BODEGA Y QUADRA (Cuadra), JUAN FRANCISCO DE LA, officier de marine, explorateur et diplomate, baptisé le 3 juin 1743 à Lima (Pérou), fils de Tomás de la Bodega y de las Llanas, né en Espagne, adjoint au consul espagnol de Cuzco, et de Francisca de Mollinedo y Losada, issue d’une éminente famille péruvienne, décédé le 26 mars 1794 à Mexico.

Juan Francisco de la Bodega y Quadra entra dans les gardes-marine à l’âge de 19 ans. Il fut promu enseigne de frégate en 1767, enseigne de vaisseau en 1773 et lieutenant de vaisseau en 1774. Cette année-là, il fut affecté au département de San Blas (état de Nayarit, Mexique), le quartier général de l’administration des postes espagnols de la côte ouest situés au nord de San Blas. La première visite de Bodega sur la côte nord-ouest de l’Amérique du Nord survint en 1775, alors qu’il servait comme capitaine du schooner Sonora, naviguant, avec Juan Josef Pérez Hernández, dans l’expédition commandée par Bruno de Hezeta. Intrépide et résolu, Bodega poursuivit sa route vers le nord après que le navire de conserve, le Santiago, eut fait demi-tour ; il atteignit le 58° 30’ de latitude nord, découvrit et nomma la baie de Bucareli (Alaska).

Bodega fut envoyé au Pérou en 1776 afin de s’y procurer un navire pour la navigation sur la côte nord-ouest. Il rentra à San Blas l’année suivante avec une frégate, construite à Callao, la Favorita, qu’il commanda dans les eaux de l’Alaska en 1779, alors qu’il faisait fonction d’officier en second dans l’expédition d’Ignacio de Arteaga. Les capitaines de vaisseau avaient reçu l’ordre d’explorer la région, afin de mesurer l’étendue de l’expansion russe à l’est des Aléoutiennes et d’exécuter les ordres de Madrid demandant d’intercepter les navires du capitaine Cook. Bodega et Arteaga ne pouvaient pas savoir que le fameux navigateur avait déjà été mis à mort dans les îles Sandwich (Hawaii) et ils ne poussèrent pas assez loin à l’ouest pour rencontrer les navires de Cook, que Charles Clerke avait conduits dans les eaux de l’Alaska pour une seconde saison d’exploration.

Les supérieurs de Bodega reconnaissaient en lui un officier valeureux et compétent. Il avait reçu le titre militaire de chevalier de l’ordre de Santiago en 1776 et, en 1780, il fut fait capitaine de frégate. Avant sa mutation à La Havane, Cuba, en 1783, Bodega servit pendant une année comme commandant du département de San Blas. Promu capitaine de vaisseau en 1784, il fut muté à Cadix, en Espagne, l’année suivante. Après que Bodega eut laissé le département, le commandement des activités espagnoles sur la côte nord-ouest avait été, faute d’officiers plus capables, confié au bouillant Esteban José Martínez. À cette époque, les trafiquants de fourrures des autres nations montraient un intérêt grandissant pour cette région et, en 1789, Martinez, dans une tentative pour y faire valoir les revendications espagnoles, saisit plusieurs navires britanniques dans la baie de Nootka (Colombie-Britannique). Le premier ministre britannique, William Pitt, prit avantage de cet incident pour presser l’Espagne de faire des concessions radicales relativement à ses revendications sur la côte nord-ouest. Charles IV d’Espagne hésitait à céder, cependant, et la crise de la baie de Nootka menaça pendant quelque temps d’entraîner toute l’Europe et les États-Unis dans la guerre. La crise se termina en 1790 par la convention de la baie de Nootka, où il apparaît que l’Espagne fut obligée de remettre tout le territoire qui, dans la baie, avait été enlevé à des sujets britanniques en 1789 [V. John Meares*].

Bodega avait de nouveau été nommé commandant du département de San Blas en 1789, et en 1792 il fit voile à destination de la baie de Nootka pour y prendre le commandement de la petite base navale. Celle-ci, avec ses baraques, son hôpital et ses jardins en fleurs, avait été le seul avant-poste européen entre la Californie et l’Alaska russe pendant les trois années précédentes. Le sympathique commandant, par sa manière souple et modérée de gouverner la base, s’acquit le respect et l’admiration des trafiquants britanniques et américains, et des Indiens nootkas. Le capitaine Robert Gray*, un trafiquant américain, tenait en si haute estime son amitié qu’il nomma son fils Robert Don Quadra Gray. Les banquets de Bodega aux nombreux plats, servis dans de la vaisselle d’argent et accompagnés de vins raffinés et de fines boissons, auxquels étaient invités les capitaines et les officiers de toutes nationalités relâchant à la baie de Nootka, étaient célèbres. La tolérance et l’intérêt dont Bodega fit preuve envers les coutumes des Nootkas gagnèrent de façon durable leur affection et renforcèrent la mainmise de l’Espagne sur la région. Muquinna passait souvent la nuit, à titre d’invité, à la résidence de Bodega.

Pendant le seul été qu’il commanda à la baie de Nootka, Bodega prit des mesures pour la construction d’une seconde base, dont la vie fut de courte durée, à Núñez Gaona (Neah Bay, Washington) et pour une exploration plus poussée du détroit de Juan de Fuca et des fjords de ce qui est maintenant la Colombie-Britannique et l’Alaska, à la recherche du fabuleux passage du Nord-Ouest [V. Dionisio Alcalá-Galiano*]. De ces explorations furent tirées les cartes les plus complètes qui eussent encore été faites de la côte nord-ouest, et l’utilisation qu’en fit le capitaine Vancouver est évidente de nos jours par les nombreux toponymes espagnols qui la jalonnent.

Bodega avait pris le commandement de la baie de Nootka afin de négocier avec Vancouver les clauses de la convention de 1790. Il fut convaincu, cependant, par les témoignages qu’il recueillit parmi les trafiquants de fourrures et les Indiens, et par les termes vaguement formulés de la convention, qu’il était justifié de ne céder à Vancouver qu’une petite portion de l’anse Friendly dans la baie. La diplomatie de Bodega, de fait, déjoua la tentative britannique d’entrer en possession de la base. Deux conventions anglo-espagnoles subséquentes aboutirent à la décision prise d’un commun accord de soustraire la baie à la colonisation. Les plans britanniques d’établissements sur la côte nord-ouest furent ainsi mis en échec jusqu’au xixe siècle.

L’activité espagnole sur la côte nord-ouest avait atteint son apogée sous l’impulsion vigoureuse donnée par Bodega, mais sa conviction et sa fermeté ne furent pas imitées à Mexico et à Madrid, où l’on s’attachait à apaiser Londres plutôt qu’à soutenir une domination coûteuse sur la région. Bodega passa l’hiver de 1792–1793 à Monterey (Californie), prenant des mesures pour le renforcement des postes d’Alta California (aujourd’hui la Californie) et recevant une expédition de Vancouver, en visite à Monterey. Il rentra à San Blas au printemps de 1793. En mauvaise santé, il demanda d’être muté à Callao. En dépit d’une période de repos à Guadalajara (Mexique), une attaque d’apoplexie, alors qu’il était à Mexico, le 26 mars 1794, coupa court à sa carrière.

Warren L. Cook

Quelques journaux personnels et relations de Juan Francisco de la Bodega y Quadra ont été imprimés sous les titres « Navegación hecha por Don Juan Francisco de la Bodega y Quadra [...] a los descubrimientos de los mares y costa septentrional de California », Espagne, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Instituto Histórico de Marina, Colección de diarios y relaciones para la historia de los viajes y descubrimientos, édité par L. C. Blanco et al. (6 vol. parus, Madrid, 1943– ), II : 102–133 ; « Primer viaje hasta la altura de 58° [...] 1775 », Espagne, Dirección de Hidrografía, Anuario (Madrid), III (1865) : 279–293 ; « Segunda salida hasta los 61 grados en la fragata Nuestra Senora de los Remedios (a) la Favorita [...] 1779 », 294–331. La Huntington Library conserve un manuscrit de Juan Francisco de la Bodega y Quadra, HM 141, « Viaje a la costa n. o. de la America Septentrional [...] en las fragatas [...] Sta. Gertrudis, Aranzazu, Princesa y goleta Activa » ; le Museo Naval (Madrid) garde ; ms no 126, « Extracto del diario » (1775) ; ms no 618, « Comento [...] » (1775) ; ms no 622, « Diario » (1775). [w. l. c.]

[F. A. Mourelle], Journal of a voyage in 1775, to explore the coast of America, northward of California, by the second pilot of the fleet [...], Miscellanies, Daines Barrington, édit. et trad. (Londres, 1781), 469–534.— J. M. Moziño Suárez de Figueroa, Noticias de Nutka ; an account of Nootka Sound in 1792, I. H. Wilson, édit. et trad. (Seattle, Wash., 1970).— [George Vancouver], Captain Vancouver’s report to the Admiralty on the negotiations with Don Juan Francisco de Bodega y Quadra at Nootka Sound in 1792, C.-B., Provincial Archives Dept., Report (Victoria), 1913, 11–30 ; Voyage of discovery (J. Vancouver).— Cook, Flood tide of empire.— M. E. Thurman, Juan Bodega y Quadra and the Spanish retreat from Nootka, 1790–1794, Reflections of western historians, J. A. Carroll et J. R. Kluger, édit. ([Tucson, Ariz.], 1969), 49–63 ; The naval department of San Blas ; New Spain’s bastion for Alta California and Nootka, 1767 to 1798 (Glendale, Calif., 1967).— Javier de Ybarra y Bergé, De California á Alaska : historia de un descubrimiento (Madrid, 1945).— F. E. Smith, The Nootka Sound diplomatic discussion, August 28 to September 26, 1792, Americana (New York), XIX (1925) : 133–145.

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Warren L. Cook, « BODEGA Y QUADRA (Cuadra), JUAN FRANCISCO DE LA », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/bodega_y_quadra_juan_francisco_de_la_4F.html.

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Auteur de l'article:    Warren L. Cook
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
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