LABORDE (La Borde), JEAN, agent des trésoriers généraux de la Marine, procureur général du Conseil supérieur de l’île Royale (île du Cap-Breton), notaire royal et marchand, né le 21 novembre 1710 à Bidart, diocèse de Bayonne, France, fils de Martin Laborde (Borda) d’Aloperca et de Catherine Dechart (Duhart) ; il épousa le 2 février 1734, à Louisbourg, île Royale, Louise Milly, née Dupuy, une Canadienne et ils eurent huit enfants, dont seulement un fils et deux filles vivaient encore, à notre connaissance, en 1761 ; décédé le 3 septembre 1781 à Eysines, près de Bordeaux, France.
Il n’existe aucune preuve que Jean Laborde ait été apparenté aux célèbres familles de banquiers de la cour et de fermiers généraux de Bayonne, et on ne sait pas quels appuis lui permirent de partir du bon pied dans la vie. Il se rendit d’abord à l’île Royale en juin 1730, en qualité de commis du garde-magasin du roi, André Carrerot*, et, à la fin de 1733, il devint secrétaire du commissaire ordonnateur intérimaire, Sébastien-François-Ange LE Normant de Mézy. À la suite du départ de ce dernier pour la France, en 1737, Laborde continua de travailler pour le nouveau commissaire ordonnateur, François Bigot, et pour le contrôleur de la Marine, Antoine Sabatier*, au salaire annuel de 900ª. Il assuma aussi les fonctions de greffier du Conseil supérieur de Louisbourg à la mort du précédent greffier, Claude-Joseph Le Roy* Desmarest. Quand les troupes anglo-américaines sous les ordres de William Pepperrell* et de Peter Warren* s’emparèrent de Louisbourg, en 1745, les Laborde, en compagnie de Bigot, se retirèrent à Rochefort, où Laborde passa une partie des trois années suivantes à dresser les comptes de l’agent des trésoriers généraux de la Marine pour l’île Royale, Jacques-Philippe-Urbain Rondeau*, qui était décédé. Il passa aussi quelque temps en mer, comme agent des trésoriers généraux au sein de la flotte du duc d’Anville [La Rochefoucauld*].
À la fin de la guerre de la Succession d’Autriche, en 1748, Laborde partit pour le Canada avec Bigot et aida à liquider les affaires de l’ancien agent des trésoriers généraux, Thomas-Jacques Taschereau*. L’année suivante, Jacques Prevost de La Croix, commissaire ordonnateur de l’île Royale, le fit nommer notaire royal et agent des trésoriers généraux dans cette colonie. Laborde partit à Louisbourg, où il devait rester jusqu’à la perte de la colonie aux mains d’Amherst, en 1758. Bien qu’il travaillât sous la direction du commissaire ordonnateur, Laborde était en fait l’agent rémunéré, ou le commis, des trésoriers généraux de la Marine. De 1750 à 1771, on sépara le financement du service colonial de celui de la marine. On créa deux nouveaux postes de trésorier général pour les colonies, un pour les années paires et l’autre pour les années impaires, de sorte que des agents comme Laborde eurent à servir quatre trésoriers généraux, bien que la plus grande partie de leur travail avait trait au service colonial. Ces quatre trésoriers généraux étaient de grands financiers de Paris, avaient acheté leurs offices à hauts prix et détenaient tous les fonds royaux alloués au ministère de la Marine, et en disposaient, comme des banquiers, sur les ordres du ministre, à Versailles, ou d’un représentant local de la couronne, par exemple le commissaire ordonnateur de Louisbourg. Des tableaux de paiements autorisés, dressés au ministère, à Paris, étaient envoyés annuellement à Louisbourg, et le travail de Laborde consistait à payer au nom de la couronne les soldats, marins, officiers, marchands-fournisseurs et autres. Il payait soit en numéraire, quand il en avait, soit en billets de caisse ou en lettres de change tirés sur les trésoriers généraux, à Paris. Il s’agissait de formulaires imprimés, dûment remplis, à l’instar des reçus que Laborde devait conserver pour les envoyer aux trésoriers généraux avec ses comptes. Les comptes de Laborde, comme presque tous ceux du gouvernement français, étaient en retard de plusieurs années, parce que le système de comptabilité exigeait que l’on complétât toutes les transactions d’une année donnée avant d’établir et de soumettre les comptes de cette même année à la Chambre des comptes. Entre-temps, rien n’empêchait Laborde, ou tout autre agent des trésoriers généraux, d’utiliser les fonds royaux, ou des fonds empruntés grâce au crédit considérable que lui conférait son poste, pour des entreprises commerciales privées.
Laborde s’établit comme petit marchand-expéditeur pendant la guerre de la Succession d’Autriche. Sans doute commença-t-il bien avant à trafiquer, mais la guerre présentait de nouvelles occasions qu’il saisit, en association avec un marchand de la colonie, Jean Marguerie. En 1744, ils placèrent, par exemple, 1 000ª dans un navire de course, le Brador, et une somme plus élevée dans un navire de 60 tonneaux, les Trompes, qu’on envoya à la Martinique. La chute de Louisbourg, l’année suivante, vint interrompre le commerce de Laborde, mais il était prêt à recommencer aussitôt que la France recouvra la colonie, à la fin de la guerre, chanceux d’avoir alors la protection du commissaire ordonnateur et la perspective d’un capital abondant, grâce aux fonds qu’il détenait en tant qu’agent des trésoriers généraux et grâce à son crédit. Sa position avantageuse encouragea bientôt deux importants marchands locaux à lier leur fortune à la sienne en épousant ses filles : en 1749, Antoine Morin, frère du futur garde-magasin du roi, Jean-Baptiste Morin de Fonfay, et, en 1753, Michel Daccarrette*, qui apportait 4 000# à un mariage auquel Laborde ne contribuait que pour 1 500#. Laborde acheta des navires : entre autres, le Hazard en 1750, à titre d’agent de la firme martiniquaise Delatesserie et Guillemin, la Grignette en 1751, de Pierre Rodrigue, la Charmante Polly en 1752, de Bernard Decheverry. Il les utilisa comme goélettes pour la pêche et pour le commerce des Antilles. Il réussit si bien qu’en 1753 un groupe de marchands de Saint-Malo l’accusèrent formellement de monopoliser le marché de Louisbourg, avec les frères Morin et Nicolas Larcher, et, en vendant illégalement des marchandises britanniques, de couper ainsi les prix aux dépens des marchands français. Mais Laborde était maintenant dans une position inattaquable et, l’année suivante, sans cesser d’être l’agent des trésoriers généraux, il devint procureur général du Conseil supérieur de l’île Royale, ce qui lui apporta du prestige et un autre 400# par année.
Laborde était prêt à saisir les occasions qui se présenteraient pendant la guerre de Sept Ans. Il commença de ravitailler les troupes françaises et, dans les années 1755–1758, il fit 165 000# au seul chapitre de la mélasse. Pas moins de cinq navires de course écumaient l’Atlantique à son profit, et le meilleur d’entre eux, le Vigilant, avec un équipage de plus de 50 hommes, lui rapporta 150 000# net, du moins selon ses affirmations. Encouragé par le fait que son protecteur Prévost consentait à louer ses vaisseaux pour le courrier du roi, Laborde entreprit de faire du transport transatlantique par l’intermédiaire de marchands aussi importants que Dominique Cabarrus à Bordeaux, Jean Lanne à Bayonne, et Yves-Augustin Bersolles à Brest. Au printemps de 1757, le Dauphin (60 tonneaux) quitta Bayonne avec une cargaison pour Laborde, composée de vin, d’eau-de-vie, d’oignons, d’échalottes, de bas, d’épingles et de poudre, valant 17 568f, et, tôt le même été, celui-ci dépêcha la Victoire (100 tonneaux) en France avec une cargaison de morue sèche, de graine de lin, de poivre, de cassonade, d’acajou, entre autres produits américains. Le courtage maritime, achat et vente de navires britanniques et français et de leurs cargaisons, vint naturellement s’ajouter à de si grandes entreprises, Laborde étant devenu l’un des commerçants de l’île qui avaient le mieux réussi. Un recensement de 1750 montre que, même alors, les Laborde avaient sept domestiques, et la famille débarqua en France, en 1758, avec quatre esclaves noirs. Laborde aurait pu s’enrichir assez vite pour s’établir en France, à l’instar de Denis Goguet ou de Michel Rodrigue. mais, malheureusement pour lui, les Britanniques s’emparèrent de la Victoire, du Dauphin, du Charmant et, enfin, de l’île Royale. Laborde affirma plus tard avoir perdu un navire de course, le Vigilant, et sa cargaison, deux maisons à Louisbourg, « une des plus belles habitations de pêche dans le port », comprenant un entrepôt de 80 pieds sur 30 et un bâtiment assez grand pour loger 80 pêcheurs, ses intérêts dans deux autres pêcheries semblables et une propriété sur la rivière de Miré (rivière Mira), acquise en partie par concession officielle dès 1741, sur laquelle il y avait 12 vaches, un taureau et deux chevaux, et qui comptait trois métairies et une prairie.
Ce n’était là que le commencement des malheurs de Laborde. Quand les Britanniques le renvoyèrent en France, il pensait s’établir à Bordeaux, où les Daccarrette s’en allaient vivre, et il y acheta une grande maison, mais il décida de rester à La Rochelle pour régler ses comptes avec les trésoriers généraux. En 1760, pendant qu’il travaillait aux comptes des années 1750, Laborde découvrit – ou prétendit découvrir – qu’il avait laissé, dans un coffre-fort à Louisbourg, de l’argent et un lot de documents sans lesquels il ne pouvait rendre compte de plusieurs centaines de mille livres des fonds royaux. Le ministre, le soupçonneux et tenace Berryer, entendit bientôt parler de cette perte ; le 28 novembre 1760, il écrivit à l’intendant de la Marine, à Rochefort, pour lui demander de collaborer à la recherche des papiers manquants. Trois semaines plus tard, Laborde fit rédiger par-devant notaire une procuration autorisant quelqu’un de Louisbourg à tenter de les obtenir du gouverneur britannique de l’île. Pendant les quelques mois suivants, le fils de Laborde (probablement Sébastien-Charles) passa son temps à Londres, travaillant à cette affaire grâce aux bons offices de lord Holderness, et proposa même de se rendre à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Laborde lui-même commença de faire pression sur Prévost, alors à Rochefort, relativement aux documents manquants. Tout cela n’aboutit à rien et, le 10 mars 1763, le ministre écrivit dans les différents ports de l’Atlantique, demandant qu’on recherchât Laborde, soupçonné d’essayer de fuir en Angleterre ou au Canada. Bientôt arrêté à Palis, où il s’était rendu le 19 février 1763, et emprisonné à la Bastille le 16 mars, Laborde y resta pendant 17 mois.
Laborde était-il sérieux ou avait-il décidé de monter un bateau en jouant l’innocence pour couvrir un usage frauduleux des fonds royaux ? De toute évidence, le gouvernement douta de sa sincérité, ne tardant pas à l’arrêter après son départ de La Rochelle. Soumis à un interrogatoire, en mars 1763, Laborde déclara, probablement pour se mettre hors de cause, que Prevost avait pris le coffre-fort, à Louisbourg, et qu’en septembre 1758 il l’avait débarqué à Santander, Espagne, où il avait transféré l’argent à un compte privé par l’intermédiaire de la firme de marchands français Darragory Frères et Cie. Laborde affirma n’avoir pas voulu rapporter cette perte avant de pouvoir la prouver, et c’est pourquoi il avait envoyé son beau-fils, Thomas Milly, à Santander, pour en recueillir la preuve auprès des commis de Darragory : il pensa même envoyer Daccarrette à Madrid. L’un des juges écrivit au lieutenant général de police, Antoine de Sartine : « Je crois comme vous, Monsieur, que la tête tourne au pauvre Laborde. » Toutefois, les ministres prirent l’histoire de Laborde assez au sérieux pour arrêter Prevost et un de ses oncles et associé, Michel-Henri Fabus, homme d’affaires qui jouissait d’excellentes relations et qui avait acheté un office. Ils emprisonnèrent aussi Daccarrette et le fils de Laborde, Sébastien-Charles, à Bordeaux, car ils étaient déterminés à aller au fond de cette affaire et avaient l’autorité, en matière criminelle, d’arrêter et de détenir les gens sur simple soupçon ou même par anticipation.
On demanda à Sartine de faire enquête dans cette affaire. En février 1764, le lieutenant général de police en était venu à la conclusion que Laborde essayait malhonnêtement de dissimuler des dettes contractées envers la couronne, par suite de dépenses personnelles excessives à Louisbourg, Bordeaux, La Rochelle et Paris. On libéra Prevost en juin 1763 et on l’innocenta l’année suivante ; son oncle, Fabus, fit bientôt faillite, sans doute à la suite de ce scandale ; on relâcha Daccarrette en 1764, mais seulement après l’incendie de sa maison de Bordeaux, en décembre 1763, et après que les réclamations de ses créanciers l’eurent acculé aussi à la faillite. Pour sa part, Laborde se vit présenter un compte de 455 474#, en échange de sa libération. Il transféra, sous sa signature et devant notaire, tous ses biens à la couronne dans un document détaillé, daté du 12 juillet 1764, et, bien que la valeur n’en fût que de 336 104#, la couronne le relâcha le 25 août. Il alla vivre à Eysines, un village proche de Bordeaux, avec un revenu de 400# par année seulement, à titre d’ancien procureur général du Conseil supérieur de Louisbourg. Le curé de Saint-Martin-d’Eysines certifia, aux fins de cette pension, le 16 août 1779, que Laborde était encore en bonne santé, mais il mourut deux ans plus tard et fut enseveli sous le portique de l’église du village.
AD, Charente-Maritime (La Rochelle), B, 230, 20 déc. 1758 ; 1790, 12 juin 1759 ; 1798, 18 avril 1763 ; Minutes Fredureaux-Dumas (La Rochelle), 20 déc. 1760 ; Minutes Laleu (La Rochelle), 11 avril 1749 ; Gironde (Bordeaux), État civil, Saint-Martin-d’Eysines, 4 sept. 1781.— AN, Col., C11A, 125 ; E, 238 (dossier Laborde) ; Section Outre-mer, G1, 406–409 ; 467/3 ; G3, 2 041/1 ; Minutier central, XXXIII, no 553, 12 juill. 1764.— Archives maritimes, Port de Rochefort (France), 1E, 172, Choiseul à Ruis-Embito, 10, 26 mars 1763 ; 417, Ruis-Embito à Berryer, 25 nov. 1760.— Bibliothèque de l’Arsenal, Archives de la Bastille, 12 200, ff.57–58, 72, 306–307, 350ss, 454–455, 473ss ; 12 145, f.256.— PRO, HCA, 32/180/1, Dauphin ; 32/254, Victoire.— Crowley, Government and interests.
J. F. Bosher, « LABORDE (La Borde), JEAN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/laborde_jean_4F.html.
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Auteur de l'article: | J. F. Bosher |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1980 |
Année de la révision: | 1980 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |