SWEENY, JOHN, prêtre et évêque catholique, né en mai 1821 à Clones, Irlande, fils de James Sweeny et de Mary McGuire (Macguire, Maguire) ; décédé le 25 mars 1901 à Saint-Jean, Nouveau-Brunswick.
On sait que John Sweeny naquit à Clones, mais les indications dont on dispose ne permettent pas de déterminer s’il s’agissait de la localité ou de la paroisse. La chose a son importance puisque, aujourd’hui, la localité se trouve en république d’Irlande alors que la plus grande partie de la paroisse est en Irlande du Nord. Sweeny arriva à Saint-Jean avec sa famille en 1828. Il fit ses études au St Andrew’s College de l’Île-du-Prince-Édouard et au grand séminaire de Québec. Après son ordination en 1844, il desservit des paroisses situées au Nouveau-Brunswick, soit à Saint-Jean, Wards Creek, Chatham, et Barachois. Pendant qu’il était à Barachois, Mgr William Dollard* en fit son vicaire général. De la mort de Dollard, en 1851, jusqu’à la nomination du nouvel évêque, Thomas Louis Connolly*, Sweeny administra le diocèse de Fredericton. Par la suite, Connolly lui redonna le titre de vicaire général. En 1859, Connolly accéda à l’archiépiscopat de Halifax. Sweeny fut choisi pour lui succéder comme évêque de Saint-Jean (nouveau nom du diocèse de Fredericton) et sacré le 15 avril 1860. Quelques semaines plus tard, le diocèse fut divisé en deux parties : le diocèse de Chatham au nord et celui de Saint-Jean au sud. James Rogers devint évêque de Chatham et Sweeny conserva le siège de Saint-Jean.
En tant qu’évêque, Sweeny se distingua surtout en multipliant les institutions de son diocèse. Au milieu du xixe siècle, l’ère missionnaire était révolue pour les anglo-catholiques de l’Amérique du Nord britannique. Dans tous les principaux diocèses anglophones, on en était à la consolidation et à l’expansion. Cette phase avait déjà commencé pendant l’épiscopat de Connolly, qui avait fondé la communauté des Sisters of Charity of the Immaculate Conception [V. Honoria Conway*], fait venir des Religieuses du Sacré-Cœur dans le diocèse et entrepris la construction d’une cathédrale. Sweeny acheva la Cathedral of the Immaculate Conception et recruta d’autres communautés religieuses, dont les Frères des écoles chrétiennes, la Congrégation de Sainte-Croix, les Rédemptoristes et les Sœurs du Bon-Pasteur.
La présence de tous ces religieux et religieuses permit à Sweeny de mettre sur pied un vaste réseau de maisons d’enseignement et d’œuvres de bienfaisance, dont deux orphelinats (un pour les garçons, un pour les filles), une école technique, un foyer de vieillards, un collège classique et bon nombre d’écoles locales. En outre, il érigea plusieurs nouvelles paroisses et missions, tant à Saint-Jean même que dans les districts ruraux. Grâce à ses efforts, le nombre de prêtres du diocèse fit plus que tripler de 1860 à 1895 ; cette année-là, il y en avait 62 pour une population d’environ 60 000 catholiques. Enfin, Sweeny favorisa, à Saint-Jean, l’éclosion de toute une variété de sociétés philanthropiques et de sociétés de dévotion – groupes dont la dissémination était très marquée à l’époque chez les catholiques du Canada et d’ailleurs. Parmi les associations de bénévoles et les fraternités pieuses qui furent actives pendant son épiscopat, on peut signaler l’Association catholique de bienfaisance mutuelle, la Young Men’s Society of St Joseph, la Father Mathew Association, la St Malachi’s Total Abstinence Relief Society, l’Irish Literary and Benevolent Society, l’Archconfraternity of the Holy Rosary et la Sodality of the Sacred Heart of Jesus. Avec les maisons d’enseignement et les œuvres de bienfaisance, ces organisations formaient une sphère dans laquelle les catholiques trouvaient réponse à leurs besoins spirituels et temporels en même temps que protection contre les pressions du prosélytisme et de l’assimilation.
