DUBUC, sir JOSEPH, avocat, propriétaire et éditeur de journal, homme politique et juge, né le 26 décembre 1840 à Sainte-Martine, près de Châteauguay, Bas-Canada, fils de Joseph Dubuc, cultivateur, et d’Euphémie Garand ; le 26 juin 1872, il épousa à Saint-Cuthbert, Québec, Marie-Anne Hénault, et ils eurent dix enfants ; décédé le 7 janvier 1914 à Los Angeles et inhumé à Saint-Boniface, Manitoba.

Aîné d’une famille de 15 enfants, Joseph Dubuc fréquente l’école primaire de façon irrégulière, car il doit aider son père aux travaux de la ferme. À 18 ans, il part pour les États-Unis afin d’apprendre l’anglais et de trouver un emploi dans une usine. De retour au Québec en 1859, il entre au collège de Beauharnois, dirigé par les Frères des écoles chrétiennes, puis s’inscrit au petit séminaire de Montréal, où il fait ses études classiques de 1860 à 1866. Il s’y lie d’amitié avec Louis Riel*, qui fréquente l’établissement de 1858 à 1865. Il obtient une licence en droit civil du McGill College en 1869 et est admis au barreau en septembre de la même année.

Dubuc n’exerce que depuis quelques mois quand Riel, qui vient de former un gouvernement provisoire dans la colonie de la Rivière-Rouge (Manitoba), fait appel à son aide. Il lui faut, comme il lui écrit en janvier 1870, « un auxiliaire instruit, homme de loi, énergique, déterminé ». Dubuc hésite, mais après avoir rencontré l’abbé Noël-Joseph Ritchot* à Montréal, au moment où ce dernier négocie avec le gouvernement fédéral l’entrée de la colonie dans la Confédération, il se laisse convaincre et part avec lui pour le Manitoba en juin 1870. Dès son arrivée, il se lie d’amitié avec Mgr Alexandre-Antonin Taché* et se fait le défenseur du gouvernement provisoire et des Métis. Lorsque les troupes de Garnet Joseph Wolseley forcent Riel à se réfugier aux États-Unis le 24 août, Dubuc revendique l’amnistie pour lui et les autres chefs métis. Il écrit régulièrement à la Minerve de Montréal pour présenter les objectifs que poursuivent ceux-ci et encourager les francophones à venir s’établir dans le Nord-Ouest canadien. Avec Joseph Royal*, son compatriote et associé dans la pratique du droit à Winnipeg, il fonde en mai 1871 à Saint-Boniface un hebdomadaire francophone, le Métis, dans le but de défendre les intérêts des Métis.

Le jeune Dubuc est dynamique et revendicateur. Dès les premières élections provinciales au Manitoba, en décembre 1870, il s’est porté candidat dans la circonscription de Baie St Paul et a été élu sans opposition. Durant ces premières années de la vie parlementaire au Manitoba, les tensions sont grandes entre les partisans du lieutenant-gouverneur Adams George Archibald*, qui se montre modéré, et les soi-disant « loyalistes » ou anglophones venus de l’Ontario [V. sir John Christian Schultz*]. Même si le gouvernement refuse d’accorder l’amnistie à Riel, ce qui l’empêche de revenir au pays, Dubuc persuade ce dernier de se présenter aux élections fédérales de 1872 dans la circonscription de Provencher. Ces élections donnent lieu à de nombreuses bagarres et émeutes, au point que les troupes fédérales sont demandées. Dans le procès qui s’ensuit devant la Cour du banc de la reine, Dubuc agit comme procureur de la poursuite et Francis Evans Cornish* défend les émeutiers. En quittant la cour, Dubuc est attaqué dans la rue Main à Winnipeg et laissé pour mort. Son assaillant sera condamné, mais les émeutiers, eux, s’en tireront sans sentences.

De 1870 à 1878, Dubuc travaille à maintenir l’alliance souvent délicate entre les députés francophones canadiens-français et métis à l’Assemblée manitobaine. Conservateur en politique et ultramontain, il se méfie des « rouges » ou des libéraux, et il est soucieux du maintien de l’ordre établi. En juillet 1874, il est nommé procureur général dans le nouveau gouvernement de Marc-Amable Girard*. Il n’occupe ce poste que quelques mois, puisque le gouvernement est remplacé en décembre par celui de Robert Atkinson Davis*. Aux élections qui suivent, Dubuc est élu dans la circonscription de Saint-Norbert et Davis est reporté au pouvoir. Le 31 mars 1875, il est choisi comme président de l’Assemblée. De 1872 à 1876, il est également membre du Conseil des Territoires du Nord-Ouest.

Aux élections fédérales de 1878, Dubuc décide de se présenter dans la circonscription de Provencher, où il est élu sans opposition. Il continue toutefois de jouer le rôle de médiateur entre anglophones et francophones sur la scène politique provinciale jusqu’à ce que les divisions entre les députés canadiens-français et métis provoquent une crise ministérielle qui entraîne la démission de Royal en 1879 et la diminution du pouvoir des francophones à l’Assemblée.

Cette année-là, Dubuc quitte la politique et devient juge à la Cour du banc de la reine. Il est heureux de cette nomination qui lui permet de laisser « la tourmente des luttes politiques pour la dignité de la magistrature ». Il prend de plus en plus ses distances avec les Métis et leur chef Riel. Ainsi, en 1885, il refuse d’être juge d’appel dans le procès de Riel, en invoquant l’hérésie religieuse de ce dernier, qu’il qualifie de « maniaque dangereux », et le fait qu’il connaît personnellement l’accusé. Dubuc ne cesse toutefois de défendre les droits des francophones catholiques. Surintendant des écoles catholiques de la province et secrétaire de la section catholique du bureau d’Éducation de Manitoba depuis mars 1872, il tente en vain de freiner l’adoption des projets de loi mis de l’avant par le gouvernement de Thomas Greenway* en 1890 qui abolissent la publication des documents officiels en français et créent un système d’enseignement non confessionnel financé par l’État. Il est le seul juge de la Cour du banc de la reine à émettre une opinion dissidente face au jugement rendu par Albert Cléments Killam* dans la cause Barrett c. la municipalité de Winnipeg [V. John Kelly Barrett*] et qui conclut que le gouvernement Greenway avait le droit d’établir un tel système d’enseignement public. En 1903, Dubuc est nommé juge en chef du Manitoba, poste qu’il occupe jusqu’à sa retraite en 1909. En 1907, il a reçu un doctorat honorifique de la University of Toronto et, en juin 1912, il devient le premier Canadien français de l’Ouest à être élevé au rang de chevalier.

La retraite de sir Joseph Dubuc fut marquée par de bons moments de vie de famille et des voyages aux États-Unis et en Europe. Il serait toujours reconnaissant envers lady Dubuc, épouse et mère qui incarnait les valeurs catholiques et victoriennes du xixe siècle, de l’avoir soutenu dans sa vie privée et publique. Grand admirateur et partisan des institutions britanniques, il fut décrit par l’élite anglophone, à laquelle il s’était intégré, comme un « homme aux idéaux élevés, possédant une faculté d’adaptation et un grand sens civique ». Son caractère intègre et son jugement pondéré lui valurent le succès professionnel et public. Toutefois, quelques comportements et ses mémoires suggèrent qu’il manifestait un certain snobisme et le goût des honneurs. Ainsi, il faisait remarquer : « Vivant dans le monde, on ne reste pas insensible aux petits succès que l’on peut remporter, ou à la considération dont on est l’objet dans les hautes sphères de la bonne société. »

Diane Paulette Payment

ANQ-M, CE5-19, 26 juin 1872 ; CE7-25, 26 déc. 1840.— Arch. de l’archevêché de Saint-Boniface, Manitoba, Fonds Taché, lettres de Joseph Dubuc, 1870–1885.— PAM, MG 14, B26.— CPG, 1873–1879.— « Feu sir Joseph Dubuc, k.b. », les Cloches de Saint-Boniface, 13 (1914) : 33–36.— Gerald Friesen, « Homeland to hinterland : political transition in Manitoba, 1870 to 1879 », SHC, Communications hist., 1979 : 33–47.— Dale et Lee Gibson, Substantial justice ; law and lawyers in Manitoba, 1670–1970 (Winnipeg, 1972).— « L’Honorable Juge en chef Dubuc », les Cloches de Saint-Boniface, 8 (1909) : 297s.— Édouard Lecompte, Un grand chrétien : sir Joseph Dubuc (1840–1914) (Montréal, 1923).— Manitoba Culture, Heritage and Recreation, Hist. resources branch, l’Honorable Joseph Dubuc, k.s.m.g. ([Winnipeg], 1981).— Sœur Maureen of the Sacred Heart [M. M. McAlduff], « Joseph Dubuc : role and views of a French Canadian in Manitoba, 1870–1914 » (mémoire de m.a., univ. d’Ottawa, 1966).— L.-A. Prud’homme, « l’Honorable Joseph Royal ; sa vie ; ses œuvres », SRC, Mémoires, 2e sér., 10 (1904), sect. : 3–24 ; « Sir Joseph Dubuc », Rev. canadienne (Montréal), 59 (janv.–juin 1914) : 386–396, 500–513 ; 60 (juill.–déc. 1914) : 22–30, 97–112.— Louis Riel, les Écrits complets de Louis Riel, G. F. G. Stanley, édit. (5 vol., Edmonton, 1985).— « Sir Joseph Dubuc, k.b. », les Cloches de Saint-Boniface, 11 (1912) : 154.— L. H. Thomas, The struggle for responsible government in the North-West Territories, 1870–97 (Toronto, 1956).

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Diane Paulette Payment, « DUBUC, sir JOSEPH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/dubuc_joseph_14F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
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