SANGUINET, SIMON, négociant, notaire, avocat, juge de la Cour des plaids communs, né à Varennes (Québec) le 16 mars 1733, fils aîné de Simon Sanguinet et d’Angélique Lefebvre, dit Duchouquet, décédé à Montréal le 16 mars 1790.

Le père de Simon Sanguinet, originaire de France, exerça comme notaire royal à Varennes, près de Montréal, de 1734 à 1748, puis s’établit avec sa famille à Québec où il devait instrumenter jusqu’en 1771. On ne sait quelle formation reçut Simon ; à Québec, seul son frère Joseph fréquenta le séminaire. Lorsqu’il épouse Thérèse Réaume, le 15 janvier 1759 à Montréal, Simon se déclare négociant ; en avril de la même année, dans un acte notarié, il est dit : « Employé dans les Bureaux du Roy de cette ville ». Lentement, il apprend les méthodes financières avec de plus en plus de succès. Lors du contrat de mariage, les deux parties avaient apporté à la communauté la valeur de 10 000# chacune. L’année suivante, Simon achète de son beau-père, au prix de 22 000#, une maison située rue Saint-Louis à Montréal ; il en obtient 50 000# lorsqu’il la revend en 1764. Bien qu’il pratique également le prêt, il ne semble pas s’être associé au commerce des fourrures entrepris dans les années 1763–1765 par ses frères Christophe et Joseph. Au contraire, Sanguinet opte pour le monde juridique ; notaire en 1764, il se constitue rapidement une bonne clientèle. Comme plusieurs autres notaires des villes, il pratique également comme avocat, ayant obtenu sa commission en juillet 1768 – sa clientèle juridique devient bientôt aussi importante que celle de son étude. Secrétaire de la fabrique de Notre-Dame de Montréal à partir de 1765, membre d’une loge maçonnique depuis 1771, Sanguinet, très actif, est l’un des notables de la société montréalaise. L’invasion américaine de 1775–1776 va lui permettre de jouer un rôle important.

Fervent royaliste, il prend, sur le plan politique, une part active à la défense du pays, usant de ses relations et y consacrant temps et argent. C’est sur ses conseils, après avoir été chargé, avec sept autres Montréalais, de dresser le recensement et les rôles militaires, que le gouverneur Guy Carleton*, avec lequel il entretient des rapports amicaux, rétablit au début de juin 1775 la milice canadienne. Après l’arrivée des Américains à Montréal, le loyalisme de Sanguinet et de sa famille est source de tracas. Au début de janvier 1776, le général de brigade David Wooster décide l’arrestation – qui n’aura finalement pas lieu – de dix notables montréalais, dont Christophe, Joseph et Simon Sanguinet. En mars, Simon fait circuler une lettre virulente aux « Habitants du Canada », « peuple ingrat » qu’il invite à chasser les « brigands » américains. Il cherche également à informer Carleton de la situation qui prévaut à Montréal en lui envoyant des émissaires, notamment son jeune beau-frère, Charles Réaume, qui est fait prisonnier. Il finit par se rendre lui-même à Québec, à la mi-mai, en compagnie de sa belle-sœur Marguerite Réaume dont le mari, John Welles, s’enfuit, pendant ce temps, avec les Américains qui évacuent Montréal.

Sanguinet a laissé un témoignage complet et circonstancié de ces années mouvementées. L’essentiel du journal, intitulé « le Témoin oculaire de la guerre des Bastonnois en Canada dans les années 1775 et 1776 », couvre la période de février 1775 au 20 juin 1776, jour du retour de Carleton à Montréal. Le siège du fort Saint-Jean sur la rivière Richelieu, l’occupation de Montréal et le siège de Québec y sont abondamment décrits. Rapportant les faits avec un grand désir d’objectivité – « je suis impartial, je ne veux rien déguiser » – Sanguinet les commente tout au long de son récit, ne manquant jamais d’exprimer son opinion personnelle et n’épargnant personne. Ni les Américains dont il dénonce l’hypocrisie, ni l’administration coloniale – il stigmatise, entre autres, l’attentisme de Carleton et son absence de réactions devant les exactions commises par les troupes britanniques dans la province – ni les marchands britanniques, ni ses compatriotes – la population est taxée d’ignorance et une bonne partie de l’élite se voit reprocher sa course aux honneurs – n’échappent à ses critiques. La guerre, décrite dans un style très vivant, apparaît comme fort peu meurtrière. On se bat mais sans y mettre trop d’ardeur, et Sanguinet se demande si Carleton n’a pas reçu de Londres l’ordre de ne rien faire qui soit considéré comme irréparable, dans l’espoir d’une réconciliation avec les colonies révoltées.

De retour à ses activités professionnelles dès le départ des Américains, Sanguinet poursuit également ses transactions immobilières couronnées, en novembre 1782, par l’acquisition de la seigneurie de La Salle. Tout comme son frère Christophe, coseigneur de Varennes depuis 1776, Simon porte désormais le titre de seigneur. Mais ses transactions ne sont pas appréciées par tous. Sans essayer de prouver ses accusations, la Gazette littéraire pour la ville et district de Montréal, de Fleury Mesplet et de Valentin Jautard, qui avait déjà attaqué Sanguinet, le décrit en juin 1779 comme un homme méprisable qui, entre autres malhonnêtetés, a « usurpé une succession ».

L’ordonnance du 30 avril 1785 interdisant le cumul des professions d’avocat et de notaire impose un choix à Sanguinet. Lors de l’option, l’année suivante, il décide de rester avocat et signe son 2 472e et dernier acte notarié, le 16 juillet 1786. Son minutier, d’une calligraphie nette et soignée, est entièrement conservé.

Les dernières années de Sanguinet furent sans doute douloureuses. Sa femme meurt en mars 1787 à l’âge de 45 ans. Sa santé se détériore rapidement et, lors de son second mariage avec Marie-Jeanne Hervieux en octobre 1788, sa signature tremblante trahit la maladie. Il abandonne la même année son poste de secrétaire de la fabrique de Notre-Dame. De plus, ses frères Christophe et Joseph traversent avec difficulté de graves problèmes financiers.

Le 24 décembre 1788, Simon Sanguinet est nommé juge de la Cour des plaids communs dans le district de Montréal, peut-être en reconnaissance des services rendus. Une de ses premières tâches est de participer à l’enquête dirigée par le juge en chef William Smith sur le fonctionnement de cette cour. Ces occupations le tiennent éloigné du banc où il ne siège qu’occasionnellement jusqu’à son décès.

Le 14 mars 1790, Simon Sanguinet, qui n’a pas d’enfants, dicte ses dernières volontés au notaire Louis Chaboillez* et meurt le surlendemain à l’âge dé 57 ans. Les journaux de l’époque lui dressent une nécrologie digne d’un bienfaiteur de l’humanité, rapportant que son testament comporte un legs estimé à £11 000, constitué par sa maison de Montréal et sa seigneurie de La Salle, partie importante d’une fortune d’environ £15 000, pour la création d’une université. Des espoirs naissent dans la province. Le 31 octobre, une pétition portant 175 signatures de Canadiens et de Britanniques, dont celles de Charles-François Bailly de Messein et de David-François De Montmollin*, demande à Carleton, devenu lord Dorchester, qu’une suite soit donnée aux dernières volontés de Sanguinet. Dorchester lui-même, dans une lettre au ministre de l’Intérieur, responsable des colonies, concernant les questions d’éducation, se déclare en faveur du projet. Mais, dès le mois d’août, avait débuté un long et coûteux procès en annulation de testament. Tout au long de la procédure, les héritiers, dirigés par Christophe Sanguinet, s’appuyant sur un mémoire préparé par l’avocat Joseph-François Perrault*, insistent sur l’esprit débile et troublé de Simon dans ses derniers jours, sur l’incohérence de certaines dispositions du testament et sur le fait que quelques mots auraient été rayés après l’apposition des signatures. Le jugement en faveur des demandeurs est rendu en novembre 1792.

Il ne faut cependant pas croire que le projet de création d’une université échoua à cause de l’annulation du testament de Simon Sanguinet. Les résultats de l’enquête sur l’éducation instituée en 1787 ainsi que l’opposition de Mgr Hubert pesèrent d’un poids autrement plus lourd que la décision rendue en faveur des héritiers Sanguinet. Il n’en reste pas moins que, près d’un quart de siècle avant James McGill*, un notable canadien léguait une partie de sa fortune pour la création d’une université dans la province de Québec.

Yves-Jean Tremblay

« Le témoin oculaire de la guerre des Bastonnois en Canada dans les années 1775 et 1776 » a été publié par l’abbé Hospice-Anthelme-Jean-Baptiste Verreau* sous le titre de « Témoin oculaire de l’invasion du Canada par les Bastonnois : journal de M. Sanguinet » dans Invasion du Canada. La question de la validité du testament de Simon Sanguinet a été débattue par Ægidius Fauteux*, dans « Le testament Sanguinet », la Patrie (Montréal), 10 mai 1936, 44s., qui reprend l’argumentation développée par Joseph-François Perrault dans son Mémoire en cassation du testament de MrSimon Sanguinet, écuyer, seigneur de la Salle, &c., précédé du testament, publié par Fleury Mesplet à Montréal au début de l’année 1791. La même année que Fauteux, Francis-Joseph Audet* publie un article plus nuancé, « Simon Sanguinet et le projet d’université de 1790 », SRC Mémoires, 3e sér., XXX (1936), sect. i : 53–70. Le Jeune, Dictionnaire, et Tanguay, Dictionnaire, font erreur en écrivant que le grand-père de Simon Sanguinet vint au Canada. Signalons enfin que le greffe de Simon Sanguinet, 1764–1786, est déposé aux ANQ-M.  [y.-j. t.]

ANQ-M, Doc. jud., Contrats de shérif, 1767–1799, 10 sept. 1700, 31 déc. 1772, 11 mai 1773, 18 nov. 1782 ; Cour des plaidoyers communs, Registres, 14 août 1790, nov. 1792 ; État civil, Catholiques, Notre-Dame de Montréal, 15 janv. 1759, 1761, 1762, 10 mars 1787, 18 mars 1790 ; Sainte-Anne (Varennes), 16 mars 1733 ; Greffe de Louis Chaboillez, 22 oct. 1788, 3, 14 mars 1790 ; Greffe de L.-C. Danré de Blanzy, 14 janv. 1759, 15 sept. 1760 ; Greffe de J.-G. Delisle, 17 mars 1790 ; Greffe d’Antoine Foucher, 1er oct. 1788 ; Greffe de J.-P. Gauthier, 17 juin 1790, 12 mars 1792 ; Greffe de P.-F. Mézière, 7 sept. 1764 ; Greffe de Pierre Panet, 16 avril 1759 ; Greffe de Joseph Papineau, 23 mars, 12 avril 1790 ; Greffe de Simon Sanguinet, père, 1734–1747 ; Greffe de François Simonnet, 10 sept. 1764 ; Insinuations, Registres des insinuations, 23 mars 1790.— ANQ-Q, Greffe de Simon Sanguinet, père, 1748–1771.— La Gazette de Montréal, 25 mars 1790.— La Gazette de Québec, 25 mars 1790.— La Gazette littéraire pour la ville et district de Montréal, 2 juin 1779. Audet, Le système scolaire, II.— J.-J. Lefebvre, Notes sur Simon Sanguinet, BRH, XXXIX (1933) : 83 ; Les premiers notaires de Montréal sous le Régime anglais, 1760–1800, La Revue du notariat (Québec), 45 (1942–1943) : 293–321 ; Les Sanguinet de LaSalle, SGCF Mémoires, II (1946–1947) : 24–49.

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Yves-Jean Tremblay, « SANGUINET, SIMON », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/sanguinet_simon_4F.html.

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Auteur de l'article:    Yves-Jean Tremblay
Titre de l'article:    SANGUINET, SIMON
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1980
Année de la révision:    1980
Date de consultation:    28 novembre 2024