ROUTH, RICHARD, fonctionnaire et juge, né à Bristol, Angleterre ; le 3 juillet 1771, il épousa Abigail Eppes, fille de William Eppes, de Salem, Massachusetts, et ils eurent sept enfants, parmi lesquels Randolph Isham* ; décédé en 1801, en mer.
Du premier coup d’œil, Charles Dickens aurait classé Richard Routh dans une catégorie classique de gens, celle des chercheurs de postes invétérés. Il en savait peu sur les revenus publics, mais il passa de l’anonymat de sa vie civile au plus haut poste des douanes de Terre-Neuve ; il en savait encore moins en droit, mais devint juge en chef de l’île.
À l’âge de 17 ans, Routh émigra de Bristol à Salem où il devint magasinier. Pendant sept ans, il occupa aussi le poste de receveur adjoint des douanes à Salem et à Marblehead. Loyaliste, il prit part à l’évacuation de Boston en mars 1776 et, cet été-là, à New York, il se joignit aux Associated Loyalists of Massachusetts afin de défendre la ville. En octobre 1778, il partit pour l’Angleterre avec sa famille.
Même si Routh n’avait pas d’emploi, il ne manquait pas d’influence ; c’est probablement son beau-père qui le mit en contact avec Benjamin Lester, de Poole, le plus riche marchand parmi ceux qui faisaient le commerce terre-neuvien. Le nom de Routh apparut dans le journal de Lester en 1779 ; peu après, Routh vint à Poole où il travailla comme commis principal ou gérant de certaines affaires commerciales de Lester. Cependant, ses perspectives d’avancement s’évanouirent en 1782, lorsque George Garland, gendre de Lester, se joignit à l’entreprise de ce dernier. Apparemment, Routh acheta alors un navire et s’apprêta à se lancer en affaires à son compte. Toutefois, un événement à Terre-Neuve rendit inutile cette décision : le poste de receveur des douanes fut déclaré vacant. Il n’y avait plus de titulaire depuis 1777, mais la Révolution américaine avait accaparé le gouvernement britannique et personne à Terre-Neuve n’était pressé de rappeler aux autorités qu’il n’y avait plus de bureau des douanes dans l’île. Lester avait une grande influence sur le plan politique, ce qui lui permit d’obtenir, entre 1782 et 1785, le poste de receveur des douanes pour Routh et celui de contrôleur des douanes pour D’Ewes Coke, médecin de la principale pêcherie de Lester, à la baie de Trinité.
Routh s’embarqua pour Terre-Neuve en 1782 ; il revint à Poole le jour même où les marchands se réunissaient et prenaient la décision d’appuyer leurs confrères de Dartmouth dans leur campagne en vue de l’abolition du bureau des douanes à Terre-Neuve. Ce n’était pas Routh lui-même qui était visé par cette campagne, puisqu’elle existait depuis que les commissaires des douanes avaient décidé en 1764 que Terre-Neuve, tout comme les possessions continentales, devait avoir un bureau des douanes. Routh réagit rapidement à la nouvelle du vote des marchands en faveur de l’abolition de son poste et passa la fin de décembre 1782 à essayer d’obtenir les bonnes grâces de ceux qu’il put rencontrer. En même temps, Lester y allait de son influence encore beaucoup plus forte ; très vite, une nouvelle réunion des marchands eut lieu, la résolution précédente « fut abandonnée, et on convint que M. Routh [ferait] tout ce qui était en son pouvoir pour réduire les injustices dont ils se plaignaient et pour calculer les droits d’une façon plus équitable ». Ce renversement créa une division entre les marchands de Poole et ceux de Dartmouth et de Bristol qui continuèrent leurs pressions pour abolir le bureau des douanes. L’influence de Lester ou l’attitude apaisante et modeste de Routh ne suffisent pas toutefois à expliquer cette division. Les principaux intérêts des marchands du Devon se trouvaient à St John’s, donc sous la surveillance directe des employés des douanes. Une seule entreprise de Poole y était établie ; les autres ne commerçaient que dans les petits villages de pêcheurs où tous les employés des douanes étaient des agents, des médecins ou des ecclésiastiques sous l’influence des marchands.
En 1786, le gouvernement confirma la nécessité du bureau des douanes. Malgré cette assurance, Routh aurait à faire face à l’hostilité des marchands engagés dans le commerce à St John’s presque jusqu’à la fin de sa vie ; mais ce sentiment sera sourd et généralement passif, en partie à cause de la discrétion de Routh dans l’exercice de ses fonctions. Le receveur des douanes à Terre-Neuve n’avait pas de traitement fixe et la rémunération de Routh correspondait à une portion des droits prélevés sur les chargements et les expéditions. Ce travail avait toutefois un attrait incomparable : le receveur, contrairement à son adjoint le contrôleur, n’était pas obligé d’habiter l’île en permanence. La saison des expéditions à Terre-Neuve se réduisait à la période d’avril à décembre et le contrôleur pouvait voir à tout pendant la plus grande partie de ce temps – Routh ne devait être là qu’à la fin de la saison de pêche. Il exploita cette situation au maximum. Jamais il ne quitta l’Angleterre avant juin, retardant quelques fois la traversée jusqu’en août, tout en étant assuré d’être de retour en Grande-Bretagne à la fin de décembre. Sa famille était établie à Poole, et il occupait agréablement ses hivers par des dîners et par des voyages à la campagne, « aux eaux » à Bath, et jusqu’à Londres. D’autre part, il adoucit les rigueurs de la vie terre-neuvienne en engageant une domestique et en important ce qui paraît avoir été le premier carrosse. Seuls les dangers de la mer et une reprise, entre 1790 et 1793, de l’opposition des marchands au bureau des douanes animèrent cette vie aux habitudes agréables et pleines de dignité. Routh continua de gagner l’appui de marchands qui lui étaient auparavant hostiles, acquit la confiance du gouvernement et des différents gouverneurs, et conserva la chaleureuse estime de Benjamin Lester.
En 1798, un événement inattendu projeta Routh au sommet de sa carrière : D’Ewes Coke, devenu juge en chef de Terre-Neuve, fut forcé de démissionner. À la suite du départ de John Reeves* en 1793, il avait été impossible de convaincre quiconque possédait même une infime formation juridique de le remplacer au poste de juge en chef ; en l’absence de candidat qualifié, Coke avait obtenu le poste. Même si à l’origine on n’exigeait pas qu’il résidât dans l’île en permanence, en 1798, le gouverneur William Waldegrave obtint du gouvernement qu’il rendît cette condition obligatoire. Coke prétexta une mauvaise santé et donna sa démission. Les marchands de Poole exercèrent une pression énergique qui aboutit à la nomination de Routh ; par inadvertance, il continua aussi son travail de receveur des douanes. Cependant, les trois dernières années de sa vie furent de moins en moins agréables. Pas plus que Coke, il ne voulait passer un seul hiver à Terre-Neuve et, à l’étonnement de tous, il apparut en Angleterre à la fin de l’année, expliquant qu’il était venu chercher sa famille. Le gouvernement en colère ordonna son retour, en mars, par le premier navire de guerre. Routh répondit par un certificat médical attestant qu’une grave crise de goutte rendait fort imprudent un voyage à Terre-Neuve.
Routh traversa finalement en juillet 1799, sans sa famille, et bien décidé à revenir chez lui à la fin de l’année. Il attendit le départ de Waldegrave pour l’Angleterre et dut ainsi faire la traversée sur un brick de pêche de Dartmouth. Un corsaire français captura le navire en janvier 1800 et, pendant deux mois, Routh dut subir une captivité coûteuse et épuisante. Il retourna tristement à Terre-Neuve la même année, passa deux ou trois mois dans l’île puis, en décembre, monta à bord de la frégate Camilla, à destination de l’Angleterre. Des vents violents couchèrent le navire ; Routh relata qu’il se retrouva sous l’eau pendant cinq minutes, ce qui aggrava de beaucoup sa goutte et n’améliora en rien les rapports aigres qu’il entretenait alors avec ses supérieurs. À ce moment-là, Routh devait regretter sa décision de faire la navette entre l’Angleterre et Terre-Neuve, mais les besoins de sa famille le poussaient. En août 1801, il rata le convoi et dut prendre place à bord d’un navire marchand inconnu. En décembre, il n’était pas revenu en Angleterre et ses amis commencèrent à s’inquiéter. Six mois plus tard, le gouvernement britannique reçut une lettre du juge en chef du tribunal de surrogate à St John’s, Jonathan Ogden, qui, avec une sympathie attentionnée, rappelait au gouvernement qu’on devait maintenant présumer la mort de Routh, indiquait le besoin d’avoir un nouveau juge en chef et recommandait sa propre nomination.
Ainsi prit fin la vie de Richard Routh. Eut-il quelque influence sur le monde ? Elle fut minime, doit-on admettre. Néanmoins, il avait subvenu aux besoins de sa femme et avait élevé ses enfants jusqu’à leur maturité. Ses liens avec Lester se prolongèrent au delà de leurs vies, puisque la plupart de ses fils devinrent marchands et que certains le devinrent presque assurément sous l’influence des héritiers de Lester.
Dorset Record Office, D365/F2–F10 ; P227/RE3–RE10 (Reg. des mariages, 1770–1786).— Hunt, Roope & Co. (Londres), Robert Newman & Co., letterbooks, 1800.— PANL, GN 2/1, 1783–1801.— PRO, BT 1/2 ; BT 5/5 ; 5/9 ; CO 194/21–43 ; CO 325/5.— G.-B., House of Commons, Reports from committees of the House of Commons which have been printed by order of the house and are not inserted in the Journals, [1715–1801] (16 vol., Londres, [1803–1820]), 10 : 391–503, « Reports from the committee on the state of the trade to Newfoundland, severally reported in March, April, & June, 1793 ».— Jones, Loyalists of Mass.— Stark, Loyalists of Mass. (1910).
Keith Matthews, « ROUTH, RICHARD », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/routh_richard_5F.html.
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Auteur de l'article: | Keith Matthews |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1983 |
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