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MUQUINNA (Macuina, Maquilla, Maquinna ; le nom, qui s’écrit mukwina selon l’orthographe propre de ces autochtones, signifie possesseur de cailloux), chef nootka de ce qui est maintenant l’île de Vancouver, Colombie-Britannique, décédé probablement en 1795.
Muquinna était le nom d’une suite de chefs occupant un haut rang dans la hiérarchie des Moachats, un groupe d’Indiens nootkas. Ce groupe avait son principal village d’été à Yuquot, à l’entrée de la baie de Nootka, et son village d’hiver à Tahsis. Même si cela n’est pas absolument certain, il y a des preuves à l’effet que celui qui fait l’objet de cette biographie devint chef à la mort de son père, Anapā, en 1778, et qu’il mourut en 1795, ayant pour successeur un chef du même nom. La période pendant laquelle Muquinna exerça son autorité sur les Nootkas fut celle des premiers contacts avec les Européens sur la côte nord-ouest de l’Amérique du Nord et celle de l’expansion de la traite des fourrures. Cette période en fut une de rivalités sur la côte entre la Grande-Bretagne et l’Espagne, rivalités auxquelles les Indiens furent éventuellement mêlés. Au vrai, presque tout ce qu’on sait de Muquinna est rapporté dans les journaux des explorateurs et des trafiquants de fourrures européens ou doit en être déduit.
Bien que le navigateur espagnol Juan Josef Pérez Hernández se rendît dans la région de la baie de Nootka en 1774, le premier contact de quelque durée entre les Nootkas et les Européens eut lieu en 1778, quand le capitaine Cook passa près d’un mois à l’anse de Ship (anse Résolution) à radouber ses navires. Il est bien possible que le leader indien, qui eut plusieurs discussions et organisa des échanges avec lui, et que Cook ne nomme pas, ait été Muquinna. D’amicales relations commerciales furent établies avec les gens de Yuquot, et un grand nombre d’objets divers furent troqués, entre autres des peaux de loutre marine dont certains membres de l’équipage de Cook firent plus tard un très profitable commerce à Canton (République populaire de Chine). La publication des journaux relatant le troisième voyage de Cook révéla les profits qu’on pouvait réaliser grâce à la traite des fourrures avec la Chine. Dès le début, la baie de Nootka fut un port de relâche populaire parmi les trafiquants ; elle devint bientôt un important centre de traite. Muquinna apparaît comme le principal leader indien à la baie.
La première expédition sur la côte nord-ouest après celle de Cook fut menée par James Hanna en 1785. En août, Muquinna dirigea une attaque infructueuse contre son navire ; un récit espagnol postérieur rapporte que Muquinna aurait dit que cette attaque avait été provoquée par un mauvais tour que lui avait joué Hanna. Au début, la plupart des navires de traite qui relâchaient dans la baie de Nootka étaient britanniques, mais, au cours des années, les navires américains, surtout de Boston, prirent peu à peu la relève. Muquinna trafiqua avec le capitaine britannique John Meares* en 1788 et lui permit d’élever une petite construction sur un coin de terre de Yuquot – décision qui allait par la suite entraîner ses gens dans des complications politiques internationales. Meares décrivit Muquinna comme un homme « de taille moyenne, mais extrêmement bien fait et dont le visage éveille l’intérêt de tous ceux qui le voient ».
Le rythme croissant de la traite des fourrures plaça Muquinna dans une position stratégique. Les leaders indiens aussi avisés que lui pouvaient en effet exercer une grande influence sur la traite et la modeler de telle sorte qu’elle servît leurs fins. Ceux qui eurent la chance d’être au bon endroit au bon moment et qui eurent assez de sagesse pour tirer profit de leur situation, devinrent extrêmement riche.
D’un côté, Muquinna sut tirer avantage de la popularité de la baie de Nootka en mettant les trafiquants en situation de concurrence les uns envers les autres, ce qui fit monter les prix. D’un autre côté, il sut régler l’activité des autres Indiens de la région. Depuis l’époque de la visite de Cook, il était évident que les gens de Yuquot tentaient de prendre la direction des rapports entre les Européens et les autres groupes indiens, tactique qui se renforça sous Muquinna, grâce aux efforts qu’il fit pour s’assurer que toutes les fourrures trafiquées à la baie de Nootka passeraient par ses mains ou, à tout le moins, par celles de ses gens. En 1792, il avait la haute main sur un réseau de traite avec le groupe des Kwakiutls, à l’embouchure de la rivière Nimpkish (sur la côte est de l’île de Vancouver) ; ses agents utilisaient les routes commerciales bien établies pour traverser l’île et acheter des fourrures qui étaient ensuite vendues aux équipages qui s’arrêtaient à la baie. À l’instar des capitaines européens, Muquinna connaissait fort bien les écarts de prix, et le trafiquant John Hoskins rapporte que ses profits, en tant que courtier, étaient considérables.
Mais, entre temps, les rivalités internationales avaient commencé à créer des problèmes à Muquinna et à ses gens. L’Espagne, effarée par le nombre des navires britanniques qui croisaient maintenant au large de la côte du Pacifique, sur laquelle elle entretenait depuis longtemps des prétentions, avait envoyé une frégate au nord en 1789. Muquinna l’avait vue arriver à la baie de Nootka en mai, sous le commandement d’Esteban José Martínez, qui revendiqua la propriété de la baie au nom de Charles III. Quand Martinez mit le trafiquant James Colnett* aux arrêts pour atteinte à la souveraineté espagnole, la menace que cela représentait pour la poursuite d’un commerce profitable fut perçue par les Indiens. Le 13 juillet, le frère de Muquinna, Callicum, se dirigeait vers la frégate dans une pirogue avec l’intention de réprimander sévèrement les Espagnols lorsqu’un marin le tua d’une balle. Là-dessus, Muquinna déménagea à Opitsat, le village de Wikinanish, beau-père de Callicum, dans la baie de Clayoquot. À cause des rivalités entre les Indiens eux-mêmes, il devait toutefois suivre attentivement les événements à Yuquot ; un rival ayant rendu visite à Martinez le 1er août, il vint aussi le visiter. De nouveau à Yuquot le 1er septembre, il promit à Martinez, alors sur son départ, de veiller sur les constructions du petit poste qu’il y avait établi.
Beaucoup d’autres Espagnols allaient se présenter en 1790. Madrid ayant décidé d’occuper de nouveau la baie de Nootka, une expédition militaire, sous les ordres de Francisco de Eliza* y Reventa, arriva à Yuquot en avril et commença à y élever un petit établissement. Les Nootkas, se défiant des Espagnols, eurent tendance à éviter la baie, et leurs craintes ne diminuèrent pas quand Eliza pilla un village pour s’y approvisionner de madriers. En juin, Muquinna fit, à Opitsat, la rencontre d’une mission d’exploration dirigée par Manuel Quimper et fut suffisamment rassuré pour participer, en octobre, à la recherche des survivants d’un naufrage. Mais Colnett arriva à Yuquot en janvier 1791 et, avant de partir le 2 mars, il tenta de gagner Muquinna à la cause britannique ; Muquinna demanda « à voir un plus gros navire ». Il lui fallait rester en bons termes avec les Espagnols, car Eliza, qui avait entendu parler de scènes de cannibalisme rituel, avait menacé de détruire son village en cas de récidive. Muquinna demeura à Tahsis ; quand Alexandro Malaspina* l’y visita en août, il ratifia la cession d’une terre à Yuquot faite aux Espagnols en 1790.
L’Espagne et la Grande-Bretagne étaient au bord de la guerre, en 1790, à la suite de la capture de Colnett par Martinez en 1789 et de l’affirmation de Meares à l’effet qu’il était propriétaire, pour l’avoir achetée, de la terre alors occupée par les Espagnols à Yuquot. La querelle fut par la suite réglée diplomatiquement par les conventions de Nootka. En 1792, quand Juan Francisco de la Bodega y Quadra arriva à Yuquot pour mettre en application les clauses des conventions, Muquinna lia avec lui d’étroites relations et fut souvent reçu à dîner par lui. Bodega se convainquit, en partie sur le témoignage de Muquinna, que les prétentions de Meares sur tout le territoire de Yuquot n’étaient pas fondées, et quand Vancouver arriva en août pour reprendre possession de la terre de Meares, Muquinna se vit fêté par les deux parties pendant les négociations. Il se révéla un maître dans l’art de la diplomatie, en régalant les émissaires étrangers à Tahsis. Quand Bodega quitta la baie de Nootka, en septembre, Yuquot était encore aux mains des Espagnols, et ce n’est qu’en mars 1795, après des négociations supplémentaires entre l’Espagne et la Grande-Bretagne, que les Européens abandonnèrent la baie. Les gens de Muquinna eurent bientôt abattu les édifices et réaffirmé leur domination sur la région qu’ils avaient abandonnée. En septembre, un visiteur, Charles Bishop, rapportait qu’il y avait un village indien à Yuquot. On disait de Muquinna qu’il était « très malade de la fièvre », et, quelques semaines plus tard, Bishop apprit de Wikinanish, à la baie de Clayoquot, qu’il était mort.
Chef nootka au sens traditionnel, Muquinna fut aussi un leader dont le rôle était en constante évolution sous l’impact de la présence des Blancs. Il est presque certain qu’il s’était déjà, au temps de la visite de Cook, élevé à la position de leader selon les usages traditionnels des Indiens, et qu’il l’avait validée en pratiquant le potlatch, à l’exemple de ses prédécesseurs. Mais comme l’influence et le prestige d’un leader étaient en grande partie à la mesure des richesses qui passaient entre ses mains, sa position fut renforcée grâce aux profits qu’il réalisa en acquérant la maîtrise de la traite avec les visiteurs étrangers et en exploitant les relations commerciales déjà existantes avec d’autres groupes indiens. Aussi, grâce à la traite des fourrures, devint-il probablement plus puissant qu’il ne l’eût jamais été peut-être autrement, et cette nouvelle puissance de Muquinna et de ses gens se manifesta dans leurs relations avec les autres groupes indiens, dans la région de la baie de Nootka. Il est possible, néanmoins, que la position réelle de Muquinna ait été exagérée dans les journaux des visiteurs blancs, tout simplement à cause de l’importance qu’ils accordaient à la baie de Nootka à cette époque ; son voisin et allié par intermittence, le leader clayoquot Wikinanish, fut peut être plus puissant que lui. Ni l’un ni l’autre, toutefois, ne fut le genre de chef que les capitaines de navires étaient portés à imaginer : ils gouvernaient par influence plutôt que par autorité, et en s’appuyant sur leur prestige plutôt que sur leur puissance [V. Koyah]. Il n’y a pas de doute, au demeurant, que Muquinna ait été l’un des leaders indiens les plus éminents de cette région à l’époque des premiers contacts avec les Blancs, et son rôle pendant cette période de l’histoire de la côte nord-ouest est aussi important que celui de n’importe lequel de ces Blancs dont les navires pénétrèrent dans la baie de Nootka.
The journal and letters of Captain Charles Bishop on the north-west coast of America, in the Pacific and in New South Wales, 1794–1799, Michael Roe, édit. (Cambridge, Angl., 1967).— Journals of Captain James Cook (Beaglehole), III.— Meares, Voyages.— J. M. Moziño Suárez de Figueroa, Noticias de Nutka ; an account of Nootka Sound in 1792, I. H. Wilson, trad. et édit. (Seattle, Wash., 1970).— G. Vancouver, Voyage of discovery (J. Vancouver).— Voyages of « Columbia » (Howay).— Cook, Flood tide of empire.— Philip Drucker, The northern and central Nootkan tribes (Washington, 1951).— Robin Fisher, Contact and conflict : Indian-European relations in British Columbia, 1774–1890 (Vancouver, 1977).
Robin Fisher, « MUQUINNA (Macuina, Maquilla, Maquinna) (mort en 1795) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/muquinna_1795_4F.html.
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Auteur de l'article: | Robin Fisher |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1980 |
Année de la révision: | 1980 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |