SMITH, TITUS, fermier, arpenteur, fonctionnaire, botaniste, auteur et journaliste, né le 4 septembre 1768 à Granby, Massachusetts, aîné des enfants du révérend Titus Smith et de Damaris Nish ; le 4 janvier 1803, il épousa à Halifax Sarah Wisdom, et ils eurent cinq fils et neuf filles ; décédé le 4 janvier 1850 à Dutch Village (Halifax).

Né au Massachusetts, le père de Titus Smith était ministre itinérant, probablement de foi congrégationaliste, et se passionnait pour les mathématiques, la théologie, la botanique, la chimie, la médecine et les langues. Le jeune Titus étudia d’abord à la maison, auprès de son père, puis dans une école privée de New Haven, au Connecticut. Élève précoce, il lisait couramment dès l’âge de quatre ans. « À sept ans, nota plus tard l’un de ses jeunes frères, William, il avait fait des progrès considérables en latin ; à douze ans, il pouvait traduire les auteurs latins les plus difficiles et était aussi passablement avancé en grec. » Il avait des goûts et un tempérament qui allaient de pair avec de tels résultats : « Dans ses jeunes années, il ne montrait aucun désir de se mêler aux jeux des enfants mais recherchait toujours la compagnie de ceux qui pouvaient lui enseigner quelque chose. D’abord, il sembla surtout vouloir perfectionner sa connaissance des langues comme le latin, le grec, l’allemand et le français. » « Je crois ne pas me tromper, faisait observer William, en disant qu’à compter de l’âge de deux ans il était reconnu pour ne jamais pleurer et rire rarement. Je ne l’ai jamais vu en colère, et rarement transporté de joie. Il poursuivait jusqu’au bout, avec une humeur égale, tout ce qu’il entreprenait. »

Converti en 1768 aux enseignements du révérend Robert Sandeman, le père de Titus devint par la suite ministre de sa secte. Quand la Révolution américaine éclata, Smith et d’autres disciples de Sandeman constatèrent que leur refus de participer aux manifestations de violence et de révolte les exposait aux soupçons des rebelles, pour qui ceux qui n’étaient pas avec eux étaient contre eux. La famille Smith trouva d’abord refuge à l’île Long, dans l’état de New York, puis fut évacuée en 1783 à Halifax, où le révérend Smith accepta de diriger un groupe de fidèles. Les Smith cultivaient aussi une terre à Preston, près de Dartmouth, et s’installèrent en 1796 à Dutch Village, à l’ouest de Halifax.

Titus Smith fils gagnait sa vie comme fermier et à l’occasion comme arpenteur, métier qu’il avait appris dans la vingtaine. De 1808 à 1829, le gouvernement provincial l’embaucha à quatre reprises à titre d’inspecteur des chemins. Le premier à mentionner son goût de la nature fut le lieutenant John Clarkson [V. David George*] : comme il le notait le 12 octobre 1791 dans son journal personnel, il avait fait appel à « un honnête jardinier » qui était « un excellent botaniste et réserv[ait] une partie de son jardin à des expériences ». Smith tentait notamment d’adapter des graines au climat des Maritimes. Les fermiers et jardiniers néo-écossais avaient alors l’habitude d’utiliser des semences importées d’Angleterre. Smith, qui avait remarqué qu’elles avaient tendance à ne rien produire, parvint à les acclimater.

La notoriété de Smith date d’une dizaine d’années plus tard, soit lorsque le lieutenant-gouverneur sir John Wentworth*, au fait de l’étendue de ses connaissances et de ses réalisations, lui confia le mandat de faire un vaste levé de l’intérieur de la province. L’économie néo-écossaise reposait alors sur la mer et la forêt, et il devenait évident qu’il fallait de nouveaux colons et de nouvelles industries. La province était peu connue, et les renseignements qui circulaient à son sujet étaient à la fois contradictoires et peu dignes de foi. Un géographe du xxe siècle, Andrew Hill Clark*, a déclaré que, même si on soupçonnait alors de plus en plus que l’intérieur de la province était surtout formé de rocs et de chapelets de lacs, « on gardait grand espoir de découvrir de vastes étendues de bonne terre et plus encore de bon bois commercialisable ». Il fallait en particulier voir dans quelle mesure la colonie pouvait fournir des matériaux importants pour la marine royale. Selon un comité du conseil de la province, formé par Wentworth pour étudier la possibilité de cultiver du chanvre, « le gouvernement [devait] être bien informé et ne plus s’appuyer sur de vagues rapports dont certains [avaient] souvent déprécié la valeur de la colonie, tandis que d’autres, [ceux] des auteurs français surtout, en [avaient] donné des descriptions trop flatteuses ». C’est pourquoi le comité recommandait de faire un levé « des régions intérieures qui [avaient] été le moins visitées ou demeur[aient] tout à fait inconnues, afin de découvrir les endroits qui [seraient] le plus propices à la culture du chanvre ou [pourraient] fournir d’autres matériaux à la marine ».

Wentworth, qui avait fait la connaissance de la famille Smith en Nouvelle-Angleterre avant la guerre d’Indépendance, chargea Titus, en mai 1801, de « visiter les régions les moins fréquentées, surtout les rives et bordures des différents cours d’eau, lacs et marécages, ainsi que les hautes terres les plus riches ». Il devait faire rapport sur « le sol, l’emplacement des terres, les essences d’arbres, leur qualité et leurs dimensions, de même que sur la quantité de chaque espèce et la facilité avec laquelle le bois [pourrait] être transporté jusqu’aux points de vente ». Ce mois-là, Smith entreprit le premier des trois voyages qu’il allait faire à l’intérieur de la province avant la fin d’octobre 1802. Il passa plus de 150 jours dans les bois, en n’emportant, pour cette expédition pédestre, que ses instructions, une boussole, de quoi écrire, la meilleure carte disponible – « qui [lui] nui[sit] probablement autant qu’elle [l]’aida » – ainsi que les vêtements et objets qu’il pouvait transporter sans trop de peine sur ce terrain, qui comptait parmi les plus rudes du continent.

Au terme de son exploration, Smith remit, en guise de rapport, des carnets de notes, des dessins de plantes faits à l’encre, des listes et descriptions de la flore et une carte qui demeura pendant une trentaine d’années la seule à donner une vue générale de la province. Son rapport regorgeait de détails sur les forêts, les cours d’eau, les caractéristiques géologiques et la faune de la Nouvelle-Écosse. Il y notait par exemple que l’orignal, le caribou et le castor se faisaient de plus en plus rares (« Je n’ai pas vu plus d’une demi-douzaine de barrages habités par des castors pendant toute ma tournée ») et quels en étaient les effets sur la population autochtone (« les Indiens ne fréquentent guère les régions intérieures de la province en hiver »). Il énumérait la plupart des 33 essences forestières indigènes de la partie continentale de la province, 50 espèces d’arbustes, 20 espèces de graminées, de joncs et de roseaux, plaçait 20 autres espèces dans une catégorie générale et identifiait une centaine de plantes médicinales. L’écologiste Eville Gorham a noté en 1955 que les carnets de Smith révélaient « une connaissance du mode et du processus de croissance de la végétation bien supérieure à celle de ses contemporains » et qu’ils « pouvaient bien être la première grande contribution à l’écologie végétale de l’Amérique du Nord ».

Après avoir exploré le cœur de la Nouvelle-Écosse, Smith allait passer presque un demi-siècle à entretenir ses compatriotes de botanique, d’histoire naturelle, d’agriculture et de l’usage qu’il convenait de faire des richesses de la nature en cette ère de révolution industrielle. Quand la Province House fut achevée à Halifax en 1818, on le chargea de choisir et de planter les arbres qui allaient orner le square. Vingt ans plus tard, dans le cadre des enquêtes de lord Durham [Lambton], il fut l’un des témoins-experts invités à discuter de la situation néo-écossaise. Pendant son séjour à Québec (seule occasion où, dans sa vie d’adulte, il quitta la Nouvelle-Écosse), il témoigna sur divers sujets : géologie, voirie, prix des terres, conditions de culture et superficie des terres cultivées dans chaque comté, potentiel minier de la province. Ces commentaires détaillés s’appuyaient sur des carnets dans lesquels, précisa-t-il à la commission Durham, il écrivait « chaque soir, pendant qu’[il] faisai[t] ces observations ». En 1841, année de la fondation du Central Board of Agriculture, deuxième organisme de ce nom à Halifax, il en devint le secrétaire ; il allait occuper ce poste jusqu’à sa mort.

Smith écrivit nombre de textes et prononça plusieurs conférences sur des questions reliées à la nature et à son exploitation. En 1839, il encouragea une artiste de Halifax, Maria Frances Ann Morris*, à peindre la flore de la province et composa les légendes de son livre, Wild flowers of Nova Scotia [...]. Dans les années 1840, il collabora régulièrement à plusieurs journaux néo-écossais, dont le Yarmouth Herald d’Angus Morrison Gidney* et le Colonial Farmer de Richard Nugent*, à Halifax, dont il fut rédacteur en chef. On ne se surprendra pas qu’un de ses gendres ait dit : « il avait toujours de l’avance dans son travail. Pendant des années, jusqu’au moment de sa mort, il rédigea chaque semaine un article sur l’agriculture pour l’Acadian Recorder de Halifax et, au moment de son décès, il avait plusieurs articles prêts à être publiés. » Il fut parmi les fondateurs du Halifax Mechanics’ Institute, où il donna des exposés sur la minéralogie, l’histoire naturelle et la peinture. En 1833, le Parlement provincial lui remit une subvention de £15 afin qu’il collectionne des spécimens géologiques, botaniques et minéralogiques pour le musée de cet institut.

Smith était aussi connu comme penseur. Surnommé « le philosophe campagnard de Dutch Village », sobriquet paru pour la première fois en 1828 dans le Novascotian, journal de Joseph Howe*, il prônait une « philosophie de la nature » basée sur trois thèmes. D’abord, il croyait profondément en la Providence. Ensuite, il était convaincu que l’humanité avait le devoir de connaître, d’utiliser et de préserver les richesses de la nature. Enfin, selon lui, bien des idées progressistes liées à l’industrialisation ne respectaient pas le rythme de la nature et étaient, par conséquent, fausses.

Dans une conférence prononcée en 1835, Smith qualifiait les forêts de « jardin de Dieu » : rien n’y était superflu, tout y était à sa place. Pour lui, Dieu et la nature étaient inséparables ; le premier concept exprimait la personnalité divine et le second, la puissance de création et de préservation à l’œuvre dans le monde. La vie, écrivait-il, doit suivre les rythmes naturels : « L’homme ne peut manquer de souffrir chaque fois qu’il passe outre aux commandements de la nature. » Il critiquait vivement le gaspillage de richesses naturelles auquel les colons européens, contrairement aux Indiens, se livraient. Usage raisonnable et préservation minutieuse, tel était son message. Le fait qu’il recommanda, dans les années 1840, que Halifax alimente son premier système d’adduction d’eau à partir d’un groupe de lacs – appelés Chain Lakes – situés au nord-est de la ville montre qu’il était enclin à chercher la valeur possible de toute chose. Contrairement à nombre de gens du xixe siècle, il n’était pas obsédé par le « progrès ». Pour lui, l’industrialisation n’était rien d’autre qu’un moyen de créer de grandes fortunes pour les capitalistes et de rendre plus dure la vie des travailleurs. Il croyait que la nature pouvait pourvoir aux besoins de tous si on en ménageait les ressources et si les surplus de population s’installaient dans des régions capables de les faire vivre.

Titus Smith mourut des suites d’un accès de jaunisse qui le frappa à l’automne de 1849 et « qu’il tenta de vaincre en faisant plus d’exercice qu’à l’habitude ». Dans sa notice nécrologique, l’Acadian Recorder disait : « Nous croyons qu’il avait l’un de ces esprits de géant qui marquent une époque et, si les circonstances l’avaient placé dans une sphère différente, il aurait eu une place de choix dans l’histoire mondiale. Mais tel ne fut pas son lot. » Contrairement à John Young ou à des gentlemen-farmers comme l’évêque Charles Inglis*, Smith avait de l’agriculture néo-écossaise une connaissance empirique et non pas fondée sur des spéculations échafaudées à partir des conditions britanniques ou américaines. Le registre de son savoir était très large, et ses appels suscitaient, chez ses compatriotes, plus qu’un intérêt passager pour la nature et sa préservation. Il pouvait les conseiller et les aider en botanique, en biologie, en écologie, en agriculture. Apparemment, bien des gens voyaient en lui un oracle. Grâce à ses études et à ses voyages, Titus Smith en savait probablement davantage sur sa province que n’importe lequel de ses contemporains. En fait, il est peu probable que les Néo-Écossais aient connu son pareil depuis.

Terrence M. Punch

Les journaux de Titus Smith sont conservés aux PANS, RG 1, 380–380A. Des extraits en ont été publiés dans : A. H. Clark, « Titus Smith, Junior, and the geography of Nova Scotia in 1801 and 1802 », Assoc. of American Geographers, Annals (Washington), 44 (1954) : 291–314 ; Eville Gorham, « Titus Smith, a pioneer of plant ecology in North America », Ecology (Durham, C.N.), 36 (1955) : 116–123 ; Barbara Grantmyre, « Two peripatetic gentlemen », Nova Scotia Hist. Quarterly (Halifax), 6 (1976) : 375–382 ; et dans Titus Smith, A natural resources survey of Nova Scotia in 1801–1802 (Truro, N.-É., 1955).

