GERRARD, SAMUEL, trafiquant de fourrures, homme d’affaires, officier de milice, juge de paix, homme politique et seigneur, né en 1767 en Irlande, peut-être dans le comté de Kilkenny ; le 11 novembre 1792, il épousa à Montréal Ann Grant, fille de John Grant et petite-fille de Richard Dobie*, et ils eurent trois fils et deux filles ; décédé le 24 mars 1857 au même endroit.

Samuel Gerrard, fils d’une riche famille anglo-irlandaise, était encore un jeune homme quand il vint s’installer à Montréal. Dès 1785, il était établi comme marchand dans cette ville et se spécialisait dans la traite des fourrures de la région du Témiscamingue. En 1791, il s’associa avec William Grant*, qui allait devenir son beau-frère, et avec Étienne-Charles Campion* pour former la Grant, Campion and Company, qui devait occuper une place très importante dans la traite des fourrures au sud-ouest de Michillimakinac (Mackinac Island, Michigan), dans les environs des Grands Lacs et dans la région du Témiscamingue. Gerrard était le comptable de la compagnie et touchait un quart des bénéfices. En 1795, il semble que sa participation dans la société était d’un tiers. La santé chancelante de ses deue associés et les conditions incertaines de la traite des fourrures dans ce qui pouvait bientôt devenir territoire américain conduisirent à la dissolution de la société en novembre 1795. Gerrard s’attendait probablement à cette dissolution, puisqu’il avait signé un contrat de société le mois précédent avec William Parker et John Ogilvy* pour créer la firme Parker, Gerrard, and Ogilvy, qui s’occuperait de traite des fourrures au sud et à l’ouest de Michillimakinac. À la fin des années 1790, cette nouvelle compagnie eut à faire face à une vive concurrence de la part de la North West Company [V. Simon McTavish*] quand elle commença à trafiquer au nord et à l’ouest des Grands Lacs, se rendant aussi loin que dans la région de l’Athabasca.

La Parker, Gerrard, and Ogilvy faisait aussi le commerce de produits de base dans des secteurs relativement nouveaux : elle achetait et vendait du blé et de la farine, et peut-être du bois et de la potasse. Le nombre d’associés augmentait sans cesse. En 1800, on en comptait sept : Parker et John Gillespie à Londres ; John Mure* à Québec ; Gerrard, George Gillespie* et Thomas Yeoward à Montréal ; ainsi qu’Ogilvy, l’associé hivernant. Trois ans plus tard, sir Alexander Mackenzie* se joignit à ce qui s’appelait alors la Parker, Gerrard, Ogilvy and Company. Mackenzie, Ogilvy et Mure étaient aussi associés, pour leur propre compte, à la New North West Company (appelée parfois la XY Company), et la Parker, Gerrard, Ogilvy and Company agissait comme fournisseur de cette compagnie. En 1805, un an après que celle-ci fut absorbée par la North West Company, la Parker, Gerrard, Ogilvy and Company était la quatrième société en importance parmi les associés de la North West Company ; en 1814, sa part valait £38 500. Elle fut l’une des compagnies de traite des fourrures qui fondèrent la Michilimackinac Company en 1806 [V. John Ogilvy] ; Gerrard lui-même devait détenir des intérêts dans cette entreprise jusqu’en 1832. La Parker, Gerrard, Ogilvy and Company fut dissoute en 1812, mais le début de la guerre retarda le règlement des affaires de la société jusqu’en 1814. Par la suite, Gerrard semble avoir été moins directement engagé dans la traite des fourrures.

Gerrard s’était joint à Yeoward et à Robert Gillespie* en 1812 pour former la Gerrard, Yeoward, Gillespie and Company. Cette société continua à entretenir des relations avec la Sir Alexander Mackenzie, Gillespie, Parker and Company, firme anglaise qui s’était occupée des affaires de la Parker, Gerrard, Ogilvy and Company à Londres. En 1817, Gerrard s’associa avec Robert Gillespie, Robert Strachan, Jasper Tough, George Moffatt*, William Finlay* et William Stevens pour exporter du blé et du bois, et importer diverses marchandises pour le commerce de gros ou de détail. Cette entente donna le jour à trois sociétés : la Gillespie, Gerrard and Company à Londres ; la Gerrard, Finlay and Company à Québec ; et la Gerrard, Gillespie, Moffatt and Company à Montréal. Pour la première fois, Gerrard participait aux bénéfices de la branche européenne de l’entreprise. En 1817, la branche montréalaise expédia près de 100 cargaisons de marchandises diverses dans le Haut-Canada. En décembre 1821, Gerrard vendit la part qu’il détenait dans les trois compagnies à ses associés pour un montant de £40 000.

