KERR, JAMES (il signa Ker au moins jusqu’en 1806), avocat, juge et homme politique, né le 23 août 1765 à Leith, Écosse, troisième fils de Robert Kerr et de Jean Murray ; décédé le 5 mai 1846 à Québec.

James Kerr, fils d’un gros marchand de Leith, fréquenta d’abord une grammar school de la ville. Le 1er septembre 1785, on l’admit à l’Inner Temple de Londres, où il entreprit ses études de droit. Parallèlement, il s’inscrivit à l’University of Glasgow, sans toutefois y obtenir de diplôme. Admis au barreau, il exerçait en 1793 dans les circonscriptions de tournée de Londres et du Middlesex. Dès l’année suivante, il était marié ; lui et sa femme Margaret auraient au moins sept enfants, dont deux mourraient en bas âge.

Afin d’améliorer ses perspectives d’avenir, Kerr immigra au Bas-Canada, où il reçut le 10 août 1794 l’autorisation de pratiquer le droit. Dès 1795 ou 1796, sa situation était assez solide pour qu’il aille chercher sa femme et ses enfants en Angleterre. Toutefois, un bâtiment français captura son navire pendant la traversée, et on le fit prisonnier. Échangé peu de temps après, il rejoignit sa famille et rentra avec elle au Bas-Canada en 1797. En France, il avait obtenu des renseignements qui, en ses propres termes, furent « jugés importants ». En guise de récompense pour les avoir transmis au gouvernement britannique, il obtint le 19 août 1797 un siège de juge à la Cour de vice-amirauté du Bas-Canada.

Cette nomination n’obligeait cependant pas Kerr à abandonner la pratique du droit, et l’une des causes les plus controversées qu’il défendit fut celle de Clark Bentom*, accusé en 1803 d’avoir exercé illégalement les fonctions de ministre. En réponse à un pamphlet incendiaire qu’il qualifia de « blâme gratuit et malveillant » et dans lequel Bentom l’accusait de l’avoir abandonné et trahi, Kerr publia un vibrant plaidoyer pour se défendre. Le 1er juillet 1809, il abandonna sa pratique pour occuper un siège de juge puîné à la Cour du banc du roi du district de Québec. Nommé au Conseil exécutif le 8 janvier 1812, il devint d’office membre de la Cour d’appel. De 1814 à 1816, en l’absence du juge en chef Jonathan Sewell, il présida la Cour du banc du roi à Québec, en qualité de doyen des juges, ainsi que la Cour d’appel.

En 1816, Kerr habitait, dans le faubourg Saint-Jean, une maison « élégante » et bien meublée, flanquée d’une remise et d’écuries pour huit chevaux. Il s’intéressait à l’horticulture, car sa propriété comprenait un jardin où l’on trouvait « tous les légumes adaptés au climat », des buissons de groseilles vertes et rouges, des vignes, des aspergières et 90 arbres fruitiers. Devenu veuf en 1816, il mit sa maison en vente ou en location et s’embarqua pour l’Angleterre afin d’aller, régler des affaires personnelles. Il se remaria en Écosse quelque temps avant son retour en 1819, mais sa femme, Isabella, qui était de 25 ans sa cadette, mourut à Québec en 1821 ; elle lui laissa au moins un fils.

De 1819 à 1827, avec trois autres conseillers exécutifs, Kerr s’occupa de la vérification des comptes publics. Nommé au Conseil législatif le 21 novembre 1823, il remplaça occasionnellement Sewell à la présidence, surtout en 1827. Très conscient de son rang de juge et de fonctionnaire, et bien résolu à mener un train de vie en conséquence, il dépensait, semble-t-il, plus que ses moyens ne le lui permettaient. En 1824, ses dettes se montaient à £3 227 16s ; on saisit alors ses salaires qui totalisaient £1 333 pour payer ses créanciers. En 1825, l’un de leurs représentants, Mathew Bell, prévint le gouverneur lord Dalhousie [Ramsay] que, même si Kerr était « agréable en société », il n’était pas entouré de respect ; « irrégulier dans ses transactions monétaires », il avait « des dettes envers ses fournisseurs et [était] toujours dans la dèche ».

En partie à cause de ses difficultés financières, Kerr fut mêlé, à compter de 1828, à une série de querelles qui avaient pour objet sa conduite, son salaire et ses honoraires. Bien qu’un contemporain l’ait qualifié de « parfait gentleman de la vieille école », il était enclin à la colère, même en cour. En 1828, un avoué auprès de la Cour de vice-amirauté, Bartholomew Conrad Augustus Gugy*, qu’il avait suspendu pour outrage au tribunal, soumit à la chambre d’Assemblée une requête que Louis-Joseph Papineau* estima être « la plus vive qu[‘il eût] jamais vue ». La chambre forma, pour étudier les 51 chefs d’accusation de Gugy, un comité dont les travaux durèrent plusieurs années. Par ailleurs, en décembre 1828, le Committee of Trade de Québec dénonça le barème et le montant des honoraires que Kerr touchait à titre de juge à la Cour de vice-amirauté et affirma même qu’une ordonnance de 1780 avait déterminé son salaire de telle façon qu’il remplace ces honoraires. Au même moment, l’Assemblée affecta des crédits au salaire de Kerr en exigeant qu’il ne reçoive pas d’honoraires. En apprenant ce geste, Kerr affirma qu’il constituait un dangereux précédent : l’Assemblée pourrait mettre de nombreuses conditions à l’adoption de la liste civile, ce qui empiéterait sur les privilèges des conseils exécutif et législatif et créerait une « démocratie française ». Cependant, sir James Kempt*, qui avait succédé à Dalhousie au gouvernement du Bas-Canada, lui ordonna de renoncer à ses honoraires s’il voulait conserver son salaire, décision que le secrétaire d’État aux Colonies, lord Goderich, appuya en 1831.

Toutes ces difficultés incitèrent Kerr à soutenir sans réserve la campagne que les juges du Bas-Canada menèrent, à compter de 1824, pour obtenir que le pouvoir judiciaire soit indépendant des pouvoirs législatif et exécutif. Sous la direction de Sewell, ils cherchèrent à faire garantir leurs salaires et leurs pensions, afin de se libérer de la tutelle de l’Assemblée, et à obtenir des commissions inamovibles pour ne plus être à la merci du bon plaisir du roi. Par ailleurs, comme tous ses collègues, Kerr s’opposa aux efforts que l’Assemblée déployait, de son côté, afin d’éliminer les juges des conseils législatif et exécutif et soustraire ceux-ci à leur influence. Il craignait que cette disposition ne limite la prérogative royale sur les nominations et ne prive les conseils d’hommes compétents ; il n’oubliait pas non plus qu’il risquait de perdre une part de son revenu si la chose se faisait. Par conséquent, lorsque le gouverneur lord Aylmer [Whitworth-Aylmer] lui demanda, en 1831, de démissionner du Conseil exécutif et de ne pas assister aux réunions du Conseil législatif, il accepta mais demanda en compensation 6 000 acres de terre pour lui-même et 1 200 pour chacun de ses enfants. On rejeta sa requête.

Au début de 1832, sur la foi de plusieurs des accusations de Gugy, l’Assemblée exigea qu’on suspende Kerr de ses postes de juge. On lui reprochait en particulier de mal connaître le droit bas-canadien, d’« agir avec partialité et injustice », de montrer « un manque de calme et de courtoisie », d’être distrait pendant les audiences, de rendre des jugements contradictoires et d’annuler illégalement ses propres décisions. L’Assemblée affirmait aussi que ses deux postes de juge étaient incompatibles. Aylmer refusa de le suspendre de ses fonctions, et Goderich écarta les accusations puisque Kerr n’avait pas eu l’occasion de se défendre. Celui-ci s’embarqua donc pour l’Angleterre en 1833 afin d’aller défendre sa conduite et présenter diverses réclamations au ministère des Colonies et à l’Amirauté.

Kerr exigeait depuis longtemps une indemnisation pour la perte de revenu subie après le transfert du tribunal des prises de l’Amirauté de Québec à Halifax, en 1801. L’Amirauté exigeait qu’il paie d’abord les £1 190 de droits qui provenaient de la vente de prises qu’il conservait depuis 1816. En Angleterre, cette année-là, Kerr avait déposé l’argent chez son agent mais avait dû ensuite en prélever une partie pour payer son retour au Bas-Canada. Entre-temps, l’Assemblée avait maintes fois refusé d’adopter la liste civile, de sorte que les juges attendaient d’importants arriérés de salaire ; Kerr avait dû emprunter pour acquitter la dette. Aussi fut-il consterné d’apprendre qu’on lui refusait les £4 088 qu’il réclamait pour ses pertes d’honoraires sur les prises et qu’on le démettait, le 24 septembre 1834, de son siège de juge à la Cour de vice-amirauté pour avoir « conservé une somme d’argent qui appartenait au public pour des motifs non valables au sens strict ». À peine avait-il commencé à rédiger une protestation qu’il apprit qu’on exigeait qu’il renonce à son poste de juge à la Cour du banc du roi en raison de son licenciement à la Cour de vice-amirauté. Ce fut en vain qu’il protesta auprès de l’Amirauté, du ministère des Colonies et d’amis, tel Dalhousie, en invoquant surtout ses longues années de loyaux services et les dépenses que nécessitait le maintien de sa position sociale. Il essaya de gagner du temps dans l’espoir de pouvoir négocier une pension ou d’obtenir un meilleur traitement de la part d’un nouveau gouvernement. Il refusa ensuite de démissionner, car une telle attitude aurait été, selon lui, admettre sa culpabilité mais, finalement, on le releva de ses fonctions. Après son retour au Bas-Canada en 1836, il se querella avec le ministère des Colonies au sujet des dates d’échéance de ses commissions et réclama £1 200 en arriérés de salaire. Il publia une demande de réparation adressée à la chambre des Communes mais n’obtint rien.

James Kerr subit « une crise de paralysie de la tête » en janvier 1837 ou un peu avant. Incapable de parler, il passa ses dernières années dans la réclusion ; apparemment, il avait des moyens restreints, car il était à la charge de ses enfants. Fervent anglican, il cherchait le réconfort dans la lecture quotidienne de la Bible. Jusqu’à la fin, il se considéra comme une victime offerte en sacrifice par le gouvernement britannique à une Assemblée factieuse dont il avait suscité l’hostilité en défendant fidèlement la prérogative royale. Probablement n’était-il pas moins compétent que nombre de ses collègues, mais son endettement chronique et sa perpétuelle course aux honoraires et émoluments finirent par le perdre.

Paulette M. Chiasson

James Kerr est l’auteur de : Letter to Mr. Clark Bentom ([Québec, 1804]) ; et Petition of James Kerr, esq., to the Honorable the House of Commons (Québec, 1836). Un portrait à l’huile représentant Kerr se trouve aux APC, Division de l’iconographie.

ANQ-Q, CE1-61, 12 juin 1816, 11 févr. 1821, 8 mai 1846 ; CN1-253, 23 août 1824 ; P1000-55-1054 ; Z300076 (microfiche), James Kerr et famille.— APC, MG 24, B 167 ; RG 4, B8 : 6325–6327 (mfm aux ANQ-Q) ; RG 68, General index, 1651–1841.— Church of Jesus Christ of Latter-Day Saints, Geneal. Soc. (Sait Lake City, Utah), International geneal. index.— Inner Temple Library (Londres), Admission records.— PRO, CO 42/223 ; 42/230 ; 42/236–238 ; 42/240–241 ; 42/244 ; 42/253 ; 42/255 ; 42/260 ; 42/277 (mfm aux ANQ-Q).— B.-C., chambre d’Assemblée, Journaux, 1835–1836, app. V ; Conseil législatif, Journaux, 1823–1831.— Doc. relatifs à l’hist. constitutionnelle, 1819–1828 (Doughty et Story), 240–241.— Ramsay, Dalhousie journals (Whitelaw).— Quebec Gazette, 24 août, 5 oct., 14 déc. 1815, 1er févr., 13 juin 1816, 23 oct. 1820, 26 nov. 1821, 1er janv. 1824, 11 mai 1846.— Quebec Mercury, 9 févr. 1832.— Browne’s general law list, being an alphabetical register of the names and residences of ail the judges, serjeants, counsellors [...] attornies (12 vol., Londres, [1777–1797]), 1793.— Hare et Wallot, les Imprimés dans le B.-C.— The matriculation albums of the University of Glasgow from 1728 to 1858, W. I. Addison, compil. (Glasgow, Écosse, 1913).— H. J. Morgan, Sketches of celebrated Canadians.— P.-G. Roy, les Juges de la prov. de Québec.— Buchanan, Bench and bar of L.C. — Rumilly, Papineau et son temps.

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Paulette M. Chiasson, « KERR (Ker), JAMES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/kerr_james_7F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
Date de consultation:    1 décembre 2024