Sweeny se souciait particulièrement des immigrants irlandais qui étaient arrivés sans le sou au Nouveau-Brunswick dans les années 1840 et 1850 et qui gagnaient leur vie tant bien que mal en ville, comme journaliers. Convaincu que la pauvreté et la vie urbaine menaçaient à la fois la santé morale et physique de ces paysans irlandais, Sweeny entreprit de les encourager à s’installer à la campagne et à se remettre à l’agriculture. En 1860, il fonda l’Emigrants’ Aid Society et en prit la présidence. Cet organisme aidait les colons qui le désiraient à obtenir des concessions de terres, et les renseignait sur l’agriculture et l’élevage. L’objectif était non seulement de favoriser le retour à la terre, mais aussi de créer une cohésion entre plusieurs familles catholiques en les installant dans des localités rurales qui seraient desservies par un prêtre résidant. Le plan de Sweeny ressemblait aux projets de colonisation lancés par plusieurs autres prélats irlandais d’Amérique du Nord, dont l’évêque de Toronto John Joseph Lynch*, qui essaya en vain de créer une « Nouvelle-Irlande » dans l’Ouest. De toutes les expériences nord-américaines du genre, le village de Johnville, fondé par Sweeny et baptisé en son honneur, fut – et de loin – la plus réussie. Établi en 1861, il comprenait, cinq ans plus tard, 130 maisons, deux écoles et une église. Au début, les colons ne disposaient de rien d’autre que leur force de travail, mais dès 1866, selon l’estimation de Sweeny, ils possédaient un actif de 100 000 $. Johnville existe toujours.
Même si, durant plus de 40 ans, Sweeny dirigea un important diocèse catholique, ce n’était pas un personnage très visible. Il évitait la controverse et fuyait en général l’arène politique, préférant consolider, de l’intérieur, les institutions et les ressources de l’Église. On savait, dans les années 1860, qu’il s’opposait au projet de fédération des colonies de l’Amérique du Nord britannique, comme son ami Timothy Warren Anglin*, mais il était beaucoup plus discret que l’archevêque Connolly, grand partisan du projet. Quand les forces fédéralistes du Nouveau-Brunswick, dirigées par Samuel Leonard Tilley*, subirent une cuisante défaite aux élections provinciales de 1865, on accusa Sweeny d’avoir abusé de son influence sur ses ouailles en prononçant des sermons contre la Confédération et en ordonnant à son clergé de s’y opposer. Jamais on ne produisit de preuve tangible à l’appui de ces accusations. Aux élections de 1866, dont les fédéralistes sortirent vainqueurs, Sweeny fut encore plus effacé : en privé, il s’opposa à la Confédération, mais il ne fit aucune déclaration publique à ce sujet.
La seule controverse politique dans laquelle Sweeny s’engagea à fond fut celle que déclencha l’adoption du Common Schools Act par le Parlement du Nouveau-Brunswick en 1871 [V. George Edwin King]. Jusque-là, c’était une loi assez vague, le Parish Schools Act de 1858, qui régissait l’enseignement dans la province. Elle ne contenait aucune disposition précise sur les écoles séparées ou dissidentes. Toutes les écoles relevaient d’un bureau provincial d’Éducation. Cependant, comme l’initiative de fonder des écoles se prenait beaucoup au niveau local, dans les faits, les catholiques et les membres des autres confessions religieuses étaient libres de créer leurs propres écoles et recevaient une part du budget provincial d’éducation. En 1871, le diocèse de Saint-Jean comptait 160 écoles catholiques. Une forte minorité d’entre elles offraient l’enseignement en français. Dans certaines, le personnel était formé de religieux. Les éducateurs catholiques avaient toute liberté dans le choix des manuels.
Au cours de la conférence de Londres, en 1866–1867, l’archevêque Connolly avait tenté d’obtenir des garanties constitutionnelles pour les écoles confessionnelles de toutes les colonies qui allaient faire partie de la Confédération. On avait rejeté ses propositions, en grande partie parce qu’elles auraient miné les droits provinciaux et, par le fait même, mis en péril l’autorité que la province de Québec exercerait sur son système d’enseignement. L’article 93 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 vint bien garantir, par le pouvoir fédéral d’annulation, que les écoles séparées ou dissidentes seraient maintenues, mais uniquement si elles avaient une existence juridique au moment de la Confédération. Les écoles catholiques du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse se trouvaient donc, dans les faits, sans protection.
En réaction à la loi de 1871, qui entra en vigueur le 1er janvier 1872, Sweeny, de concert avec l’évêque de Chatham, Mgr Rogers, et avec l’appui de deux députés irlando-catholiques du Nouveau-Brunswick aux Communes, Anglin et John Costigan*, essaya de défendre le droit des catholiques à leurs propres écoles en recourant tant à des moyens politiques que judiciaires. On s’adressa à Ottawa, au secrétaire des Colonies à Londres et à la Cour suprême du Nouveau-Brunswick. Cependant, lorsqu’arriva la fin de 1872, le gouvernement fédéral avait réussi à faire dévier les requêtes d’annulation, et les légistes de la couronne avaient confirmé la validité de la loi sur les écoles publiques. Puis, au début de 1873, la Cour suprême conclut à son tour que la province n’avait pas outrepassé ses pouvoirs en adoptant cette loi. Les catholiques du Nouveau-Brunswick ne s’avouèrent pas vaincus pour autant. Au printemps de 1873, Sweeny se rendit deux fois à Ottawa pour recueillir des appuis à sa campagne contre la loi sur les écoles publiques. Cette campagne atteignit son point culminant à la Chambre des communes le 14 mai 1873. Ce jour-là, à la demande de Sweeny, Costigan proposa que le gouvernement fédéral refuse de reconnaître les lois en vertu desquelles on prélevait les impôts pour financer les nouvelles écoles publiques. Sa motion fut adoptée. Néanmoins, cinq jours plus tard, le gouvernement de sir John Alexander Macdonald* refusa de procéder à l’annulation. Costigan et Anglin se préparèrent alors à présenter une motion de censure. De son côté, le 18 mai, sur l’invitation de l’évêque de Montréal, Ignace Bourget*, Sweeny avait assisté au synode provincial de l’Église de Québec, où il avait demandé aux évêques d’appuyer la cause des écoles catholiques du Nouveau-Brunswick. Sous la direction de Bourget et de l’évêque de Trois-Rivières, Louis-François Laflèche*, la hiérarchie canadienne-française rédigea une déclaration contre la loi sur les écoles, qui parut le lendemain. L’intervention visait à convaincre un certain nombre de députés conservateurs fédéraux de la province de Québec de se dissocier du gouvernement. Pour gagner du temps, Macdonald promit que, si les catholiques du Nouveau-Brunswick interjetaient appel au comité judiciaire du Conseil privé, le gouvernement fédéral acquitterait les frais. Voyant cela, les évêques du Québec se radoucirent ; la motion de censure ne fut même pas présentée aux Communes. Toutefois, en juillet 1874, le comité judiciaire du Conseil privé allait se prononcer contre les catholiques du Nouveau-Brunswick.
Entre-temps, ceux-ci, suivant les directives de leurs évêques, résistèrent à l’application du Common Schools Act en refusant de payer leurs taxes scolaires. Le gouvernement contre-attaqua en saisissant les biens de ceux qui adoptaient cette tactique et en procédant à quelques arrestations. Joseph Michaud (1841–1903), prêtre à la cathédrale de Saint-Jean, alla en prison deux fois ; la voiture de Mgr Sweeny fut saisie en 1874. Finalement, au terme de négociations entamées par Sweeny et John Boyd*, président du conseil scolaire de Saint-Jean, on parvint en 1875 à une entente qui permettait aux écoles catholiques de subsister en vertu de la nouvelle loi. Les bâtiments seraient loués au conseil scolaire. Les membres des communautés religieuses subiraient un examen des autorités provinciales, mais n’auraient pas à passer par l’école normale. Les enfants qui devraient aller à l’école hors de leur district pour recevoir un enseignement catholique seraient autorisés à le faire. On passerait les manuels au crible afin d’en éliminer les passages offensants pour les catholiques. Les élèves catholiques pourraient recevoir de l’instruction religieuse en dehors des heures de classe. En fait, dès 1871, Sweeny avait proposé un compromis semblable, mais les autorités l’avaient écarté.
En 1869–1870, Sweeny assista, à Rome, au Premier Concile du Vatican, qui portait principalement sur un projet de définition du dogme de l’infaillibilité pontificale. À l’instar de son collègue Connolly, il s’opposait à cette définition, mais contrairement à lui, il ne tenta pas d’en empêcher l’adoption. Il ne prit pas la parole et, au moment de la mise aux voix, il s’absenta, peut-être afin de marquer sa désapprobation. Une fois de retour à Saint-Jean, il se soumit ouvertement à la définition solennelle adoptée par le concile, comme la plupart des évêques qui s’y étaient opposés.