La carrière de Gerrard dans les affaires ne se limita pas à sa participation à différentes sociétés. Il fut un actionnaire important d’une compagnie de navigation en plus d’être lui-même propriétaire de navires. Il spécula sur des biens immobiliers et servit d’exécuteur testamentaire. Jusqu’à sa mort, il exerça aussi les fonctions d’agent d’affaires, de mandataire et d’agent de recouvrement pour des compagnies ou des particuliers installés dans les Canadas, en Angleterre, en France et aux États-Unis.

Après 1821, l’intérêt principal de Gerrard passa du commerce à la finance. Depuis déjà un certain temps, il accordait des facilités de crédit, prêtait de l’argent, escomptait des effets et virait des fonds, aussi bien à titre personnel que par l’intermédiaire de ses compagnies. Ce changement de centre d’intérêt était donc moins soudain qu’il pouvait le sembler à première vue. Dès juin 1810, Gerrard avait assisté à une assemblée réunissant les actionnaires d’une banque, probablement la Canada Banking Company, projet de John Richardson* qui ne se réalisa jamais. Gerrard séjourna en Angleterre d’octobre 1816 au printemps de 1818 ; il ne fut donc pas signataire des articles d’association de la Banque de Montréal en 1817, contrairement à son associé Moffatt, mais il prit part aux affaires de cette banque dès le début et exerça les fonctions de président de 1820 à 1826. Il fut destitué à la suite d’un coup monté par Moffatt, et cela malgré l’appui des membres les plus âgés du conseil d’administration qui, au début de leur carrière, avaient pris part à la traite des fourrures, tels John Forsyth*, George Garden* et Peter McGill. Le différend reposait sur l’accusation selon laquelle Gerrard avait outrepassé ses pouvoirs de président et avait fait preuve de favoritisme en accordant certains prêts. En conséquence, la banque risquait de subir des pertes, particulièrement dans la faillite de la McTavish, McGillivrays and Company, et de la McGillivrays, Thain and Company. Gerrard, créancier personnel de Simon McGillivray*, était l’un des administrateurs nommés pour s’occuper de la liquidation de ces deux sociétés. En dépit de la victoire de Moffatt, Gerrard continua de siéger au conseil d’administration de la banque et de jouer un rôle actif dans ses affaires. Au cours d’une importante réunion des actionnaires tenue en juin 1826, on rejeta une proposition de Moffatt qui voulait obliger Gerrard à rembourser la banque,

Gerrard fut un des fondateurs de la Banque d’épargne de Montréal, créée en 1819. Cet établissement avait des rapports étroits avec la Banque de Montréal : les deux banques partageaient les mêmes locaux et elles avaient souvent les mêmes dirigeants. En 1822, Gerrard autorisa des prêts pour la Banque d’épargne de Montréal ; en 1826, il était membre de son conseil d’administration ; en 1856, à titre de président, il suggéra que cette banque soit absorbée par la Banque de Montréal et qu’elle devienne le service d’épargne de cette dernière. La fusion eut lieu la même année. Gerrard fut aussi un actionnaire important de la Banque du Canada, que la Banque de Montréal absorba en 1831. En plus de ses intérêts dans les banques, Gerrard dirigea les affaires, dans le Bas et le Haut-Canada, de l’Alliance British and Foreign Life and Fire Assurance Company of London, de 1831 jusque dans les années 1840. À titre d’administrateur de l’actif de la faillite de Jean-Baptiste-Toussaint Pothier*, il acheta, en 1841, les seigneuries de Lanaudière et de Carufel dans le but d’en faciliter la revente à un tiers. Comme deux tentatives de revendre ces seigneuries échouèrent, il les conserva et les légua finalement à ses héritiers.

Gerrard s’intéressa activement aux questions politiques, en particulier quand elles touchaient ses activités économiques. Lord Durham [Lambton*] le nomma membre du Conseil spécial, poste qu’il occupa du 2 avril au 1er juin 1838, et du 2 novembre 1838 au 10 février 1841 ; il joua un rôle important dans les délibérations de ce conseil. En 1831, il avait succédé à Richardson comme représentant d’Edward Ellice* en Amérique du Nord, et à ce titre il donnait et recevait des conseils d’ordre politique. Gerrard était un fervent monarchiste, un antidémocrate et un défenseur des liens impériaux. Il critiqua violemment Louis-Joseph Papineau* et les patriotes pour leur opposition aux banques, aux compagnies de spéculation foncière et à l’immigration. En juillet 1838, Ellice estima nécessaire de lui rappeler qu’« un ministère anglais [...] ne [pouvait] jamais proposer l’établissement permanent d’un gouvernement arbitraire ». De son côté, Gerrard dit des Canadiens français qu’ils étaient « tous, au fond, des rebelles » ; il déconseilla l’adoption de mesures conciliantes et regretta que l’on n’ait pas pendu une douzaine des chefs de file des patriotes. L’union du Haut et du Bas-Canada, qui entra en vigueur en 1841, protégeait les investissements de Gerrard, et son engagement dans la politique déclina par la suite.

Gerrard fit partie de diverses organisations conciliables avec ses intérêts politiques et commerciaux. Il fut major dans la milice, juge de paix en 1821, membre du conseil d’administration de la bibliothèque de Montréal de même que membre du Committee of Trade. Il occupa les postes de trésorier et de membre à vie du conseil d’administration du Montreal General Hospital, dont il fut aussi vice-président de 1835 à 1837, et président de 1837 à 1857. De plus, il exerça les fonctions de trésorier de la grande loge provinciale et de syndic de la Maison protestante d’industrie et de refuge de Montréal, et il présida la Société d’école anglaise et canadienne de Montréal ainsi que la Montreal Auxiliary Bible Society.

Gerrard et sa femme eurent deux filles, qui épousèrent des officiers de l’armée britannique et quittèrent le Bas-Canada, et trois fils, dont deux se firent officiers dans l’armée britannique et quittèrent aussi Montréal ; le troisième, Richard, devint le représentant dans le Haut et le Bas-Canada de l’Alliance British and Foreign Life and Fire Assurance Company of London, en 1843, grâce à la recommandation de son père et à sa caution. La femme de Gerrard mourut le 18 octobre 1854 à Montréal.

Samuel Gerrard fut un homme d’affaires important de Montréal à l’époque où ce centre de la traite des fourrures commençait à se transformer en métropole commerciale. Comme chez beaucoup de ses contemporains, les affaires tinrent une place prépondérante dans sa vie. Un souhait de Noël qu’il adressa à son ancien associé Parker en 1814 en est un bon exemple : « que le poivre, le fromage, le tabac et tous les autres produits raffinés de vos spéculations de choix puissent augmenter de valeur et rapporter dix fois la mise ».

Peter Deslauriers

ANQ-M, CE1-63, 11 nov. 1792.— APC, MG 24, A2 ; B2 ; RG 68, General index, 1651–1841.— AUM, P 58, A3/85 ; A5 ; C2 ; G1 ; G2 ; U.— Soc. d’archéologie et de numismatique de Montréal, Samuel Gerrard papers, 1805–1851 (mfm aux APC).— Canada, prov. du, Assemblée législative, App. des journaux, 1854–1855, app. ZZZ.— Docs. relating to NWC (Wallace).— La Gazette de Québec, 19 janv. 1818.— Denison, la Première Banque au Canada, 1 : 432–437.— E. A. Mitchell, Fort Timiskaming and the fur trade (Toronto et Buffalo, N.Y., 1977).— Charles Drisard, « l’Honorable Samuel Gerrard », BRH, 34 (1928) : 63–64.— R. H. Fleming, « The origin of « Sir Alexander Mackenzie and Company », CHR, 9 (1928) : 137–155.— Thomas O’Leary, « Ramble through St. Paul Street in the year 1819 », Montreal Daily Star, 24 mai 1920 : 18.

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Peter Deslauriers, « GERRARD, SAMUEL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/gerrard_samuel_8F.html.

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Auteur de l'article:    Peter Deslauriers
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1985
Année de la révision:    1985
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