Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 3025635
INGLIS, JOHN, évêque de l’Église d’Angleterre, né le 9 décembre 1777 à New York, fils du révérend Charles Inglis* et de Margaret Crooke ; le 31 août 1802, il épousa à Windsor, Nouvelle-Écosse, Elizabeth Cochran (Cochrane), et ils eurent huit enfants ; décédé le 27 octobre 1850 à Londres.
Parti pour l’Angleterre avec son fils John et ses deux filles après que les Britanniques eurent évacué New York en 1783, Charles Inglis était revenu en Amérique du Nord en 1787 pour occuper la fonction de premier évêque de la Nouvelle-Écosse. Veuf, il idolâtrait son unique fils, qu’il souhaita toujours voir suivre ses traces. John Inglis fit ses études à Windsor : premier élève inscrit à l’école fondée dans cette ville en 1788 [V. William Cochran*], il passa ensuite cinq ans et demi au King’s College, où il suivit « avec un succès remarquable un programme d’instruction libérale qui comprenait aussi bien les humanités que la philosophie naturelle et la philosophie morale ». Devenu secrétaire particulier de son père en 1798, il entreprit deux ans plus tard son premier long séjour officiel en Angleterre. Son rôle consistait surtout à acheter des livres pour la bibliothèque du King’s College et à poursuivre sur place les démarches que son père avait amorcées en vue d’obtenir un soutien financier pour de nouvelles missions. Il s’employa en outre à améliorer ses propres perspectives d’avenir en fréquentant l’épiscopat et l’aristocratie. L’archevêque de Cantorbéry fut suffisamment impressionné pour recommander en 1801 à l’University of Oxford de lui décerner une maîtrise ès arts.
Au retour d’Inglis en Nouvelle-Écosse, son père l’ordonna diacre le 13 décembre 1801 et prêtre le 27 juin 1802. On l’affecta comme missionnaire à Aylesford, qui faisait auparavant partie de la mission de John Wiswall* et se trouvait près de Clermont, le domaine des Inglis dans la vallée d’Annapolis. En même temps, l’évêque veilla à ce qu’il devienne son secrétaire officiel ainsi que vicaire général, modeste équivalent de celui d’archidiacre. John exerça ces deux fonctions jusqu’en 1816 et fit d’autres séjours en Angleterre en 1806–1807, 1812–1813 et 1816, tant pour s’occuper des affaires de l’Église coloniale que de sa carrière. On le tenait généralement pour un homme compétent. Toutefois, son manque d’ancienneté, sans parler de sa parenté avec l’évêque, gâcha ses chances de devenir suffragant quand une crise d’apoplexie immobilisa presque son père, puis de devenir évêque à la mort de celui-ci en 1816. C’est plutôt Robert Stanser* qu’on éleva à l’épiscopat, tandis qu’Inglis lui succédait comme rector de l’église St Paul à Halifax. Il se révéla un pasteur dévoué et un prédicateur captivant ; visiteur assidu des pauvres de la paroisse et aumônier érudit de la chambre d’Assemblée, il se fit connaître dans tous les milieux.
À titre de « conseiller et confident » de son père puis de « substitut efficace » de Stanser, rentré définitivement en Angleterre dans les derniers mois de 1817, Inglis supervisa le diocèse pendant un quart de siècle avant de devenir, en 1825, le troisième évêque de la Nouvelle-Écosse. Il accorda toujours une attention particulière au King’s College. C’est peu après son premier voyage en Angleterre, qu’il effectua en 1800 pour le compte de cet établissement, que celui-ci s’était vu octroyer une charte et une dotation. À l’instar de son père, Inglis estimait que le King’s College devait être avant tout un séminaire, et pourtant l’un des objets de sa visite dans la métropole en 1806–1807 fut de promouvoir une révision des statuts afin qu’on y admette les non-anglicans. Il eut gain de cause : on modifia les statuts de telle sorte que l’adhésion aux Trente-neuf Articles demeurait nécessaire pour avoir un diplôme mais non pour s’inscrire. En outre, Inglis convainquit la Society for the Propagation of the Gospel in Foreign Parts d’offrir des bourses aux fils de missionnaires qui étudiaient au collège.
Au cours des années 1810, les difficultés financières et administratives du King’s College causèrent beaucoup de soucis à Inglis. En même temps, un établissement presbytérien, la toute nouvelle Pictou Academy [V. Thomas McCulloch], et le collège multiconfessionnel – projet « tout à fait inutile et romantique », selon Inglis – que le lieutenant-gouverneur lord Dalhousie [Ramsay] voulait ouvrir à Halifax, semblaient menacer le monopole de l’Église d’Angleterre sur l’éducation supérieure. Nommé au conseil d’administration du King’s College en 1821, Inglis fut chargé de mener une autre vaste campagne pour obtenir des bourses, créer des chaires et amasser des fonds d’immobilisations – « une combine de mendiant », selon le lieutenant-gouverneur sir James Kempt* –, ce qu’il fit en envoyant une lettre circulaire en Angleterre. L’échec de cette campagne donna lieu à la première d’une série de tentatives qui visaient à unifier le King’s College et le Dalhousie College. Favorable à la fusion, Inglis ne parvint cependant pas à convaincre l’archevêque de Cantorbéry qui, à titre de protecteur du King’s College, avait le dernier mot sur toute question relative à l’établissement.
Pendant qu’Inglis faisait ainsi campagne pour le King’s College, un observateur déplorait le fait que les étudiants, y compris ceux qui se destinaient au ministère, fréquentaient ce qui n’était selon lui qu’une « pépinière de fanatiques ». Les influences évangéliques et calvinistes, à l’œuvre dans toute l’Église, allaient empoisonner l’existence d’Inglis jusqu’à la fin. En tant qu’anglican, il ne rejetait pas le calvinisme et le puseyisme modérés ; ses objections étaient plus politiques que doctrinales. D’après lui, pour conserver ses droits et privilèges, donc sa suprématie dans le diocèse, l’Église devait faire front commun devant ses critiques. Elle ne pouvait se permettre de tolérer des factions car, comme il l’affirmait souvent : « si le petit nombre que nous sommes est divisé, notre utilité sera tragiquement réduite ». Il disait également : « un bon fils ou une bonne fille de l’Église doit obéir de bon cœur à toute directive imposée par son autorité », peu importe que « cette directive soit suffisamment fondée [ou non] ». Il se défiait de son propre jugement, comme il le confessa en 1830, mais n’avait aucun mal à déterminer la position officielle de l’Église : l’opinion de l’épiscopat anglais lui servait de critère absolu. Aussi se méfiait-il des sociétés évangéliques associées à l’Exeter Hall de Londres. Quand il apprit que la hiérarchie anglaise avait condamné les écoles non confessionnelles de la British and Foreign School Society et opté plutôt pour les écoles mises sur pied par la National Society for the Education of the Poor in the Principles of the Established Church, il réagit en ouvrant en 1816, dans la paroisse St Paul, une école de la National Society qui concurrencerait celle que Walter Bromley avait fondée trois ans plus tôt au nom de la Royal Acadian School. Le refus qu’opposa Inglis à toute collaboration avec les autres protestants tout comme le fait qu’il n’appuya pas les œuvres d’éducation ou de charité lancées par des anglicans à l’esprit plus large créèrent dans la population une impression défavorable, et ce au moment même où les privilèges de l’Église d’Angleterre commençaient à éveiller du ressentiment parmi les dénominations rivales et les leaders réformistes de la colonie. Inébranlable, Inglis s’opposa aussi, ouvertement, à ce que la British and Foreign Bible Society vienne concurrencer la Society for Promoting Christian Knowledge ; il aida la seconde à créer des comités locaux pour contrer l’influence que la première exerçait au moyen de ses publications.
Par son exclusivisme, Inglis s’aliéna ses collègues anglicans qui se réclamaient de la Basse Église et qui étaient dans une certaine mesure portés à l’œcuménisme, en particulier ceux qui avaient subi l’influence évangélique pendant leur formation de pasteurs au King’s College. Toutefois, jusqu’en 1825, l’Église sembla plus menacée de l’extérieur que de l’intérieur et, fidèle à la position qu’il allait habituellement maintenir pendant quelque 50 ans, Inglis mena un combat d’arrière-garde pour préserver de la « tyrannie des majorités » les privilèges de l’Église établie (à laquelle n’adhérait qu’une minorité de la population). Le monopole de l’Église sur certains droits civils et fonds publics réservés aux fins religieuses et éducatives constituait l’enjeu de cette lutte.
Dans le domaine des droits civils, la prétention de l’Église d’Angleterre à être seule habilitée à célébrer des mariages avec dispense de bans soulevait des contestations particulièrement fortes. Inglis, quant à lui, refusait tout compromis. Quand la congrégation St Matthew de Halifax réclama le même droit pour son ministre, il concéda que c’était là un cas d’exception, puisque St Matthew appartenait à la respectable Église d’Écosse, que subventionnait le gouvernement. Mais, disait-il, « si l’on outrepasse une seule fois la ligne de démarcation claire qui sépare l’Église établie de quelque groupe de non-conformistes, il sera tout à fait impossible d’en déterminer une autre aussi nette entre ce groupe de non-conformistes et tous les autres ». En 1819, le gouvernement tory de Grande-Bretagne appuya Inglis et refusa de sanctionner la loi coloniale qui aurait autorisé les ministres non conformistes à célébrer des mariages avec dispense de bans entre des membres de leurs congrégations et selon leurs rites. Ce n’est qu’en 1832 qu’on régla la question en leur faveur.
Inglis était également défavorable à l’émancipation des catholiques. En 1822, il prit parti à l’occasion d’un cas retentissant et s’opposa à l’admission de Laurence Kavanagh* à l’Assemblée en raison, selon lui, des principes étroits et obscurantistes de sa religion. Comme la plupart des protestants de l’époque, Inglis trouvait le catholicisme rétrograde : « chaque jour, se plaignit-il, nous voyons parmi nous des gens fonder les doctrines papistes les plus extravagantes et les plus absurdes sur des miracles fictifs qui sont affirmés avec autant d’assurance et crus avec autant de facilité qu’aux époques les plus ignorantes ». Vers la fin de sa vie, il vit d’un mauvais œil la création du St Mary’s College en 1841 et la reconnaissance par le gouvernement en 1849 d’une hiérarchie catholique dans la colonie.
En tant que défenseur de l’Église établie, Inglis lutta même contre la constitution juridique de congrégations non conformistes ou catholiques, ce que d’autres anglicans, dont son beau-frère Brenton Halliburton*, membre du Conseil de la Nouvelle-Écosse, étaient prêts à favoriser. En ce qui avait trait aux privilèges financiers de l’Église, il tenta d’empêcher les non-anglicans d’acquérir le droit à une part des revenus qui provenaient des terres assignées à un bénéfice ou destinées aux écoles qu’on avait réservées au moment de la création des cantons et auxquelles s’étaient ajoutées en 1813, pour le soutien de l’évêque, des terres attribuées au doyen et au chapitre. Propriétaire d’un domaine dans la vallée d’Annapolis, Inglis était assez renseigné sur l’immobilier pour savoir que les concessions rapporteraient à long terme plutôt que dans l’immédiat. Aussi croyait-il qu’elles devaient demeurer intactes pour assurer le financement futur de l’Église. Avant même que les réformistes n’allèguent avec insistance que l’Assemblée avait un droit de regard sur les terres de la couronne, Inglis suggéra de considérer les terres de l’Église comme des terres de la couronne ; il croyait ainsi pouvoir préserver les anglicans de la vindicte des non-conformistes tant que les revenus ne seraient pas assez élevés pour inquiéter la population. Quant à la question encore plus controversée des terres réservées aux écoles, elle donna lieu à un litige précis : en 1821, les administrateurs scolaires de Newport, accoutumés à répartir les recettes entre tous les instituteurs du canton, se virent demander de les remettre toutes au nouvel instituteur de la Society for the Propagation of the Gospel. L’affaire demeura en suspens pendant six ans, après quoi, grâce à leur présence constante au conseil d’administration, les non-conformistes obtinrent quelques droits qui n’éliminèrent cependant pas les privilèges des anglicans.
