour s’assurer le poste de commandant.

En 1726, Alphonse donna à bail le commerce à Détroit, contre le paiement d’une somme annuelle de 7 000# et exprima le désir de conserver le commandement du poste pour encore trois ans, laps de temps suffisant, croyait-il, pour liquider ses dettes. Cependant Vaudreuil était mort quand il présenta cette requête, et de plus, en 1727, les Hurons menacèrent de quitter le fort si Tonty n’était pas remplacé. Après consultation avec le haut commandement militaire, le nouveau gouverneur, Charles de Beauharnois*, décida qu’il le rappellerait le printemps suivant, en 1728. Cependant, Tonty mourut avant que la décision ne prenne effet.

Au moins six de ses treize enfants lui survécurent. Trois embrassèrent la carrière d’officier dans les troupes de la marine : Alphonse servit à l’île Royale, Charles-Henri-Joseph, sieur de Liette, servit chez les Illinois, et Pierre-Antoine mourut aux mains des Chicachas avec François-Marie Bissot de Vinsenne en 1736. Une des filles, Marie-Françoise, entra chez les religieuses de la congrégation de Notre-Dame, une autre, Marie-Josette, épousa Louis Damours de Louvières et une troisième, Thérèse, épousa François Desjordy.

Alphonse Tonty était un officier de talent. À plusieurs reprises, il dissuada les Indiens alliés de la Nouvelle-France de se rendre trafiquer à Albany. Il y avait toutefois chez lui une forte propension à la cupidité qui s’accentua jusqu’à devenir le trait dominant de sa personnalité, à mesure que les besoins d’argent se faisaient plus pressants.

C. J. Russ

Les principales sources de documentation sur la vie d’Alphonse Tonty sont : AN, Col., B, 29 ; Col., C11A 28–52 ; Col., C11G, 3 ; et AJM, Greffe d’Antoine Adhémar. La querelle de Tonty avec La Salle est racontée en détail dans la correspondance de Beaujeu avec Villermont, publiée dans Découvertes et établissements des Français (Margry), V. La source imprimée à recommander concernant le séjour de Tonty à Détroit est Michigan Pioneer Coll., XXXIII, XXXIV. Les meilleures études sur la période 1701–1706 sont : Jean Delanglez, The genesis and building of Detroit, Mid-America, XXX (1948 ; nouvelle série, XIX), 75–104 ; Cadillac at Detroit, Mid-America, XXX (1948 ; nouvelle série, XIX), 152–176, 233–256. La correspondance de Vaudreuil avec la cour peut être consultée dans RAPQ, 1938–39, 1939–40.

Les autres ouvrages consultés lors de la rédaction de cette biographie comprennent NYCD (O’Callaghan et Fernow), IX ; Ill. State Hist. Lib. Coll., XXIII ; Wis. State Hist. Soc. Coll., III ; Tanguay, Dictionnaire, I, VII.

La plupart des études sont partiales et incomplètes.  [c. j. r.]

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C. J. Russ, « TONTY, ALPHONSE (de), baron de PALUDY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/tonty_alphonse_2F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1969
Année de la révision:    1991
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