GIROUARD, DÉSIRÉ, avocat, homme politique, juge et auteur, né le 7 juillet 1836 à Saint-Timothée, Bas-Canada, fils de Jérémie Girouard, fermier et charron, et d’Hyppolite Picard ; le 20 janvier 1862, il épousa à Montréal Marie-Mathilde Pratt, fille de Jean-Baptiste Prat*, et ils eurent un enfant, puis le 6 février 1865, dans la même ville, Essie Cranwill, et ils eurent six enfants, et enfin, le 6 octobre 1881, Edith Bertha Beatty, et de ce troisième mariage naquirent trois enfants ; décédé le 22 mars 1911 à Ottawa.

Désiré Girouard fréquenta une école paroissiale à Saint-Timothée de 1844 à 1848, puis étudia au collège des Frères des écoles chrétiennes à Beauharnois de 1848 à 1850. Il poursuivit ses études de 1850 à 1857 au petit séminaire de Montréal, où il remporta des prix. En 1857, il s’inscrivit au Cabinet de lecture paroissial, cercle littéraire qui nourrit ses profondes croyances religieuses et contribua à en faire un conservateur convaincu. Girouard était un adversaire inconditionnel de l’Institut canadien. Son apparition impudente à la réunion du 18 mars 1858, dont il fut expulsé, exacerba les tensions au sein de cet organisme et fut l’une des causes de la fondation de l’Institut canadien-français, où Girouard trouva un milieu intellectuel plus disciplinable.

En 1857, Girouard était entré au cabinet de l’avocat Edward Carter et avait entrepris ses études de droit au McGill College. Il fut le premier de sa classe trois années consécutives et prononça le discours d’adieu de sa promotion en 1860. Il recevrait un doctorat honorifique en droit civil en 1874 et le titre de conseiller de la reine en 1880.

Avant son admission au barreau en octobre 1860, Girouard avait publié à Montréal un important ouvrage juridique, Essai sur les lettres de change et les billets promissoires. Il excellerait en droit commercial et s’associerait à de grands avocats montréalais ; aussi compterait-il de riches entreprises parmi sa clientèle tout au long de ses 35 années de pratique. Chicanier de nature, il plaiderait diverses affaires complexes où ses propres intérêts seraient enjeu.

En 1871, Girouard fonda à Montréal la Revue critique de législation et de jurisprudence du Canada avec William Warren Hastings Kerr, Louis-Amable Jetté, John Adams Perkins et Henri-Félix Rainville. Ses articles, dont « The Treaty of Washington », où il reprochait au gouvernement de sir John Alexander Macdonald* d’avoir mal protégé les intérêts du Canada, abordaient souvent des questions politiques. Ses textes sur « Church and State » provoquèrent une riposte immédiate de la part du président de l’Institut canadien, Gonzalve Doutre*, qui l’accusa de se servir de la publication pour faire une « revue critique du procès Guibord [V. Joseph Guibord*], encore pendant ».

Au cours d’une crise judiciaire en 1873–1874, Girouard déclencha un boycott de la Cour d’appel qui dura toute la session d’hiver en prononçant devant le barreau montréalais un discours où il détailla les griefs entretenus depuis longtemps par les membres de ce barreau contre certains juges de ce tribunal. « Le barreau est le gardien de la magistrature », rappela-t-il à son auditoire. Le conflit se régla seulement après que plusieurs juges eurent pris leur retraite et que le ministre de la Justice, Antoine-Aimé Dorion*, eut été nommé juge en chef de la Cour du banc de la reine en juin 1874.

Candidat plusieurs fois à des élections fédérales dans les années 1870, Girouard dut mener des campagnes épuisantes dans une atmosphère saturée d’accusations d’ingérence cléricale et de corruption électorale. Sous la bannière conservatrice, il perdit dans Jacques-Cartier en 1872 contre Toussaint-Antoine-Rodolphe Laflamme*, son ancien professeur de droit. En tant qu’indépendant, il subit la défaite dans Beauharnois en 1874. Quand Laflamme fut nommé ministre du Revenu intérieur en 1876, Girouard décida de se présenter à l’élection partielle qui se tiendrait dans Jacques-Cartier parce qu’il participait à des poursuites judiciaires relativement à de douteuses transactions foncières de son rival. Il perdit par 28 voix et contesta les résultats du scrutin ; finalement, en 1878, à l’époque où Laflamme était ministre de la Justice, la Cour suprême du Canada rendit une fin de non-recevoir. Toujours en 1878, Girouard fut battu à nouveau par Laflamme, cette fois par 12 voix, mais un comptage judiciaire lui donna une majorité de 2 voix, même si la fameuse « affaire de la Trappe » n’était pas encore devant les tribunaux. Laflamme n’était pas personnellement impliqué dans cette affaire, mais sa réputation fut ternie lorsqu’on apprit, au procès de certains de ses partisans, que ceux-ci s’étaient servi d’une trappe pour trafiquer une boîte de scrutin dans une maison de la paroisse de Sainte-Anne-de-Bellevue. Dès lors, Girouard ne connaîtrait plus la défaite dans Jacques-Cartier durant 17 ans.

À la Chambre des communes, Girouard présenta plusieurs projets de loi privés, dont un visant à légaliser le mariage avec la sœur d’une épouse défunte. Ce projet de loi, présenté en 1879, choqua tellement les autorités conservatrices de l’Église qu’il dut le retirer. Après avoir déployé des trésors de diplomatie, il réussit à en faire adopter une version modifiée en 1882. Une mesure semblable adoptée par la Chambre des communes de Londres en 1850 n’acquerrait force de loi qu’en 1907. Girouard prononça son discours le plus célèbre le 7 juillet 1885 : durant plus de six heures, il défendit l’attitude du gouvernement dans l’affaire Riel [V. Louis Riel*]. Il était sympathique aux griefs des Métis, mais ne les trouvait pas assez sérieux pour « justifier [ces derniers] d’avoir recours aux armes ». Cependant, il conclut son allocution en exhortant le gouvernement à « exerc[er] sa clémence en faveur des prisonniers [alors] sous les verrous à Regina ».

Estimant que le procès de Riel avait comporté des vices de forme et avait été d’une injustice flagrante, Girouard s’irrita en constatant que Macdonald semblait disposé à laisser exécuter la sentence de mort. À mesure que la crise s’aggravait, il insista sur la possibilité d’éviter le gibet à Riel en invoquant son déséquilibre mental. Il organisa une série de rencontres parmi les principaux conservateurs de la province de Québec dans le but de presser le gouvernement de commuer la sentence. Le 13 novembre 1885, 16 députés conservateurs de la province envoyèrent à Macdonald un télégramme disant que l’exécution imminente de Riel était « un acte de cruauté » dont ils refusaient de porter l’odieux. Puis, le 7 décembre, après que le ministre de la Justice, sir Alexander Campbell*, eut publié une justification des actes du gouvernement, Girouard répliqua par une lettre ouverte qui fut largement diffusée et dans laquelle il concluait : « l’histoire dira peut-être que Riel a été exécuté pour un crime qu’il n’avait pas commis et que nous nous sommes rendus coupables d’un meurtre judiciaire ». Dans les mois qui suivirent la pendaison de Riel, Girouard appuya le projet de formation du Parti national par Honoré Mercier*, mais sa vieille antipathie contre les libéraux s’avéra plus forte que sa colère contre le gouvernement conservateur. Il abandonna bientôt la cause nationaliste et retourna chez les conservateurs. Toutefois, quand l’affaire Riel fut débattue en Chambre, en mars 1886, lui-même et 16 autres conservateurs de la province de Québec votèrent contre leur propre gouvernement pour des raisons de conscience, ce qui leur valut le surnom de « déserteurs ».

L’affaire Riel refroidit considérablement l’enthousiasme de Girouard pour la politique de parti. Il refusa des postes au cabinet en 1891 et en 1895, peut-être parce qu’il pressentait la fin du règne conservateur à Ottawa et trouvait que le parti ne desservait plus les intérêts des Canadiens français. En 1890, il joua un rôle important au comité spécial du Parlement qui examina la conduite du major-général sir Frederick Dobson Middleton* dans les Territoires du Nord-Ouest. En 1891, en tant que président du comité des privilèges et élections, il dirigea l’enquête sur les accusations de corruption portées contre sir Hector-Louis Langevin* et Thomas McGreevy* ; son impartialité fut alors très louangée. Il fut avocat-conseil de la province de Québec devant la Cour suprême du Canada à l’occasion de procès relatifs à des revendications autochtones découlant des traités Robinson de 1850 [V. William Benjamin Robinson*]. Le 28 septembre 1895, il accepta un poste de juge à ce tribunal. Malgré son manque d’expérience judiciaire, sa nomination fut bien accueillie, car il était réputé pour son indépendance à l’égard du pouvoir politique, son honnêteté et son érudition en droit.

Féru de généalogie et d’histoire locale, Girouard composa bon nombre d’opuscules historiques. Plusieurs d’entre eux formèrent la base d’un manuscrit traduit en anglais par son fils Désiré Howard et publié à Montréal en 1893 sous le titre Lake St. Louis, old and new, illustrated, and Cavelier de la Salle. Il s’agit de son principal ouvrage historique. En récompense de sa contribution à la littérature, le comte d’Aberdeen [Hamilton-Gordon*] lui remit la médaille de la Confédération en 1895. Girouard s’enorgueillissait du fait que le premier Girouard du Canada, Antoine (1696–1767), arrivé à Montréal vers 1718, avait été secrétaire de Claude de Ramezay*, gouverneur de Montréal. Il trouva le temps de faire des recherches sur les origines de sa famille en France et rassembla ses découvertes dans l’Album de la famille Girouard, probablement paru en 1906 à Montréal. En 1892, Girouard était devenu le premier maire de Dorval ; il y possédait une résidence spacieuse, Quatre Vents, qui convenait bien à ses manières d’aristocrate.

En 1910, en l’absence du gouverneur général et du juge en chef, Girouard, doyen des juges puînés, agit à plusieurs reprises comme administrateur du Canada. Son fils, sir Édouard Percy Cranwill Girouard, était alors gouverneur du protectorat de l’Afrique orientale (Kenya) ; les journaux aimaient à souligner que deux Canadiens français, père et fils, représentaient le roi dans deux possessions importantes de l’Empire britannique. En septembre, Girouard déclencha une campagne hargneuse dans plusieurs journaux ontariens par son message de bienvenue au cardinal Vincenzo Vannutelli, le légat pontifical venu participer au Congrès eucharistique international à Montréal, et par la nature de sa participation au congrès. Cette campagne ternit quelque peu son image et explique probablement pourquoi il ne reçut jamais le même titre que son fils.

Le 6 mars 1911, Désiré Girouard, déjà éprouvé par des ennuis de santé, fut projeté hors de son traîneau dans une rue d’Ottawa. Il mourut deux semaines plus tard. Le 24 mars, après des funérailles à Ottawa et à Montréal, il fut inhumé au cimetière Notre-Dame-des-Neiges de Montréal.

Michael Lawrence Smith

Désiré Girouard a écrit quelques livres, ainsi que de nombreux opuscules et articles sur des questions juridiques, d’histoire et de généalogie. Certains de ses discours politiques à titre de député ont été publiés. Outre les ouvrages cités dans la biographie, les suivants méritent une mention spéciale : Étude sur l’acte concernant la faillite, 1864 (Montréal, 1864) ; la Famille Girouard, 1696–1884 ([Dorval, Québec, 1884]) ; et la Question du canal de Beauharnois (Montréal, 1873). On trouve une liste de certaines de ses publications dans P.-G. Roy, « Ouvrages publiés par feu l’honorable juge Désiré Girouard, de la Cour suprême du Canada », BRH, 22 (1916) : 257s. Une liste plus complète quoique non exhaustive figure dans le Répertoire de l’ICMH. Des articles rédigés par Girouard ont paru dans l’Écho du Cabinet de lecture paroissial (Montréal), 3 (1861), dans la Rev. critique de législation et de jurisprudence du Canada (Montréal), 1 (1871)–3 (1873), et dans le BRH, 4 (1898)–12 (1906).

AN, MG 30, E313.— ANQ-M, CE1-51, 20 janv. 1862, 6 févr. 1865.— Gazette (Montréal), 5, 14 mai 1860, 16–18 déc. 1873, 8, 11 nov. 1876.— La Minerve, 24 juill. 1855, 17 juill. 1856, 23 juill. 1857, 31 mars, 24 avril 1858.— Le Monde (Montréal), 9 déc. 1885.— Montreal Herald, 17–18, 23 déc. 1873, publié par la suite sous le titre Montreal Daily Herald, 24 mars 1910.— Le Pays (Montréal), 26 mars, 6, 13, 20 avril 1858.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1898).— CPG, 1878–1895.— Rumilly, Hist. de la prov. de Québec, 1–9.— J. G. Snell et Frederick Vaughan, The Supreme Court of Canada : history of the institution ([Toronto], 1985).— Joseph Tassé, le 38me Fauteuil ou Souvenirs parlementaires (Montréal, 1891).

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Michael Lawrence Smith, « GIROUARD, DÉSIRÉ », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/girouard_desire_14F.html.

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Auteur de l'article:    Michael Lawrence Smith
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
Année de la révision:    1998
Date de consultation:    28 novembre 2024