Les dernières années de l’épiscopat de Sweeny coïncidèrent avec l’émergence du nationalisme acadien dans les provinces Maritimes. Ce mouvement, dans lequel le clergé canadien-français joua un rôle important, visait notamment la prise en main, par les Acadiens, de leurs institutions ecclésiastiques. Tous anglophones, les évêques des cinq diocèses des Maritimes résistèrent à leurs tentatives ou y furent à tout le moins indifférents. La population du diocèse de Saint-Jean comprenait environ un tiers d’Acadiens. Les élites de ce groupe reprochaient à Sweeny diverses injustices, dont le refus de faire en sorte que les catholiques francophones puissent se confesser dans leur langue. Ses positions sur l’éducation des Acadiens, et surtout sur le collège Saint-Joseph de Memramcook, soulevèrent aussi la controverse.
Dans les années 1850, François-Xavier-Stanislas Lafrance*, prêtre du Bas-Canada qui fut longtemps missionnaire auprès des Acadiens, avait fait l’acquisition d’un terrain à Memramcook et y avait fait bâtir une construction dans laquelle il avait tenu une école secondaire jusqu’en 1862. Il donna cette propriété à Sweeny en 1863 en exigeant qu’y soit établi un collège classique destiné principalement aux Acadiens. Sweeny fit venir de Montréal des pères de Sainte-Croix pour administrer le collège [V. Camille Lefebvre*] et, une fois celui-ci constitué, leur transféra la propriété. Au moins quelques porte-parole acadiens le félicitaient en public des efforts qu’il déployait pour le collège Saint-Joseph, mais d’autres personnes proches de la scène, dont un professeur, lui reprochaient vivement d’en avoir fait un établissement « bilingue », ce qui dans les faits, selon ces personnes, voulait dire anglophone. Les nationalistes acadiens étaient si mécontents que l’un d’entre eux, et non le moindre, le père Marcel-François Richard*, fonda en 1874 un autre collège à Saint-Louis-de-Kent, dans le diocèse de Chatham. Le collège Saint-Louis n’eut cependant qu’une existence éphémère.
À la fin du xixe siècle, les Acadiens étaient encore plus déterminés à diriger leurs affaires ecclésiastiques et religieuses. Ils commençaient à revendiquer principalement la nomination d’un évêque acadien, voire la création d’un diocèse acadien dont le siège serait à Moncton. En 1899, Sweeny, dont la santé faiblissait, demanda à Rome de lui nommer un coadjuteur avec droit de succession. Les Acadiens, ayant eu vent de cette initiative et sachant que Mgr Rogers de Chatham cherchait aussi un coadjuteur, tentèrent d’obtenir la nomination d’au moins un candidat francophone. Plus tard dans l’année, cependant, sur la recommandation des évêques des Maritimes, Rome choisit, pour les deux diocèses, des prêtres d’ascendance irlandaise : Timothy Casey* pour Saint-Jean et Thomas Francis Barry pour Chatham. En 1900, les porte-parole des Acadiens adressèrent une pétition à l’épiscopat du Nouveau-Brunswick leur demandant de soutenir la création d’un diocèse acadien. Sweeny ne daigna même pas répondre. Les efforts des Acadiens ne portèrent fruit qu’en 1912, année où Édouard-Alfred Le Blanc* devint évêque de Saint-Jean.
John Sweeny légua à l’Église catholique du Nouveau-Brunswick un réseau d’institutions diocésaines beaucoup plus vaste et complet qu’il ne l’était au moment de sa nomination. De ce point de vue, ses réalisations sont typiques de celles des évêques de toute l’Amérique du Nord britannique à l’époque. C’était un administrateur ecclésiastique compétent, voire sagace. Par contre, lorsqu’il s’agissait de défendre des positions politiques ou théologiques, il était plutôt médiocre ; sous cet aspect, il fut éclipsé par la personnalité de Thomas Louis Connolly, son prédécesseur, puis son métropolitain.
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Terrence Murphy, « SWEENY, JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/sweeny_john_13F.html.
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Auteur de l'article: | Terrence Murphy |
Titre de l'article: | SWEENY, JOHN |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |