LE JEUNE, PAUL, supérieur des Jésuites de Québec de 1632 à 1639, premier rédacteur des Relations des Jésuites de la Nouvelle-France, missionnaire à Québec, Sillery, Tadoussac, Trois-Rivières et Montréal, de 1639 à 1649, procureur de la mission canadienne (1649–1662), né à Vitry-le-François, diocèse de Châlons-Sur-Marne, en 1591, décédé à Paris le 7 août 1664.

Paul Le Jeune était né de parents calvinistes dans cette province de Champagne qui a donné tant d’âmes d’élite à la Nouvelle-France : Paul de Chomedey de Maisonneuve, Jeanne Mance, Louis dAilleboust de Coulonge, Marguerite Bourgeoys, Jacques Marquette, etc. D’après Fressencourt, il avait 16 ans quand il embrassa le catholicisme. En 1613, il entra au noviciat des Jésuites de Paris et, deux ans plus tard, il poursuivit ses études de philosophie au collège Henri IV de La Flèche. C’est l’heure où le père Énemond Massé, revenu d’Acadie, est ministre des pensionnaires et communique aux jeunes un élan missionnaire dont le Canada ne tardera pas à recueillir les fruits. Parmi les jeunes disciples du père Massé à La Flèche, de 1614 à 1625, il y avait Charles Lalemant, Barthélemy Vimont, Anne de Nouë, Charles Du Marché, François Ragueneau, Jacques Buteux, Alexandre de Vieuxpont, tous futurs missionnaires du Canada. Après sa philosophie, le père Le Jeune est professeur aux collèges de Rennes (1618–1619) et de Bourges (1619–1622) ; il étudie la théologie quatre ans au collège de Clermont à Paris, professe la rhétorique à Nevers de 1626 à 1628, fait sa troisième année de noviciat à Rouen sous la direction du célèbre père Louis Lallemant. En 1629–1630, il est de nouveau professeur de rhétorique, mais à Caen cette fois. L’année suivante il est prédicateur à Dieppe, et il est en charge de la résidence des Jésuites de cette ville quand il est nommé supérieur général de la mission du Canada.

Bien qu’il ait vécu à La Flèche et à Clermont dans une intense atmosphère missionnaire, il n’avait pas demandé l’apostolat lointain. Et pourtant la lettre du provincial qui le destine au Canada est un des événements les plus heureux de sa vie. Il écrit : « Estant adverti de vostre part, le dernier jour de Mars, qu’il falloit au plustost m’embarquer au Havre de grace [Le Havre], pour tirer droit à la Nouvelle France : l’aise et le contentement que j’en resenti en mon ame fut si grand, que de vingt ans je ne pense pas en avoir eu un pareil, ny qu’aucune lettre m’ait esté tant agréable. Je sorti de Dieppe le lendemain ». On a là toute l’âme du père Le Jeune ; un optimisme surnaturel et serein, qui se détache facilement du passé pour se donner tout entier à la tâche qui lui est assignée. Il écrira encore : « Je ne pensois nullement venir en Canada quand on m’y a envoyé ; je ne sentois aucune affection particuliere pour les Sauvages, si bien à faire l’obeïssance, quand on m’eust deu envoyer encor plus loin mille fois : mais je puis dire que quand j’aurois eu de l’aversion de ce païs, voyant ce que j’ay desja veu je serois touché, eussé-je le cœur de bronze ». Cet attachement à son devoir rendra le père Le Jeune souple aux leçons de l’expérience et en fera un de nos grands missionnaires.

