PICQUET, FRANÇOIS, prêtre, sulpicien et missionnaire, né à Bourg-en-Bresse, France, le 4 décembre 1708, fils d’André Picquet et de Marie-Philippe Berthet, décédé le 15 juillet 1781 à Verjon (dép. de l’Ain, France).
Après des études au collège des jésuites de Bourg-en-Bresse, François Picquet entre au séminaire de Lyon en 1728 ; il poursuit sa formation au séminaire de Saint-Sulpice à Paris, où il est ordonné prêtre le 10 avril 1734. Arrivé à Montréal au cours du même été, il y exerce le ministère paroissial jusqu’en 1739, tout en s’initiant aux langues et coutumes des Amérindiens. De 1739 à 1749, il réside à la mission sulpicienne du Lac-des-Deux-Montagnes (Oka), fondée en 1721. Si on peut lui concéder à ce moment la paternité de quelques cantiques et textes catéchistiques en iroquois, il n’en est pas de même – contrairement à ce que veut une tradition trop généreuse à son égard – pour le calvaire d’Oka, que faisait construire son confrère Hamon Guen*de 1740 à 1742, ni pour diverses autres constructions de la mission, érigées bien avant son arrivée.
C’est à ce moment que semble se dessiner sa vocation principale qui consistera à tenter de rallier à la France l’ensemble des Amérindiens du sud des Grands Lacs. En 1745, Picquet se rend avec un certain nombre d’Iroquois à Québec-où l’intendant Hocquart lui aurait alors décerné « le titre d’apôtre des Iroquois » – et rencontre ensuite le gouverneur Beauharnois* qui le félicite pour son rôle auprès de ceux-ci.
Le 5 octobre 1748, le commandant général de la Nouvelle-France, Roland-Michel Barrin* de La Galissonière, annonce à Maurepas le prochain départ de Picquet pour le fort Frontenac (Kingston, Ontario). Il a mission d’y trouver le meilleur emplacement pour y établir un village pour les Indiens voulant se convertir au christianisme. Il choisit un terrain au-dessous des Mille-Îles, dans un rétrécissement du fleuve stratégiquement avantageux. Le let juin 1749, avec 25 Français et 4 Indiens, il y fonde le poste de La Présentation (Oswegatchie ; aujourd’hui Ogdensburg, New York). Dès l’automne suivant, Picquet a fait terminer un fort palissadé avec redoute et habitations, abritant quelque 300 Iroquois, Hurons et autres Indiens. Mais le « Le Loutre » [Jean-Louis Le Loutre] des pays d’en haut se propose surtout de détacher les Cinq-Nations de l’alliance anglaise. C’est à ce titre qu’il se rend à Montréal avec « ses » Iroquois, au mois d’août 1752, pour qu’ils prêtent serment d’allégeance au nouveau gouverneur Duquesne. Les secours pour sa mission étant toutefois insuffisants à son gré, il s’embarque à l’été de 1753 sur l’Algonkin avec trois Iroquois pour demander à Louis XV de l’aider. Si l’aide est minime – 3 000#, quelques volumes et une statue – le spectacle, lui, est goûté. Ce qui permettra à l’ « hagiographe » de Picquet, Joseph-Jérôme Lefrançois de Lalande, d’écrire : “ La guerre ne fut pas plutôt déclarée en 1754, que les nouveaux enfans de Dieu, du Roi, et de M. Picquet ne songèrent qu’à donner des preuves de leur fidélité et de leur valeur. »
De retour en Nouvelle-France en 1754, et à défaut d’un confortable doyenné du chapitre qu’il postule en vain, le bouillant sulpicien se lance à corps perdu dans la mêlée finale qui oppose la France à la Grande-Bretagne en Amérique du Nord. À compter de 1755, on le retrouve partout, comme aumônier militaire, comme conseiller ou encore comme « armée », puisque, selon Lalande citant le gouverneur Duquesne, « l’abbé Picquet valoit mieux que dix régimens ». Pendant que Pierre-Paul-François de Lagarde travaille à la mission, Picquet participe, en 1756, à l’expédition contre le fort Bull (à l’est du lac Oneida, New York) et à celle contre Chouaguen (ou Oswego ; aujourd’hui Oswego, New York). Montcalm* note que « les sauvages, suivant le rapport de l’abbé Piquet, disent que les Anglais ont mis sa tête à prix ». « Aussi, poursuit Lalande, les Généraux, les Commandans, les troupes lui marquoient, par des honneurs militaires, leur estime et leur reconnoissance d’une maniere extraordinaire [...]. Il recevoit ces honneurs, soit à l’armée, soit à Québec, à Montréal, aux trois rivières, dans tous les forts où il passoit. »
Gratifié d’une pension du roi en mars 1757, Picquet entreprend deux mois plus tard des négociations secrètes avec les Onneiouts, qui aboutissent à une alliance plus qu’éphémère. Mais avec l’intensification des combats, le gouverneur Vaudreuil [Rigaud] décide d’installer un commandant militaire – Claude-Nicolas de Lorimier* de La Rivière – au fort de La Présentation. Insulté par un tel partage des pouvoirs, l’autocratique abbé se retire, en mars 1758, dans son ancienne mission du Lac-des-Deux-Montagnes. Il n’en reparaît que le 18 mai. « L’abbé Piquet, sorti du fond de sa retraite, a paru ce matin ; c’est un seigneur de la cour, mécontent, qui a passé deux mois sur ses terres » note Montcalm qui, en bon Français, lui donne raison contre le gouverneur.
« Très accrédité » auprès des Indiens, l’abbé Picquet les guide, le 8 juillet 1758, à la fameuse bataille de Carillon (Ticonderoga, New York), où, selon une chanson composée après la victoire, il aurait ainsi exhorté l’armée avant le combat :
Enfants, dit-il, animez-vous !
L’Bon Dieu, sa Mèr’, tout est pour vous.
Reconnaissant, Vaudreuil remplace l’acariâtre Lorimier par l’affable commandant Antoine-Gabriel-François Benoist. Et en mars 1759, en confiant à Pierre Pouchot* la mission d’assumer provisoirement le commandement de La Présentation, Vaudreuil lui enjoint « d’avoir pour l’abbé Piquet les égards dus à son caractère, et au crédit qu’il a dans les nations ». Mais de toute façon la résistance s’écroule. Même si Vaudreuil, Lévis, Montcalm et autres ne tarissent point d’éloges à l’égard de Picquet qui « a fait sa campagne en guerrier », celui-ci, après l’expédition ratée de Louis de La Corne* à Chouaguen en juillet 1759, sent bien l’imminence du dénouement. Conscient de l’insuffisance des fortifications de La Présentation, il décide d’emménager sa mission dans une île rapprochée, l’île Picquet. Mais les Indiens, « qui y crèvent de faim », commencent à s’enfuir. Picquet se rend à Montréal durant l’hiver de 1760 pour tenter d’obtenir des secours. Peine perdue ! Il ne lui reste plus qu’à revenir sur son île – ce qu’il fait en mars 1760 – regrouper les Indiens les plus démunis et les ramener au cours de l’été dans une capitale qui n’a pour tout empire qu’elle seule...
Refusant apparemment de se soumettre au nouveau maître, et peut-être parce que sa tête était mise à prix, Picquet, accompagné de 25 Français et de quelques Indiens, quitte subrepticement Montréal, sur le point de capituler, pour se diriger vers La Nouvelle-Orléans où il parvient en juillet 1761. Il y séjourne jusqu’en avril 1763, alors qu’il s’embarque, définitivement cette fois, pour la France.
Ses difficultés ne sont pas pour autant terminées, car on refuse maintenant une pension à celui qui, nous informe de façon toujours aussi objectivement pondérée son biographe Lalande, « avoit exposé mille et mille fois sa vie, sauvé souvent les sujets du Roi et la gloire de ses armes, et qui pouvoit même dire qu’il n’y avoit point eu d’actions glorieuses à la France pendant son séjour au Canada, auxquelles il n’ait eu grande part ». L’assemblée générale du clergé de France viendra toutefois à son secours en lui versant 1 200# à deux reprises, soit en 1765 et en 1770.
En 1772, Picquet décide de retourner dans sa Bresse natale, exerçant d’abord à Verjon le ministère paroissial jusqu’en 1775, et, cet abbé tout salpêtre, devient finalement aumônier des visitandines à Bourg-en-Bresse jusqu’en 1779. En mars 1777, il se rendit à Rome où Pie VI lui accorda une audience privée, tandis que « ses » visitandines le présentaient dans une circulaire comme « connu aux quatre coins du monde [...], étant aimé du peuple, respecté des sauvages, estimé des grands et surtout de Louis XV, qui lui avoit donné, de même que le pape, toute sorte d’autorité et de pouvoir ». C’en est assez pour qu’il prenne sa retraite, achetant champ et maison près de Cluny en 1779. Appelé à Verjon pour affaires en 1781, il y meurt le 15 juillet d’une hémorragie doublée d’hydropisie.
Le problème majeur, relativement à l’abbé Picquet, consiste à tenter de dégager la vérité d’un fatras d’hyperboles à panache. Le tout commence avec la publication de sa vie, à Paris en 1783, par son ami et concitoyen, l’astronome Joseph-Jérôme Lefrançois de Lalande. Sans fournir de références, le savant nous raconte que Picquet a littéralement tout fait, ralliant l’ Iroquoisie tout entière – il faillit faire de même avec les « Nègres et Négresses de la Nouvelle-Angleterre » – faisant trembler l’Angleterre, prévoyant et dirigeant les guerres. D’ailleurs, lorsque Amherst pénétra dans Montréal, il « s’informa d’abord du lieu où M. Picquet pouvoit s’être réfugié ».
Un peu plus d’un siècle après un aussi fulgurant départ, André Chagny, catholique et royaliste comme seul un Français du xixe siècle savait l’être, décide de poursuivre l’épopée. Acceptant inconditionnellement le texte de Lalande, il comble de son cru en 600 pages les vides laissés par les trop minces 60 pages de son prédécesseur. On a conséquemment droit – entre autres – à une apologie de l’humilité de l’abbé Picquet, ainsi qu’à un chant du cygne digne des prémisses : « Grâce à tous ceux qui défendirent alors la Nouvelle-France, et en première ligne à l’abbé Picquet, on peut affirmer hardiment qu’il subsiste de l’autre côté de l’Atlantique quelque chose de la grande âme de la France. » Par la suite, Joseph Tassé*, Pierre Rousseau et Auguste-Honoré Gosselin* moduleront sur ce sujet des variations mineures. Un fait demeure toutefois indéniable : les nombreux éloges – qu’on retrouve dans la Coll. des manuscrits de Lévis – décernés unanimement à notre abbé par les dirigeants de la colonie. À partir de cela, et sans rêver d’un surhomme, on peut sans doute au moins songer à un Le Loutre de l’Ouest. Ce qui n’est déjà pas si mal... [r. l.]
Coll. des manuscrits de Lévis (Casgrain), I : 198 ; II : 187 ; V : 254s., 307 ; VII : 119, 206, 481 ; VIII : 97, 103 ; X :189, 204.— J.-J. Lefrançois de Lalande, Mémoire sur la vie de M. Picquet, missionnaire au Canada, par M. de la Lande, de l’Académie des Sciences, Lettres édifiantes et curieuses, écrites des missions étrangères par quelques missionnaires de la Compagnie de Jésus, Y.-M.-M. de Querbeuf, édit. (nouv. éd., 26 vol., Paris, 1780–1783), XXVI : 1–63.— Les malignités du sieur de Courville, BRH, L (1944) : 69s.— [A.-J.-H. de Maurès de Malartic, comte de Malartic], Journal des campagnes au Canada de 1755 à 1760 [...], Gabriel de Maurès de Malartic et Paul Gaffarel, édit. (Dijon, France, 1890).— Louise Dechêne, Inventaire des documents relatifs à l’histoire du Canada conservés dans les archives de la Compagnie de Saint-Sulpice à Paris, ANQ Rapport, 1969, 147–288.— André Chagny, Un défenseur de la « Nouvelle-France », François Picquet, « le Canadien » (1708–1781) (Montréal et Paris, 1913).— Frégault, La guerre de la Conquête.— Pierre Rousseau, Saint-Sulpice et les missions catholiques (Montréal, 1930).-M. Trudel, L’Église canadienne.-J.-G. Forbes, La mission d’Oka et ses missionnaires, BRH, VI (1900) : 147.— A.[-H.] Gosselin, Le fondateur de la Présentation (Ogdensburg) : l’abbé Picquet (1734–1760), SRC Mémoires, 1re sér., XII (1894), sect. i : 3–28.— Olivier Maurault, Quand Saint-Sulpice allait en guerre ..., Cahiers des Dix, 5 (1940) : 11–30.— J. R. Porter, Le calvaire d’Oka, Vie des arts (Montréal), XIX (1974–1975), no 76 : 88s.— P.-G. Roy, Pierre Margane des Forêts de Lavaltrie, BRH, XXIII (1917) : 71–77.— Joseph Tassé, L’abbé Picquet, Revue canadienne (Montréal), VII (1870) : 5–23, 102–118.— Têtu, Le chapitre de la cathédrale, BRH, XV : 97–111.
Robert Lahaise, « PICQUET, FRANÇOIS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/picquet_francois_4F.html.
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Auteur de l'article: | Robert Lahaise |
Titre de l'article: | PICQUET, FRANÇOIS |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1980 |
Année de la révision: | 1980 |
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