NUGENT, RICHARD, imprimeur, rédacteur en chef et éditeur, né en mai 1815 à Halifax, fils de Patrick Nugent et de Mary Hurley ; le 9 mai 1837, il épousa à New York Elizabeth McFarlane, de Halifax ; décédé le 15 ou le 16 mars 1858 à Flatbush (New York).

Richard Nugent apprit son métier de Joseph Howe* au Novascotian, or Colonial Herald au début des années 1830. Il fut l’un des nombreux apprentis que Howe contribua à former chez lui les dimanches soirs. Revenu au Novascotian après un séjour de quatre ans aux États-Unis, Nugent assuma des responsabilités de plus en plus nombreuses à mesure que s’accroissait l’intérêt de Howe pour la politique. En 1840, il était directeur salarié du journal, en 1841, imprimeur et éditeur, en qualité de locataire des lieux, et, au début de 1842, propriétaire de toute l’entreprise. Jusqu’en juin 1842, il employa John Sparrow Thompson* à titre de rédacteur en chef, mais, l’année suivante, « sans prétendre posséder l’expérience et la compétence » de son prédécesseur, il rédigea presque tous les éditoriaux et les articles du Novascotian. Au printemps de 1843, il commença à partager la rédaction des éditoriaux avec Angus Morrison Gidney*, et cette collaboration dura jusqu’à ce que Nugent cesse d’être propriétaire du journal, à l’automne de la même année.

Nugent déclarait avec insistance – et cela valut autant pour le Novascotian que pour les journaux qu’il publia plus tard – qu’il voulait que ces publications soient libres de toute attache, qu’elles traitent de sujets variés, de politique, de littérature, d’humour, de commerce et d’actualités, et qu’elles défendent toujours « la liberté de penser, la stabilité sociale et le gouvernement constitutionnel ». Lorsque des contestations surgissaient, il adoptait invariablement une attitude toute libérale et n’hésitait pas, même s’il était catholique, à s’opposer aux évêques et aux prêtres de son Église. Par-dessus tout, il prônait l’idée que le gouvernement devait jouer un rôle de premier plan dans la promotion de l’éducation publique, pour la raison, surtout, que les gens ordinaires tiendraient davantage à leurs droits politiques s’ils en avaient une meilleure compréhension.

Reconnaissant volontiers les difficultés que devait surmonter celui qui n’avait que peu d’amis intimes et aucun parent fortuné, et ayant hérité de Howe « d’une foule d’ennemis acharnés et puissants », Nugent ne faisait néanmoins quartier à personne. Aussi traversa-t-il plus de périodes orageuses que tout autre journaliste de la Nouvelle-Écosse. Entre juin et août 1842, il commença à publier sans nom d’auteur les célèbres « Letters of a constitutionalist ». Dans ces lettres, Howe démolissait sans pitié ces tories extrémistes qui prenaient pour cible le gouvernement de coalition tory-réformiste, dont il était membre. Expérimenté, Howe sut éviter tout ce qui pouvait être qualifié de diffamatoire par une cour de justice, mais, pour avoir publié ces lettres, Nugent en subit les conséquences. À deux reprises il dut se défendre dans la rue, une fois contre John Henry Crosskill, puis contre James Colquhoun Cogswell qu’il fit condamner pour tentative de voies de fait.

Nugent joua un rôle beaucoup plus important dans l’escalade des difficultés que Howe connut avec les baptistes, d’abord parce que ces derniers ne l’avait pas payé pour l’impression de leur journal, le Christian Messenger, et, plus tard, en raison de leurs différends quant à l’appui à apporter aux collèges confessionnels. En 1842, Nugent accusa les rédacteurs en chef du Messenger, John Ferguson et James Walton Nutting*, de tenter de ruiner Howe financièrement, « seul moyen qui restait à ses ennemis politiques pour l’éliminer ». Parce que les deux rédacteurs en chef entretenaient des relations avec les tories, c’est avec d’autant plus d’empressement qu’il les accusa de conspirer, pour des raisons politiques, en vue d’entraîner Howe dans une querelle avec les baptistes. En 1843, Nugent prit à partie le révérend Edmund Alberti Crawley*, de l’Acadia College, qui, non seulement avait accusé Howe et ses amis de chercher à détruire les collèges confessionnels, mais qui avait manifesté son penchant pour les tories en s’engageant, lui aussi, dans le grand débat politique. Nugent se plut à répliquer avec des éditoriaux intitulés « Professor Crawley turned politician » et « Parson Crawley’s politics ». Howe fut horrifié mais impuissant à refréner la verve de son enfant terrible. Il finit, cependant, par partager l’idée de Nugent qu’on projetait une alliance entre tories et baptistes, et il s’engagea résolument dans une lutte religieuse et politique qui se solda par la perte de huit députés libéraux dans la zone habitée par les baptistes, aux élections tenues vers la fin de 1843. Il est pour le moins plausible que les défaites subies par les libéraux et, à long terme, la désaffection des baptistes pour le parti libéral aient été dues principalement à Nugent.

À la même époque, Nugent, catholique au moins de nom, était en conflit avec Mgr William Walsh, s’opposant à ce que ce dernier retire la direction de la Total Abstinence Society à l’abbé John Loughnan, vicaire général de l’évêque de la Nouvelle-Écosse et rector de la cathédrale St Mary à Halifax. Même après que 1 700 catholiques se furent réunis pour dénoncer les « calomnies » publiées contre leur évêque dans le Novascotian, Nugent déclara qu’il « ne tiendrait aucun compte des menaces », d’où qu’elles viennent, et qu’il imprimerait ce qui lui plairait sur les affaires publiques. Voyant que les tories tentaient de se faire du capital politique en exploitant cet accrochage, disant que le Novascotian était le journal de Howe, les libéraux cherchèrent à se gagner les catholiques en leur offrant de présenter un de leurs coreligionnaires dans l’une des circonscriptions de Halifax aux élections de 1843. Toutefois, quand aucun député libéral ne consentit à retirer sa candidature, les catholiques manifestèrent leur déception en s’abstenant d’aller aux bureaux de scrutin, permettant ainsi au tory Andrew Mitchell Uniacke de remporter un des sièges du canton de Halifax. Le résultat, qui se fit sentir à la grandeur de la province, fut que les tories firent élire un candidat de plus que les libéraux et, par ricochet, que le lieutenant-gouverneur lord Falkland [Cary*] nomma un autre tory au Conseil exécutif, geste qui provoqua la chute du gouvernement de coalition en décembre 1843. Nugent était pour le moins indirectement responsable de cette série de déboires.

Entre-temps, la bonne fortune de Nugent avait connu des revirements. Parce qu’il avait cru de son « devoir de le révéler au public », il avait publié le 10 août 1842 une lettre de Joseph Fenwick Taylor, capitaine d’un trois-mâts barque britannique aux prises avec la Cour de vice-amirauté. La lettre parlait du recorder de Halifax et avoué de la cour, William Q. Sawers, comme d’un « attorney rapace, mais peu prospère », qui avait adopté « un comportement tortueux, retors et vexatoire » afin de satisfaire « une malignité vindicative ». Le 9 novembre 1842, Nugent publia une autre lettre signée « Self Defence » dans laquelle il malmenait une clique qui s’attaquait systématiquement à la vie privée des gens, et où il s’en prenait surtout au « conseiller Skunkfeet ». Silas Livingston Morse du comté d’Annapolis se reconnut dans ce personnage en raison d’allusions non équivoques. Sawers et Morse intentèrent alors à Nugent un procès au civil pour diffamation.

En juillet 1843, un jury accorda à Sawers un montant de £40 ainsi que les frais et, en octobre, Morse se voyait lui aussi attribuer £110 et les frais. Nugent reconnut s’être montré « imprudent ou impétueux », mais ses diffamations semblent anodinés si on les compare aux campagnes incessantes de dénigrement menées par les journaux de l’époque.* Ce qui ne l’aida sûrement pas c’est le fait que les jurys spéciaux dans les cas de diffamation étaient choisis en puisant dans les listes du jury d’accusation, dont les membres, parce qu’ils étaient de grands propriétaires, avaient sans doute de fortes tendances tories. En outre, Nugent fut apparemment victime d’ennemis politiques qui, incapables de lutter efficacement contre le plus important journal réformiste, cherchèrent à éliminer son impécunieux rédacteur en chef en l’attaquant sans merci. Les deux procès étaient en réalité des procès politiques. À Annapolis, le chef tory et procureur général James William Johnston*, représentant Morse, parla durant plus de trois heures d’un ton « passionné, écrivit Nugent, – et [avec] quelque chose ressemblant fort à un esprit de vengeance » s’exerçant contre les réformistes. À Halifax, un autre tory faisant partie du Conseil exécutif, Alexander Stewart*, se joignit à Johnston pour soutenir Sawers, tandis que deux avocats libéraux en vue, William* et George Renny Young, assurèrent la défense de Nugent.

En dépit des deux échecs subis devant les tribunaux, Nugent jura de continuer d’exposer « l’infamie publique à la malédiction publique ». Il déclara en plaisantant que la réputation de Sawers valait « le prix mirobolant de quarante livres », soit un vingt-cinquième de ce qu’il demandait, et il faisait la remarque que c’était « une somme trop modeste pour [lui] faire vraiment mal ». Dès le mois de novembre il pensait différemment. Incapable de joindre les deux bouts, il avait déjà envisagé de vendre le Novascotian à William Annand*. Ses commentaires dans un éditorial sur le procès intenté par Sawers lui valurent deux autres poursuites en diffamation et la possibilité d’avoir à payer d’importants dommages-intérêts, ce qui l’aurait empêché de rembourser ses créanciers. À la fin de novembre, on apprit qu’il avait fait une cession de créances et vendu son journal à Annand. Celui-ci affirma, non sans raison, que Nugent avait été la victime de ceux qui cherchaient « à étouffer la libre discussion et à supprimer toute censure salutaire de la conduite des hommes publics ». Même s’il fut obligé de languir en prison jusqu’à ce qu’il ait payé les £93 de dommages-intérêts et les frais dus à Sawers, Nugent persista dans son impénitence : « Je ne vois rien que je puisse me reprocher – ni aucun paragraphe que j’ai écrit que je puisse regretter. » Aussi vigoureux que l’était Howe, Nugent s’était lancé en 1842 et 1843 dans des entreprises d’édition plus modestes – le Colonial Farmer, le Saturday Evening Visitor, journal voué à la cause de la tempérance qui fut remplacé par le Monthly Visitor et par le Family Visitor, et la publication littéraire Gridiron – mais ce sont les fortes amendes et les frais de procédure, et non pas des entreprises hasardeuses, qui causèrent sa débâcle financière.

Après s’être défait du Novascotian, Nugent écrivit des éditoriaux dans d’autres journaux de Halifax pendant plus d’une année, avant de se joindre à Alexander J. Ritchie, un ami d’enfance, pour lancer le Sun, le 17 mars 1845. Rédacteur en chef de ce journal, Nugent laissa entendre que « le temps et l’expérience [...] pouv[aient] avoir atténué l’ardeur presque puérile du début de [sa] carrière », et exprima l’espoir que personne n’aurait « de raison de se plaindre que le soleil lui avait tapé sur la tête ». Toutefois, même s’il veilla davantage à éviter les poursuites en diffamation, il ne perdit rien de son enthousiasme pour le libéralisme et continua à lutter énergiquement pour un gouvernement responsable. Toujours apprécié de Howe, il accompagna ce dernier lors de ses voyages à Lunenburg et dans les circonscriptions de l’est de la province en 1846, élargissant ses connaissances en politique et régalant ses lecteurs d’anecdotes qui illustraient les réussites grandissantes du parti libéral.

Quand il quitta le Sun, en 1848, Ritchie se vanta du fait que leur « petit trois-mâts barque » était devenu « un solide bâtiment ». Cette déclaration était si peu exagérée que lorsque Morse fit saisir le mobilier de la maison de Nugent en 1849, pour les dommages-intérêts que la cour lui avait accordés six ans plus tôt, il ne compromit nullement l’existence du Sun. En 1852, Nugent ajouta le Daily Sun à l’édition précédente qui paraissait trois fois par semaine, puis, pendant quelques années, il publia aussi une édition hebdomadaire dont il dit un peu immodestement qu’il était « le plus grand, le moins cher et le meilleur hebdomadaire familial » des Maritimes. Au début de 1857, sa santé chancelante l’obligea à abandonner la direction de ses journaux. À sa mort survenue l’année suivante à New York où il était allé se faire traiter, on raconta que « depuis plusieurs années, ses facultés intellectuelles, beaucoup trop mises à contribution, s’étaient affaiblies progressivement ».

Le rôle joué par Richard Nugent dans la lutte pour un gouvernement responsable et son influence sur le développement de la vie politique en Nouvelle-Écosse, n’ont jamais été reconnus à leur juste valeur. Il était sans aucun doute trop indépendant, autant aux yeux des chefs de son Église que de ses collègues réformistes, qu’il accusa parfois d’user de faux-fuyants et de retomber dans les mêmes erreurs. Cependant, comme défenseur inébranlable des principes libéraux, il surpassait tous ses collègues, y compris Howe lui-même.

J. Murray Beck

Le trihebdomadaire lancé à Halifax par Richard Nugent et Alexander J. Ritchie en 1845, le Sun, fut aussi publié sous d’autres noms. En 1850, il devint le Halifax Sun et, au cours de 1852, Nugent y ajouta une édition quotidienne, le Daily Sun, et un hebdomadaire, le Weekly Sun. Au moment de sa retraite en 1857, le journal s’appelait le Morning Sun.

Harvard College Library, Houghton Library, Harvard Univ. (Cambridge, Mass.), ms Can. 58 (Joseph Howe papers) (mfm aux PANS).— St Mary’s Basilica (Halifax), St Peter’s Roman Catholic Church, Halifax, reg. of baptisms, marriages, and burials.— Acadian Recorder, 1842–1843.— Morning Chronicle (Halifax), 1844–1858.— Novascotian, 1840–1858, particulièrement 1841–1843.— Times (Halifax), 1842–1843.— An historical directory of Nova Scotia newspapers and journals before confederation, T. B. Vincent, compil. (Kingston, Ontario, 1977).— G. E. N. Tratt, A survey and listing of Nova Scotia newspapers, 1752–1957, with particular reference to the period before 1867 (Halifax, 1979).— Beck, Joseph Howe.

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J. Murray Beck, « NUGENT, RICHARD », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/nugent_richard_8F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1985
Année de la révision:    1985
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