MILLS, DAVID, instituteur, fonctionnaire, cultivateur, avocat, homme politique, journaliste, auteur et juge, né le 18 mars 1831 dans le canton d’Orford, Haut-Canada, fils de Nathaniel Mills et de Mary Guggerty ; le 17 décembre 1860, il épousa à Chatham Mary Jane Brown, et ils eurent trois fils et quatre filles ; décédé le 8 mai 1903 à Ottawa et inhumé à Palmyra, Ontario.

Le père de David Mills, qui était originaire de l’État de New York, et sa mère, du comté de Cavan (république d’Irlande), quittèrent la Nouvelle-Écosse vers 1818 pour s’installer dans le Haut-Canada, sur la route Talbot ouest, dans le comté de Kent. David fréquenta l’école publique à Palmyra Corners. L’enseignement y était médiocre, les locaux ne payaient pas de mine, les élèves n’y faisaient qu’un bref passage, mais David se tirait bien d’affaire et, comme il était manifestement doué, il bénéficia, semble-t-il, de leçons particulières. Il devint instituteur puis, d’avril 1856 à avril 1865, fut inspecteur d’écoles dans le comté de Kent. Pendant la même période, il cultiva la terre (une partie de la ferme familiale, à Palmyra, lui échut en héritage), lut beaucoup et attira l’attention par quelques discours et articles de journaux, notamment sur le traité de réciprocité. En 1864, il militait pour le Parti réformiste dans Kent.

En quittant son poste d’inspecteur d’écoles, Mills s’inscrivit à la faculté de droit de la University of Michigan, où il obtint un diplôme en mars 1867. Le fait qu’il ait choisi une école de droit américaine était inusité, et aurait même été incompréhensible si son but premier avait été de pratiquer le droit dans le Haut-Canada, car la Law Society of Upper Canada n’accordait aucune valeur à la formation juridique acquise aux États-Unis. Mais en fait, Mills ne semblait pas du tout pressé d’exercer la profession d’avocat. Toute difficulté d’accréditation mise à part, il ne demanda officiellement à être admis à la Law Society qu’en 1878, ne fut reçu au barreau qu’en 1883 et, même alors, n’exerça que par intermittences, d’abord au cabinet d’Ephraim Jones Parke*, à London, et par la suite avec un de ses propres fils. En 1885, il était professeur de droit international et d’histoire du gouvernement représentatif à la nouvelle London Law School. Cinq ans plus tard, il devint conseiller de la reine.

La grande ambition de Mills était de faire de la politique, et sous ce rapport, la formation qu’il reçut au Michigan, notamment de Thomas McIntyre Cooley, se révéla extrêmement utile. Réputé l’un des meilleurs juristes américains et spécialiste en droit constitutionnel, Cooley paraît avoir influé plus que quiconque sur sa conception du fédéralisme. On se souviendra que, après la guerre de Sécession, les Canadiens étaient convaincus que le fédéralisme à l’américaine menait nécessairement à l’instabilité et à l’anarchie. Or, c’est à cette époque que Cooley initia Mills à la théorie du fédéralisme classique et lui montra comment une constitution pouvait répartir le pouvoir législatif entre deux paliers de gouvernement, chacun étant « souverain jusqu’à un certain point ».

À son retour au Canada, en 1867, Mills se fit nommer, en prévision des premières élections du dominion, candidat du Parti réformiste dans la circonscription fédérale de Bothwell, qui comprenait des parties des comtés de Kent et de Lambton. Sir John Alexander Macdonald* et le Parti conservateur remportèrent la victoire, et lui-même fut élu de justesse. Il allait être député de Bothwell jusqu’en 1882, puis de 1884 à 1896. Macdonald soutenait que, en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, les gouvernements provinciaux étaient subordonnés au gouvernement central, ce que Mills contestait fermement. S’inspirant de Cooley, il s’imposa à la Chambre des communes comme un défenseur des droits provinciaux. Dès le 20 novembre 1867, il présentait une motion qui visait à mettre fin à la double représentation au niveau fédéral : permettre à un même député de représenter simultanément une circonscription fédérale et une circonscription provinciale, alléguait-il, compromettait l’indépendance des provinces. Finalement, après plusieurs tentatives, il réussit à faire abolir cette pratique en 1873. Il préconisait aussi de réformer le Sénat afin d’en faire un meilleur gardien des intérêts provinciaux. En 1872 par exemple, il proposa que les sénateurs soient élus par la population ou choisis directement par les Parlements provinciaux. Par ailleurs, peu après la Confédération, il perçut à quel point il était dangereux que le fédéral puisse refuser de reconnaître des lois provinciales. Dès 1869, il affirmait que « nul gouvernement ne devrait avoir un droit de veto ». Cet homme pour qui la Confédération était essentiellement un « pacte » entre les provinces voyait d’un mauvais œil l’interprétation plutôt large que le gouvernement Macdonald faisait de l’article 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, qui porte sur les pouvoirs fédéraux. Dès le début, lui-même donna une interprétation résolument décentralisatrice de la répartition des pouvoirs. Il alla jusqu’à déclarer au Parlement, en juin 1869, que si jamais « on en [venait] à se demander s’il [fallait] détruire le Parlement fédéral ou les législatures provinciales », il répondrait que « le pays souffrirait beaucoup moins de la destruction du pouvoir fédéral ».

En partie à cause d’interventions de ce genre, on tenait Mills pour l’un des membres les plus compétents du caucus libéral fédéral. Il était en pleine ascension. Sa lecture provincialiste de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique rejoignait, pour l’essentiel, la vision d’Oliver Mowat, premier ministre libéral de l’Ontario de 1872 à 1896, avec qui il noua une longue amitié. De toute évidence, sa compréhension des fondements législatifs et de la signification politique du pouvoir provincial impressionnait Mowat, qui lui demanda en 1872 de défendre la position de son gouvernement sur les frontières ouest et nord de la province. À compter de la publication de son rapport, au début de 1873, Mills joua un rôle majeur dans le litige frontalier. Il défendit la cause de l’Ontario contre le gouvernement fédéral, tant aux Communes qu’à l’extérieur, et ce même quand son propre parti, dirigé par Alexander Mackenzie*, fut au pouvoir, soit de 1873 à 1878. Par ailleurs, en janvier 1876, il fut appelé à présider le comité spécial qui allait se pencher sur la dépression économique qui frappait le pays. Il se servit du rapport du comité pour vanter les mérites du libre-échange, et il prévint que les coûts liés à l’imposition de droits de douane excédaient grandement les bénéfices que l’on pouvait attendre de ce genre de stimulation artificielle de l’économie.

En octobre, au sortir de son incursion en politique douanière, Mills fut nommé ministre de l’Intérieur, donc chargé des nombreuses questions relatives au peuplement et à l’autonomie des Territoires du Nord-Ouest, ainsi que des Affaires indiennes. Bien que, par la suite, Mackenzie ait déclaré qu’il était un ministre « toujours efficace et plein de bonne volonté », il paraît avoir été d’une prudence excessive dans un domaine d’une importance prépondérante, à savoir l’extension du self-government dans le Nord-Ouest. Par exemple, il répugnait à abroger les restrictions imposées par l’Acte des Territoires du Nord-Ouest de 1875 à l’organisation des municipalités et des districts scolaires.

La défaite du gouvernement Mackenzie aux élections de 1878 mit un terme aux fonctions ministérielles et aux ambitions administratives de Mills. Toutefois, comme il avait été réélu dans Bothwell, il était l’un des libéraux ontariens les plus anciens du caucus, position dont il sut tirer profit, tant dans les coulisses qu’au Parlement. Partisan d’Edward Blake*, il fut apparemment l’un des meneurs du mouvement qui, en 1880, évinça Mackenzie de la direction du parti. Quand Blake prit la succession, Mills devint l’un de ses principaux lieutenants aux Communes. Il participa à l’offensive contre la Politique nationale des conservateurs [V. sir Samuel Leonard Tilley*], coordonna les manœuvres par lesquelles les libéraux firent obstruction en 1885 au projet de loi sur le cens électoral et continua de s’en prendre aux visées centralisatrices du gouvernement Macdonald. Lui-même considérait son discours du 1er avril 1885, dans lequel il reprochait au projet de loi sur les manufactures présenté par Darby Bergin* d’empiéter sur les compétences provinciales, comme l’un des meilleurs de sa carrière parlementaire.

Mills ne critiquait pas les conservateurs seulement au Parlement. Rédacteur en chef du London Advertiser de 1882 à 1887, il dénonça systématiquement la façon dont le gouvernement Macdonald menait les affaires nationales dans une série d’éditoriaux qui, faute de porter sa signature, portaient bien sa marque, et où la harangue partisane alternait avec la leçon de droit. L’année 1883 fut particulièrement consacrée au journalisme : ayant contesté sa défaite au scrutin du 20 juin 1882, il dut passer une session hors des Communes en attendant que les tribunaux se prononcent sur son cas. Il gagna en février 1884 et reprit son siège, mais ses éditoriaux de l’année précédente – surtout ceux dans lesquels il condamnait l’usage fait par Macdonald du droit d’annulation – demeurent parmi les plus riches commentaires politiques de l’époque.

Le passage de Mills dans le monde du journalisme ne fit rien pour amoindrir sa réputation de libéral convaincu. Pourtant, lorsque les questions partisanes en vinrent à dominer de plus en plus la politique nationale, à la fin des années 1880, il se trouva souvent en conflit avec des membres de son parti. En 1886, à la suite de Blake, il condamna l’exécution de Louis Riel*, et avec lui, il appuya la motion de regret que proposait Philippe Landry*, contrairement à Mackenzie, à sir Richard John Cartwright*, à John Charlton et à d’autres éminents libéraux ontariens. En 1889, dans de la controverse sur l’Acte relatif au règlement de la question des biens des jésuites, adopté l’année précédente par le gouvernement d’Honoré Mercier*, il prononça un vigoureux plaidoyer contre l’exercice du droit d’annulation, affirmant que le gouvernement fédéral n’était nullement justifié d’entraver une loi qui, de toute évidence, relevait de la compétence provinciale. Quand il répéta ce discours dans sa circonscription, le Globe de Toronto en reproduisit le texte mais se dissocia de ses opinions. En 1890, dans le débat sur l’usage du français au Parlement et dans les tribunaux des Territoires du Nord-Ouest [V. D’Alton McCarthy* ; Alexandre-Antonin Taché*], il se distingua de bon nombre de libéraux en défendant éloquemment les droits linguistiques. Avec Blake, il appuya d’ailleurs le compromis du ministre de la Justice, sir John Sparrow David Thompson*, qui consistait simplement à laisser le Parlement territorial régler cette question, alors que presque tous les autres libéraux du sud-ouest de l’Ontario votèrent contre.

La position que Mills prit lorsque le gouvernement du Manitoba abolit le financement des écoles catholiques [V. Thomas Greenway] illustre à merveille combien il pouvait être difficile de maintenir l’équilibre précaire entre principe constitutionnel et loyauté au parti, éléments potentiellement contradictoires. Malgré son engagement en faveur des droits provinciaux et l’opposition des libéraux à une loi réparatrice, il était convaincu que, en principe, la constitution obligeait le gouvernement fédéral à rétablir ces écoles. Dans la première version de son discours sur la question, écrite en février ou au début de mars 1896, il affirmait que le Parlement avait le devoir « de restaurer un droit ravi et de tenir ses engagements envers la minorité », reproche on ne peut plus clair à l’endroit du chef libéral, Wilfrid Laurier*. L’historien Donald J. A. McMurchy donne à entendre que, après avoir pris connaissance de son texte, des membres importants du caucus libéral le convainquirent de se montrer moins hostile à l’endroit de la direction du parti. Quoi qu’il en soit, le discours qu’il prononça aux Communes le 18 mars était équivoque. Même s’il soutenait toujours que le gouvernement était tenu d’agir par la constitution, il affirmait que le projet de loi réparatrice proposé par le premier ministre conservateur, sir Mackenzie Bowell*, était prématuré et de piètre facture. Le 20, il se rangea du côté du parti et vota contre le projet.