Il fallait un homme de cette trempe pour relancer l’apostolat des Jésuites en Nouvelle-France. Car, après les trois années d’occupation anglaise, tout était à refaire. Devant la situation lamentable où il trouve la résidence des Jésuites, il ne se perd pas en récriminations inutiles : « Quand on est en un mauvais passage il s’en faut tirer comme on peut ; c’est beaucoup qu’un tel hoste [les Kirke] soit sorty de nostre maison, et de tout le païs ». Il y a plus grave encore : l’ignorance de la langue, des mœurs, des coutumes de ces peuples qu’il vient évangéliser. Car il n’a ni grammaire ni dictionnaire. Il faut recourir à la méthode directe, à la conversation avec les indigènes. Après quelques essais infructueux à Québec, il décide d’accompagner les Amérindiens pendant leur chasse d’hiver (1634–1635) ; performance héroïque pour un esprit raffiné du Grand Siècle ; mais aussi expérience dont il a porté tout le poids sans se plaindre et dont les conséquences ont été très heureuses. Non seulement il acquiert la maîtrise de la langue et se mérite la sympathie des Amérindiens, mais encore il mûrit des moyens d’apostolat qui se révéleront efficaces : nécessité de rendre sédentaires les Amérindiens errants afin de les mieux instruire des vérités de la foi, nécessité d’un hôpital pour le soin des infirmes et des vieillards, de maisons d’éducation pour la jeunesse ; nécessité d’une population européenne bien choisie, capable de compléter par son dévouement et ses exemples l’œuvre apostolique des missionnaires. Quand, en 1639, il sera remplacé comme supérieur par le père Barthélemy Vimont, ce programme ambitieux sera en pleine voie de réalisation. Et c’est à juste titre que le père Le Jeune est regardé comme le fondateur des missions des Jésuites du Canada. Tant de travaux ne l’ont pas empêché de collaborer à la fondation et au maintien du poste de Trois-Rivières et à la reprise de la mission huronne.

Supérieur des Jésuites de Québec de 1632 à 1639, le père Le Jeune était tenu en très haute estime par l’autorité civile. Il s’est plu, dans les Relations, à reconnaître l’esprit profondément chrétien des deux premiers gouverneurs, Champlain et Huault de Montmagny. En 1635, il prononça l’éloge funèbre du premier, où, écrit-il, « je ne manquay point de sujet. Ceux qu’il a laissez apres lui ont occasion de se loüer ; que s’il est mort hors de France, son nom n’en sera pas moins glorieux à la Postérité ». C’est lui qui préside la cérémonie par laquelle Bras-de-Fer de Chateaufort succède temporairement à Champlain. Dans la Relation de 1636, il salue avec un enthousiasme qui ne se démentira jamais l’arrivée de Montmagny. Il a exercé, au grand jour, par le moyen des Relations, son rôle de missionnaire colonisateur ; ce qu’il veut, c’est la qualité, non la quantité : « Je prie ceux qui viendront, de venir avec envie de bien faire. La Nouvelle France sera un jour un Paradis terrestre, si nostre Seigneur continüe à la combler de ses benedictions, tant corporelles, que spirituelles : mais il faut en attendant, que ses premiers habitans y fassent ce qu’Adam avoit receu commandement de faire en celuy qu’il perdit par sa faute. Dieu l’y avoit mis pour l’engraisser de son travail, et le conserver par sa vigilance, et non pour estre sans rien faire. J’ay plus d’envie de voir ce païs défriché, que peuplé. Les bouches inutiles y seroient à charge pour ces premieres années ». Mais si l’harmonie fut toujours parfaite entre le supérieur des Jésuites et les gouverneurs, on ne voit pas que le père Le Jeune soit intervenu dans l’administration de la colonie.

Redevenu simple missionnaire en 1639, le père Le Jeune se dépense avec la simplicité et l’optimisme qu’on lui connaît, à Québec, Sillery, Tadoussac, Trois-Rivières et Montréal. En 1641 et en 1643, il est délégué en France pour obtenir du secours contre le péril iroquois. La conséquence immédiate de son premier voyage fut l’érection du fort Richelieu (1642) sur l’emplacement du Sorel d’aujourd’hui. Ce n’est pas tout ; depuis plusieurs années déjà il espérait la fondation d’un poste missionnaire à Montréal. Il est dans la capitale française quand a lieu en février 1642 la consécration de l’île de Montréal à la Sainte Famille. Les relations personnelles qu’il noue alors avec Jérôme Le Royer de La Dauversière et les autres membres de la Société Notre-Dame de Montréal sont de la plus haute importance. Dans le projet de M. de La Dauversière, qualifié par tant d’autres de « folle entreprise », il voit le doigt de Dieu. Il écrit dans la Relation de 1642 : « Cette entreprise paroistroit autant temeraire, qu’elle est saincte et hardie, si elle n’avoit pour base la puissance de celuy qui ne manque jamais à ceux qui n’entreprennent rien qu’au bransle de ses volontez ; et qui sçauroit ce qui se passe pour faire reüssir ce grand affaire, jugeroit aussi-tost que Nostre Seigneur en est veritablement l’autheur ». Il adhère au projet avec enthousiasme, publie au texte le premier dessein des Messieurs de Montréal, met au service de la cause son vaste prestige personnel et l’excellent médium de publicité qu’est la Relation annuelle. À la demande expresse de M. de La Dauversière, il passera à Montréal l’hiver 1645–1646, en compagnie du père Isaac Jogues.

En 1649, le père Le Jeune rentre en France et se voit assigner le poste de procureur de la mission. Les supérieurs ont-ils pensé que la destruction de la mission huronne était de nature à décourager les bienfaiteurs, à ralentir le zèle des missionnaires aspirants, et que, dès lors, la présence du père Le Jeune était plus utile en France qu’au Canada ? Tout nous porte à le croire. Il est certain qu’en sa qualité de procureur de la mission, il était chargé de publier la Relation annuelle et qu’il n’a pas failli à la tâche. Quand les manuscrits partaient de Québec, mais n’arrivaient pas à Paris, il y suppléait, grâce aux relations épistolaires qu’il entretenait avec le Canada ; c’est le cas des Relations de 1653, 1655, 1657 et 1658. On voit l’importance qu’il attachait à la publication de ce rapport annuel ; et il était bien placé pour en mesurer les effets.

La charge de procureur des missions ne suffisait pas à occuper tout entier l’homme actif et l’apôtre inlassable qu’était le père Le Jeune. Il fut à Paris un directeur d’âmes et un prédicateur très recherché et très sûr, comme l’attestent ses Epistres spirituelles, publiées au lendemain de sa mort, en 1665, par des amis. Si les Epistres nous renseignent sur la doctrine spirituelle du père Le Jeune, elles ajoutent peu de chose à nos connaissances historiques. Par discrétion, on a omis les noms des destinataires, dont la plupart vivaient encore ; on a omis également les noms propres – sauf celui de Jogues qui paraît une fois – et les indications de dates. Sur un total de 288 extraits, 11 seulement nous apparaissent comme rédigés au Canada, 4 sont datés avec précision, 5 ne le sont pas, mais elles communiquent la nouvelle de la mort de Jogues connue au Canada au printemps de 1647. Pendant ses années de Paris, le père Le Jeune était d’abord et avant tout procureur de la mission du Canada ; il était non seulement connu comme tel, mais encore identifié avec celle-ci par ses nombreux correspondants. Le directeur spirituel n’a pas nui au procureur ; il lui a plutôt été fort utile en gardant attaché aux intérêts de la Nouvelle-France un public important et influent.

Le père Le Jeune a-t-il fait un dernier voyage au Canada en 1660 ? L’abbé Auguste Gosselin l’a affirmé ; le père de Rochemonteix l’a nié. L’argument du silence invoqué par celui-ci ne rallie pas tous les esprits. Le témoignage de Marie de l’Incarnation [V. Guyart], joint à certaines allusions des Epistres spirituelles, nous incline à croire que le père Le Jeune est venu au Canada en 1660. L’étude attentive de la Relation de cette année dépose dans le même sens ; on y reconnaît son style, son esprit, sa manière et une chaleur dans le ton qui s’explique mal si l’auteur n’est pas un témoin de visu et de auditu. En 1662, il était remplacé comme procureur des missions par le père Paul Ragueneau. Il décédait à Paris le 7 août 1664. Il avait 73 ans.

De tous les mérites du père Le Jeune, le plus grand est sans doute d’avoir été le premier, le plus abondant et le plus efficace des rédacteurs des Relations des Jésuites. Il n’est donc pas hors de propos de présenter ici cette collection qui, avant de devenir une source écrite de l’histoire du Canada, a été un moyen merveilleux de propagande missionnaire. De même que le père Le Jeune n’avait jamais demandé les missions lointaines, de même il n’avait jamais songé à constituer une collection de documents historiques. La lettre qu’il adresse au provincial de Paris, le 28 août 1632, « Du milieu d’un bois de plus de 800 lieuës d’estenduë, à Kebec », était tout simplement le compte rendu de son voyage et de son arrivée en Nouvelle-France. Il avait tenu son journal ; car depuis le 1er avril jusqu’au 5 juillet, les principaux événements sont datés avec une rare précision. Mais la lettre qu’il écrit n’est pas une sèche et froide nomenclature des faits. On y sent l’âme d’un grand missionnaire, émue par la triste condition des infidèles qu’il observe avec attention et que déjà, il aime. Ce récit, fait de choses si étonnantes pour un Français du xviie siècle et si joliment racontées, plut au père Barthélemy Jacquinot, provincial de Paris, qui en commanda aussitôt l’impression. La Relation de 1633 était également, dans la pensée du père Le Jeune, un document privé, destiné au seul provincial de Paris : 216 pages d’un texte suivi, sans divisions par chapitres et sans indications marginales. La richesse de son contenu lui valut, à elle aussi, d’être imprimée.

Puisque la Relation est désormais de droit public, le père Le Jeune en rend la présentation plus attrayante. Il écrit en 1634 : « Je distingueray la Relation de ceste année par chapitres, à la fin desquels je mettray un journal des choses qui n’ont autre liaison que la suitte du temps auquel elles sont arrivées ». Et désormais, à quelques exceptions près, quand le manuscrit part de Québec, il est prêt pour l’impression. « Rapports annuels envoyés par le Supérieur de Québec au Provincial de Paris, imprimés au xviie siècle, répandus dans le grand public et dont le but est d’attirer des sympathies, des bienfaiteurs spirituels et temporels aux missions de la Nouvelle-France », telle nous apparaît la description exacte des Relations. Il en résulte que si les documents missionnaires antérieurs à 1632 ou postérieurs à 1673 gardent toute leur valeur historique, ils ne sont pas, à proprement parler, des Relations. Notons également que celles-ci ne sont pas une histoire complète et suivie de la Nouvelle-France. Les supérieurs des Jésuites de Québec n’étaient ni par vocation ni par destination officielle les historiographes de la colonie. Le père Le Jeune écrivait en 1635 : « Pour nos François ils s’occupent à se fortifier, à bastir, à défricher, à cultiver la terre : mais je ne prétends pas d’écrire tout ce qui se fait en ce pays, ains seulement ce qui tend au bien de la foy, et de la Religion ».

Il existe trois éditions des Relations des Jésuites de la Nouvelle-France. L’édition originale est faite de 41 petits volumes in–12, le premier paraissant en 1632 et le dernier en 1673. La Relation de 1637 est imprimée à Rouen, chez Jean Le Boullenger, toutes les autres l’ont été à Paris, chez Cramoisy. Les Relations poursuivant un but immédiatement pratique, et cela dans un temps où la bibliophilie n’avait pas l’importance qu’elle a aujourd’hui, les collections complètes de l’édition originale sont rares. Pour nous en tenir à l’Amérique, l’université Laval de Québec et la Brown University de Providence, R. I., en possèdent la collection complète.

En 1858, paraissaient, grâce à une subvention du gouvernement canadien, les Relations des Jésuites contenant ce qui sest passé de plus remarquable dans les missions des Pères de la Compagnie de Jésus dans la Nouvelle-France. On a, dans ces trois larges volumes, le texte exact de toutes les Relations publiées en France de 1632 à 1673. On y trouve également la Relation de la Nouvelle-France du père Biard, publiée à Lyon en 1616, ainsi que la lettre adressée de Québec, le 1er août 1626, par le père Charles Lalemant à son frère, le père Jérôme. Les auteurs de l’édition de Québec voulaient sauver de la ruine et rendre accessible à un vaste public une source très importante de notre histoire ; et le but a été largement atteint. L’heure n’était pas encore aux éditions savantes ; mais le troisième volume se termine par une table analytique et une table alphabétique qui en rendent la consultation plus facile.

Le grand mérite de l’édition de Québec, c’est, croyons-nous, d’avoir préparé les voies à l’édition qui porte le nom de son directeur, Reuben Gold Thwaites. Celle-ci, qui a pour titre The Jesuit Relations and allied documents, se compose de 73 volumes in–8° et a été imprimée à Cleveland de 1896 à 1901, par Burrows Brothers. Nous n’avons pas à parler ici des allied documents. Quant aux Relations, le texte original français est accompagné d’une traduction anglaise. Sont renvoyés à la fin de chaque volume les renseignements bibliographiques et les notes d’érudition. La collection se termine par de multiples tables et index qui en font un merveilleux instrument de travail. En 1960, la Pageant Books Inc. de New York a donné en 34 volumes une édition photographique de Thwaites, preuve de l’importance grandissante des Relations. Il est regrettable qu’on n’ait pas mis les notes à jour, car l’histoire a fait des conquêtes non négligeables depuis le début du xxe siècle.

Si les Relations ont eu leurs détracteurs, aucun historien sérieux ne met en doute aujourd’hui leur valeur historique. Parkman leur a décerné cet éloge : « Pour tout ce qui touche à la condition, au caractère des premiers habitants de l’Amérique, il est impossible d’exagérer leur autorité. Je devrais ajouter que l’examen le plus sévère ne laisse aucun doute sur la parfaite bonne foi des missionnaires et m’a convaincu que les Relations occupent un rang élevé comme documents historiques à la fois authentiques et sûrs. » Elles n’ont pas tout dit, parce que tel n’était pas leur but ; mais ce qu’elles ont affirmé est digne de foi. S’agit-il de faits vraiment extraordinaires dont le lecteur pourrait suspecter la vérité, les rédacteurs se contentent de raconter et d’indiquer leurs sources ; ou bien, ils affirment solennellement ce qu’ils ont eux-mêmes – et ils étaient remarquablement équilibrés – vu et entendu. Si dans les débuts, il leur est arrivé de prononcer des jugements hâtifs, ils ont dans la suite apporté les correctifs nécessaires. Jamais on n’a pris leur probité en défaut. Hommes du Grand Siècle, ils savaient observer, distinguer et s’exprimer avec clarté. Ajoutons que leur langue ne le cède en rien à celle d’auteurs mieux connus qui ont écrit en France à la même époque ; nombreuses sont les pages des Relations qui figureraient avec honneur dans une anthologie des prosateurs français du xviie siècle.

Sur les Relations des Jésuites, la littérature est assez vaste. Un choix s’impose. Voici ce qu’en disait Charlevoix*, dans son Histoire de la N.-F. : « Comme ces Peres étoient répandus dans toutes les Nations, avec qui les François étoient en commerce ; et que leurs Missions les obligeoient d’entrer dans toutes les affaires de la Colonie, on peut dire que leurs Mémoires en renfermoient une Histoire fort détaillée. Il n’y a pas même d’autre source, où l’on puisse puiser pour être instruit des progrès de la Religion parmi les Sauvages et pour connoître ces Peuples, dont ils parloient toutes les langues. Le stile de ces relations est extrêmement simple ; mais cette simplicité même n’a pas moins contribué à leur donner un grand cours, que les choses curieuses et édifiantes, dont elles sont remplies. »

Instruire, édifier le lecteur européen et par là provoquer sa collaboration au but essentiel que poursuivaient les missionnaires, telles étaient les raisons d’être des Relations. Mais les événements qu’elles racontent se situent dans l’espace et dans le temps. C’est pourquoi les renseignements abondent sur les moyens de communications entre l’Europe et le Canada, entre les différentes régions du pays lui-même, sur sa faune, sa flore, son climat. On y apprend à mieux connaître les peuples qui habitaient alors le Canada, les multiples problèmes et les résultats de l’apostolat missionnaire. Enfin, nous devons aux Relations presque tout ce que nous savons des grands chefs amérindiens de l’époque, de leur éloquence, de leur stratégie militaire ; elles nous livrent des renseignements qui n’existent pas ailleurs sur la personnalité des missionnaires, sur leur âme, leurs travaux, sur les souffrances et l’héroïque mort des saints Martyrs canadiens. Ce qu’écrivait Edmund Bailey O’Callaghan en 1847 est toujours vrai : « Aucun historien ne peut faire des recherches complètes sur les circonstances des premiers établissements de ce pays, sans les connaître, et ceux qui prétendent en être capables, sans les avoir étudiées auparavant, ne donnent qu’une preuve de leur incapacité pour ce genre de travail. »

Avant d’être une source écrite de l’histoire du Canada, les Relations ont été une source indispensable de vie, tant pour l’apostolat auprès des infidèles que pour la colonie française. Comme toutes les missions, celles de la Nouvelle-France entraînaient de très lourdes dépenses. Il fallait loger, habiller, nourrir les apôtres et leurs domestiques, soutenir d’innombrables nécessiteux dans un pays où la disette et les épidémies paraissaient plus souvent qu’à leur tour ; il fallait, au fur et à mesure des progrès de la foi, construire des chapelles, des résidences et les pourvoir de tous les accessoires. Les Jésuites de France ne pouvaient seuls subvenir à tant de dépenses. Les aumônes provoquées par la lecture des Relations apparaissent comme l’apport matériel le plus important.

Émile Salone, Georges Goyau et plus récemment le père Gilles Chaussé ont mis en lumière le rôle capital des Relations dans le peuplement du pays par des colons venus de France. La lecture des Relations a suscité dans les monastères et instituts religieux de France un vaste mouvement de sympathies, de prières et de dévouements pour les missions du Canada. Elle est à l’origine de l’apostolat missionnaire féminin dans l’Église catholique romaine. Quand, en 1639, les Ursulines et les Hospitalières, répondant à l’appel des Relations, arrivent à Québec, c’était la première fois que des religieuses cloîtrées traversaient les mers pour des fins apostoliques. « Cette participation de la femme à l’évangélisation est une création catholique et française, a écrit Dom Jamet ; et c’est elle qui confère à la colonisation du Canada son authentique originalité » (Juchereau, Annales (Jamet), III). Si le projet de Montréal est antérieur, dans la pensée de M. de La Dauversière, aux Relations, la lecture de celles-ci en a singulièrement marqué les développements. La vocation particulière de M. de La Dauversière, c’était d’assurer la fondation de Montréal sans quitter sa petite ville de La Flèche et sans abandonner sa charge de receveur des tailles. Il lui fallait donc sur place un substitut, mais un homme de sa trempe d’esprit, désintéressé et capable de comprendre la sublime beauté du projet de Montréal. Or, cet homme indispensable existe, il s’appelle Paul de Chomedey de Maisonneuve, et c’est la Relation de 1640 qui dirige ses pas vers M. de La Dauversière. Celle de 1639 a inspiré la vocation missionnaire de Jeanne Mance, cette laïque champenoise, fondatrice du premier hôpital de Montréal et dont la cause de béatification est inscrite en cour de Rome. La mère Marie de l’Incarnation et Mme de Chauvigny de La Peltrie doivent leur vocation canadienne à la lecture des Relations. La Relation de 1647 qui raconte le martyre de saint Isaac Jogues a déterminé la venue au Canada de la grande mystique de l’Hôtel-Dieu de Québec : Marie-Catherine de Saint-Augustin [V. Simon].

Cette simple énumération est déjà imposante ; elle n’est pas complète. Elle suffit, croyons-nous, à établir l’influence hors de pair des Relations des Jésuites sur l’histoire du Canada à ses origines. Il convient de signaler le mérite immense du père Le Jeune : il a créé le merveilleux instrument de propagande que furent les Relations ; il en a fait la fortune par la beauté, la chaleur communicative de son style et par l’élévation de ses pensées ; il a imposé la Nouvelle-France à l’attention de l’ancienne. Les 11 premières Relations sont de lui, et c’est l’âge d’or des missions. De là datent des institutions et des œuvres qui, après avoir répondu au but particulier qui les avait inspirées, se sont perpétuées jusqu’à nous : Ursulines et Hospitalières de Québec, fondation de Montréal, etc. Des 41 volumes qui constituent l’édition originale, 15 appartiennent en propre au père Le Jeune, et il a collaboré à tous les autres jusqu’en 1662.

Léon Pouliot

En tête de son édition des Epistres spirituelles (Lettres spirituelles, Paris, 1875), le père Fressencourt a donné une intéressante notice sur le père Le Jeune. Celui-ci, après avoir été oublié pendant près de trois siècles, a connu une juste popularité. En novembre 1957 paraissait Le Père Paul Le Jeune, S.J. (1591–1664), éd. Léon Pouliot (« Classiques canadiens », VII, Montréal et Paris), choix de textes empruntés aux 11 premières Relations. Au mois de décembre de la même année, le père Gilles Chaussé, S.J., présentait à l’université de Montréal une thèse de maîtrise : Le P. Paul Le Jeune, missionnaire-colonisateur. Au début de 1958, le père Jean Bouchard, S.J., soutenait, devant la faculté de missiologie de l’université Grégorienne, une thèse de doctorat : Les Méthodes missionnaires du P. Paul Le Jeune.— Dans Aux sources de lhistoire de Montréal (MSRC, III (1942), sect. i : 83–94), Victor Morin établissait, en se basant sur la critique interne, que la Relation de 1642, attribuée jusque-là au père Barthélemy Vimont, a été écrite par le père Le Jeune. Nous faisons nôtre ce jugement de M. Morin, mais sans accepter les conséquences qu’il voulait en tirer. Dans LExploit du Long-Sault : les témoignages des contemporains (« SHQ, Cahiers d’histoire », XII, 1960), 58–61, le père Adrien Pouliot, S.J., et M. Sylvio Dumas attribuaient au père Le Jeune la Relation de 1660. Leurs arguments nous paraissent dignes de la plus sérieuse attention.— Sur la controverse Gosselin-Rochemonteix, on lira l’étude du premier : Quelques observations à propos du voyage du P. Le Jeune au Canada en 1660 et du prétendu voyage de M. de Queylus en 1644, dans MSRC, II (1896), sect. : 35–58, et la réponse du père de Rochemonteix dans Les Jésuites et la N.-F. au XVIIe siècle, I : 430–446.— Émile Salone, La Colonisation de la Nouvelle-France : étude sur les origines de la nation canadienne-française (Paris, 1906), et Georges Goyau, Une Épopée mystique : les origines religieuses du Canada (Paris, 1924), soulignent l’influence du père Le Jeune sur le peuplement de la colonie.— Pour une meilleure connaissance du missionnaire que fut le père Le Jeune, rien ne vaut la lecture des 11 premières Relations (JR (Thwaites)), qui sont toutes de lui. Nous avons aussi du père Le Jeune des ouvrages de direction, parmi lesquels les Lettres spirituelles, dont nous avons parlé, et La Solitude de dix jours sur les plus solides vérités et maximes de lÉvangile, qui a été plusieurs fois rééditée.

Le mérite d’avoir remis les Relations en honneur au xixe siècle appartient à Edmund Bailey O’Callaghan, Jesuit Relations (New York, 1847). Cet opuscule a été traduit en français par le père Félix Martin sous le titre : Relation des Jésuites [...] en Canada [...] (1611–1672) [...] ; traduit de l’anglais avec quelques notes, corrections et additions (Montréal, 1850). Francis Parkman a tiré un excellent parti des Relations dans The Jesuits in North America (1st ed.). Il faut en dire autant de Garneau, de Ferland, du père de Rochemonteix et de tous les historiens qui ont étudié l’histoire de la Nouvelle-France. On nous permettra de signaler ici notre Étude sur les Relations des Jésuites. Ceux qui s’intéressent à la bibliographie des Relations ainsi qu’aux diverses éditions et variantes du xviie siècle consulteront avec profit James McCoy : Jesuit relations of Canada : a bibliography, introduction by Lawrence P. Wroth (Paris, 1937). Ouvrage consciencieux qui fait honneur à son auteur et qui est un hommage d’une rare valeur à cette importante source de notre histoire.— V. aussi E. R. Adair, France and the beginnings of New France, CHR, XXV (1944) : 246–278.

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Léon Pouliot, « LE JEUNE, PAUL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/le_jeune_paul_1F.html.

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Auteur de l'article:    Léon Pouliot
Titre de l'article:    LE JEUNE, PAUL
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1966
Année de la révision:    2017
Date de consultation:    28 novembre 2024