GUIGUES, JOSEPH-BRUNO, prêtre, oblat de Marie-Immaculée, évêque et professeur, né au hameau de La Garde, commune de Gap, Hautes-Alpes, France, le 26 août 1805, fils de Bruno Guigues, officier militaire et orfèvre, et de Thérèse Richier, décédé à Ottawa le 8 février 1874.

Bruno Guigues, au prénom duquel on ajoute parfois Eugène, commença ses études à Gap et les continua au petit séminaire de Forcalquier. Il entra au noviciat des oblats à Notre-Dame-du-Laus (Hautes-Alpes) le 2 août 1821. À cause de son jeune âge, il ne fit profession à Aix-en-Provence que le 4 novembre 1823 et demeura en cette ville pour compléter ses études théologiques.

Simple diacre, Guigues fut nommé professeur de philosophie (1827–1828) et économe (1827–1829) au grand séminaire de Marseille. Le 31 mai 1828, Mgr Charles-Fortuné de Mazenod, évêque de Marseille, l’ordonna prêtre. Peu après, on le nomma maître des novices à Saint-Just, près de Marseille, mais il dut abandonner sa charge pour cause de santé et passa alors quelques années à Notre-Dame-du-Laus et à Aix. En 1834, Guigues devint premier supérieur et curé d’office à Notre-Dame de l’Osier (Isère) et releva cet ancien pèlerinage de ses ruines matérielles et spirituelles. En même temps, il se livra à la prédication de retraites dans les diocèses de Grenoble et de Valence et collabora au journal catholique régional.

En 1844, après dix ans de dévouement au cours desquels il gagna la confiance des évêques français, il fut nommé « visiteur » ou supérieur extraordinaire au Canada où les oblats travaillaient depuis 1841. Arrivé à Longueuil le 18 août 1844, il s’occupa sans tarder de l’organisation de sa congrégation. Pendant son séjour à Longueuil, il envoya des missionnaires prendre la relève de prêtres séculiers. C’est ainsi que les Indiens du Saguenay et du Témiscamingue reçurent leurs visites. Puis, en 1845, les pères Alexandre-Antonin Taché* et Pierre Aubert* partirent pour les missions de la Rivière-Rouge. Guigues chercha en outre à envoyer des pères dans l’Oregon : en 1847, le père Pascal Ricard, accompagné de trois prêtres et d’un frère, quitta la France pour cette mission. De plus, des oblats s’occupèrent de quelques maisons des États-Unis. Tout en dirigeant les activités missionnaires, Guigues fut supérieur de la nouvelle communauté des Sœurs des Saint-Noms de Jésus et de Marie.

Les évêques canadiens, Mgr Ignace Bourget* en tête, ne tardèrent pas à reconnaître les qualités du supérieur des oblats et obtinrent sa nomination comme premier évêque de Bytown (Ottawa), le 9 juillet 1847. Peu versé dans la langue anglaise, il se retira dans la paroisse de Saint-Colomban dans le diocèse de Montréal (aujourd’hui dans le diocèse de Saint-Jérôme), afin d’apprendre cette langue indispensable dans son nouveau champ d’action. Il fut ensuite sacré évêque dans la cathédrale de Bytown le 30 juillet 1848 par Mgr Rémi Gaulin*, évêque de Kingston.

Le nouvel évêque continua à diriger la congrégation des oblats à titre de « visiteur extraordinaire » jusqu’en 1851, quand le père Jacques Santoni lui succéda, puis en qualité de provincial, de 1856 à 1864. Il fut alors remplacé par le père Joseph-Henri Tabaret*. Cette charge ne l’empêcha pas de s’occuper sérieusement des affaires de son vaste diocèse qui comptait une population de 35 000 à 40 000 âmes, dont une bonne partie était de religion protestante. À son arrivée, il trouva une cathédrale inachevée, trois églises en pierre et une quinzaine de chapelles en bois ; sept prêtres séculiers et sept oblats composaient tout son clergé. Il se mit résolument à I’œuvre et, à sa mort, on comptait 67 églises, 48 chapelles et plusieurs écoles. Il disposait de 53 prêtres séculiers et de 37 oblats. En 1871, la population du diocèse atteignait 182 171 âmes, dont 96 548 étaient catholiques.

L’évêque s’intéressa vivement aux missions chez les Indiens et dans les chantiers. Il travailla même à faire ériger un vicariat apostolique pour les Indiens situés entre la baie de James et le Labrador mais la réalisation de ce plan ne se fit qu’au xxe siècle. Guigues se dévoua aussi à l’œuvre de la colonisation ; pour en assurer la réussite, il fonda dès le 3 septembre 1849 une société de colonisation dont il assuma lui-même la présidence. Cette société devait fournir les renseignements utiles aux nouveaux colons, obtenir du gouvernement l’ouverture de routes et l’arpentage des terres. Il écrivit de nombreuses lettres à ce sujet aux diverses autorités. Il estimait que le clergé devait s’intéresser à cette œuvre, mais il la considérait « essentiellement laïque » et il valait mieux que la direction en fût laissée aux laïcs. Pour que cette œuvre progresse il jugea bon de diriger les colons du Québec vers la Gatineau et les cantons situés entre Rigaud et Bytown. « Mieux vaut commencer par ceux-là, disait-il, car les Canadiens s’effraient quand ils sont seuls ; il vaut mieux les mettre en compagnie. » Quant aux colons irlandais, il les encouragea à se fixer entre Ottawa et le lac Huron.

L’éducation de la jeunesse fut l’un de ses premiers soucis. Dès septembre 1848, il ouvrit un collège et un grand séminaire à Bytown. En 1856, on éleva un nouveau collège en pierre sur l’emplacement actuel de l’université d’Ottawa ; le père Joseph-Henri Tabaret en était le supérieur. La direction en fut confiée aux oblats qui la conservèrent jusqu’en 1965. Son séminaire lui fournissait quelques prêtres, mais, pour compléter les effectifs, il dut recruter plusieurs sujets dans son diocèse d’origine.

Perspicace, Mgr Guigues saisit immédiatement le caractère spécial de son diocèse et instaura le bilinguisme dans le ministère et dans l’enseignement. Il se montra également très actif en faveur des écoles catholiques et lutta longtemps afin d’obtenir justice pour les catholiques et les Canadiens français. À cet effet, il offrit de faire donner gratuitement au collège d’Ottawa « un cours d’instruction propre à compléter les études et obtenir les qualifications nécessaires pour l’enseignement ». Il présida plusieurs réunions de citoyens pour les encourager à soutenir et à défendre les écoles catholiques et françaises. Il fut en relation constante avec l’épiscopat ontarien, en particulier avec Mgr Armand de Charbonnel*, évêque de Toronto, ainsi qu’avec Richard William Scott*, membre de l’Assemblée législative, afin d’obtenir en 1863 une loi favorable aux écoles séparées. Dans ses lettres adressées à Egerton Ryerson*, surintendant de l’Instruction dans le Canada-Ouest, il dénonça les écoles mixtes (common schools) qu’il considérait comme une des plus grandes menaces pour la paix des familles et pour l’avenir du pays tout entier. Enfin, il aida les écoles d’Ottawa en leur prêtant des sommes tirées de la caisse épiscopale. Il appuya les sœurs grises, déjà établies à Ottawa, et leur supérieure, mère Élisabeth Bruyère, et fit venir les Frères des écoles chrétiennes et les sœurs de la Congrégation de Notre-Dame. Celles-ci organisèrent un pensionnat.

Ami des pauvres et des délaissés, Mgr Guigues donna son appui à la fondation d’un refuge pour vieillards et recruta les sœurs du Bon-Pasteur d’Angers qui vinrent de Buffalo ouvrir une maison pour la sauvegarde des jeunes filles. L’évêque encouragea également l’Institut canadien-français d’Ottawa, l’Union Saint-Joseph (devenu l’Union du Canada), l’Institut des jeunes Irlandais catholiques, le Cercle littéraire de la jeunesse catholique, et la Société Saint-Vincent-de-Paul.

L’évêque d’Ottawa eut à cœur les intérêts de l’Église canadienne et assista régulièrement aux conciles provinciaux de Québec. Il se rendit au concile du Vatican en 1870 où il reçut le titre de comte romain, et plusieurs chapitres généraux de sa congrégation en France furent honorés de sa présence. Son attachement à l’Église universelle lui avait fait proposer un plan pour le soutien des zouaves lors de l’invasion des états pontificaux en 1867. Dès 1860 il avait proposé que chaque évêque soutînt un ou plusieurs zouaves.

D’une grande douceur et aménité de caractère, Mgr Guigues possédait une rare énergie, et il savait contourner les obstacles pour arriver à ses fins. Homme très simple, il remplit jusqu’à la fin de sa vie les fonctions de curé ou de vicaire, assidu au confessionnal dans sa cathédrale, prêchant souvent et visitant les malades. Il faisait la tournée de son diocèse chaque année et ces visites constituaient de véritables retraites au cours desquelles l’évêque était accessible à tous.

Gaston Carrière

On trouve à l’archevêché d’Ottawa dix registres de la correspondance de monseigneur Guigues ; plusieurs autres lettres se retrouvent dans les Archives provinciales O.M.I. (Montréal) et les Archives générales O.M.I. (Rome). Il existe une copie de chacun de ces documents aux AHO. Une copie du dossier F. 182 (Ottawa, rapports de missions, 1848–1876) des Archives de la Propagation de la Foi de Paris se trouve au Centre de recherche en histoire religieuse, séminaire universitaire Saint-Paul (Ottawa).

[Louis Gladu], Monseigneur J. E. B. Guigues, 1er évêque d’Ottawa : sa vie et ses œuvres (Ottawa, 1874).— Notices nécrologiques des O.M.I., III : 89–130.— Alexis de Barbezieux, Histoire de la province ecclésiastique d’Ottawa et de la colonisation dans la vallée de l’Ottawa (2 vol., Ottawa, 1897), I : 241–609.— Carrière, Histoire des O.M.I.— Pierre Hurtubise, Mgr de Charbonnel et Mgr Guigues ; la lutte en faveur des écoles séparées à la lumière de leur correspondance (1850–1856), Revue de l’université d’Ottawa, XXXIII (1963) : 38–61.— Henri Morisseau, Mgr Joseph-Eugène Guigues, oblat de Marie-Immaculée, premier évêque d’Ottawa, Revue de l’université d’Ottawa, XVII (1947) : 136–180.— Albert Perbal, Mgr Guigues [...], Petites annales de la Congrégation de missionnaires oblats de Marie-Immaculée (Paris), XIX (1909) : 139–145.— Edgar Thivierge, À la naissance du diocèse d’Ottawa, Revue de l’université d’Ottawa, VII (1937) : 424–440 ; VIII (1938) : 6–30.

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Gaston Carrière, « GUIGUES, JOSEPH-BRUNO », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/guigues_joseph_bruno_10F.html.

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Auteur de l'article:    Gaston Carrière
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 10
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1972
Année de la révision:    1972
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