Cependant, le sort en était jeté, semble-t-il, car même si les libéraux remportèrent le pouvoir au scrutin du 23 juin, Mills perdit – de peu – la circonscription de Bothwell. Il attribua sa défaite à « la perfidie du clergé catholique » et de l’évêque de London, Denis O’Connor*, mais l’explication de sir John Stephen Willison* semble plus plausible : Mills avait soutenu une position assez proche de celle des libéraux pour perdre la faveur de quelques électeurs catholiques, et assez indépendante en même temps pour s’aliéner « les protestants extrémistes, car il refusait de nier toute validité à la position de la minorité ». Manifestement, il s’était fait juste assez d’ennemis pour perdre.

Mills espérait tout de même retourner au Parlement, soit en remportant une élection complémentaire, soit en devenant sénateur. Bien qu’appelé au Sénat en novembre 1896, il ne fut pas invité à se joindre au cabinet, et il soupçonna au début de 1897 qu’il avait été victime d’« une intrigue à laquelle Laurier avait consenti et participé sous l’influence de ceux qui l’intimidaient ». Il consacra donc plus de temps à son cabinet d’avocats de London, continua d’enseigner à la University of Toronto (où il avait été nommé en 1888 professeur de droit constitutionnel et international) et écrivit ou donna des conférences sur une grande variété de sujets religieux et politiques. Son exclusion du cabinet de Laurier fut brève. Quand sir Oliver Mowat démissionna, Laurier demanda à Mills de le remplacer. Le 18 novembre 1897, il fut assermenté ministre de la Justice et devint leader du gouvernement au Sénat.

La réincarnation politique de Mills était d’une ironie consommée. À titre de sénateur, il se retrouvait dans une institution qui avait résisté à ses efforts de réforme. En tant que ministre de la Justice, il avait le pouvoir d’opposer son veto aux lois provinciales, et il en usait assez librement, lui qui affirmait naguère que ce pouvoir était incompatible avec le principe du fédéralisme. Néanmoins, il prenait ses fonctions au sérieux, dispensait des faveurs aussi généreusement que possible et profitait de sa réplique annuelle au discours du trône pour évaluer l’état de l’Empire britannique, et surtout le progrès accompli vers la création d’une « constitution impériale », terme par lequel il désignait une association semblable au Commonwealth moderne. À la mort du juge John Wellington Gwynne en 1902, il usa de son autorité de ministre de la Justice pour s’octroyer un siège de juge puîné à la Cour suprême du Canada, position qui, croyait-on, lui avait été promise à son entrée au cabinet en 1897. Certains journalistes de la presse judiciaire le critiquèrent vertement : il n’avait jamais été juge, son expérience de la pratique en cabinet privé était limitée et, à l’âge de 70 ans, il n’avait plus la vigueur nécessaire pour approfondir un sujet qui lui était peu familier. En mai 1903, un peu plus d’un an après son accession au tribunal, il mourut subitement d’une hémorragie interne. Mort intestat, il laissait dans le deuil sa femme et six enfants.

Bien que David Mills ait été un important lieutenant du Parti libéral, ce ne fut jamais un grand ténor de la scène politique canadienne. De toute évidence, des facteurs personnels contribuèrent à freiner son ascension. Il était proche de Blake, mais pendant la période où celui-ci dirigea le parti, les occasions de se faire remarquer manquaient parce que les libéraux n’arrivaient pas à battre Macdonald. Laissé pour compte lorsque Blake quitta la direction en 1887, il ne fut jamais proche de Laurier. En fait, selon Willison, « Mills ne considéra jamais Laurier comme son égal sur le plan intellectuel tandis que Laurier ne considéra jamais Mills comme un compagnon politique pratique ou efficace ». La plupart des commentateurs concluent en outre que plusieurs des traits que l’on retrouve chez les leaders dans les démocraties modernes lui faisaient défaut. Il manquait de charisme, parlait avec pondération, avait tendance à théoriser longuement et, selon l’historien William Lewis Morton*, était « un pédant invétéré ». Que ses contemporains l’aient surnommé, pas toujours gentiment, « le philosophe de Bothwell » (Macdonald fut, de toute évidence, le premier à l’appeler ainsi) laisse entendre que cette impression était répandue.

Pourtant, si l’esprit philosophique de Mills s’avéra un handicap en politique, c’est cette qualité qui le fit reconnaître comme l’un des meilleurs théoriciens constitutionnels de sa génération, surtout dans le domaine du fédéralisme. Il apporta deux contributions majeures à la théorie et à la pratique du fédéralisme canadien. Premièrement, il expliqua la signification et les implications du principe du fédéralisme à une époque où ce terme suscitait de nombreuses controverses et faisait l’objet d’interprétations très divergentes. Mills ne cessa d’affirmer que chacun des ordres de gouvernement définis par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, le fédéral et le provincial, était suprême ou souverain dans sa propre sphère de compétences et impuissant en dehors de cette limite. En pratique, cela voulait dire que, chaque fois que le gouvernement fédéral – par exemple, en usant des droits de réserve ou d’annulation – tentait d’empiéter sur des matières qui, en vertu de la constitution, ressortissaient aux gouvernements provinciaux, son action était d’une légitimité douteuse.

Bien sûr, Mills n’était pas le seul à exposer et à défendre cette conception de l’autonomie provinciale. En Ontario, le gouvernement Mowat protesta souvent contre l’empiétement du fédéral sur les droits provinciaux, et la conférence interprovinciale de 1887, organisée par Mowat et Honoré Mercier, visait à faire connaître le mécontentement des provinces et à coordonner leur action. Toutefois, à l’exception de Blake peut-être, aucun député fédéral ne contribua davantage que Mills à l’articulation et à la vulgarisation de la rhétorique de l’autonomie provinciale. On mesure le succès de Mills et des autres champions des droits provinciaux en voyant que, même avant que le comité judiciaire du Conseil privé ne soutienne leur position – processus amorcé en 1884 par l’affaire Hodge c. la Reine [V. John Godfrey Spragge*] –, le principe constitutionnel de l’autonomie provinciale et la notion de sphères de pouvoir souveraines étaient devenus des éléments courants du discours politique canadien. Même Macdonald s’était vu contraint de parler ce langage.

Dans les années qui suivirent la Confédération, à cause de la difficulté de définir clairement les compétences à partir des termes vagues de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, le gouvernement fédéral et les provinces rivalisèrent souvent pour obtenir le pouvoir dans des matières comme la vente d’alcool, la mise en valeur des richesses naturelles et la réglementation du commerce. C’est dans ce contexte que Mills fit sa deuxième contribution : il mit au point l’une des premières lectures provincialistes de la constitution, et l’une des plus poussées. En 1885, par exemple, il affirma aux Communes que la constitution laissait aux gouvernements provinciaux beaucoup de latitude pour légiférer sur les questions de police, c’est-à-dire, au sens large, pour prendre des mesures visant à assurer l’équilibre entre, d’une part, la liberté individuelle et, d’autre part, l’ordre, la moralité et le bien-être collectifs. Inversement, il soutenait qu’il fallait donner une interprétation étroite au pouvoir fédéral en matière de commerce afin de ne pas empiéter sur l’autonomie provinciale. Non seulement Mills devançait-il la tendance provincialiste qu’allaient prendre les avis du comité judiciaire du Conseil privé, mais il conjecturait avec raison que la compétence exclusive des provinces en matière de propriété et de droits civils deviendrait la principale catégorie législative à partir de laquelle le pouvoir provincial en matière de police pourrait être défini et défendu.

Dans un contexte politique et constitutionnel plus vaste, Mills était convaincu que la réalisation des principes libéraux au Canada passait nécessairement par la défense de l’autonomie provinciale. Dans la meilleure tradition réformiste, il soutenait que les promoteurs des droits provinciaux ne faisaient que défendre la liberté des provinces – leur droit de se gouverner elles-mêmes – et qu’en cela, ils ne différaient guère des réformistes qui, autrefois, avaient défendu l’autonomie des colonies contre l’ingérence de l’Empire, le gouvernement représentatif contre le family compact ou le gouvernement parlementaire contre l’autorité royale. Ses discours et éditoriaux regorgent d’allusions symboliques qui ont pour fonction de situer la lutte pour les droits provinciaux dans l’histoire constitutionnelle de la Grande-Bretagne et du Canada.

Pourtant, David Mills avait fort à faire pour maintenir une position cohérente lorsque les gouvernements provinciaux bafouaient manifestement les principes du libéralisme politique et quand ils privaient les individus de leurs droits. Ce fut dans ces cas, surtout quand les droits de la minorité relatifs à la langue et à l’éducation étaient en jeu, que ses positions lui donnèrent le plus de fil à retordre, posèrent le plus de problèmes politiques et furent, intellectuellement parlant, le plus expérimentales. Mills croyait fermement en la primauté du droit et avait, en particulier, la conviction que les juristes étaient capables de trouver des formules constitutionnelles qui satisferaient à la fois les aspirations individuelles et collectives. C’était un idéal assez répandu parmi les libéraux éclairés de son époque, mais ses tentatives pour le concrétiser furent marquées d’une franchise, d’une éloquence et d’une instabilité particulières. En s’efforçant de concilier droits des provinces et droits des individus, Mills personnifiait les dilemmes du libéralisme ontarien de la fin du xixe siècle.

Robert Vipond

La principale collection des papiers et journaux de David Mills se trouve à la Regional Coll. de la Univ. of Western Ontario Library (London). Elle comprend une série de lettres écrites en 1889 à sa fille Alice Maud Lovett Mills, qui renferment des souvenirs de sa jeunesse ; on en trouve une transcription à la MTRL.

Mills a fait des discours sur une vaste gamme de sujets. Ses papiers conservés à Western contiennent les textes inédits de ses allocutions sur : « Abraham as a leader of a political revolution » (boîte 4280), deux exposés mi-exégèse biblique mi-conte moraliste, sur Abraham et son peuple, qui ont supporté les épreuves afin de garantir « les droits de la conscience et les avantages du self-government » ; « The higher criticism » (boîte 4280), défense vigoureuse de la « nouvelle » théologie, comprenant une explication naturelle des miracles ; « The English and the United States system of government compared » (boîte 4278), défense classique des institutions britanniques et du gouvernement responsable ; « Henry George’s theory of property in land » et « Henry George’s theory of property in land and taxation » (boîte 4283), critique fougueuse ; et « Sleep and its mysteries » (boîte 4280), qui comprend un chapitre sur la signification des rêves.

Beaucoup des discours de Mills sur des sujets politiques et des questions de droit international et constitutionnel ont été publiés. Des listes sont disponibles dans Canadiana, 1867–1900, Répertoire de l’ICMH, et AN, Catalogue of pamphlets [...], Magdalen Casey, compil. (2 vol., Ottawa, 1932). Ses publications comprennent aussi A report on the boundaries of the province of Ontario (Toronto, 1873) ; une version remaniée [...] for the purposes of arbitration between the Dominion of Canada and the province of Ontario (Toronto, 1877) ; et The English in Africa (Toronto, 1900). En outre, il a publié un certain nombre d’articles dans le Canadian Magazine, qui révèlent la diversité de ses intérêts : « The evolution of self-government in the colonies : their rights and responsibilities in the empire », 2 (nov. 1893–avril 1894) : 533–544, sorte de compte rendu héroïque sur l’Empire britannique ; « The missing link in the hypothesis of evolution, or derivative creation », 3 (mai–oct. 1894) : 297–308, critique de la théorie de la sélection naturelle de Darwin ; « Saxon or Slav : England or Russia ? » 4 (nov. 1894–avril 1895) : 518–530, plaidoyer, entre autres choses, pour la solidarité anglo-américaine contre l’impérialisme russe ; et « The new Monroe Doctrine of Messrs. Cleveland and Olney », 6 (nov. 1895–avril 1896) : 365–380, analyse et critique de la doctrine en tant qu’opposée au droit international.

Finalement Mills, qui était apparemment méthodiste, a écrit beaucoup de poèmes inspirateurs, dont certains ont été publiés ; par exemple, Poems written at spare moments (Ottawa, 1901), dont on conserve un exemplaire à la Univ. of Toronto, Thomas Fisher Rare Book Library. Certains de ses poèmes, comme « I think I’m growing old », publié dans le Globe, 13 août 1898 : 6, sous les initiales « D. M. », sont essentiellement des méditations sur la mort.  [r. c. v.]

AN, RG 68, 476, liber 120 : 377.— AO, RG 8, I-6-B, 23 : 18 ; RG 22, Ser. 354, no 4210.— London Advertiser, 1882–1887, particulièrement janv.–mars 1883, 9 mai 1903.— Ottawa Evening Journal, 9 mai 1903.— Canada, Chambre des communes, Débats, 1867–1896 ; Parl., Doc. de la session, 1867–1896 ; Sénat, Débats, 1897–1902.— Cyclopædia of Canadian biog. (Rose et Charlesworth), 1.— [F.] M. Greenwood, « David Mills and co-ordinate federalism, 1867–1903 », Univ. of Western Ontario Law Rev. (London), 16 (1977) : 93–112.— History of the county of Middlesex [...] (Toronto et London, 1889 ; réimpr., avec une introd. de D. [J.] Brock, Belleville, Ontario, 1972).— G. V. La Forest, Disallowance and reservation of provincial legislation ([Ottawa], 1955 ; réimpr., 1965).— Fred Landon, « A Canadian cabinet episode of 1897 », SRC Trans., 3e sér., 32 (1938), sect. ii : 49–56 ; « David Mills, the philosopher from Bothwell », Willisons Monthly (Sarnia, Ontario), 5 (1929), no 3 : 8–9.— D. J. [A.] McMurchy, « David Mills : nineteenth century Canadian Liberal » (thèse de ph.d., Univ. of Rochester, N.Y., 1968).— Middleton et Landon, Prov. of Ontario, 3 : 77–79.— W. L. Morton, « Confederation, 1870–1896 : the end of the Macdonaldian constitution and the return to duality », REC, 1 (1966), no 1 : 11–24 (les commentaires de Lovell Crosby Clark sur cet article, avec la réponse de Morton, figurent dans « Dialogue : David Mills and the remedial bill of 1896 », REC, 1, no 3 : 50–53).— Thomas, Struggle for responsible government in N.W.T. (1978).— R. C. Vipond, Liberty and community : Canadian federalism and the failure of the constitution (Albany, N.Y., 1991).— Willison, Reminiscences.

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Robert Vipond, « MILLS, DAVID », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/mills_david_13F.html.

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Auteur de l'article:    Robert Vipond
Titre de l'article:    MILLS, DAVID
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
Année de la révision:    1994
Date de consultation:    1 décembre 2024