RIORDON (Riordan), CHARLES ALFRED, homme d’affaires, éditeur de journaux et entrepreneur de construction, né le 28 novembre 1847 dans le comté de Kerry (république d’Irlande), septième des huit enfants de Jeremiah Riordan et d’Amelia Ames ; le 7 janvier 1873, il épousa à Toronto Edith Susan Ellis, et ils eurent un fils et trois filles ; décédé le 17 août 1931 à Montréal.
Charles Alfred Riordon fut l’un des pionniers dans la mise en valeur de l’industrie papetière moderne au Canada. Il naquit à Limerick ou dans la ville côtière voisine de Ballybunion (république d’Irlande). Son père, médecin irlandais, servit dans la marine britannique de 1807 à 1821 ; sa mère était d’origine anglaise. À l’époque où Charles Alfred avait trois ou quatre ans, sa famille émigra et s’installa à Weston (Toronto). Environ sept ans plus tard, la plus grande partie de la famille alla vivre à Rochester, dans l’État de New York, où Charles Alfred fréquenta l’école. En 1863, son frère aîné John* le fit venir à St Catharines, dans le Haut-Canada, pour qu’il travaille à l’usine de papier d’emballage qu’il avait établie sur le bord du canal Welland. Pour le reste de la vie de Charles Alfred, la famille et la production de pâtes et papiers seraient inextricablement liées.
Charles Alfred commença à gérer le volet commercial de l’usine à l’âge de 16 ans et consacra par la suite sa carrière à l’amélioration et à l’expansion de ses activités. À 18 ans, il se rendit en Angleterre afin d’y acheter de l’équipement pour une usine de papier journal que son frère et lui avaient fait construire à Merritton (St Catharines). En 1877, au lieu d’exiger un remboursement de dettes, ces derniers prirent possession du Mail de Toronto, qui connaissait des difficultés financières (la Riordon Paper Mills Limited était la plus importante société créancière du journal). Cette acquisition reflétait la tendance à l’intégration verticale dans le monde des affaires de l’époque. En 1881, ils lancèrent l’Evening News de Toronto. Deux ans plus tard, ils le vendirent à Edmund Ernest Sheppard*, qui venait d’être nommé rédacteur en chef. Quand John devint invalide après avoir subi une blessure à la tête en 1882, Charles Alfred prit en main la direction de l’usine et de la Mail Printing Company. En collaboration avec Christopher William Bunting*, il achèterait en 1895 l’Empire de Toronto, qu’il fusionnerait avec le Mail. (Il conserverait la propriété du journal jusqu’en 1927, année où le Daily Mail and Empire serait vendu au financier montréalais Izaak Walton Killam*.)
Ce fut durant ses premières années de travail que Riordon consolida ses relations politiques. Même s’il resta conservateur toute sa vie, il entretint des amitiés fructueuses avec les libéraux provinciaux, dont l’organe principal, le Globe, fondé par George Brown*, achetait son papier journal de la Riordon Paper Mills Limited. En Ontario, vers le début du xxe siècle, les gouvernements grits d’Arthur Sturgis Hardy* et de George William Ross* accordaient des contrats à l’entreprise pour qu’elle leur fournisse du papier d’impression, et ce, sans soumission et malgré les protestations de l’Assemblée législative.
Comme beaucoup d’autres entrepreneurs, les Riordon constatèrent qu’il était plus avantageux de collaborer avec leurs rivaux que de leur faire concurrence. À partir de 1878, ils prirent part, avec d’autres fabricants, à une série d’accords officiels de fixation des prix pour le papier journal et diverses qualités de papier d’emballage. De plus, ils créèrent, avec John Roaf Barber*, la Toronto Paper Manufacturing Company Limited et établirent une usine à Cornwall. Barber était président de la société et Charles Alfred en assumerait la vice-présidence après la mort de son frère, en 1884. Son fils, Charles Christopher (Carl), suivrait ses traces au sein de l’entreprise familiale et travaillerait lui aussi à protéger les intérêts des producteurs du pays ; il serait nommé président fondateur de la Canadian Pulp and Paper Association en 1913.
En outre, Riordon s’adaptait pour renforcer son entreprise. En 1886, il se rendit en Allemagne et en Autriche afin d’étudier le nouveau procédé Ritter-Kellner pour produire de la pâte au bisulfite avec du bois plutôt qu’avec des chiffons. Barber et lui firent partie du groupe restreint qui obtint les lettres patentes au Canada pour ce procédé ; en 1889, Riordon modifia son usine principale de Merritton, innovation qui devint rapidement – et demeurerait – la norme pour l’industrie canadienne.
À cette époque, Riordon s’était déjà rendu compte que l’avenir de l’industrie dans l’est de l’Amérique du Nord résidait dans l’exploitation des vastes forêts du Canada et dans l’expédition de billes d’épinette ou de pâte mécanique aux fabricants de papier américains. Par conséquent, en 1891, il s’associa avec un certain nombre de propriétaires d’usines de papier basés aux États-Unis pour créer l’Atlantic and St Lawrence Pulp and Paper Company dans l’intention d’acquérir des concessions forestières en Ontario et de vendre le bois à pâte et la pâte de bois à ses collègues américains. Durant les années 1890, il accrut considérablement ses activités à Merritton et fit construire une usine de pâte au bisulfite à Hawkesbury, sur le bord de la rivière des Outaouais, qui pouvait traiter jusqu’à 90 tonnes par jour. Cette dernière entreprise, énorme pour l’époque, fut intégrée à une scierie située de l’autre côté de la rivière, à Calumet (Grenville-sur-la-Rouge), au Québec.
Le champ d’activités de Riordon s’étendait au delà de la fabrication du papier et de la récolte du bois. Il fut administrateur de la Niagara Falls Suspension Bridge Company pendant près de 50 ans, et entrepreneur de chemin de fer au Nouveau-Brunswick et en Gaspésie, au Québec. Grand lecteur de philosophie et de littérature, il manifesta son intérêt de longue date pour l’éducation en participant, en 1889, à la fondation du Bishop Ridley College de St Catharines.
Même si Riordon créa l’une des plus importantes entreprises forestières du pays, son empire finirait par s’effondrer en raison de manœuvres financières dans l’industrie des pâtes et papiers. En 1909, il fusionna la Riordon Paper Mills avec la société de George Halsey Perley, dont les activités se déroulaient notamment au Québec, dans la région des Laurentides. La nouvelle entreprise prit le nom de Riordon Paper Company Limited. En 1917, il acquit la Ticonderoga Pulp and Paper Company, dans l’État de New York. La même année, il agrandit et modernisa des usines de papier existantes à Kipawa, au Québec, et, non loin de là, sur la rivière des Outaouais ; sur ce dernier site, il fonda la ville patronale de Témiscaming (nom aussi orthographié Témiskaming). Dès 1919, la Riordon Pulp and Paper Company comptait parmi les principaux fournisseurs de pâte au bisulfite en Amérique du Nord et elle était une importante productrice de bois de feuillus et de résineux ; elle menait également des essais pour reboiser ses terres. Ensuite, en mai 1920, Riordon prit la décision fatale d’acheter deux grandes sociétés forestières, la Gilmour and Hughson Limited et la W. C. Edwards and Company Limited, opération réalisée par Killam et financée par un emprunt substantiel. Riordon fut nommé président de la nouvelle Riordon Company Limited, qui gérait environ 12 000 milles carrés de régions boisées (situées en grande partie au Québec) et plus de 150 000 chevaux-vapeur de ressources hydrauliques exploitées et non exploitées. Même s’il dirigeait alors un colosse industriel qui occupait une place importante dans les vallées de l’Outaouais et de la Gatineau, il avait contracté une lourde dette – les critiques reconnaissaient tous qu’elle était inutilement élevée – pour financer cette transaction au moment où l’activité du marché était à son apogée. Après la guerre, la demande de papier journal provoqua une augmentation subite de la quantité de pâte offerte sur le marché libre. En 1920–1921, les fabricants de pâte virent ainsi leur fortune soudainement diminuer, situation qui fit baisser les prix ; la société de Riordon fut mise sous séquestre. À ce moment-là, Riordon avait déjà confié la gestion de l’entreprise à son fils, qui avait commencé de fait à exercer la fonction de directeur. Lui et sa femme vendirent leur maison de St Catharines pour partir vivre à Montréal en 1921.
Par la suite, Riordon et la société qu’il avait dirigée en vinrent à représenter quelques-unes des tendances les plus sombres qui marquèrent la politique et les affaires canadiennes après la Première Guerre mondiale. Pendant la campagne électorale fédérale qui eut lieu à la fin de cette année-là, une révélation fit les manchettes : en 1916, le gouvernement conservateur de sir Robert Laird Borden avait permis à la compagnie de Riordon de reporter le paiement de ses impôts sur le revenu au moyen de billets à ordre allant jusqu’en 1922, soit l’équivalent d’une somme d’environ 800 000 $. Pourtant, la société avait versé des dividendes généreux, et le Daily Mail and Empire de Riordon avait exhorté ses lecteurs à faire des sacrifices pour l’effort de guerre. Le premier ministre, Arthur Meighen*, et le ministre des Finances, sir Henry Lumley Drayton*, furent tous deux obligés de justifier leur manière de gérer ce problème. En 1924–1925, l’entreprise se sortit de la mise sous séquestre et passa aux mains du plus grand concurrent de l’industrie canadienne du papier journal, le géant américain International Paper Company. À la mort de Riordon, en 1931, son nom de famille, qui avait été quasiment synonyme de transformation du bois en pâtes et papiers pendant plus de 50 ans, avait presque disparu du paysage industriel canadien.
De multiples façons, Charles Alfred Riordon personnifia l’esprit d’entreprise énergique qui caractérisait les hommes d’affaires canadiens vers le début du xxe siècle. Cette attitude se manifestait particulièrement par son inclination à combiner un fort engagement envers le capitalisme de monopole avec au moins un peu de philanthropie. Sa volonté avant-gardiste d’adopter la technologie la plus récente de son secteur d’activité scella son héritage en tant que l’un des fondateurs de l’industrie moderne des pâtes et papiers au Canada.
Dans le certificat de mariage de Charles Alfred Riordon (AO, RG 80-5-0-40, no 13739), le nom de famille du marié et de ses parents se lit Riordan, orthographe qui figure dans les journaux jusqu’au début des années 1900. Cependant, dans le recensement de 1871 (BAC, R233-34-0, Ontario, dist. Lincoln (21), sous-dist. St Catharines (B) : 91), le patronyme de Charles Alfred et de son frère John se lit Riordon, orthographe déjà constamment utilisée dans les sources primaires et secondaires dans les années 1920. On ne connaît ni la raison ni la date exacte de la modification. Le certificat de mariage mentionne également que Charles Alfred est né à Limerick, comté de Kerry (république d’Irlande), mais des sources secondaires, dont le Standard dict. of Canadian biog. (Roberts et Tunnell), vol. 1, et des notices nécrologiques indiquent plutôt Ballybunion, village côtier à l’ouest de Limerick.
Globe, 9 nov. 1895 ; 10 mai 1897 ; 29 mars 1899 ; 5 juin 1901 ; 19 janv., 2 mars 1904 ; 13 juill. 1911 ; 5 août, 25 nov. 1916 ; 7, 9–12, 15–17, 21–23, 25, 30 nov., 1, 3, 5 déc. 1921 ; 6 janv. 1922 ; 28 mai, 28 juin 1923 ; 30 déc. 1924 ; 6 mars 1925 ; 18 août 1931.— Michael Bliss, Northern enterprise : five centuries of Canadian business (Toronto, 1987).— Canadian annual rev., 1920–1921, 1923.— George Carruthers, Paper-making (Toronto, 1947).— Douglas Fetherling, The rise of the Canadian newspaper (Toronto, 1990).— Pulp and Paper Magazine of Canada (Gardenvale [Sainte-Anne-de-Bellevue, Québec]), 15 (1917) : 54–55 ; 18 (1920) : 595 ; « International number » [1929] : 53.— Paul Rutherford, A Victorian authority : the daily press in late nineteenth-century Canada (Toronto, 1982).
Mark Kuhlberg, « RIORDON (Riordan), CHARLES ALFRED », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/riordon_charles_alfred_16F.html.
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Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
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