CHAPMAN, WILLIAM (baptisé George William Alphred), poète, journaliste, traducteur et fonctionnaire, né le 13 décembre 1850 dans la paroisse Saint-François (à Beauceville, Québec), fils de George William Chapman, marchand, et de Caroline Angers, sœur de François-Réal Angers* ; le 28 septembre 1909, il épousa à Ottawa Emma Gingras, veuve de Louis Coursolles, et ils n’eurent pas d’enfants ; décédé le 23 février 1917 dans cette ville.
De 1862 à 1867, William Chapman fait ses études secondaires au collège de Lévis ; en 1865, à la suite de la mort prématurée de son unique frère, Robert, destiné aux affaires, son père l’inscrit au « cours commercial » donné dans cet établissement, où il se verra reprocher ses rêveries. Déjà les ambitions poétiques de Chapman se dessinent. Selon le Monde illustré du 21 septembre 1889, « Chapman lisait pour la première fois une pièce de vers français » et aurait déclaré « Moi aussi je serai poète. » Ses études terminées, Chapman devient clerc de notaire et, en 1870, au moment de l’invasion fénienne, il s’engage comme porte-enseigne de la 3e compagnie d’un bataillon provisoire de la Beauce. Il se serait même rendu à St Marys, en Ontario, du 26 au 30 mai. La même année, ses premiers vers publiés, Reste toujours petit, font connaître le jeune poète de 20 ans aux lecteurs de la Revue canadienne. Durant l’année 1873–1874, Chapman est étudiant à la faculté de droit de l’université Laval, mais il ne termine pas son cours et préfère participer en 1873 au concours de poésie organisé par cette université. Il obtient une mention avec l’Algonquine, poème publié avec d’autres écrits à Québec en 1876, dans son premier recueil les Québecquoises, qui annonce déjà une pratique qui deviendra la marque de commerce éditoriale du poète au fur et à mesure que ses ambitions grandiront. La très grande majorité des poèmes sont dédiés à des écrivains déjà en place dans le réseau littéraire – tels Henri-Raymond Casgrain*, Benjamin Sulte*, James MacPherson Le Moine – et les références à Octave Crémazie*, Henry Wadsworth Longfellow (dont il traduit en français plusieurs poésies), Alfred de Musset, Victor Hugo, Louis Veuillot, Thomas Moore et Théophile Gautier annoncent le style à la fois romantique, patriotique et plutôt conservateur qui caractérisera son écriture. Dans son poème à Louis Fréchette*, Chapman célèbre généreusement le retour d’exil aux États-Unis en 1871 de son futur rival qu’il qualifie alors de « grand poète ».
Ce premier recueil a sans doute pu être édité grâce aux quelques revenus que Chapman retire durant les années 1870 de son travail de prospection avec des associés dans les mines d’or de la Beauce. Ce travail l’amène à publier, à partir d’une commande du gouvernement de Joseph-Adolphe Chapleau*, un rapport sur les Mines d’or de la Beauce à Lévis en 1881 pour lequel, selon le Monde illustré, il aurait été « grassement » payé. Cette brochure est traduite en anglais la même année. De 1883 à 1884, Chapman est journaliste et traducteur au journal libéral la Patrie, à Montréal. Il y publie des vers et des chroniques qui obtiennent un réel succès (sur les événements de 1837–1838 notamment). La prose de Chapman est presque inconnue, étant donné le grand nombre de pseudonymes (au moins une dizaine) et l’anonymat sous lesquels se cachera pendant longtemps le pamphlétaire dans les nombreux périodiques auxquels il collabore. Le 15 mai 1884, au banquet annuel du Club national, Chapman lit la Mère et l’Enfant, et Louis Fréchette se lève pour le féliciter. Ce poème sera publié dans le Guide et Souvenir de la St-Jean-Baptiste, Montréal, 1884, que Chapman fait paraître la même année. Chapman quitte la Patrie, de tendance probablement trop libérale pour lui, et passe ensuite quelque temps aux États-Unis « afin d’y chercher de l’emploi dans le journalisme ». De retour à Montréal, il travaille à la Minerve, de 1884 à 1889, où il rencontre Herménégilde Godin, membre de la rédaction, avec lequel il entretiendra une longue correspondance jusqu’à sa mort. Il publie des vers et de la prose dans le quotidien. En 1890 paraît à Montréal son second recueil, les Feuilles d’érable, qui offre des poèmes écrits d’abord pour des albums de jeune fille, plusieurs autres consacrés à la nature pittoresque des régions du Québec (l’Île d’Orléans, Sur le lac Saint-Jean, le Saguenay, la Beauce) et un grand nombre de pièces dédiées à tout un chacun (À Benjamin Sulte, À Francis Parkman, Au curé Labelle) sans oublier les plus influents, morts ou vivants, dont Fréchette, Pierre-Joseph-Olivier Chauveau* et Auguste-Réal Angers, ainsi que Jules Claretie de l’Académie française. La même année, le recueil remporte une médaille d’honneur au concours de l’Académie des palmiers à Paris. Dès 1890, Chapman habite Québec et devient fonctionnaire au bureau du procureur général, poste qu’il occupe du 20 juin 1892 au 16 juillet 1897 et auquel l’influence de son cousin le lieutenant-gouverneur Angers n’est peut-être pas étrangère. Sa tâche consiste à enregistrer la correspondance reçue et envoyée et à vérifier les comptes produits par tous les officiers de justice de la province pour un traitement appréciable de 1 200 $ par année.
À compter de 1893, Chapman commence à envahir la presse d’une série d’articles virulents (et méprisants) envers l’œuvre poétique de Fréchette, qu’il accuse de plagiat. Ces articles constitueront l’essentiel de ses deux ouvrages de critique littéraire : le Lauréat : critique des œuvres de M. Louis Fréchette et Deux copains [...], publiés à Québec en 1894. Ils avaient pour la plupart paru dans le Courrier du Canada (Québec) de juin à septembre 1893. Fréchette laisse ses admirateurs le défendre, parmi lesquels Paul-Marc Sauvalle, qui publie à Montréal en 1894 entre les deux tirs de Chapman une réponse, le Lauréat manqué : un voleur qui crie : Au voleur ! Cette querelle dans laquelle Chapman s’engage à la vie et à la mort, et qui devient un long monologue après 1894, lui fera beaucoup de tort auprès de ses compatriotes et n’aura de fin qu’à la mort de Fréchette en 1908. Les attaques vengeresses de Chapman visent aussi en 1895–1896 James MacPherson Le Moine et Adolphe-Basile Routhier dans une série d’articles de la Vérité (Québec) intitulée « Nos immortels ! ». Le poète jaloux et rancunier ne cessera dès lors de « tirer sur tout ce qui bouge » en littérature au pays, se croyant « le meilleur poète de l’Amérique ». Sa hargne et son ambition démesurées lui causeront beaucoup d’ennuis et feront fuir progressivement mais sûrement tous ses meilleurs appuis canadiens, ne lui laissant comme consolation que ceux qui lui viendront de l’extérieur du pays, notamment de François Lhomme, Jean Lionnet, Louis Herbette et Virgile Rossel.
En 1897, Chapman publie dans l’Avant-garde (Québec) sous le pseudonyme de Jean Sans-Peur, des poèmes satiriques contre les libéraux, qui viennent de remporter la victoire, et il est contraint de donner sa démission à Québec. Il aurait été pendant quelque temps représentant de la New York Life Insurance Company dans les Cantons-de-l’Est. En juillet 1898, il est commis au secrétariat de la province de Québec. En septembre, il ouvre à Ottawa une librairie bilingue au 50 rue Rideau, coin Sussex, où il vend aussi des articles de papeterie, de piété et des instruments de musique. Ses premières collaborations au Temps d’Ottawa datent de cette époque. Quatre ans plus tard, il ferme sa librairie pour occuper un poste permanent de traducteur au Sénat, poste qu’il conservera jusqu’à sa mort.
Entre-temps, Chapman travaille à son recueil les Aspirations ; poésies canadiennes pour lequel il ne vise rien de moins, afin de venger son honneur de « lauréat manqué », que l’Académie française. Le volume paraît à Paris en 1904 et lui vaut d’être nommé officier de l’Instruction publique le 15 février et, quelques mois plus tard, d’être couronné par l’Académie française (prix Archon-Despérouses). À partir de ce moment, toute l’énergie quotidienne de Chapman est concentrée de manière obsessionnelle sur des objectifs de reconnaissance littéraire très élevés : il écrira tant et aussi longtemps qu’il n’aura pas obtenu le titre de chevalier de la Légion d’honneur et surtout le prix Nobel, attribué depuis 1901. Dans ce but, il sollicitera jusqu’à sa mort des appuis prestigieux, notamment celui du recteur de l’université Laval en 1910 et 1911, et multipliera les promesses de reconnaissance en argent s’il obtient le prix. Le contenu, le rythme et la signification de l’œuvre de Chapman seraient difficilement compréhensibles sans la connaissance des projets littéraires démesurés du maître dont l’ambition, doublée d’un réel complexe de persécution, le fera périr.
En 1907, les Aspirations en sont à la cinquième édition. Le succès français de Chapman est foudroyant et c’est ce qui l’amène à dire avec une fierté non déguisée : « Je suis le seul Canadien qui ait vendu de ses livres à Paris. » Le poète est également encouragé par les critiques favorables et les conseils judicieux de l’abbé Camille Roy*, professeur de littérature française à l’université Laval, avec qui il entretient une correspondance suivie de 1906 à sa mort et qui révise attentivement ses poésies. En mai 1906, Chapman avoue à son ami Godin qu’il est sobre depuis trois ans, espérant que son « malheureux penchant qu’[il a] toujours combattu et qui cependant [l]’a toujours vaincu » ne refera pas surface. Cette même année 1906, Chapman participe au concours du chant national de la Presse avec son poème Comme nos pères, assuré de gagner le prix et de « faire un tapage littéraire à Paris », mais en dépit de tous ses efforts c’est l’abbé Pierre-Auguste Fournet qui remporte la victoire en 1907. Chapman subit un autre dur échec cette année-là avec la parution de la critique fort désobligeante à son égard de Charles ab der Halden, admirateur de Fréchette, qui lui consacre 40 pages cyniques dans ses Nouvelles Études de littérature canadienne française. Chapman reçoit une meilleure réception aux États-Unis, où il participe à divers événements de juin à novembre 1907. Un an plus tard, avec un poème intitulé Sur la tombe de Louis Fréchette, Chapman rend un hommage public dans la Presse à son principal rival décédé subitement.
De la fin septembre à décembre 1909, Chapman effectue son deuxième et dernier voyage en France : voyage de noces, avec sa femme Emma, et voyage d’affaires en vue de la publication à Paris de Rayons du Nord, qui a l’audace de comprendre un poème de neuf pages intitulé Nobel. À Paris, son penchant pour l’alcool l’amène à deux reprises à être hospitalisé dans un sanatorium. Au cours de ce voyage, il prononce une conférence à la Sorbonne sur « la Poésie canadienne » et un de ses poèmes est lu en présence du poète provençal Frédéric Mistral. De retour au Canada, Chapman et sa femme se séparent. Les Rayons du Nord est couronné par l’Académie française (prix Archon-Despérouses) et une deuxième édition française paraît en 1910. « Premier Canadien à être couronné deux fois par l’Académie », le poète beauceron vient de battre le record de son défunt rival Fréchette. Chapman poursuit quand même sa course effrénée vers le Nobel. En 1912, il publie, toujours à Paris, son dernier recueil de poésies, les Fleurs de givre, et, vers le mois de mars, il remporte deux médailles et trois diplômes d’honneur à l’Académie des jeux floraux en France, la plus ancienne association littéraire d’Europe. Le 19 juin, l’université d’Ottawa lui accorde un doctorat ès lettres honorifique et son recteur, Adrien-Bruno Roy, n’hésite pas en janvier 1913 à le recommander au comité du Nobel. En avril, Chapman confie à Godin qu’il n’a pas bu depuis trois ans et cinq mois. Il perd cependant le procès intenté par sa femme dans le but de mettre définitivement fin à leur engagement. Il continue de travailler « comme un nègre » à son « Épopée canadienne », ouvrage qu’il a entrepris en 1911 avec les encouragements de Camille Roy et du père Louis-Marie Le Jeune*. La guerre l’empêche de publier à Paris cet ouvrage qui devait comprendre trois volumes, c’est-à-dire suffisamment pour enfin obtenir les faveurs du comité du Nobel, lequel lui avait signifié, en 1913, que son œuvre n’était pas assez considérable. Chapman s’impatiente et se décourage ; l’épuisement, la maladie, le sentiment permanent de persécution et l’isolement pèsent lourd. Plus aucun journal canadien n’accepte de publier ses poésies. Son enthousiasme diminue, se faisant plus réaliste : « jamais le comité Nobel ne voudrait me couronner, admet-il en janvier 1916, pour ne pas déplaire à mes compatriotes, qui me détestaient souverainement à cause de mes luttes contre Fréchette et Routhier, à cause de mon procès contre ma femme, à cause de ma vie de désordre d’autrefois ».
Ces vieilles réminiscences amènent Chapman à vouloir écrire un dernier ouvrage de critique littéraire pamphlétaire intitulé « 200 anglicismes des gens instruits du Canada », mais le volume ne verra pas plus le jour que ses mémoires qu’il songe à écrire durant la même période. En juin, il décline l’offre qui lui est faite de devenir membre de la Société royale du Canada, se souvenant d’avoir vilipendé les « immortels » canadiens plus de 20 ans auparavant. En 1917, il revient toutefois sur sa décision, mais il meurt subitement, à Ottawa, le 23 février, quelques jours avant sa nomination. Il laisse une œuvre inachevée, « l’Épopée canadienne ». Tous ses biens sont légués, suivant son testament de 1914, à son grand ami Herménégilde Godin, « l’homme qui s’est fait le complice de tous [ses] péchés littéraires ». Ses poèmes les plus appréciés demeureront l’Aurore boréale, Notre langue, la Forêt, À la Bretagne. Le poète Alfred DesRochers* « admire Chapman d’avoir été le premier [...] à chanter des Canayens anonymes ». Il fait ici référence aux poèmes comme les Bûcherons, les Chasseurs de bisons ou les Traversiers qui côtoient les nombreux autres adressés à des personnages plus illustres. En 1942, à Beauceville, on apposera une plaque sur la maison natale du poète sur laquelle est inscrit : « William Chapman, lauréat de l’Académie française et Officier de l’Instruction publique. »
Outre les ouvrages déjà mentionnés et les textes en vers et en prose publiés dans plusieurs périodiques, William Chapman est l’auteur de : À propos de la guerre hispano-américaine (Québec, 1898) ; Aux Bretons (Ottawa, 1905). Le manuscrit de son « Épopée canadienne » est conservé au Centre de recherche en civilisation canadienne-française (Ottawa), dans le fonds Jean-Ménard (P 63), où se trouvent également l’abondante correspondance de Chapman avec Herménégilde Godin et une riche documentation sur l’écrivain recueillie par Ménard. D’autres dépôts ont des documents sur Chapman, notamment les AO, sous la cote RG 22-1300, 107/1913, les ASQ, dans les fonds Camille Roy, H.-R. Casgrain et Univ., les Arch. des Clercs de Saint-Viateur (Montréal), dans le fonds William-Chapman et la Bibliothèque de la ville de Montréal, Salle Gagnon, Fonds M. J. Mount-Duckett.
L’œuvre de Chapman aurait fait l’objet, du vivant de l’auteur, d’au moins 250 articles parus au Canada et à l’étranger, ce qui représente déjà une imposante bibliographie critique. Le travail de recension complète reste à faire. Parmi les titres déjà connus, signalons : William Chapman, William Chapman, Jean Ménard, édit. (Montréal, 1968) ; Albert Dandurand, la Poésie canadienne française (Montréal, 1933), 81–93 ; Charles ab der Halden, Études de littérature canadienne française, introd. de Louis Herbette (Paris, 1904), 343–345, et Nouvelles Études de littérature canadienne française (Paris, 1907), 225–265 ; J. E. Hare, « Louis-Honoré Fréchette au banc des accusés : comment on fabrique une réputation de plagiaire », dans le Plagiat ; actes du colloque tenu à l’université d’Ottawa, du 26 au 28 septembre 1991, sous la dir. de Christian Vandendorpe (Ottawa, 1992), 157–171 ; Séraphin Marion, les Lettres canadiennes d’autrefois (9 vol., Hull, Québec, et Ottawa, 1939–1958), 9 : 147–189 ; Jean Ménard, « Un poète oublié : William Chapman » et « William Chapman et le prix Nobel », Incidences (Ottawa), no 3 (oct. 1963) : 29–42 et 50–55, respectivement ; L.-J.-A. Mercier, « Propos nouveaux et anciens sur William Chapman », la Rev. de l’univ. Laval, 5 (1950–1951) : 494–501 ; Damase Potvin, « le Centenaire de Chapman », la Rev. de l’univ. Laval, 5 : 38–51 ; Antonin Proulx, « William Chapman : l’homme et l’œuvre » et « William Chapman : l’œuvre », la Rev. nationale (Montréal), 1 (1919) : 140–151 et 236–244, respectivement ; Camille Roy, « Causerie littéraire : les Aspirations », la Nouvelle-France (Québec), 5 (1906) : 217–238, et Essai sur la littérature canadienne (Québec, 1907), 263–290.
Manon Brunet, « CHAPMAN, WILLIAM (baptisé George William Alphred) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/chapman_william_14F.html.
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Auteur de l'article: | Manon Brunet |
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Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |