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SHEPPARD, EDMUND ERNEST, journaliste et écrivain, né le 29 septembre 1855 dans le canton de South Dorchester, comté d’Elgin, Haut-Canada, fils unique d’Edmund Sheppard et de Nancy Bently ; le 8 octobre 1879, il épousa à Mapleton, Ontario, Melissa Culver, et ils eurent un fils et trois filles ; décédé le 6 novembre 1924 près de San Diego, Californie.
Dans un roman paru en 1888, Widower Jones, récit mélodramatique du conflit entre un fils prodigue et son père ministre du culte, Edmund Ernest Sheppard dépeint les fils d’ecclésiastiques comme de mauvais acteurs, des mécréants de la pire espèce. Ce jugement, entre autres, s’inspire peut-être de sa propre expérience. D’ailleurs, sa carrière (suite de coups d’éclat et de défis aux conventions) pourrait être interprétée comme une rébellion contre son éducation religieuse.
Le père de Sheppard avait immigré d’Angleterre en 1843. Après avoir été plusieurs années instituteur puis surintendant d’écoles, il devint l’un des premiers ministres canadiens des Disciples du Christ. Formé dans la région de St Thomas, Edmund Ernest entreprit ensuite sa médecine dans un établissement qu’avait déjà fréquenté son père, le Bethany College en Virginie-Occidentale. Selon toute apparence, il abandonna ses études et fit route jusqu’au Texas et au Mexique, où il aurait été durant plusieurs années cow-boy et conducteur de diligences. Après son retour au Canada en 1878, il arbora régulièrement le style cow-boy : grand chapeau mou, bottes d’équitation en cuir de Cordoue, cravate-lacet, moustaches en crocs et barbiche. Son penchant pour le tabac à chiquer et les boissons fortes devait aussi dater de ces années dans le Sud-Ouest.
De retour en Ontario, Sheppard pratiqua le journalisme, d’abord à London et à St Thomas puis au Toronto Daily Mail, sous l’administrateur délégué Christopher William Bunting*. Nommé en 1883 rédacteur en chef d’un journal lancé depuis peu à Toronto par John Riordon*, l’Evening News, il en fit l’acquisition dans le courant de la même année. Il s’y entoura d’une équipe audacieuse et plutôt bohème – des auteurs impatients de secouer la complaisance du monde journalistique torontois. Le News se distinguait surtout par son radicalisme et son goût du sensationnel. En politique, il prônait un Canada indépendant et républicain où le principe électif s’appliquerait à la quasi-totalité des postes publics et où il y aurait séparation complète de l’Église et de l’État. Les Chevaliers du travail – nouveau syndicat qui connut son heure de gloire à la fin des années 1880 [V. Alexander Whyte Wright*] et dont le leader intellectuel, Thomas Phillips Thompson*, était rédacteur adjoint du News – pouvaient compter sur un appui sans réserve de la part du journal. Tous les employés s’inscrivirent à ce syndicat et, en 1886, participèrent au défilé de la fête du travail, coiffés de chapeaux en tuyau de poêle blancs. En 1887, avec l’appui du mouvement ouvrier, Sheppard brigua le siège de Toronto West au Parlement fédéral et perdit de justesse contre Frederick Charles Denison*. Ses campagnes en vue de se faire élire à l’Assemblée législative provinciale en 1890 et à la mairie de Toronto en 1893 (contre Robert John Fleming) se solderaient aussi par un échec.
Journal à sensation, l’Evening News l’était sous divers aspects. Imprimé sur papier rose, il mettait l’accent sur les nouvelles locales, rapportait des ragots un peu salaces et publiait des romans-feuilletons (la première œuvre de fiction de Sheppard, Dolly, parut dans ses pages). Ses paragraphes étaient brefs, son style mordant, ses titres accrocheurs. Mais parfois, il allait trop loin. Le News ne ménageait pas les catholiques ni les Canadiens français ; après tout, Sheppard appartenait à la loge d’Orange. Dans un article paru en 1885, Louis P. Kribs* laissa entendre que le 65e bataillon de carabiniers Mont-Royal avait fait preuve de lâcheté pendant la rébellion du Nord-Ouest. Le lieutenant-colonel Joseph-Aldric Ouimet*, commandant de cette unité montréalaise et jeune député conservateur en pleine ascension, intenta une poursuite en diffamation contre le News et son rédacteur en chef. L’accusation, de même que les manœuvres de Sheppard – il tenta d’abord d’éviter la tenue du procès à Montréal puis de ne pas publier les excuses exigées par le tribunal –, suscitèrent un intérêt assez vif dans l’opinion durant plus de deux ans. En fin de compte, Sheppard perdit, présenta des excuses et s’engagea à payer une amende et les frais judiciaires, mais il dut se départir du News, qui était empêtré dans des difficultés financières. Cet épisode dut renforçer sa francophobie.
Tandis que ce long procès tirait à sa fin, Sheppard fonda le Saturday Night en association avec Walter Cameron Nichol et William E. Caiger. Cet hebdomadaire, dont le premier numéro parut le 3 décembre 1887, n’avait plus grand-chose du radicalisme affiché naguère par Sheppard. Le News avait aspiré à être un « journal du peuple ». Le Saturday Night visait plutôt à offrir des « rubriques mondaines » à un lectorat soucieux de culture et conservateur en matière sociale. Pendant la vingtaine d’années où Sheppard le dirigea – période au cours de laquelle il fut aussi, un moment, rédacteur du Star de Toronto [V. sir William James Gage] –, le magazine présenta des articles de bonne tenue sur la littérature, la musique, l’art, la politique, les affaires et la religion. Sheppard encouragea beaucoup de jeunes auteurs à y collaborer, notamment des femmes telles Kate Eva Yeigh [Westlake*], avec qui il avait été associé à St Thomas, Agnes Mary Scott et Kathleen Blake Watkins [Catherine Ferguson*]. Dans sa propre chronique (signée d’un pseudonyme espagnol, Don), il s’en prenait souvent aux idées reçues. Parmi les moulins à vent qu’il aimait à prendre d’assaut, les Églises figuraient en bonne place. Dans les années 1890, au cours de sa vigoureuse campagne en faveur de la circulation des tramways le dimanche, il affirma : « les prédicateurs essaient de garder le monopole du dimanche, ils ont peur que, advenant qu’il y ait une autre attraction, on déserte leur lieu de culte ».
Au Saturday Night, le radicalisme de Sheppard s’atténua donc, mais son hostilité envers les Canadiens français demeura intacte. Il s’acharnait à mettre en parallèle le Canada et les États-Unis d’avant la guerre de Sécession en réservant à la province de Québec le rôle du Sud. Toute tentative de reculer les frontières de la langue française au delà de la rivière des Outaouais – la ligne Mason-Dixon du Canada – rencontrerait une forte résistance, disait-il. Pour lui, le Québec était un cloaque, un territoire dominé par le clergé, où régnaient la corruption politique et l’agressivité en matière linguistique. « Pourquoi tourner autour du pot ? demandait-il, pour la forme. Pourquoi sommes-nous ici ? Pourquoi [James Wolfe*] s’est-il donné la peine de combattre [Louis-Joseph de Montcalm*] ? N’était-ce pas pour conquérir le Canada ? N’était-ce pas pour assurer la suprématie des Anglo-Saxons ? […] Jamais nous ne deviendrons une nation si nous conservons deux langues. » Son ton se ferait moins belliqueux avec les années, mais son ethnocentrisme ne disparaîtrait jamais tout à fait.
Malgré les attaques répétées de Sheppard contre le cléricalisme, ses textes avaient souvent « un fond religieux », selon Hector Willoughby Charlesworth*. Cette remarque s’applique sans aucun doute aux trois médiocres romans publiés par lui dans les années 1880. Tout en critiquant le christianisme officiel par la mise en évidence de l’écart entre la doctrine et l’action, chacun d’eux exprimait de la sympathie pour ce que Sheppard appelait « l’esprit des enseignements du Christ ». Manifestement, il adhérait au libéralisme théologique. Cependant, tandis que, sous l’influence de ce courant fort populaire à l’époque, certains de ses contemporains s’orientèrent vers le Social Gospel, lui, après que son état de santé l’eut forcé à prendre sa retraite et à partir pour la Californie en 1906, glissa vers ce que l’on appelle parfois « mind cure » (guérison par l’esprit) ou « New Thought » (pensée nouvelle).
Le livre publié en 1915 par Sheppard, The thinking universe, exposait un amas d’idées visant à démontrer que le stade le plus avancé de la religion était la Science chrétienne. Le but de celle-ci, écrivait Sheppard, était de « changer l’attitude de l’Homme envers l’Infini ; de l’élever jusqu’à la conscience qu’il est sa propre Infinité ; de stimuler sa Raison afin qu’il comprenne qu’il est parfaitement outillé pour la moindre situation d’urgence ; de lui indiquer la présence en lui-même du pouvoir de s’attaquer à la maladie et au péché ». Ainsi donc, chez cet écrivain que John Wilson Bengough avait un jour surnommé « le cow-boy journaliste », le libéralisme religieux, à peine né, avait en toute logique atteint la sénescence sous l’emprise du pouvoir de la pensée positive.
Edmund Ernest Sheppard mourut près de San Diego le 6 novembre 1924 à l’issue d’une longue maladie.
Edmund Ernest Sheppard est l’auteur des ouvrages suivants : Dolly, the young widder up to Felder’s (Toronto, 1886) ; Widower Jones, a faithful history of his «loss » and adventures in search of a «companion » ; a realistic story of rural life (Toronto, 1888) ; A bad man’s sweetheart (Toronto, 1889) ; et The thinking universe ; reason as applied to the manifestations of the infinite (Los Angeles, 1915).
AN, RG 31, C1, 1901, Toronto, Ward 3, div. 35 : 20.— AO, RG 80-5-0-79, nº 2197.— News (Toronto), 1883–1887.— Christopher Armstrong et H. V. Nelles, The revenge of the Methodist bicycle company : Sunday streetcars and municipal reform in Toronto, 1887–1897 (Toronto, 1977).— H. [W.] Charlesworth, Candid chronicles : leaves from the note book of a Canadian journalist (Toronto, 1925).— Ramsay Cook, « An epitaph for Edmund Sheppard and others », dans son ouvrage intitulé Canada, Quebec, and the uses of nationalism (Toronto, 1986), 175–183.— Russell Hahn, « Brainworkers and the Knights of Labor : E. E. Sheppard, Phillips Thompson and the Toronto News, 1883–1887 », dans Essays in Canadian working class history, G. S. Kealey et Peter Warrian, édit. (Toronto, 1976), 35–57.— Paul Rutherford, A Victorian authority : the daily press in nineteenth-century Canada (Toronto, 1982).— Saturday Night (Toronto), 1887–1906 ; 22 nov. 1924 : 2
Ramsay Cook, « SHEPPARD, EDMUND ERNEST », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/sheppard_edmund_ernest_15F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
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