Son témoignage devant la commission d’enquête dirigée par lord Durham a été publié dans Minutes of evidence taken under the direction of a general commission of enquiry, for crown lands and emigration [...] (Québec, 1839), Nova Scotia testimony, 18–25 [i.e. 29], où on le nomme incorrectement Silas Smith. L’erreur a été corrigée lorsque l’information ramassée par la commission a été réimprimée dans Report on the affairs of British North America, from the Earl of Durham [...] ([Londres, 1839]), et le témoignage de Smith est contenu dans l’app. B : 134–140.

Titus Smith est l’auteur de « On the operations of fungi in disintegrating vegetable substances » et de « A list of the principal indigenous plants of Nova Scotia », Halifax Monthly Magazine, 1 (1830–1831) : 339–342 et 342–345, ainsi que de Lecture on mineralogy ; delivered by Titus Smith, on March 5, 1834, before the Halifax Mechanics’ Institute (Halifax, 1834). Une autre conférence, donnée au Halifax Mechanics’ Institute le 14 janv. 1835, a été imprimée sous le titre de « Natural history of Nova Scotia », dans le Times (Halifax), 27 janv. 1835 : 29, et dans le Magazine of Natural Hist. (Londres), 8 (1835) : 641–662, où elle est intitulée « Conclusions on the results on the vegetation of Nova Scotia, and on vegetation in general, and on man in general, of certain natural and artificial causes deemed to actuate and affect them ». Smith prépara aussi les descriptions contenues dans l’ouvrage de M. [F. A.] Morris, Wild flowers of Nova Scotia [...], accompanied by information on the history, properties, &c. of the subjects (1 vol. en 2 part., Halifax et Londres, 1840). La traduction qu’il fit de deux légendes allemandes a été publiée sous le titre de « Translations from the German », Halifax Monthly Magazine, 1 : 389–391.

PANS, Map Coll., Nova Scotia general, « A map of Titus Smith’s Track through the Interior of Nova Scotia » ; RG 1, 411, [no 144] ; RG 34-312, P, 8, 18 mars 1816.— John Clarkson, Clarkson’s mission to America, 1791–1792, introd. de C. B. Fergusson, édit. (Halifax, 1971).— Acadian Recorder, 23 mai 1829, 12 janv. 1850.— Colonial Farmer (Halifax).— Novascotian, 3 juill. 1828, 7 janv. 1850.— Nova-Scotia Royal Gazette, 24 mai 1808.— Encyclopedia Canadiana.— Sylvester Judd, History of Hardley [...] (Northampton, Mass., 1863).— M. J. Katzmann, Mme William Lawson, History of the townships of Dartmouth, Preston and Lawrencetown ; Halifax County, N.S., Harry Piers, édit. (Halifax, 1893 ; réimpr., Belleville, Ontario, 1972), 205–218.— Harry Piers, Titus Smith, « The Dutch Village philosopher », pioneer naturalist of Nova Scotia, 1768–1850 (Halifax, 1938).— S. B. Elliott, « Titus Smith – the Dutch Village philosopher », Education Nova Scotia (Halifax), 4 (1974), no 16 : 1–2.— C. B. Fergusson, « Mechanics’ institutes in Nova Scotia », PANS Bull. (Halifax), 14 (1960) : 32, 35.— J. S. Martell, « From Central Board to secretary of agriculture, 1826–1885 », PANS Bull., 2 (1939–1941), no 3 : 5.— Harry Piers, « Artists in Nova Scotia », N.S. Hist. Soc., Coll., 18 (1914) : 139.— T. M. Punch, « Maple sugar and cabbages : the « philosophy » of the « Dutch Village Philosopher », Nova Scotia Hist. Quarterly, 8 (1978) : 19–38.— William Smith, « Some account of the life of Titus Smith », Nova-Scotian Institute of Natural Science, Trans. (Halifax), 1 (1863–1866), part. 4 : 149–152.— C. St C. Stayner, « The Sandemanian loyalists », N.S. Hist. Soc., Coll., 29 (1951) : 81–82, 104–105.

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Terrence M. Punch, « SMITH, TITUS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/smith_titus_7F.html.

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Auteur de l'article:    Terrence M. Punch
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
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