BROWN, WILLIAM, journaliste et imprimeur, né vers 1737 à Nunton (Dumfries et Galloway, Écosse), fils de John Brown et de Mary Clark, décédé, célibataire, le 22 mars 1789 à Québec.
Vers l’âge de 15 ans, William Brown est envoyé en Amérique chez des parents de sa mère et, de 1751 à 1753, il étudie les mathématiques et les auteurs classiques au William and Mary College, à Williamsburg, Virginie. En 1754, il devient employé dans un bureau, puis se tourne vers son futur métier, qu’il apprend chez un imprimeur de Philadelphie. En 1758, il passe à l’emploi de William Dunlop, de Philadelphie également, qui lui confie en 1760 la gérance de deux librairies. Dunlop, apparenté à Benjamin Franklin, était peut-être l’oncle de Brown. À la fin de cette même année 1760, Brown se serait associé pendant une courte période et aurait ouvert une librairie, à New York, avec James Rivington. Mais il revient rapidement au service de Dunlop qui décide de l’envoyer à Bridgetown, capitale de la Barbade, pour fonder une imprimerie. Après y avoir passé plus de deux ans, Brown, qui supporte assez mal le climat, revient à Philadelphie et s’intéresse à la ville de Québec, sur laquelle il aurait obtenu des renseignements par William Laing, tailleur et marchand de cet endroit. Il écrit alors au gouverneur Murray pour obtenir les permissions nécessaires à la fondation d’un journal et les promesses d’un appui moral et financier. On ignore quelle fut la réponse de Murray ; toujours est-il que Brown prend contact avec son ancien compagnon de travail de Philadelphie, Thomas Gilmore, et tous deux décident d’aller fonder un journal à Québec. Ils préparent leur établissement avec l’aide de Dunlop, qui leur fournit un prêt. Le 5 août 1763, Brown et Gilmore signent un contrat d’association et chacun dépose une mise de fonds de £72. Brown arrive à Québec le 30 septembre après force péripéties durant le trajet par Springfield (Massachusetts), Albany, le lac Champlain et Montréal. Pendant ce temps. Gilmore se rend en Angleterre pour effectuer divers achats de matériel, en particulier chez William Caslon, père, de Londres, qui restera le fournisseur privilégié de Brown.
Après la parution d’un prospectus, très probablement imprimé à Philadelphie, annonçant la publication prochaine d’une gazette hebdomadaire, Brown recueille 143 souscriptions. Les abonnés sont également répartis entre Britanniques et Canadiens, la plupart de ces derniers étant des membres du clergé. Le 21 juin 1764, sort le premier numéro de la Gazette de Québec/The Quebec Gazette. Effectuant différents travaux d’imprimerie, les deux associés étendent dès 1765 leurs activités à l’édition [V. Thomas Gilmore] et disposent par ailleurs d’une allocation annuelle de £50 versée par les autorités coloniales pour des annonces officielles. L’entreprise devient assez rapidement prospère puisque, le 29 avril 1768, Brown et Gilmore écrivent à William Dunlop pour obtenir les services d’un apprenti et d’un traducteur ; leur ancien patron est remboursé la même année, et Brown fait l’acquisition d’une nouvelle presse qu’il paie £26.
Après la mort de son associé en 1773, Brown, devenu seul propriétaire de l’affaire au début de l’année 1774, continue à éditer de nombreux ouvrages. Le texte de l’Acte de Québec paraît en 1774, puis, l’année suivante, quatre ouvrages juridiques de François-Joseph Cugnet. Par la suite, Brown imprime les Ordonnances fuites et passées par le gouverneur et le Conseil législatif de la province de Québec (1777), The order for morning and evening prayer [...] en langue iroquoise, édité par Christian Daniel Claus (1780), un Pseautier de David [...] (1785) et un nouveau recueil d’ordonnances (1786). En 1780, avait commencé la parution des almanachs de Québec, rarissime et précieuse source de renseignements. Enfin, en 1789, la Gazette annonce l’ouverture de souscriptions, à 2 shillings, pour l’édition d’Abram’s Plains [...], recueil de poèmes de Thomas Cary*, futur fondateur du Quebec Mercury. Cet ouvrage présente un double intérêt, tant par le système de publication – souscription – que par le contenu, la poésie étant rarement source de profits. Le recueil est publié en mars 1789 et se vend assez bien au prix de 2 shillings 6 pence. Au total, Brown a publié environ 250 à 260 imprimés, surtout des brochures, des catéchismes et papiers divers ; huit d’entre eux seulement ont plus de 100 pages. Parmi ces imprimés, on peut en relever deux à la fortune intéressante : un Kalendrier perpétuel à l’usage des Sauvages [...], dont la publication est annoncée par la Gazette du 20 octobre 1766 et dont le père Jean-Baptiste de La Brosse achète les 1000 exemplaires pour les distribuer dans ses missions ; le premier traité de médecine, écrit par le chirurgien-major Philippe-Louis-François Badelard*, de la garnison de Québec, Direction pour la guérison du mal de la baie St-Paul (1785), payé par le gouvernement et distribué gratuitement pour lutter contre une épidémie que l’on présume être de maladies vénériennes [V. James Bowman].
Mais c’est évidemment la Gazette de Québec qui demeure l’œuvre majeure de William Brown. Le premier périodique de la province de Québec est édité selon le modèle américain, c’est-à-dire que l’atelier typographique fonde son revenu de base sur la publication d’un journal dont les annonces publicitaires, qui remplissent les deux dernières pages, et les communiqués nombreux du gouvernement constituent l’essentiel. La Gazette de Brown est bilingue dès les premiers numéros et elle paraît en quatre pages, sur deux colonnes, anglaise à gauche avec traduction française à droite. La traduction est d’ailleurs mauvaise durant les 25 années de l’administration de Brown.
Ce dernier, au moment de la fondation de la Gazette de Québec, avait envisagé de faire de ce journal un organe d’information, de divertissement et d’utilité publique. Dans le prospectus annonçant l’initiative qu’il avait prise avec son associé Gilmore d’établir une imprimerie à Québec et de lancer une publication hebdomadaire bilingue, Brown en exposait ainsi les buts et les objectifs : « Nous [la] considérons comme le Moyen le plus efficace à faire réussir une entière Connaissance de la Langue Angloise et Françoise parmi ces deux Nations, qui à présent se sont jointes heureusement dans cette partie du Monde [...] de se communiquer leurs sentiments comme des Frères [...] Ou comme un Moyen de les mener à la Connaissance de ce qui se passe chez les Nations différentes et les plus éloignées ». Manifestement désireux de fournir à ses lecteurs une information aussi large que possible sur le plan international, il en précisait les trois principaux axes d’orientation dès la parution du premier numéro, en juin 1764 : la Gazette de Québec offrira « un recueil d’affaires étrangères et de transactions politiques » ; prendra « un soin particulier » à présenter « les transactions et les occurences de la mère-patrie » ; rapportera « avec impartialité » des faits véridiques concernant les Treize colonies et les îles de l’Amérique. Et à défaut de recevoir des nouvelles de l’extérieur, durant les rigueurs de l’hiver, il y sera publié « des pièces originalles en vers et en prose qui plairont à l’imagination en même temps qu’elles instruiront le jugement ». Dans tous les cas, affirmait Brown, « nous n’aurons rien tant à cœur, que le soutien de la vérité, de la morale, et de la cause noble de la liberté ». Mais cette belle position de principes allait s’avérer difficile à soutenir devant la tournure des événements qui plongèrent l’Amérique dans une conjoncture de crise révolutionnaire.
Pendant quelques années, les éditeurs purent jouir d’une certaine latitude pour renseigner les lecteurs de la Gazette sur la politique métropolitaine et sur les réactions des assemblées coloniales, notamment quant à la question cruciale de la taxation. Ayant été eux-mêmes directement touchés parla fameuse loi du Timbre qui les obligea à interrompre la publication de leur journal pendant près de sept mois (du 31 octobre 1765 au 29 mai 1766), ils s’empressèrent, dès sa reprise, de reproduire le discours que William Pitt avait prononcé à la chambre des Communes contre cette mesure législative finalement révoquée. Ils en profitèrent pour réaffirmer leur volonté de défendre la liberté de presse en déclarant que l’on avait faussement insinué que leur journal passait « sous l’Inspection » du gouvernement colonial.
Mais l’aggravation de la crise révolutionnaire ne devait pas permettre aux deux éditeurs de garder encore bien longtemps leur presse britannique « exempte d’Inspection et de Restrictions ». Il leur fallut, bon gré mal gré, accepter de se soumettre aux contraintes d’un régime d’administration coloniale qui fixait à l’exercice des libertés anglaises des bornes constitutionnelles bien étroites. Devenu gouverneur en titre, Guy Carleton* fit montre d’une vigilance beaucoup plus stricte et rigoureuse que celle qu’avait pu pratiquer son prédécesseur James Murray, surtout après la sévère mise en garde que le roi George III, dans son discours du trône du 8 septembre 1768, avait jugé nécessaire de servir aux Fils de la Liberté. Afin de soustraire aux yeux des Canadiens le mauvais exemple de sujets rebelles à l’autorité du parlement britannique, mieux valait faire taire les échos des journaux américains dans la Gazette de Québec. C’est ainsi qu’à compter de 1770, la province de Québec fut plongée dans la quasi totale ignorance de ce qui se passait dans les colonies du Sud. Les directives et les consignes de Carleton furent si bien suivies qu’en son absence, d’août 1770 à septembre 1774, la censure du lieutenant-gouverneur Hector Theophilus Cramahé réduisit les éditeurs à se limiter aux nouvelles proprement étrangères, aux affaires européennes telles que la guerre russo-turque et le premier partage de la Pologne et, faute d’autres informations, à alimenter leur journal en simples faits divers, en anecdotes plus ou moins amusantes, en historiettes anodines et en épîtres à tendances moralisatrices.
L’invasion américaine du Canada [V. Richard Montgomery] contraignit William Brown, devenu seul éditeur, à suspendre de nouveau la publication de son journal (du 30 novembre 1775 au 14 mars 1776, puis du 21 mars au 8 août 1776). Il lui fallut attendre la complète éviction des forces rebelles pour retrouver ses abonnés et fonctionner sans trop de difficultés financières. La Gazette étant reparue un mois après la déclaration d’indépendance, Brown jugea à propos de rassurer ses souscripteurs en annonçant clairement ses intentions : « Cette publication a jusqu’ici mérité le titre de la plus innocente Gazette de la Domination Britannique et il y a très peu d’apparence qu’elle perdre un titre si estimable ». Et cette réputation, Brown devait la lui conserver jusqu’à sa mort, survenue le 22 mars 1789.
Ainsi les circonstances avaient-elles empêché Brown de poursuivre son projet initial. Du triple caractère (informatif, récréatif et utilitaire) que le fondateur avait souhaité donner à son journal et du rôle qu’il avait désiré lui faire jouer, il ne demeurait, somme toute, que celui de Gazette officielle. Il appartenait au neveu de William Brown, Samuel Neilson, qui était à ses côtés depuis quelques années déjà, de redonner au journal un regain de vie par une réouverture sur le monde extérieur où l’attention fut polarisée par le déroulement des événements révolutionnaires en France. Cette sensibilisation de l’opinion publique locale allait, au moyen de lettres et d’écrits polémiques de la part des lecteurs, rejaillir et trouver son exutoire dans les colonnes de la Gazette de Québec qui, de 1789 à 1793, connut une joyeuse et glorieuse période d’effervescence idéologique, vraiment unique dans ses annales.
Un groupe d’amis de Brown avait choisi Peter Stuart, Malcolm Fraser* et James Fisher* comme curateurs de sa succession. L’absence de certaines pièces justificatives rend très difficile la compréhension des données tirées des documents successoraux qui nous sont parvenus. Loin de montrer une situation financière en excédent, aussi reluisante que l’évaluation de £10 000 à £12 000 faite par Ægidius Fauteux*, ces documents laissent plutôt entrevoir une balance déficitaire. Il est donc difficile de formuler un jugement concluant sur l’état de la succession.
Brown reste un des personnages marquants de notre histoire par son esprit d’entreprise, par ses qualités de pionnier autant que par son succès et sa production. Il sera l’inspiration de Fleury Mesplet a Montréal, puis des grands de l’imprimerie et du journalisme, les Neilson, Pierre-Édouard Desbarats*, Thomas Cary, William Moore ; il occupe donc, à ce titre, la première place, illustrée par son monument, la Gazette.
En collaboration avec Jean-Francis Gervais
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En collaboration avec Jean-Francis Gervais, « BROWN, WILLIAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/brown_william_4F.html.
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Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1980 |
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Date de consultation: | 1 décembre 2024 |