L’obstination avec laquelle Inglis défendait l’Église établie n’empêcha pas qu’on l’entoure d’un grand respect tant qu’il demeura rector de l’église St Paul. Mais la popularité qu’il avait gagnée au sein de l’Église s’évanouit dès qu’il devint lui-même évêque de la Nouvelle-Écosse, après que Stanser eut pris sa retraite. Au cours d’un voyage en Angleterre en 1824, il s’assura d’abord qu’il obtiendrait la succession (ce que confirma sa consécration le 27 mars 1825), et s’occupa ensuite de se faire remplacer à l’église St Paul. Sans consulter l’assemblée des fidèles, qui avait toujours affirmé son droit de choisir son rector, il recommanda à la couronne de muter Robert Willis* de Saint-Jean à Halifax, en faisant valoir qu’il était le plus ancien des ministres du diocèse. Ainsi il écartait délibérément son propre vicaire, John Thomas Twining*, de tendance évangélique, qui se révéla avoir l’appui des fidèles. En conséquence, Willis se vit interdire l’accès de l’église et une large proportion des fidèles manifestèrent leur dissidence, d’abord en se plaçant sous l’autorité de Twining puis, finalement, en passant soit à l’autre congrégation anglicane de Halifax, St George, soit à la congrégation baptiste de John Burton ou à l’Église méthodiste. On n’abandonna la procédure intentée devant la Cour de la chancellerie pour replacer l’église St Paul sous l’autorité de l’évêché qu’après le retour d’Inglis dans le diocèse, le 8 novembre 1825. Twining fut inscrit sur une liste noire et empêché d’obtenir toute affectation qui nécessitait la recommandation de l’évêque.
Le diocèse comprenait la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve et les Bermudes, ce qui était beaucoup trop pour un seul homme, Inglis le constata lui-même au fil de ses tournées régulières pendant ses cinq premières années. Bien qu’assisté de quatre archidiacres – Willis en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard, George Best* au Nouveau-Brunswick, George Coster* à Terre-Neuve et Aubrey George Spencer* aux Bermudes –, il fit pression en faveur de la subdivision du diocèse. Il eut gain de cause : en 1839, on nomma Spencer évêque de Terre-Neuve et des Bermudes puis, en 1845, John Medley*, évêque de Fredericton. À compter de 1842, l’Île-du-Prince-Édouard eut son vicaire général, Louis Charles Jenkins.
Les fréquentes tournées d’Inglis, auxquelles il consacrait la plus grande partie de ses étés et automnes quand il ne se rendait pas en Grande-Bretagne (il y alla en 1831 et y retourna de 1837 à 1840), étaient pour lui l’occasion d’encourager le clergé des colonies, de confirmer des fidèles, de consacrer des églises et des cimetières, d’ordonner des ecclésiastiques et de surveiller missionnaires et instituteurs. Membre du conseil de chacun des territoires de son diocèse, il conférait assidûment avec les gouverneurs et les citoyens les plus en vue. Il ne négligea aucune partie du diocèse, même si ses deux longues tournées épiscopales à Terre-Neuve et les trois qu’il fit aux Bermudes lui semblèrent tout à fait insuffisantes. Le nombre de nouvelles communautés qu’il pouvait visiter pour la première fois chaque année était pour lui l’objet d’une fierté particulière.
Pour cet homme qui avait bien plus le tempérament d’un aristocrate anglais que celui d’un pionnier des colonies – Inglis était, a-t-on dit, « le gentleman le plus raffiné de son temps », après George IV – les tournées épiscopales ont dû être des leçons d’humilité. Elles éveillèrent chez lui une tolérance et une souplesse insoupçonnées. Conscient que l’Église devait s’adapter aux coutumes et aux conditions locales, il acceptait que dans les communautés dépourvues de ministre des laïques puissent baptiser et prêcher. Ému par le mélange de pauvreté et de labeur, d’ignorance et de piété qu’il voyait dans les petites communautés et les villages de pêcheurs, il récompensait les efforts des habitants en consacrant, au mépris des règles, des églises encore en chantier et prêchait aussi bien dans des édifices en construction que dans des granges, dans des chapelles non conformistes, dans des salles de classe ou sur le pont de navires.
Inglis pouvait alléger quelque peu la misère spirituelle et l’ignorance dont il était témoin durant ses tournées, mais il disposait pour cela de fonds de plus en plus réduits et de ressources humaines insuffisantes. L’Église coloniale entra dans sa pire crise dans les années 1830. Ses bases financières commencèrent à s’effriter, moins sous l’effet des attaques des non-conformistes qu’en raison du virage qu’avait pris la politique coloniale de la Grande-Bretagne avec l’accession au pouvoir des whigs, préoccupés davantage d’économie et favorables à l’Église large. Devant la menace du Parlement de cesser avant 1835 d’aider l’Église, tant directement qu’indirectement, par ses subventions à la Society for the Propagation of the Gospel, Inglis réussit à faire garantir le salaire des ministres déjà en poste ; mais pour assurer l’avenir, c’est-à-dire compléter et même remplacer les subventions gouvernementales et les dons de la Society for the Propagation of the Gospel, il dut se tourner vers des sources coloniales. Cependant, jusqu’à la fin de son épiscopat, la plus grande part des salaires et des fonds versés au titre de la construction des églises continuèrent de provenir de cette société. Comme il ne pouvait compter sur les gouvernements coloniaux et que, de toute façon, il se méfiait des non-conformistes qui en faisaient partie, Inglis désespérait toujours du piètre rapport d’une dotation foncière, même s’il consacra des pages et des pages à exposer les droits de l’Église d’Angleterre aux terres assignées à un bénéfice ou réservées aux écoles. En privé, il préconisait d’imposer une taxe globale pour les Églises et d’en allouer le produit selon la préférence confessionnelle des contribuables, mais il savait que les contributions volontaires (les assemblées de fidèles constituaient la seule solution véritable. À cette fin, il proposa en 1836 de fonder la Diocesan Church Society, qui eut bientôt des sections dans tous les districts du diocèse. C’est elle qui prit la relève de la Society for Promoting Christian Knowledge quant à la diffusion des publications religieuses. Cet organisme encourageait la formation spirituelle dans les communautés défavorisées en nommant des missionnaires itinérants, contribuait aux fonds qui servaient à construire des églises dans les villages pauvres, aidait des étudiants en théologie et veillait au maintien d’une école anglicane dans chaque mission.
Entre-temps, le King’s College continuait de préoccuper Inglis. Depuis 1829, l’établissement accueillait sans restriction les non-conformistes mais, pour la deuxième fois, une tentative de fusion avec le Dalhousie College s’était heurtée à l’opposition de l’archevêque de Cantorbéry. Au grand désespoir d’Inglis, plusieurs des membres d’office du conseil d’administration du collège étaient, dès les années 1830, des non-conformistes. De plus, on inaugura en 1829 le King’s College de Fredericton, un rival potentiel. Pour avoir assisté depuis une dizaine d’années à une prolifération des collèges confessionnels, Inglis concluait en 1841 que « jouer ainsi aux universités [était] plutôt méprisable » et qu’un tel émiettement des fonds publics constituait un gaspillage. Au moins un résultat positif, pensait-il, s’ensuivrait : « On nous laissera en paix à Windsor. » Mais les problèmes resurgirent quelques années plus tard. Dès le milieu de la décennie, la Society for the Propagation of the Gospel dut réduire les salaires et l’aide versés au King’s College. Comme le gouvernement menaçait aussi de diminuer sa subvention annuelle à l’établissement, le vieil Inglis envoya l’un de ses ministres en Angleterre en 1847 pour recueillir des fonds, mais ce fut en vain.
Parmi les 37 ministres résidants qui se réunirent à Halifax en 1846 au moment de la visite de leur évêque, 26 avaient fait leurs études au King’s College, ce qui montre combien celui-ci était essentiel à l’Église. Même si le clergé était manifestement insuffisant, Inglis n’acceptait d’ordonner que les diplômés du King’s College ou les candidats qu’approuvait la Society for the Propagation of the Gospel. Il s’attira donc des critiques en refusant ceux que d’autres sociétés anglicanes envoyaient de Grande-Bretagne. Beaucoup de missionnaires servirent pendant de longues années, mais leurs rangs se dimivèrent périodiquement à cause de la démission forcée de nombreux confrères : certains souffraient de maladie physique ou mentale, d’autres avaient des habitudes d’intempérance ou s’étaient rendus coupables soit de mauvaise conduite, soit d’immoralité (par exemple fornication, homosexualité ou mariage contraire au droit canonique).
Au cours des années 1840, comme il n’était parvenu à arrêter ni l’érosion des privilèges anglicans ni la tendance générale des protestants à collaborer dans maints secteurs de la vie religieuse et morale, Inglis reporta son attention sur les conflits internes de son Église. La Colonial Church Society provoqua l’une de ces dissensions. Cette organisation d’anglicans évangéliques qui s’était donné pour tâche d’envoyer des missionnaires, des catéchistes et des instituteurs auprès des immigrants britanniques pauvres favorisait une collaboration généreuse avec les non-anglicans. Créée en Australie occidentale en 1835, cette société britannique s’implanta dans le diocèse de la Nouvelle-Écosse en 1839, pendant qu’Inglis était en Angleterre, et en vint, en une décennie, à aider 30 villages de la province. Comme la hiérarchie anglicane ne l’avait pas sanctionnée, et qu’elle faisait double emploi avec la Society for the Propagation of the Gospel (toute chancelante que celle-ci fût devenue), Inglis lui refusa son approbation et s’ingénia même à lui mettre des bâtons dans les roues, en particulier après qu’il eut tenté vainement, en 1841, de la placer sous son autorité. Il reprochait surtout à la Colonial Church Society d’être indépendante de la Society for the Propagation of the Gospel, mais il craignait aussi qu’elle ne nuise aux initiatives locales qu’il tentait de favoriser par l’intermédiaire de la Diocesan Church Society.
La Colonial Church Society eut raison d’Inglis, principalement parce qu’elle avait l’appui d’ecclésiastiques et de laïques influents. Parmi le clergé, son principal partisan était Robert Fitzgerald Uniacke*, rector de l’église St George à Halifax, auquel se joignirent John Thomas Twining, éternel adversaire évangélique de l’évêque, William Cogswell, vicaire de l’église St Paul, et Louis Charles Jenkins, l’écclésiastique le plus ancien de l’Île-du-Prince-Édouard. Quand John Medley devint évêque de Fredericton en 1845, la Colonial Church Society put compter sur sa collaboration bienveillante. Comme les lieutenants-gouverneurs des Maritimes la protégeaient aussi, Inglis se trouvait particulièrement isolé.
Préoccupé par les affaires diocésaines, Inglis s’absentait le moins possible de la colonie, et seule sa dernière visite en Angleterre, en 1850, fut motivée par des raisons personnelles. Néanmoins, étant donné ses liens avec la métropole et ses préférences sociales, il était tout à fait approprié qu’il meure en Angleterre, où il était allé se faire soigner. Il convenait aussi que ses funérailles soient modestes – on l’inhuma dans le caveau familial de sir Rupert Dennis George, ancien secrétaire de la Nouvelle-Écosse, au cimetière St Mary à Battersea (Londres) – car, tout comme son père, il n’accordait aucune importance aux cathédrales ou aux monuments grandioses. Un seul membre de sa famille retourna en Nouvelle-Écosse, son fils aîné Charles, qui était médecin et souffrait d’instabilité mentale. Ce dernier légua les biens familiaux au King’s College et à l’église St Mary d’Aylesford, mais on contesta avec succès son testament en raison de son état d’aliénation.
Le mérite de John Inglis fut de laisser derrière lui une Église très agrandie qui savait s’adapter au contexte colonial et qui, sous l’empire de la nécessité, apprenait à compter sur ses propres ressources. Cependant, en dépit des efforts de l’évêque, sa position officielle s’était affaiblie ainsi que son influence sociale. À la mort d’Inglis, l’Église d’Angleterre perdit en Nouvelle-Écosse le titre d’Église établie ; son successeur à l’épiscopat, Hibbert Binney*, ne reçut jamais son salaire de Grande-Bretagne et ne siégea pas au Conseil législatif de la province. Quant au King’s College, il n’eut plus droit à sa subvention préférentielle. La perte des privilèges anglicans était attribuable non seulement à la démocratisation des institutions coloniales et au retrait graduel de l’aide britannique, mais aussi à la suspicion et à l’hostilité qu’Inglis éveillait tant dans la colonie que dans la métropole. Refusant de promouvoir la coopération interconfessionnelle, incapable de colmater les brèches de l’anglicanisme colonial, préférant un style d’épiscopat autoritaire, il devint à la fin une espèce d’anachronisme dans cette ère de libéralisme où était entrée la société coloniale.
Deux collections de papiers ayant appartenu à John Inglis nous ont été transmises par ses descendants. Des copies sur microfilm de la collection de sir John Inglis, un petit-fils de l’évêque, sont disponibles aux PANS, Biog., John Inglis letters, et aux APC, MG 23, C6, sér. 4. Une autre collection est toujours en la possession du colonel John Inglis, de Hope Bowdler, Angl., un arrière-petit-fils.
Inglis est l’auteur de : A sermon preached in the parish church of St. Paul, at Halifax, on Sunday the 11th of June, 1815, after the funeral of Mrs. Mare Stanser [...] (Halifax, 1815) ; A charge delivered to the clergy of his diocese, by John [...] bishop of Nova Scotia, at Halifax, in August, 1830 ; at Bermudas, in May, 1830, and at Fredericton, New Brunswick, in August, 1831 (Londres, 1831) ; A sermon preached in the cathedral church of St. Paul, on Thursday, June 11, MDCCCXXXI, at the yearly meeting of the children of the charity schools in and about the cities of London and Westminster (s.l.n.d.) ; Sermon preached in the parish church of St. Paul, at Halifax ; on behalf of the Incorporated Society for the Propagation of the Gospel in Foreign Parts, on the 19th February, 1832 [...] (Halifax, 1832) ; The judgment seat of Christ ; a sermon, preached on board his majesty’s ship, « President », in the harbour of Halifax, on Sunday, the 1st of November, 1835 [...] (Halifax, [1835]) ; Memoranda respecting King’s College, at Windsor, in Nova Scotia [...] by one of the alumni (Halifax, 1836) ; The claim of the Society for the Propagation of the Gospel, upon all members of the church ; a sermon (Londres, 1840) ; Journal of the visitation of the diocese of Nova Scotia, in New Brunswick, in the autumn of 1840, by the right rev. the lord bishop of Nova Scotia [...] (Londres, 1841) ; A journal of visitation in Nova Scotia, Cape Breton, and along the eastern shore of New Brunswick, by the lord bishop of Nova Scotia, in the summer and autumn of 1843 (3e éd., Londres, 1846) ; et A journal of visitation through the south-western portions of his diocese, by the lord bishop of Nova Scotia [...] [1844–1845] (2 part., Londres, 1846–1847).
NLS, Dept. of mss,
Judith Fingard, « INGLIS, JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/inglis_john_7F.html.
Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique:
Permalien: | http://www.biographi.ca/fr/bio/inglis_john_7F.html |
Auteur de l'article: | Judith Fingard |
Titre de l'article: | INGLIS, JOHN |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1988 |
Année de la révision: | 1988 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |