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LA RIVIÈRE, ALPHONSE-ALFRED-CLÉMENT (baptisé Alfred-Alphonse), homme d’affaires, fonctionnaire, propriétaire de journal et homme politique, né le 24 juillet 1842 à Montréal, fils d’Abraham Clément, dit La Rivière, carrossier, et d’Adélaïde Mercil ; le 4 février 1867, il épousa Marie-Melvina Bourdeau (décédée en 1885), et ils eurent 13 enfants, dont 4 lui survécurent ; décédé le 20 septembre 1925 à Saint-Boniface (Winnipeg).
Entré en 1855 au collège Sainte-Marie, établissement montréalais tenu par les jésuites, Alphonse-Alfred-Clément La Rivière passa à l’école normale Jacques-Cartier en 1857. Une fois terminées ses études à cet endroit, il fréquenta l’École militaire de Montréal. Après l’obtention de son diplôme en 1866, il ouvrit à Montréal une quincaillerie de gros et de détail qu’il exploita jusqu’à sa faillite en 1871. Pendant cette période, il servit dans la milice et œuvra dans un certain nombre d’organismes culturels et sociaux, dont le Cercle Saint-Pierre, fondé par les oblats de Marie-Immaculée en vue d’offrir aux Montréalais des activités culturelles et des loisirs moralement sains. La Rivière devint le premier président du cercle en 1869. En outre, il se distingua dans plusieurs organisations commerciales et, à titre de président d’un sous-comité du Conseil des arts et manufactures de la province de Québec, il contribua à l’organisation de l’Exposition provinciale de Québec en 1871.
Après la faillite de son commerce en 1871, La Rivière accepta un poste au Bureau des terres de la puissance à Winnipeg. L’évêque de Saint-Boniface, Alexandre-Antonin Taché*, qui recherchait des Canadiens français instruits pour diriger la communauté franco-manitobaine, l’y encouragea. Très déçu par son salaire, La Rivière se plaignit de ne pouvoir faire venir les membres de sa famille si le gouvernement ne leur payait pas le voyage. Quand, finalement, il réussit à les faire venir, les La Rivière durent partager une maison avec une autre recrue de Québec, l’avocat Joseph Dubuc*, et sa femme.
Au moment où La Rivière arriva à Saint-Boniface, le 27 octobre 1871, les institutions locales et provinciales étaient en train de se mettre en place. Les francophones en particulier – qui représentaient encore presque la moitié de la population du Manitoba mais étaient menacés par l’immigration massive de colons anglophones – avaient besoin de membres des professions libérales et d’hommes d’affaires pour former une élite. La Rivière s’empressa de participer à la vie de sa province d’adoption. Il prit part à la fondation de la Société Saint-Jean-Baptiste en décembre 1871 et figura parmi les notables qui félicitèrent Taché pour son élévation à l’archiépiscopat le mois suivant.
En tant que membre de l’élite de langue française, La Rivière se mêla tout naturellement de politique. Il soutint les efforts en vue d’obtenir une amnistie pour Louis Riel* et les autres Métis qui avaient participé au soulèvement de la Rivière-Rouge en 1869–1870 et en particulier au meurtre de Thomas Scott*. En septembre 1872, lui-même et Dubuc s’allièrent à Joseph Royal* et à Marc-Amable Girard* (deux autres recrues de Québec) dans le but de convaincre Riel de retirer sa candidature aux Communes en faveur de George-Étienne Cartier*, qui venait d’être défait dans sa circonscription de Montréal-Est. Ils voulaient que Cartier manifeste sa gratitude en obtenant une amnistie, mais il mourut en mai 1873. Sur ce, La Rivière et ses alliés soutinrent la candidature de Riel, qui fut élu sans opposition au cours d’un scrutin complémentaire en octobre. En dépit de cette marque de confiance de la part des électeurs, qui lui accordèrent de nouveau leurs suffrages aux élections générales de 1874, l’annonce d’une amnistie se faisait toujours attendre. L’expulsion de Riel des Communes en avril 1874 découragea La Rivière : il était désormais convaincu que les candidatures du chef métis étaient plus dommageables que bénéfiques. Ce point de vue lui valut l’antipathie des partisans de Riel dans la province de Québec (certains le soupçonnaient de vouloir le siège de Riel) ainsi que des Métis du Manitoba. En 1885, La Rivière s’attirerait de nouveau l’hostilité des premiers en s’opposant au mouvement québécois de protestation contre l’exécution de Riel – protestation qui, craignait-il, provoquerait dans l’Ouest une dangereuse réaction contre les Canadiens français.
En 1874, La Rivière entra en conflit avec ses supérieurs du Bureau des terres de la puissance et avec Antoine-Aimé Dorion*, ministre de la Justice dans le nouveau gouvernement libéral d’Alexander Mackenzie* et leader du caucus québécois aux Communes. Dès 1875, il avait perdu son emploi. Cependant, il avait déjà commencé à faire de la spéculation foncière et avait lancé une entreprise d’immobilier. Par ailleurs, notamment avec Taché, il encourageait l’installation de Canadiens français au Manitoba. En 1874, il prit l’initiative de fonder la Société de colonisation de Manitoba, dont il devint le premier président. Comme il s’attendait qu’un grand nombre de Canadiens français s’établissent dans l’Ouest, il demanda au gouvernement fédéral une réserve adjacente à celle qui avait été mise de côté pour les Métis afin de les regrouper tous ensemble. Le gouvernement mit du temps à se décider, et les terres qu’il concéda finalement ne se trouvaient pas à l’endroit désiré. De toute façon, le Manitoba attirait peu de Canadiens français. Durant encore 37 ans, La Rivière travaillerait sans relâche à faire venir des francophones d’Europe aussi bien que du Québec et de la Nouvelle-Angleterre, mais jamais les nouveaux arrivants ne seraient assez nombreux pour préserver l’équilibre linguistique du Manitoba et contrebalancer l’immigration anglophone.
La Rivière remporta le siège de Saint-Boniface aux élections générales de décembre 1878. À peine entré à l’Assemblée législative, il fut pris dans une controverse. Depuis le début des années 1870, la venue d’un fort nombre de colons de langue anglaise avait dramatiquement réduit le poids démographique des francophones : ceux-ci ne comptaient plus pour environ la moitié de la population, mais pour à peu près 15 % seulement. Les hommes politiques de langue française avaient tenté de compenser ce déclin en formant un bloc dont l’influence pouvait être décisive s’il s’alliait à l’un ou l’autre des partis anglophones. Cependant, Royal, chef du caucus francophone, était convaincu que la population de langue française ne serait pas en sécurité tant qu’elle n’aurait pas réussi à faire accepter le principe selon lequel tous les gouvernements devaient avoir l’appui d’une majorité de députés de chacun des deux groupes linguistiques. Lorsque La Rivière entra à l’Assemblée, Royal venait de se joindre au gouvernement de John Norquay*, même si celui-ci n’était pas soutenu par une majorité de députés de langue anglaise. En mai 1879, Royal lança un ultimatum à Norquay : s’il n’obtenait pas une majorité parmi les anglophones, il perdrait le soutien des francophones. En même temps, La Rivière proposa à un autre anglophone, Thomas Scott, de former une alliance pour remplacer Norquay.
Cependant, Norquay les déjoua tous. En l’espace d’une nuit, il forma une nouvelle coalition de députés anglophones et exigea la démission de ses deux ministres de langue française, Royal et le Métis Pierre Delorme*. Ensuite, il présenta un projet de loi en vue d’abolir l’usage du français au Parlement provincial et dans les documents officiels. Ce projet n’acquit pas force de loi uniquement parce que le lieutenant-gouverneur, le Canadien français Joseph-Édouard Cauchon*, refusa d’y apposer sa signature.
En raison de son rôle dans la crise, La Rivière s’était attiré le ressentiment de Norquay, qui l’accusait de conspirer depuis des mois. Néanmoins, dès novembre 1881, il était suffisamment rentré dans les bonnes grâces du premier ministre pour accéder au cabinet en tant que secrétaire de la province. En septembre 1883, il fut nommé ministre de l’Agriculture, de la Statistique et de la Santé. En août 1886, il devint trésorier de la province. En juin 1887, il obtint le poste de commissaire des terres de la province.
Entre-temps, La Rivière s’était lancé dans le journalisme. En octobre 1881, il avait acheté, de Royal, le Métis (dont il resterait propriétaire jusqu’à la fin de 1897) et l’avait rebaptisé le Manitoba en promettant que cette « sentinelle vigilante » protégerait les droits de la population « française ». De fait, le journal défendait avec zèle le français au Manitoba, mais pour La Rivière, le fait français ne se résumait pas à la langue. Diplômé d’un collège ultramontain, proche collaborateur d’un archevêque ultramontain, il voulait que son journal soit « tout dévoué aux intérêts de la religion » – et de l’ethnicité. « Unité d’origine, unité de langue, unité de mœurs et d’habitudes », telles étaient les composantes d’« une nationalité forte ». Cette conception ethnique et religieuse inspirait ses infatigables campagnes en faveur de la colonisation canadienne-française – et peut-être aussi son hostilité envers certains autres groupes. Lorsque les premiers réfugiés juifs des pogroms russes arrivèrent en 1882 [V. Benjamin Zimmerman], le Manitoba fut le seul journal manitobain à s’opposer à leur installation dans la province. Le seul but des Juifs, à tous les endroits où ils s’établissaient, prévenait le journal, était « [d’]en prendre les richesses et [d’]en dépouiller les habitants ».
La carrière de La Rivière en politique provinciale se termina dans la controverse en 1887. Tard cette année-là, il avait rencontré le premier ministre du Canada, sir John Alexander Macdonald*, et cru avoir obtenu son approbation pour un transfert de terres fédérales à la Winnipeg and Hudson Bay Railway Company. Les terres devaient servir de garantie aux obligations que la province voulait émettre pour payer les entrepreneurs du chemin de fer. La Rivière émit les obligations, mais Macdonald nia avoir approuvé le transfert. Sans ces terres, les comptes du Manitoba affichaient un solde négatif. Accusés de manquements graves dans l’administration des finances de la province, La Rivière et Norquay démissionnèrent à la fin de décembre. Moins d’un mois plus tard, les libéraux, sous la direction de Thomas Greenway*, prirent le pouvoir pour la première fois dans l’histoire du Manitoba. Les conservateurs fédéraux reprochèrent à Norquay et à La Rivière d’avoir livré le Manitoba aux libéraux. Royal, alors député aux Communes, fut particulièrement dur : selon lui, La Rivière était le « mauvais génie » dont les erreurs financières avaient mené le parti au désastre. Pourtant, lorsque Royal fut nommé lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord-Ouest en 1888, c’est La Rivière qui le remplaça aux Communes. Il remporta en effet le siège de Provencher à l’élection partielle tenue en janvier 1889.
La Rivière ne fut pas très actif à Ottawa. Il obtint des crédits fédéraux pour la poursuite du recrutement de colons francophones à destination du Manitoba, mais il ne joua pas un rôle marquant aux Communes. Après avoir pris la parole deux fois sur le projet de loi présenté par D’Alton McCarthy* en 1890 en vue de retirer au français le statut de langue officielle dans les Territoires du Nord-Ouest, il finit par appuyer un amendement qui autorisait l’Assemblée territoriale à cesser d’utiliser le français. Il intervint de nouveau en 1895 et 1896, cette fois en faveur de mesures qui restaureraient le financement public des écoles catholiques du Manitoba, aboli par le gouvernement Greenway en 1890, mais tout compte fait, il se révéla un piètre défenseur des catholiques manitobains. Le père Albert Lacombe*, envoyé à Ottawa à la fin de 1895 pour exercer des pressions en faveur de mesures réparatrices, se plaignit au successeur de Taché, l’archevêque Adélard Langevin*, qu’on ne pouvait rien attendre de La Rivière ni du sénateur Thomas-Alfred Bernier*. « Sans énergie et la capacité voulue[,] quelle lutte peuvent-ils soutenir ? », disait-il. Finalement, La Rivière accepta le projet de loi réparatrice, même s’il le jugeait déficient, et pressa Langevin de l’imiter.
Malgré son inefficacité, La Rivière conserva le siège de Provencher jusqu’en 1904. Affecté à Montréal de 1905 à 1911 en tant qu’agent du Manitoba, il s’employa à recruter des colons de l’est du Canada et de la Nouvelle-Angleterre. Quand les conservateurs reprirent le pouvoir en 1911 sous la direction de Robert Laird Borden*, il fut nommé sénateur. Il fut encore moins actif au Sénat qu’à la Chambre des communes et s’y montra plus disposé à accepter les décisions gouvernementales même dans les cas où elles étaient préjudiciables aux Canadiens français ou aux catholiques. En 1912, il appuya un projet de loi en vue d’annexer le district du Keewatin au Manitoba en dépit du fait que ce projet ferait perdre des droits scolaires aux catholiques de la région et que les nationalistes canadiens-français s’y opposaient vivement [V. George Robson Coldwell]. En 1917, quand le gouvernement Borden entreprit d’imposer la conscription – à l’encontre de l’opposition massive des Canadiens français –, La Rivière plia l’échine. Il resta silencieux au cours du débat, puis vota tranquillement en faveur du projet de loi. Ce fut son dernier geste politique. Il se retira dans sa maison de Saint-Boniface et le 29 août, jour de l’entrée en vigueur de la loi, il démissionna du Sénat. Pour justifier sa démission, il invoqua son âge et son état de santé, mais selon le Devoir, journal nationaliste de Montréal, le vrai motif était probablement la colère qu’il avait suscitée en votant pour la conscription.
Alphonse-Alfred-Clément La Rivière n’avait jamais eu l’étoffe d’un chef. Dans une société plus mûre que le Manitoba des années 1870 et 1880, il n’aurait peut-être jamais pu jouer un rôle aussi important. Même dans ce milieu, il sembla toujours venir derrière ses collègues mieux connus, Royal, Dubuc et Girard. Maire de Saint-Boniface en 1881 à la suite de Royal, il marcha sur les traces de Dubuc en étant surintendant des écoles catholiques du Manitoba en 1879, député fédéral de Provencher et président de la Société Saint-Jean-Baptiste. Plus tard, il suivit Girard au Sénat. L’empreinte qu’il laissa dans l’histoire du Manitoba fut légère. Quand il mourut à son domicile de Saint-Boniface, les journaux ne consacrèrent que quelques paragraphes à la nouvelle.
À notre connaissance, aucun dépôt d’archives au Canada ne possède de collections de papiers d’Alfred-Alphonse-Clément La Rivière. Il y a quelques lettres dans les papiers d’hommes politiques avec qui il a correspondu, notamment sir George-Étienne Cartier (AN, MG 27, I, D4), mais la correspondance la plus volumineuse est probablement aux Arch. de la Soc. hist. de Saint-Boniface, Winnipeg, dans le Fonds de la Corporation archiépiscopale catholique romaine. On y trouve 62 lettres dans la série Taché, la plupart adressées par La Rivière à Taché, et 110 lettres dans la série Langevin. Aucun livre n’a été écrit sur La Rivière et son nom figure rarement dans les ouvrages d’histoire du Manitoba. P. [E.] Crunican, Priests and politicians : Manitoba schools and the election of 1896 (Toronto et Buffalo, N.Y., 1974), et Robert Painchaud, Un rêve français dans le peuplement de la Prairie (Saint-Boniface, 1986), donnent quelques renseignements sur son rôle. Un chapitre de M. S. MacGregor et [A.-A. Taché], Some letters from Archbishop Taché on the Manitoba school question (Toronto, 1967), fait ressortir son inefficacité en affaires et en politique. De courtes notices dans Canadian directory of parl. (Johnson), Canadian men and women of the time (Morgan ; 1898 et 1912), le CPG, 1878–1927, et A.-G. Morice, Dictionnaire historique des Canadiens et des Métis français de l’Ouest (Québec et Montréal, 1908) donnent des renseignements biographiques de base. Le Manitoba Free Press, organe libéral, était en général hostile à La Rivière, partisan conservateur, mais c’est le journal le plus important du Manitoba. La source d’information la plus abondante et la plus sympathique envers La Rivière est son propre journal, le Manitoba (Saint-Boniface), qui a été publié jusqu’en 1925. Malheureusement, seuls les numéros parus jusqu’en 1900 ont été microfilmés et peuvent être largement consultés. L’Index du journal le Manitoba (1881–1925) (Saint-Boniface, 1982) contient de nombreuses références à La Rivière, mais en a omis un grand nombre.
Un discours prononcé par La Rivière à l’Assemblée législative du Manitoba figure dans L. M. Jones et al., The budget [...] ([Winnipeg ?, 1888 ?]). On trouve d’autres discours de La Rivière dans Canada, Chambre des communes, Débats, et dans Canada, Sénat, Débats.
ANQ-M, CE601-S51, 25 juill. 1842, 4 févr. 1867.— Le Métis, 2 nov., 14 déc. 1871, 27 janv. 1872, 17 mai 1877.— Annuaires, Manitoba, 1877–1878 ; Montréal, 1842, 1869–1872 ; Winnipeg, 1880–1884.
A. I. Silver, « LA RIVIÈRE, ALPHONSE-ALFRED-CLÉMENT (baptisé Alfred-Alphonse) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/la_riviere_alphonse_alfred_clement_15F.html.
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Auteur de l'article: | A. I. Silver |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |