SCOTT, AGNES MARY (Davis), journaliste, née le 12 décembre 1863 à Québec, fille d’Allan John Scott et de Margaret Cathleen Teresa Heron ; le 29 avril 1903, elle épousa à Ottawa William Patrick Davis, et ils eurent deux filles ; décédée le 19 novembre 1927 à Paris.

Échotière à Ottawa à la fin du xixe siècle et au début du xxe, Agnes Mary Scott a décrit l’entourage de la vice-royauté et le milieu politique avec une finesse et une ironie très proches de celles de sa contemporaine, l’écrivaine Sara Jeannette Duncan. Spirituelles, bien documentées et d’une audace souvent étonnante, ses chroniques en disent long sur le climat enivrant qui régnait dans la capitale au cours des premières années du gouvernement de Wilfrid Laurier*. Le 13 mars 1897, huit mois après l’accession de Laurier au poste de premier ministre, elle entamait sa collaboration au Saturday Night, hebdomadaire torontois d’Edmund Ernest Sheppard, par un article dont l’introduction illustre son ton tranchant et sa conscience aiguë des réalités du pouvoir. « “Le roi est mort, vive le roi”, répète-t-on à Ottawa depuis le 23 juin, et ceux qui espéraient que “ces horribles grits ne passer[aient] pas parce que cela ruinera[it] la société d’Ottawa” ont été les premiers à établir une entente cordiale avec les nouveaux arrivants. »

Agnes Mary Scott appartenait elle-même à cette société puisque son père était le plus jeune frère du patriarche Richard William Scott*, secrétaire d’État de Laurier, et que sa mère était la sœur de la femme de Scott. En même temps, elle était une déclassée. Son père étant mort jeune, en 1868, elle avait grandi dans l’ambiance qui peut entourer la haute bourgeoisie désargentée, dans une maison délabrée de la Côte-de-Sable, à Ottawa, où il n’y avait ni salle de bains ni chaudière. Environ un an après le décès de sa mère, survenu en 1898, elle s’installa chez un oncle. Assez terne d’allure, elle gagna cependant une place convoitée parmi les intimes de Rideau Hall grâce à son esprit et à ses relations. La popularité croissante des chroniques mondaines et l’ouverture du journalisme aux femmes lui permirent de vivre modestement de sa plume. Sans avoir de hautes ambitions professionnelles, elle partageait la plupart des idéaux de la « nouvelle femme » indépendante des années 1890. « Les meilleurs hommes du pays sont ceux qui admirent et qui aident », écrivait-elle en 1898, peu après la fondation du National Council of Women of Canada, auquel elle adhéra. « L’homme qui condamne vigoureusement le conseil est celui – vous le connaissez – qui dit “Je ne laisse pas ma femme faire ceci”, “Je ne laisse pas ma femme faire cela”. Méfiez-vous de lui ! »

Mlle Scott avait commencé à dépeindre la haute société outaouaise dès 1896 dans un article consacré à un bal donné par lady Aberdeen [Marjoribanks*] et paru dans un magazine de la capitale, le Lounger. Une fois entrée dans la carrière journalistique, elle utilisa des pseudonymes, comme le voulaient alors les conventions. Dans le Saturday Night, pour lequel elle rédigea des chroniques à titre de pigiste jusqu’en juin 1902, elle était Amaryllis. Dans l’Ottawa Free Press, à l’équipe duquel elle appartint de décembre 1897 à février 1903, elle signait trois fois la semaine La Marquise – nom de plume emprunté non pas à quelque dame hautaine, mais à la servante effrontée du Magasin d’antiquités de Dickens, dont celui-ci disait qu’elle avait « un bref aperçu de la société par le trou des serrures ». Bien qu’elle ait été aussi correspondante pour le Star de Montréal et ait publié à l’occasion dans le Saturday Night des articles sur d’autres sujets, notamment un voyage à Paris en 1900, Ottawa était son grand thème.

Certaines des meilleures chroniques d’Agnes Mary Scott sont celles qui raillent la rigueur du protocole. Le 27 avril 1897, dans le Saturday Night, elle parla ainsi de la grande réception officielle que donnait chaque année, dans la chambre du Sénat, le gouverneur général, lord Aberdeen [Hamilton-Gordon*] : « L’épreuve qui consiste à faire avec grâce deux révérences profondes, à se relever sans tomber, à sortir sans tourner le dos au représentant de Sa Majesté, n’est rien en comparaison des critiques que murmurent à votre sujet, vous le savez, vos amis qui ont été présentés avant vous et devant lesquels vous passez en avançant vers le trône. Des remarques telles “Non, ce n’est pas une robe neuve, elle l’a simplement fait retoucher”, “Il me semble qu’elle l’a fait teindre, mais je n’en suis pas sûre”, “Elle devrait essayer de sourire davantage”, ne sont pas rares. » Mlle Scott ne craignait même pas de gronder le couple vice-royal. Le 24 février 1900, à l’exposition annuelle de l’Académie royale des arts du Canada, à la Galerie nationale du Canada, elle fit observer que la manifestation se tenait dans le même édifice que l’exposition canadienne des pêches. « À la soirée d’inauguration, dans son discours, le gouverneur général évoque presque toujours le caractère inadéquat du lieu […] Le comte de Minto [Elliot*], qui ne déborde d’originalité dans aucun domaine, a suivi l’exemple de ses prédécesseurs et plaidé lui aussi en faveur d’un nouvel édifice. » Au moins, lady Minto ne lui « tir[a pas] la manche […] pour offrir une suggestion », comme lady Aberdeen avait coutume de le faire quand son mari parlait.

Agnes Mary Scott vénérait Laurier. Dans un charmant article paru le 21 octobre 1899, elle rapporta avoir rencontré le premier ministre par hasard dans un tramway d’Ottawa. « À cause de ses principes démocratiques, écrivait-elle, sir Wilfrid ne voyage qu’en tramway. » Ses chroniques les plus audacieuses, et de loin, contenaient des allusions indirectes à l’idylle de Laurier avec l’énigmatique Émilie Lavergne [Barthe], « femme brillante surnommée par nombre de gens la lady Chesterfield canadienne ». (La véritable lady Chesterfield avait été une amie intime du premier ministre de la Grande-Bretagne, Benjamin Disraeli ; Mlle Scott tenait pour acquis que ses lecteurs le savaient.)

Durant six ans, Agnes Mary Scott publia des chroniques mondaines d’un éclat rarement égalé au pays. Ses échos faisaient beaucoup jaser et provoquaient de l’indignation de temps à autre, mais on finissait toujours par la réinviter, ce qui suggère qu’Ottawa, à l’époque, était une capitale plus raffinée qu’on le suppose en général. Son mariage, en 1903, mit abruptement fin à sa carrière. Secrétaire de son métier, William Patrick Davis, fils d’un riche entrepreneur d’Ottawa, avait quelques années de moins qu’elle, et c’était un coureur de jupons. Même si leurs familles avaient beaucoup de points communs – elles étaient toutes deux irlandaises, catholiques et libérales –, bien des indices laissent croire qu’il s’agissait d’un mariage de convenance. À n’en pas douter, il ne fut pas heureux. Les Davis se firent construire une belle maison dans la Côte-de-Sable ; ils avaient aussi une propriété aux Mille-Îles. Agnes Mary recevait et trouvait le temps de faire des recherches et d’écrire pour la Women’s Canadian Historical Society d’Ottawa. Puis, la veille de Noël 1916, William Patrick mourut subitement dans l’appartement où, depuis des années, il entretenait une maîtresse.

Agnes Mary Scott Davis resta à Ottawa, soutenue par la succession de son mari et par la générosité de sa propre famille et de son beau-père. L’argent lui filait entre les doigts, ce qui, de toute évidence, devint une source de graves conflits entre les deux clans. En 1926, comme elle était dans la gêne, elle s’installa avec ses filles en France, où la vie était moins chère. Redevenue journaliste pendant une courte période, elle rédigea quelques articles pour le Star de Montréal. Elle mourut de la poliomyélite à Paris en 1927.

Sandra Gwyn

AN, RG 31, C1, 1901, Ottawa, quartier St George, div. 5 : 23 (mfm aux AO).— ANQ-Q, CE301-S98, 14 févr. 1864.— AO, RG 22-354, nos 8112, 13347 ; RG 80-5-0-310, nº 5289.— Ottawa Evening Journal, 21 nov. 1927.— Ottawa Free Press, déc. 1897–févr. 1903.— Sandra Gwyn, The private capital : ambition and love in the age of Macdonald and Laurier (Toronto, 1984).— National Council of Women of Canada, Women of Canada : their life and work ; compiled [...] for distribution at the Paris international exhibition, 1900 ([Montréal ?, 1900] ; réimpr., 1975), 76.— Saturday Night (Toronto), mars 1897–juill. 1902.— Lilian Scott Desbarats, Recollections (Ottawa, 1957).— « The Scotts of Tredinnock : some notes for the eleven grandchildren – some of whom remember their loving grandparents, the house and the gardens », Eileen Scott Morley, compil. (texte dactylographié, Londres, 1989 ; exemplaire en possession de Sandra Gwyn).— Fraser Sutherland, The monthly epic : a history of Canadian magazines, 1789–1989 (Toronto, 1989).

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Sandra Gwyn, « SCOTT, AGNES MARY (Davis) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/scott_agnes_mary_15F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
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