KIOTSEAETON (Kioutsaeton), dit « Le Crochet », chef agnier, orateur et ambassadeur auprès des Français durant les négociations de paix de 1645–1646 entre les Français, leurs alliés indiens et les Agniers ; circa 1645–1646.
Kiotseaeton était un orateur célèbre chez les Agniers ; il était avant tout un orateur professionnel pour les chefs du conseil, son rôle étant de parler en leur nom, et non pour lui-même ; il était aussi considéré, mais seulement en second lieu, comme un homme qui savait émouvoir avec des mots. Toutefois, pour les Indiens, l’éloquence venait immédiatement après le courage à la chasse et à la guerre. Leur élocution était lente et réfléchie, mais elle coulait de source ; elle était logique, répétitive, oratoire, souvent sarcastique, riche en comparaisons et en métaphores, et toujours digne (Jenness, Indians of Canada, 200–201). Les colliers de rassade étaient les cadeaux que l’orateur offrait pour appuyer ses affirmations.
En 1645, Français et Agniers désiraient vivement la paix. Les négociations de cette année-là représentaient une tentative sérieuse de la part des Agniers pour mettre fin au long conflit avec les Français et leurs alliés indiens, conflit qui tournait autour de la traite des fourrures. En 1642, les Iroquois avaient ouvert les hostilités contre les Hurons. Ceux-ci servaient d’intermédiaires dans le commerce des pelleteries du Nord avec les Français, parce que les Agniers, incapables de se procurer assez d’armes à feu auprès des Français où des Hollandais, n’avaient pas de fourrures à échanger. Ils exécutèrent une série de coups de mains contre les convois hurons de pelleteries qui empruntaient la rivière des Outaouais (Ottawa) comme route commerciale. Les établissements français étaient menacés, la colonisation tombait dans le marasme et aucune aide militaire ne venait de France.
Au printemps de 1644, le célèbre chef algonquin Pieskaret et six membres de sa tribu faisaient un voyage de chasse au lac Champlain lorsqu’ils tombèrent par hasard sur un parti de 13 Agniers, dont ils tuèrent 11 membres. Les Français renvoyèrent vers le pays agnier Tokhrahenehiaron, un des deux survivants, avec deux autres captifs libérés, pour porter une offre du gouverneur Huault de Montmagny « de faire une paix universelle entre toutes les Nations ». Les Agniers y répondirent en dépêchant Kiotseaeton pour discuter des conditions de cette paix. Il arriva à Trois-Rivières le 5 juillet 1645, accompagné de deux autres Agniers et de Guillaume Couture*, qui était resté prisonnier chez les Agniers après sa capture avec le père Isaac Jogues, trois ans plus tôt. Tokhrahenehiaron faisait aussi partie de ce groupe. Kiotseaeton, richement orné de rassade, déclara : « je viens donc entrer dans les desseins des François, des Hurons, & des Aloguonquins, je viens pour vous communiquer les pensées de tout mon pays ». Champflour, commandant à Trois-Rivières, accueillit l’ambassade. Le gouverneur de Québec, prévenu de son arrivée, se rendit à Trois-Rivières et fixa la date de la conférence au 12 juillet.
Le père Jogues, venu de Montréal, assistait également au grand conseil de paix, où les Indiens et les Français firent les choses avec beaucoup de pompe et d’apparat. Outre les délégations des Français et des Agniers, les Hurons, les Algonquins, les Montagnais et les Attikamègues étaient représentés, mais on remarquait l’absence de leurs porte-parole les plus importants. Kiotseaeton présenta 17 colliers de rassade, ainsi qu’un nombre équivalent de « paroles », où discours. Le dix-septième et dernier présent était le collier que portait chez lui Honatteniate, un des deux Agniers le plus récemment capturés par les Français. Le gouverneur répondit à l’ambassade le 14 juillet et il offrit 14 cadeaux aux Agniers en visite, un message accompagnant chaque cadeau.
Il reste quelque incertitude au sujet des discussions. Les sources secondaires récentes (Hunt, Wars of the Iroquois, 77–78, 82, 86 et Desrosiers, Iroquoisie, 303–308, 321–324, 328–336) laissent entendre que les Agniers exigeaient une partie du commerce septentrional des fourrures, dans lequel les Hurons servaient d’intermédiaires aux Français. L’accord, dont on trouve le compte rendu dans JR (Thwaites), XXVII : 266, indique simplement : « Ainsi fut conclue la paix avec eux Des Agniers] à condition qu’ils ne feroient aucun acte d’hostilite avec les Hurons où envers les autres Nations nos allies, jusques à ce que les principaux de ces Nations qui n’estoient pas presens eussent agy avec eux. » Il apparaît nettement, toutefois, que deux entretiens privés eurent lieu entre le gouverneur, « Le Crochet » (par déduction, Kiotseaeton) et Couture. Au début de ces réunions, Kiotseaeton proposa que les Algonquins fussent exclus des conditions alors en discussion. Mais Montmagny refusa d’abandonner ses alliés, sur quoi Kiotseaeton se montra « peiné de ce refus ». Néanmoins, au cours de la seconde conversation, le gouverneur proposa d’inclure les Algonquins chrétiens seulement dans les garanties du traité (JR (Thwaites), XXVIII : 149, 151, 315).
Il est évident que les Jésuites de Québec et de Sillery n’apprirent cette condition secrète (JR (Thwaites), XXVIII : 147–151) que le 8 janvier 1646, lorsque le Huron Tandihetsi apporta de Trois-Rivières la nouvelle que tous les Algonquins projetaient d’y tenir un conseil, dont le but était d’apprendre aux Algonquins que certains Agniers « parlerent en confiance à Tandihetsi qui les accompagnait, & luy dirent le secret de leur pays scavoir qu’on n’y vouloit point de paix avec les Atichawata [Algonquins], si bien avec les Hurons & les François ; que les François y avoient consenti, & qu’en suite on n’attendoit plus que l’occasion d’exterminer les Atichawata, & que 300 Annieronons [Agniers] pouroient bien venir à la my-febvr. [1646] pr l’execution de ce dessein ». (JR (Thwaites), XXVIII : 148.)
Les pères Jéerôme Lalemant et Jean de Quen, étonnés que leurs confrères de Trois-Rivières ne leur eussent pas appris ce projet de conseil et ses buts, transmirent le message de Tandihetsi au gouverneur, qui leur dit ce qui avait transpiré plus tôt au cours des deux entretiens privés avec Kiotseaeton. Dans l’intervalle des délibérations, Montmagny, craignant de mettre la paix en danger s’il rejetait les exigences de Kiotseaeton, avait consulté les pères Barthélemy Vimont et Paul Le Jeune, qui « pensaient qu’on pouvait aplanir la difficulté ». (On ne trouve aucun indice dans les Relations que Vimont et Le Jeune aient vraiment assisté aux deux réunions avec Kiotseaeton.) Le 23 janvier 1646, Pierre Boucher*, son beau-fière Toupin et un Agnier arrivèrent à Québec ; ils venaient de Trois-Rivières, apportant des lettres et continuant « que tout ce qu’avoit dit le Huron Tandihetsi estoit faux au moins pr la plus part ». (JR (Thwaites), XXVIII : 154.)
Une deuxième conférence eut lieu entre les Français, les Agniers, les Hurons, les Algonquins et les Iroquets, du 18 au 20 septembre 1646, et les conditions de paix furent par la suite ratifiées dans les villages agniers. Deux Algonquins, deux Hurons et deux Français faisaient partie de l’ambassade, dirigée par Couture, qui partit pour le pays des Agniers au nom des Français, tandis que trois Agniers restaient en Nouvelle-France. L’ambassade française, accompagnée de sept ambassadeurs agniers, ne rentra en Nouvelle-France qu, en février 1646.
Kiotseaeton se trouvait de nouveau à Trois-Rivières le 7 mai 1646 à la tête d’une troisième ambassade de paix des Agniers. À la suite de cette réunion, le père Jogues et Jean Bourdon fixèrent au 16 mai la ratification de la paix chez les Agniers. À son retour, le 7 juin, le père Jogues reçut la permission de retourner chez les Agniers en qualité de missionnaire. Il quitta Montréal le 24 septembre. Mais son dévouement devait bientôt avoir une fin tragique. Malgré le traité, les hostilités reprirent et le meurtre du père Jogues chez les Agniers, le 18 octobre 1646, fut le prélude menaçant de la guerre sanglante qui devait aboutir à la destruction de « l’empire » commercial des Hurons en 1649.
Du Creux, History (Conacher), II : 408–413, 436s.— JR (Thwaites), XXVII : 247–273, 275–303 XXVIII . 147–151, 291–303, 315 ; XXIX : 47–49.
Thomas Grassmann, « KIOTSEAETON (Kioutsaeton), dit « Le Crochet » », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/kiotseaeton_1F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1966 |
Année de la révision: | 1986 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |