DEMERS, LOUIS-JOSEPH (baptisé Louis-Joseph-Elzéar), propriétaire de journaux, imprimeur et homme politique, né le 3 mai 1857 à Québec, fils aîné de Louis Demers et d’Éléonore Pâquet ; le 11 mai 1880, il épousa au même endroit Laetitia Lortie, et ils eurent six enfants, dont deux moururent en bas âge ; décédé le 12 janvier 1905 dans sa ville natale.
Fils d’un aubergiste et commerçant de Québec originaire de Saint-Nicolas, berceau de la famille Demers depuis l’époque de la Nouvelle-France, le jeune Louis-Joseph entreprit des études commerciales au collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière en 1867 et les termina au collège de Lévis en 1873. C’est en tant que simple commis-comptable que Demers entra, vers 1874, au service du journal conservateur le Canadien. En juin 1875, Joseph-Israël Tarte en devint propriétaire et s’associa le mois suivant avec Louis-Georges Desjardins. Ce dernier, devenu seul proprietaire du journal en 1877, en céda la propriété, en 1880, à Demers et à son frère Alphonse-Eugène, qui étaient devenus comptables de l’entreprise au moins cinq ans plus tôt ; en mars, ils constituèrent la société L. J. Demers et Frère. Toutefois, Tarte et Desjardins demeuraient les éditeurs ou directeurs politiques du journal.
Les Demers s’efforcèrent de faire du Canadien un journal populaire. Ils en réduisirent le format et diminuèrent le coût de l’abonnement. Afin de donner une plus grande visibilité à leur entreprise, ils déménagèrent les bureaux du Canadien de l’étroite et sombre rue Sainte-Famille à la passante et chic rue de la Fabrique. Ils y avaient fait l’acquisition d’un vaste immeuble, dont l’imposante façade aux influences grecques avait été conçue, en 1851, par Charles Baillairgé.
En 1882, la nomination d’Hector Fabre au poste d’agent général de la province de Québec à Paris laissait entrevoir qu’il se départirait de son journal l’Événement. Louis-Joseph Demers et Tarte se montrèrent intéressés à l’acquérir, mais Fabre n’était pas disposé à s’en défaire. Cependant, Louis-Adélard Senécal*, qui assumait les dettes de l’Événement, décida de vendre le journal à Demers au début de 1883, au grand déplaisir de Fabre qui n’avait même pas été consulté.
Demers n’était pas peu fier de sa nouvelle acquisition : il venait d’acheter le plus grand journal concurrent. Il fit alors de son Canadien le seul périodique français du matin à Québec et une « feuille à un sou ». L’Événement, publié le soir, fut proclamé « journal populaire ». Tarte se chargea de la direction politique des deux feuilles.
En plus de la production de ces deux quotidiens, Demers se vit confier l’impression de maints ouvrages, parmi lesquels, à compter de septembre 1881, la Gazette officielle de Québec et, de 1882 à 1901, le colossal annuaire d’adresses des villes de Québec et Lévis. Au cours des ans, de nombreux hebdomadaires et autres périodiques sortirent également des presses de Demers, dont le Cultivateur, le Journal des campagnes, l’Enseignement primaire, les Nouvelles Soirées canadiennes, le Courrier du livre. Succédant peu à peu aux Augustin Côté et Léger Brousseau*, Demers devint le principal imprimeur de livres et de brochures à Québec pendant les deux dernières décennies du xixe siècle. Plusieurs gens de lettres de la capitale y firent imprimer pour leur compte leurs ouvrages : Narcisse-Eutrope Dionne*, Narcisse-Henri-Édouard Faucher* de Saint-Maurice, sir James MacPherson Le Moine*, Adolphe-Basile Routhier*, Jules-Paul Tardivel, Thomas Chapais*, Ernest Myrand, et les abbés Louis-Adolphe Pâquet*, Auguste-Honoré Gosselin* et Henri-Raymond Casgrain. Ce dernier confia de nombreux et importants travaux d’impression à Demers, dont les deux tomes de son Montcalm et Lévis. Leur correspondance révèle que chacun veillait de près à ses intérêts. L’entreprenant Casgrain entraîna parfois Demers dans de longues et périlleuses aventures, telle l’impression des 11 derniers volumes de la collection des manuscrits de François de Lévis*.
Son poste d’éditeur de journaux fit de Demers un personnage influent et sollicité. En 1886, à l’âge de 29 ans, il devint échevin, fonction qu’il remplit durant quatre ans. I)e 1888 à 1890, il présida le comité des chemins, et c’est sous sa direction que fut entrepris, non sans tracas et mécontentement, l’élargissement de la Grande Allée et de la rue Saint-Jean. Il fut, pendant plusieurs années, président de la Presse associée de la province de Québec, reconnue juridiquement en 1883 et qu’il avait contribué à fonder. En 1896, il devint vice-président de la Société de prêts et de placements de Québec, dont il était l’un des administrateurs depuis 1 $84.
Le 26 septembre 1889, Demers, devenu seul propriétaire de L. J. Demers et Frère depuis le départ en janvier, puis la mort en avril 1888, de son frère Alphonse-Eugène, céda le Canadien à Tarte. Il concentra dès lors ses efforts sur la publication de l’Événement. Malheureusement, dans la nuit du 14 au 15 février 1891, un incendie dévasta les bureaux et les ateliers de son journal, endommageant l’imposante presse rotative Marinoni. Demers ne se laissa pas abattre et remit sur pied son entreprise. Il put abriter le Courrier du Canada de Thomas Chapais et en devint l’imprimeur à compter de novembre 1896. Les deux journaux, dont l’un s’adressait à une clientèle populaire et l’autre à une élite intellectuelle, se prêtaient services et nouvelles, et ne se nuisaient point.
L’entreprise de Demers eut le vent dans les voiles jusqu’en 1897. Mais l’arrivée au pouvoir du Parti libéral à Ottawa, en 1896, et à Québec, en 1897, ne pouvait être que de mauvais augure pour les journaux liés au Parti conservateur. En juillet 1897, Demers se vit retirer l’impression de la Gazette officielle de Québec et de la version française des lois au profit de la Compagnie d’imprimerie de Québec, propriétaire du journal libéral le Soleil. Pourtant, en mars, Louis-Philippe Pelletier*, qui était alors procureur général dans le cabinet d’Edmund James Flynn*, l’avait assuré qu’il serait l’imprimeur attitré du gouvernement provincial pour les huit années à venir. Demers, qui s’était procuré à grands frais le matériel et l’équipement nécessaires, rappela ce fait au nouveau cabinet libéral, mais sans succès. Incité par Pelletier, qui se fit son avocat, il s’engagea vainement, en 1898, dans de longues et onéreuses poursuites judiciaires : de la Cour supérieure à la Cour du banc de la reine, jusque devant le comité judiciaire du Conseil privé à Londres.
Tandis que le Soleil, avec l’élan du vainqueur, jouissait de plus en plus de l’appui du public et des annonceurs, la situation de l’Evénement se détériorait. Le 23 décembre 1901, Demers annonça à ses lecteurs qu’il venait d’être forcé de faire cession de ses biens à la demande de la Compagnie de fabrication de papier du Canada de Montréal, à laquelle il devait 24 000 $. Au total, ses créances s’élevaient à plus de 66 000 $.
La publication du journal se poursuivit sous la surveillance des divers créanciers. Demers se démena en vue de dénicher de nouveaux appuis et de l’argent. En avril 1902, il était tout près d’en venir à une entente avec la Compagnie de fabrication de papier du Canada afin de reprendre le contrôle de son journal lorsqu’il se rendit compte, avec indignation, que Pelletier complotait dans le but de l’en empêcher. Demers s’était peut-être montré trop complaisant à l’égard des libéraux au moment des élections provinciales de 1900, et Pelletier, qui prétendait à la direction du Parti conservateur, s’efforçait de mettre sur pied une compagnie afin d’acquérir l’Événement.
Le 27 mai 1902, un dramatique coup de théâtre se produisit : à l’occasion de la vente par le shérif de l’actif et de l’immeuble de l’Événement, Demers se vit trahi par son jeune frère Silvio-A. qui, sans l’avoir prévenu, se porta acquéreur des biens au nom de Pelletier. La Compagnie de l’Événement, constituée de plusieurs conservateurs ultramontains, ou « castors », les Pelletier, Chapais, Thomas Chase-Casgrain* et autres, prit possession du journal en novembre.
Demers eut beau se démener, tout était joué. Même d’acrimonieux débats à ce sujet à l’Assemblée législative au cours de la session de 1903 n’y changèrent rien. Pelletier fit l’indifférent et ne broncha pas. Dépouillé, ruiné, brisé, Demers ne se consola jamais de la perte de son journal. Il mourut peu d’années après, le 12 janvier 1905, à l’âge de 47 ans, « après une longue et douloureuse maladie ». Dans la nécrologie parue dans son ancien journal, on se garda bien de faire allusion aux gestes de Pelletier, et l’on expliqua son départ en ces termes peu compromettants : « Les événements politiques de 1896 et 1897 firent subir à M. Demers des pertes considérables qui entraînèrent finalement la vente de « l’Événement ».
Louis-Joseph Demers avait réussi à se hisser au premier rang des imprimeurs de Québec. Mais ce que le favoritisme politique lui avait accordé d’une main, il le lui soutira soudainement de l’autre, causant sa perte. Ce triste sort était indubitablement lié au destin de bien des hommes de journaux du xixe siècle, dont la viabilité des entreprises dépendait des aléas et des caprices du monde politique.
La majorité des brochures et des livres imprimés dans les ateliers de L. J. Demers et Frère sont répertoriés dans Bibliographie du Québec, 1821–1967 (17 tomes en 34 vol. parus, Québec, 1980– ), Jean Hamelin et al., Brochures québécoises, 1764–1972 (Québec, 1981) et Répertoire de l’ICMH.
ANQ-Q, CE1-1, 5 mai 1857, 14 janv. 1905 ; CE1-97, 11 mai 1880 ; P-16/456 ; T11-1/29, nos 2470 (1880), 3897 (1888).— Arch. du collège de Lévis, Québec, Fichier des anciens.— Arch. du collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière (La Pocatière, Québec), Fichier des élèves.— ASQ, Fonds H.-R. Casgrain, sér. O, nos 460 : 196 ; 461 : 56 ; 463 : 5, 45, 79, 87, 106 ; 464 : 87, 89, 184 ; 465 : 66, 76, 80s., 84s., 87, 97, 132, 151, 212, 214 ; 467 : 10 ; Journal du séminaire, 4 : 39 ; S, carton 13, no 26.—
Le Canadien, 1880–1889.— Le Courrier du Canada, 1896–1901.— L’Événement, 1883–1902, 12, 14 janv. 1905, 12 mai 1917, 1er juill. 1927.— A. B. Cherrier, History of the Quebec directory since its first issue in 1844 up to the present day (Québec, 1879).— G.-H. Dagneau, « l’Histoire de « l’Événement », Cap-aux-Diamants (Québec), 1 (1985–1986), no 2o: 35–38.— Jean De Bonville, la Presse québécoise de 1884 à 1914 ; genèse d’un média de masse (Québec, 1988), 122.— Gazette officielle de Québec, 11 janv., 26 avril, 13 déc. 1902.— J. Hamelin et al., la Presse québécoise, 1 : 16 ; 2 : 98.— J.-P. Hudon, « l’Abbé Henri-Raymond Casgrain, l’homme et l’œuvre » (thèse de ph.d., univ. d’Ottawa, 1977), 186, 201s.— L. L. LaPierre, « Politics, race and religion in French Canada : Joseph Israël Tarte » (thèse de ph.d., Univ. of Toronto, 1962), 124.—Québec, Dép. du Trésor, État des comptes publics, 1881–1887, 1892–1897 ; Parl., Doc. de la session, 1903, no 68.— A.-B. Routhier, Québec et Lévis à l’aurore du XXe siècle (Montréal, 1900), 105s.— Rumilly, Hist. de la prov. de Québec, 5 ; 6 ; 7 ; 9 ; 10.— Paul Rutherford, A Victorian authority : the daily press in late nineteenth-century Canada (Toronto, 1982), 64, 237s.— Horace Têtu, Historique des journaux de Québec (2e éd., Québec, 1889), 14, 64s., 88s., 105.
Jean-Marie Lebel, « DEMERS, LOUIS-JOSEPH (baptisé Louis-Joseph-Elzéar) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/demers_louis_joseph_13F.html.
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Auteur de l'article: | Jean-Marie Lebel |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |